N° RG 20/04168 - N° Portalis DBV2-V-B7E-IUHH
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 02 MARS 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 18 Novembre 2020
APPELANT :
Monsieur [U] [W]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Me Stéphane PASQUIER de la SELARL PASQUIER, avocat au barreau de ROUEN
INTIMEE :
Société RENAULT
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Carole BONVOISIN de la SELARL BESTAUX BONVOISIN MATRAY, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Olivier GILLIARD, avocat au barreau d'AVESNES-SUR-HELPE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 04 Janvier 2023 sans opposition des parties devant Madame DE BRIER, Conseillère, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame BIDEAULT, Présidente
Madame DE BRIER, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
M. GUYOT, Greffier
DEBATS :
A l'audience publique du 04 Janvier 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 02 Mars 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 02 Mars 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
FAITS ET PROCÉDURE
La régie nationale des Usines Renault a embauché M. [U] [W] le 14 décembre 1981 en qualité d'agent électromécanicien.
Ce dernier a travaillé d'abord sur le site de Flins, puis sur le site Renault de [Localité 5] à partir du 4 mai 1992. A compter de cette même date, il est devenu technicien de maintenance.
M. [W] a pris sa retraite au 1er juillet 2007.
Le 28 juin 2012, M. [W], s'estimant victime d'une « discrimination raciale » de la part de son employeur, a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen.
Par jugement avant dire droit du 31 janvier 2013, le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes l'a débouté de sa demande de désignation d'un expert et à défaut, d'un juge rapporteur, pour effectuer une étude comparative des salaires et coefficients de M. [W] par rapport aux autres salariés de la société.
Par jugement du 18 novembre 2020, le conseil de prud'hommes de Rouen a jugé recevable la requête de M. [W], son action n'étant pas prescrite, mais a débouté celui-ci de ses demandes. Il a par ailleurs débouté la société des siennes.
Le 21 décembre 2020, M. [W] a fait appel du jugement en ce qu'il l'a débouté de l'ensemble de ses demandes.
L'ordonnance de clôture de la procédure a été prononcée le 03 janvier 2023.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions remises le 8 décembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, M. [W] demande à la cour de :
- confirmer que la requête est recevable et que son action n'est pas prescrite, et débouter la société de ce chef de demande ;
Après avoir réformé le jugement entrepris, condamner la société à lui verser les sommes suivantes :
300 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de la discrimination en raison de ses origines dont il a été l'objet ;
10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution défectueuse du contrat de travail ;
En tout état de cause :
- condamner la société à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonner la rectification des documents sociaux, sous astreinte de 500 euros par jour de retard et par document à compter de la notification de la décision à intervenir ; dire que cette astreinte durera 3 mois, passé lequel délai il en sera référé à la chambre sociale près la cour d'appel de Rouen pour éventuelle révision en cas d'inexécution ; dire que la chambre sociale de la cour d'appel de Rouen se réservera en tout état de cause la compétence pour la liquidation de l'astreinte ;
- rappeler que les intérêts légaux courent de plein droit à compter de la saisine conformément à l'article 1153 du code civil, sur les créances de nature salariale ;
- faire courir les intérêts au taux légal sur les demandes indemnitaires à compter de la saisine du conseil de prud'hommes conformément à l'article 1153-1 du code civil ;
- ordonner la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1154 du code civil, dès lors que les intérêts courront depuis plus d'un an et qu'une demande a été faite ;
- condamner la société aux entiers dépens de l'instance qui comprendront les frais d'exécution de la décision à intervenir.
Par conclusions remises le 03 janvier 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, la société demande à la cour de :
- infirmer le jugement en ce qu'il a déclaré recevable l'action de M. [W] ; en conséquence juger que cette action est prescrite et débouter le salarié de ses demandes,
- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que M. [W] n'avait fait l'objet d'aucune « discrimination raciale », ni d'aucune autre sorte ; en conséquence, confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [W] de l'ensemble de ses demandes, le débouter de sa demande tendant à faire courir les intérêts à compter de la saisine initiale et de sa demande de capitalisation des intérêts;
- y ajoutant, condamner M. [W] à titre reconventionnel à lui verser la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les frais et dépens de l'instance.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I. Sur la demande de dommages et intérêts formée en réparation du préjudice subi du fait d'une discrimination en raison des origines
1. sur la recevabilité de l'action au regard de la prescription
M. [W] fait valoir que le contrat de travail ayant été rompu le 30 juin 2007, il a saisi le conseil de prud'hommes dans le délai quinquennal de prescription alors applicable.
