N° RG 20/03236 - N° Portalis DBV2-V-B7E-ISLR
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 03 MARS 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
19/346
Jugement du POLE SOCIAL DU TJ D'EVREUX du 17 Septembre 2020
APPELANTE :
S.A.S. [5]
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Roselyne ADAM-DENIS, avocat au barreau de ROUEN
INTIMEE :
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE L'EURE
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me François LEGENDRE, avocat au barreau de ROUEN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 10 Janvier 2023 sans opposition des parties devant Madame BIDEAULT, Présidente, magistrat chargé d'instruire l'affaire.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame BIDEAULT, Présidente
Madame ROGER-MINNE, Conseillère
Madame POUGET, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme WERNER, Greffière
DEBATS :
A l'audience publique du 10 Janvier 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 03 Mars 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 03 Mars 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par M. CABRELLI, Greffier.
* * *
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
M. [K], engagé en qualité d'aide emballeur coupeur finition par la société [5] (la société), a déclaré avoir subi un accident du travail survenu le 5 décembre 2018 au sein de l'entreprise utilisatrice auprès de laquelle il avait été mis à disposition.
La déclaration d'accident du travail en date du 12 décembre 2018 transmise à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure (la caisse) fait état des circonstances suivantes : 'en descendant de la coupeuse, le marche pied aurait glissé et son genou aurait heurté la barrière de sécurité'.
Le certificat médical initial en date du 10 décembre 2018 mentionne une 'entorse ménisque genou droit'. Un arrêt de travail a été prescrit jusqu'au 16 décembre 2018. Plusieurs prolongations ont été délivrées.
Le 5 mars 2019, la caisse a notifié à la société sa décision de prise en charge du fait accidentel au titre de la législation sur les risques professionnels.
La société a saisi la commission de recours amiable de la caisse (la CRA) en contestation de la longueur des arrêts prescrits.
En l'absence de réponse, la société a saisi le pôle social du tribunal judiciaire d'Evreux qui, par jugement en date du 17 septembre 2020, a :
débouté la société de son recours et de sa demande d'expertise,
constaté que la décision de la caisse de prise en charge du 5 mars 2019 de l'accident survenu à M. [K] le 5 décembre 2018 restait opposable à la société,
condamné la société aux dépens nés après le 1er janvier 2019.
La décision a été notifiée à la société le 30 septembre 2020. Elle en a relevé appel le 8 octobre 2020.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions remises le 14 octobre 2022, soutenues oralement à l'audience, la société demande à la cour de :
- infirmer le jugement,
- lui déclarer inopposable les arrêts de travail délivrés à M. [K] qui ne sont pas en relation directe et unique avec l'accident du travail du 5 décembre 2018,
- avant dire droit :
ordonner la mise en oeuvre d'une expertise médicale judiciaire sur pièces,
nommer un expert ayant pour mission de :
retracer l'évolution des lésions de M. [K],
dire si l'ensemble des lésions de M. [K] sont en lien unique et direct avec l'accident du travail initial survenu le 5 décembre 2018,
dire si l'évolution des lésions de M. [K] est due à un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte, à un nouveau fait accidentel, ou un état séquellaire,
déterminer quels sont les arrêts de travails et les lésions de M. [K] directement et uniquement imputables à l'accident du travail initial du 5 décembre 2018,
fixer une nouvelle date de consolidation, si les arrêts de travail ne sont pas la conséquence directe de l'accident du 5 décembre 2018,
dire que l'expert convoquera les parties à une réunion contradictoire, afin de recueillir leurs éventuelles observations,
dire que le service médical de la caisse devra communiquer l'entier dossier médical à l'expert pour l'accomplissement de sa mission,
enjoindre au service médical de la caisse de communiquer l'ensemble des documents médicaux constituant le dossier de M. [K] à l'expert qui sera désigné.
Par conclusions remises le 24 novembre 2022, soutenues oralement à l'audience, la caisse demande à la cour de :
confirmer le jugement rendu le 17 septembre 2020 par le tribunal judiciaire,
débouter la société de l'ensemble de ses demandes,
condamner la société au versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
juger ce que de droit en ce qui concerne les dépens.
Il est renvoyé aux écritures des parties pour l'exposé détaillé de leurs moyens et arguments.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1/ Sur l'imputabilité des arrêts de travail prescrits au salarié
La société conteste la relation de causalité entre l'ensemble des arrêts de travail délivrés à M. [K] et l'accident du 5 décembre 2018.
L'employeur soutient pour l'essentiel que la durée de l'arrêt de travail dont a bénéficié le salarié apparaît disproportionnée compte tenu de la lésion initiale.
Il indique que 272 jours d'arrêt de travail pour ce qui était initialement décrit comme une 'entorse moyenne genou droit' apparaissent disproportionnés et s'interroge sur l'imputabilité à l'accident initial des arrêts de travail dont a bénéficié M. [K].
Il verse aux débats le compte rendu établi par le docteur [Y], son médecin conseil, qui constate au regard des éléments médicaux en sa possession qu'il n'existe pas de notion d'entorse grave, que l'évolution clinique est satisfaisante, que le salarié a repris son travail le 8 janvier 2019 soit un mois après l'accident, que le nouvel arrêt de travail prescrit après la reprise est uniquement motivé par des douleurs sans signe clinique apparent d'aggravation de l'entorse. Le docteur [Y] considère que l'instabilité de rotule qui a motivé les arrêts de travail ultérieurs constitue un état antérieur étranger à l'accident.