La société Renault fait valoir que dans la mesure où M. [W] a cessé de travaillé dès 2004, dans le cadre du dispositif de cessation d'activité de salarié âgé, sa situation était alors figée ; qu'il avait alors connaissance de l'ensemble des éléments lui permettant d'engager son action ; que cette date constitue donc le point de départ du délai de prescription. Elle considère, dès lors que la prescription de l'action en discrimination est de cinq ans et que le salarié a laissé s'écouler huit années entre la révélation des faits et la saisine de la juridiction, que son action est prescrite.
Le délai de prescription de l'action était de trente ans avant la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, qui a créé l'article L. 1134-5 du code du travail en vertu duquel l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit désormais par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination.
Selon l'article 26 de cette loi relatif aux dispositions transitoires, cette réduction du délai de prescription s'applique aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi (19 juin 2008), sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.
En l'espèce, que l'on retienne l'année 2004 ou 2007 comme point de départ du délai de prescription, ce délai qui était alors de 30 ans a été réduit à 5 ans courant à compter du 19 juin 2008, pour expirer le 19 juin 2013 puisque le délai initial de 30 ans n'était pas encore écoulé à cette date.
L'action engagée le 28 juin 2012 n'est donc pas prescrite. Il convient dès lors de confirmer le jugement qui l'a déclarée recevable.
2. sur le bien fondé de l'action
M. [W] fait valoir qu'alors qu'il bénéficiait d'augmentations régulières, tant collectives qu'individuelles, lorsqu'il travaillait sur le site de Flins, il n'a bénéficié sur le site de [Localité 5] que des augmentations collectives et d'une seule augmentation individuelle, en mai 1997, à hauteur de 350 FF, contrairement à ses autres collègues. Il soutient que les autres augmentations alléguées par l'employeur correspondent en réalité à des rattrapages ou à des sommes qui, en tout état de cause, lui étaient dues. Il considère que l'unique véritable augmentation de 1997 démontre qu'il a été victime de discrimination. Il demande à ce que la société Renault fournisse des explications sur ces pratiques humiliantes et communique les fiches d'évolution de carrière de ses collègues (nommément cités) avec lesquels il a travaillé en équipe et en nuit, cela afin de comparer leurs évolutions de carrière avec la sienne sur les douze années de présence à [Localité 5]. Il ajoute qu'il ne s'est jamais vu proposer le bénéfice d'une préparation ou d'une formation pour changer de filière, ou accorder une prime comme cela se faisait pour ses autres collègues, alors même qu'il réalisait les remplacements du chef d'unité pendant ses absences, distribuait les tâches de travail et réalisait la gestion journalière de l'équipe en parallèle de son activité de technicien de maintenance. Il soutient que ces éléments caractérisent une atteinte au principe d'égalité de traitement et sont susceptibles de constituer une discrimination quant à l'évolution de sa carrière professionnelle.
Il fait remarquer que ses évaluations étaient élogieuses, qu'aucune procédure disciplinaire n'a jamais été mise en 'uvre à son encontre, et maintient donc sa demande d'expertise judiciaire, aucun élément ne venant justifier sa progression salariale inférieure à celle de ses collègues.
Il ajoute que la société Renault n'a pas respecté l'accord de 1984, l'Accord à Vivre et l'accord relatif aux aménagements du système de rémunération du personnel APR et ETAM, dès lors qu'il n'a fait l'objet d'aucune proposition d'évolution en 14 années de carrière, ni d'aucun entretien spécifique ATPR durant 7 années consécutives. Il fait remarquer qu'un salarié ETAM bénéficie en moyenne, chez Renault, d'un changement de coefficient tous les sept ans.
Il compare son évolution à celle de M. [B] [V], qui a bénéficié d'une augmentation de 1 227 euros entre septembre 1994 et août 1997.
La société Renault fait valoir que M. [W] a bénéficié de 15 augmentations de salaire entre mars 1996 et avril 2004, qu'il a régulièrement perçu des primes individuelles (à six reprises entre octobre 1996 et avril 2000), qu'il a connu tout au long de son parcours professionnel une évolution de salaire constante, et au surplus importante ; qu'il a également bénéficié d'une évolution de son coefficient hiérarchique, passé de 215 à son embauche à 260 en janvier 1996 et à 285 en février 2002, ce dernier coefficient correspondant au maximum auquel il pouvait accéder dans sa filière d'activité ; qu'enfin, à partir de 2004, faute d'activité effective au sein de la société mais conservant néanmoins le bénéfice de sa rémunération, il ne peut revendiquer avoir été lésé de quelque manière que ce soit. L'employeur précise que M. [W] ne pouvait accéder au coefficient supérieur (305) sans changer de filière et valider des tests (français, mathématiques, évaluation d'aptitudes intellectuelles). L'employeur conteste dès lors tout traitement défavorable.
La société Renault considère par ailleurs que M. [W] n'apporte aucune preuve de son allégation selon laquelle il aurait été traité défavorablement par rapport à ses collègues de travail ; qu'au contraire, il bénéficiait d'une évolution professionnelle dans la moyenne, supérieure à celle de certains de ses collègues ayant un « patronyme français », et bénéficiait même d'un coefficient hiérarchique supérieur à ceux de collègues au patronyme à consonance européenne entrés en même temps que lui au sein de la société. La société ajoute que trois des enfants de M. [W] ont travaillé pour elle, ce qui démontre qu'elle n'a pas voulu le discriminer.
Elle estime que la comparaison faite par M. [W] entre sa situation sur le site de Flins et celle sur le site de [Localité 5] n'est pas pertinente, la discrimination correspondant à une différence de traitement par rapport à une population humaine placée dans la même situation que le salarié qui s'en prétend victime.
Elle conteste la comparaison faite par M. [W] entre sa situation et celle de M. [V], en indiquant qu'aucun bulletin de paie de ce dernier n'est versé aux débats.
Elle ajoute que M. [W] était rémunéré au-delà du minimum conventionnel.
L'article L. 122-45 du code du travail dans sa version en vigueur du 17 novembre 2001 au 1er mai 2008 dispose qu'aucun salarié ne peut faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de qualification, de classification ou de promotion professionnelle, en raison, notamment, de son origine ou de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race.
En cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Toute disposition ou tout acte contraire à l'égard d'un salarié est nul de plein droit.
Avant le 17 novembre 2001, la loi prohibait les mises à l'écart d'une procédure de recrutement, les sanctions et les licenciements entachés de discrimination, mais non les écarts de rémunération discriminatoires.
Dès lors, aucune discrimination en matière de rémunération ou d'évolution de carrière n'est susceptible d'être caractérisée sur la partie de la période litigieuse comprise entre 1992 et le 17 novembre 2001.
A l'appui de son allégation de discrimination, M. [W] se prévaut des éléments de fait suivants (postérieurs au 17 novembre 2001) :
- une absence d'augmentation individuelle de rémunération : en l'absence de précision donnée par l'employeur sur le caractère individuel ou collectif des augmentations de février 2003, octobre 2003 et février 2004, il est considéré que celui-ci ne conteste pas leur caractère collectif allégué par le salarié. Seules les augmentations alléguées de février 2002 et avril 2004 sont donc susceptibles d'être considérées comme des augmentations individuelles.
En février 2002, le salaire de base de M. [W] a évolué de 2 095,86 euros à 2 205,12 euros à l'occasion d'un passage du coefficient 260 au coefficient 285, soit une augmentation de 109,26 euros.
Le bulletin de mars 2002 met en évidence une régularisation, à la baisse, des sommes versées le mois précédent (le taux horaire n'est en effet plus de 13,303 euros mais de 13 euros pour ce mois de février 2002), de sorte que le salaire de base de février 2002 est diminué de 50,27 euros, et l'augmentation réduite à 58,99 euros. Mais, par ailleurs, il est ajouté une « garantie accessoires» de 49,41 euros, qui compense quasi intégralement la diminution.
En outre, à partir de mars 2002, le taux horaire est de 13,115 euros brut (soit une augmentation de 78,11 euros par rapport à janvier 2022) et la « garantie accessoires » est toujours versée, à hauteur de 49,90 euros brut, de sorte que l'augmentation globale s'élève à 128,01 euros par rapport à janvier 2002.
Il est donc exact qu'en février 2002, le montant de cette augmentation n'a pas été du montant de 130 euros annoncé par son supérieur hiérarchique ainsi que cela résulte de la fiche d'évolution de carrière 2002 et des lettres rédigées à destination du salarié ou du « service 9344 » ; elle était en effet de 109 euros. A partir de mars 2002, le faible écart entre le montant annoncé et l'augmentation effectivement perçue permet de considérer que l'annonce faite a été respectée.
Cette augmentation ne peut être considérée comme une « simulation », en substance un trompe l''il, comme le soutient le salarié qui dénonce une augmentation réelle de 92 centimes seulement, dès lors qu'aucun élément ne justifie de mettre cette augmentation en relation avec une diminution relevée par le salarié en janvier 2000 à hauteur de 100,59 euros.
Par ailleurs, aucune indemnité « condition de travail » de 49,41 euros n'apparaît supprimée en février 2002. S'il est exact que le bulletin de mars fait apparaître une « garantie accessoires » pour le mois de février 2002, rien ne permet de considérer que cette garantie viendrait prendre la suite de l'indemnité « condition de travail » alléguée mais non établie. A fortiori, il n'est pas établi que cette garantie aurait été de nouveau versée à M. [W] à la suite d'une protestation de sa part, pour laquelle il aurait été sanctionné par une baisse de rémunération.
S'agissant de l'augmentation du salaire de base en avril 2004, c'est à raison que M. [W] évoque la simple intégration dans celui-ci du « complément mensuel uniforme » qui faisait jusqu'alors l'objet d'une ligne distincte. Il est tout de même constaté une légère augmentation, de 12,79 euros, à cette occasion.
Il est donc établi que sur la période considérée, M. [W] a bien bénéficié d'une augmentation individuelle de salaire, contrairement à ce qu'il prétend.
- insuffisance ou absence de prime : M. [W] dénonce le fait qu'il s'est vu attribuer de 1995 à 2004 une prime degré 1 (prime salissure) alors qu'il aurait dû percevoir une prime degré 2 (prime chaleur), étant affecté au traitement thermique, de sorte qu'il a perdu 53,36 euros (350 FF) par mois. L'employeur ne conteste pas que M. [W] travaillait au traitement thermique, ne serait-ce qu'occasionnellement. Mais il n'est pas établi de perte de rémunération, au regard du document « notification du bénéfice de la garantie individuelle de certains compléments de salaire » et des mentions manuscrites figurant au verso (« [P], tu fais signer cette feuille à EM pour la garantie accessoires degré 2 cad TTH. Tu le ['] à partir du 1er avril en code degré 1, quand il ira au TTH tu n'auras pas à le [pointer'] degré 2 »), dont il résulte que la prime degré 2 applicable à M. [W] était intégrée dans la « garantie accessoires ». Le fait allégué n'est pas établi.
M. [W] dénonce également la disparition à partir de février 2002 de la « prime de salissure D1 », mais cet intitulé n'apparaît pas sur les bulletins de paie, y compris antérieurs. En revanche, il apparaît, tant avant qu'après février 2002, et ce jusqu'en mars 2004 inclus, une « Pr. Vêtements de travail » susceptible de correspondre à la prime visée. Dans ces conditions, le fait reproché n'est établi que pour une période marginale.
M. [W] dénonce également l'absence de prime alors qu'il réalisait les remplacements du chef d'unité pendant ses absences, distribuait les tâches de travail aux personnels professionnels de l'équipe et réalisait la gestion journalière de l'équipe en parallèle de son activité de technicien de maintenance. L'employeur admet ne pas avoir versé de prime individuelle à M. [W] sur la période comprise entre novembre 2001 et juin 2004. Ce fait est établi.
- une absence de proposition ou de formation en vue d'un changement de filière : il n'est effectivement pas justifié d'un encouragement (proposition, formation) de M. [W] à changer de filière.
- le non-respect des accords collectifs : M. [W], qui était ETAM sur la période considérée novembre 2001 - juin 2004, ne justifie pas d'une violation de l'accord du 18 mai 1984 relatif à la réforme des classifications, celui-ci ne préconisant pas de proposition d'évolution ou d'entretien « ATPR ». De même, l'accord relatif aux aménagements du système de rémunération du personnel APR et ETAM, conclu en application de l'« Accord à Vivre » de la société Renault du 29 décembre 1989, ne prévoit pour cette deuxième catégorie qu'un entretien annuel (art. 5) mais non un « entretien spécifique ATPR » tel que revendiqué par M. [W]. Le fait allégué n'est donc pas établi.
- une évolution de carrière moins favorable à [Localité 5] que lorsqu'il travaillait sur le site de Flins : un éventuel traitement moins favorable sur le deuxième site est susceptible de constituer, avec d'autres, un élément laissant supposer une anormalité de la situation vécue à [Localité 5], de sorte qu'il doit être apprécié.
Les tableaux présentés par le salarié dans ses conclusions, non contestés par l'employeur, mettent en évidence plusieurs augmentations individuelles entre décembre 1981 et mai 1992 : en août 1982, novembre 1982, janvier 1985, juillet 1987 et avril 1990, pour un montant global de 274 euros (1 800 FF) environ.
Cette comparaison ne permet pas de mettre en évidence une évolution proportionnellement moins favorable à [Localité 5] sur la période 2001-2004 qu'à Flins sur la période 1981-1992.
- le reproche que lui fait la société Renault d'avoir perçu un salaire tout en restant chez lui : non seulement les conclusions de la société Renault ne contiennent pas un tel reproche, mais en tout état de cause un reproche formulé dans le cadre d'une instance judiciaire postérieure à la rupture du contrat de travail ne saurait être pris en considération pour apprécier l'existence de faits laissant supposer une discrimination pendant le temps de la relation contractuelle.
Ceux des éléments ci-dessus évoqués qui sont établis, même pris dans leur ensemble, ne laissent pas supposer l'existence d'une discrimination quel qu'en soit son fondement.
A défaut de discrimination, il peut toujours être établi une simple inégalité de traitement, non sous-tendue par un motif prohibé.
Il est rappelé à cet égard qu'en application du principe 'à travail égal, salaire égal', l'employeur est tenu d'assurer l'égalité des rémunérations entre tous les salariés placés dans une situation identique sauf à justifier par des éléments objectifs d'une différence de traitement.
Mais il appartient au salarié qui invoque une atteinte à ce principe de soumettre préalablement au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération. Et lorsque le salarié soutient que la preuve de tels faits se trouve entre les mains d'une autre partie, il lui appartient de demander au juge d'en ordonner la production, ce dernier pouvant ensuite tirer toute conséquence de droit en cas d'abstention ou de refus de l'autre partie de déférer à une décision ordonnant la production de ces pièces.
Or en l'espèce, M. [W] qui estime avoir été traité moins favorablement que ses collègues, et notamment que M. [B] [V], sur la période 1992-2004, ne produit pas les bulletins de paie de ce dernier.
S'il produit quatre bulletins de paie (octobre 1995, janvier 1996, août 1997 et janvier 1999) de collègues, non identifiables du fait de l'effacement de certaines mentions, force est de constater qu'ils ne permettent aucune comparaison pertinente, et en tout état de cause aucune comparaison défavorable à M. [W]. En effet, ce dernier ne produit pas ses propres bulletins de 1995, le bulletin de janvier 1996 concerne un électromécanicien à l'ancienneté supérieure à celle de M. [W] (16 % contre 14 %) bénéficiant d'un coefficient inférieur (215 contre 260) et percevant une rémunération bien inférieure à la sienne. Il en est de même des deux autres bulletins.
Enfin, M. [W] n'a pas présenté à la cour - qui n'est saisie que des prétentions contenues au dispositif des conclusions en vertu de l'article 954 du code de procédure civile - de demande de production des pièces détenues par l'employeur susceptibles de permettre une comparaison de sa situation avec celle des autres salariés. Au demeurant, il serait certainement vain de solliciter de telles pièces, anciennes de vingt ans et plus.
Il en résulte que M. [W] n'apporte pas d'éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération.
Il est donc débouté de sa demande de dommages et intérêts. Le jugement est confirmé de ce chef.
II. Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution défectueuse du contrat de travail
M. [W] ne développe pas de moyens sur ce point.
La société Renault estime justifier du respect des dispositions conventionnelles.
La partie discussion des conclusions de M. [W] comporte des développements préalables sur la prescription, une partie « I- Sur la discrimination » suivie d'une partie « II- Sur la sanction », et se termine par le paragraphe « En conséquence, condamner la société ['] d'avoir à payer à M. [W] la somme de 300.000,00 € à titre de dommages-intérêts pour le préjudice subi du fait de la discrimination en raison de ses origines dont il a été l'objet ».
En l'absence de tout moyen, tant de droit que de fait, développé au soutien de la demande relative à une exécution défectueuse du contrat de travail, M. [W] ne peut qu'être débouté de sa demande. Le jugement est confirmé de ce chef.
III. Sur les demandes relatives à la remise de documents rectifiés, aux intérêts moratoires et à leur capitalisation
M. [W] étant débouté de l'ensemble de ses demandes indemnitaires est également débouté de ses autres demandes. Le jugement est confirmé de ces chefs.
IV. Sur les dépens et les frais irrépétibles
En qualité de partie succombante pour l'essentiel, M. [W] est condamné aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel.
Par suite, il est condamné à payer à la société Renault la somme de 300 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant dans les limites de l'appel, publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement rendu le 18 novembre 2020 par le conseil de prud'hommes de Rouen,
Y ajoutant,
Condamne M. [W] aux dépens, tant de première instance que d'appel,
Condamne M. [W] à payer à la société Renault la somme de 300 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière La présidente