Au regard de ces éléments, la société requiert la mise en oeuvre d'une expertise médicale.
La caisse fait valoir que la société n'apporte aucun élément permettant de renverser la présomption d'imputabilité qui couvre l'ensemble des prestations servies jusqu'à la date de guérison ou de consolidation, à savoir l'existence d'une cause totalement étrangère au travail, que l'existence d'un état pathologique antérieur ne peut en aucun cas être suffisante pour renverser cette présomption qui s'attache aux soins et arrêts de travail prescrits au titre d'un accident du travail et qu'il n'appartient pas à la juridiction de suppléer, par une mesure d'instruction, la carence du demandeur dans l'administration de la preuve.
Sur ce ;
La cour rappelle que la présomption d'imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d'un accident du travail s'étend à toute la durée d'incapacité précédant soit la guérison complète soit la consolidation de l'état de la victime dès lors qu'un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial est assorti d'un arrêt de travail. Il appartient donc à l'employeur qui entend renverser cette présomption d'imputabilité d'apporter la preuve que les lésions ayant donné lieu aux prescriptions d'arrêt de travail qu'il conteste, sont dues à une cause totalement étrangère au travail.
L'existence d'un état antérieur n'est pas, en soi, constitutif de cette preuve dès lors qu'il n'est pas démontré que la lésion et/ou les arrêts de travail subséquents ont une cause totalement étrangère au travail.
En l'espèce, il convient de relever que la société ne remet pas en cause l'imputabilité au travail de l'accident initial, que le certificat médical initial du 10 décembre 2018 prescrit un arrêt de travail à M. [K], de sorte que la présomption d'imputabilité doit s'appliquer sans que la caisse ait à justifier de la continuité des soins et des arrêts de travail.
Aussi, si la société entend contester l'imputabilité de tout ou partie des arrêts de travail prescrits à M. [K] jusqu'à la date de consolidation, il lui appartient de démontrer l'absence de lien de causalité entre les lésions décrites dans les arrêts de travail contestés et celles résultant de l'accident du travail.
M. [K] a été placé en arrêt de travail pour une 'entorse moyenne du genou droit' par le médecin ayant rempli le certificat médical initial, arrêt de travail régulièrement prolongé jusqu'au 8 janvier 2019.
Si le certificat médical du 7 janvier 2019 mentionne une reprise de travail au 8 janvier 2019 tout en prescrivant des soins jusqu'au 15 mai 2019, la cour constate que le certificat médical du 15 janvier 2019 prescrit à nouveau un arrêt de travail pour la même lésion (entorse du genou droit) précisant 'majoration douleur une semaine après reprise').
L'intégralité des arrêts de travail délivrés au salarié mentionne, de manière constante, la même lésion à savoir une entorse du genou droit. Seul le certificat médical du 8 juillet 2019 indique 'entorse genou droit, instabilité de rotule'.
Le salarié a repris son activité professionnelle le 13 septembre 2019, les éléments du dossier établissant qu'il a continué à bénéficier de soins jusqu'au 30 mars 2020.
Si la société se prévaut de l'avis médical rédigé le 6 août 2019 par le docteur [Y], son médecin conseil, il y a lieu de constater que ce dernier fait référence à un état antérieur considérant que l'instabilité de la rotule droite n'est pas imputable de manière directe et certaine à l'accident du travail précisant que cette instabilité est en rapport avec une dysplasie rotulienne congénitale, que les douleurs alléguées sont d'origine rotulienne et donc indépendantes de l'accident du travail.
Il y a lieu de constater que c'est à juste titre que le tribunal a considéré que ce diagnostic d'état antérieur n'était corroboré par aucune pièce médicale. Cette analyse, qui ne ne constitue qu'une hypothèse médicale ne permet pas de caractériser l'existence d'un état antérieur évoluant pour son propre compte, de sorte qu'il n'est justifié ni de faire droit à la demande d'inopposabilité d'une partie des soins et arrêts de travail prescrits au salarié, ni d'ordonner une expertise médicale étant rappelé que la durée prétenduement disproportionnée des arrêts de travail subis par le salarié avant la consolidation de son état de santé ne constitue pas un motif suffisant pour qu'une expertise soit ordonnée.
Il ressort de ces éléments que la société échoue à démontrer l'absence de lien de causalité entre les blessures décrites dans les arrêts de travail et celles résultant de l'accident du travail, celle-ci se limitant à produire l'avis médico-légal de son médecin conseil.
Dès lors, il convient de confirmer la décision déférée.
2/ Sur les frais irrépétibles et les dépens
Succombant, la société [5] est condamnée aux dépens d'appel.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de la caisse les frais non compris dans les dépens qu'elle a pu exposer. Il convient en l'espèce de condamner la société à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement et en dernier ressort :
Confirme le jugement du pôle social du tribunal judiciaire d'Evreux du 17 septembre 2020 en toutes ses dispositions ;
Condamne la société [5] à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel ;
Rejette toute autre demande ;
Condamne la société la société [5] aux entiers dépens d'appel.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE