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13/04/2023 | FRANCE | N°21/00885

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 13 avril 2023, 21/00885


N° RG 21/00885 - N° Portalis DBV2-V-B7F-IWL6





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 13 AVRIL 2023











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 20 Janvier 2021





APPELANTE :





SASU ORTEC ENVIRONNEMENT

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 1]



représentée par Me Caroline SCOLAN de la SELARL GRAY SCOLAN, avocat au barreau de

ROUEN substituée par Me Pascale MAZEL, avocat au barreau de MARSEILLE









INTIME :





Monsieur [W] [A]

[Adresse 2]

[Localité 3]



représenté par Me Christine MATRAY de la SELARL BESTAUX BONVOISIN MATRAY, avocat au...

N° RG 21/00885 - N° Portalis DBV2-V-B7F-IWL6

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 13 AVRIL 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 20 Janvier 2021

APPELANTE :

SASU ORTEC ENVIRONNEMENT

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 1]

représentée par Me Caroline SCOLAN de la SELARL GRAY SCOLAN, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Pascale MAZEL, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIME :

Monsieur [W] [A]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté par Me Christine MATRAY de la SELARL BESTAUX BONVOISIN MATRAY, avocat au barreau de ROUEN

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/014245 du 19/01/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Rouen)

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 08 Mars 2023 sans opposition des parties devant Madame BACHELET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme DUBUC, Greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 08 Mars 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 13 Avril 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 13 Avril 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [W] [A] a été engagé le 1er mars 2012 en qualité d'agent spécialisé environnement par la société Ortec environnement, puis en qualité de chef de file, statut ETAM, le 1er août 2012 et enfin en qualité de chef d'équipe nettoyage industriel à compter du 1er mars 2014.

Il a été licencié pour faute grave par courrier daté du 28 février 2018 rédigé dans les termes suivants :

'Le 24 janvier 2018 vous interveniez sur le site de Boréalis pour une opération de nettoyage d'une sphère puis du transfert du produit (eau ammoniacale et huile de chantier) vers un centre de traitement.

Le transfert du produit était réalisé par un prestataire extérieur, la société Oissel transport qui mettait à notre disposition le matériel nécessaire (citerne et inox).

En votre qualité de chef d'équipe nettoyage industriel, vous deviez réceptionner cette citerne et mettre en place le chantier pour un démarrage le 25 janvier 2018.

Lors de la réception de la citerne le 24 janvier, vous n'avez pas vérifié avec le transporteur si celle-ci était vide et propre comme le prévoit la procédure en la matière.

Le lendemain (25 janvier) lors de la mise en place du chantier vous avez vérifié avec M. [K] [L] (chef d'équipage) que les vannes du bas de la citerne étaient bien fermées. M. [S] [R] (préventeur HSE) était également présent.

Lorsque M. [L] a actionné une vanne, un produit liquide a coulé de la citerne.

Pour des raisons indépendantes de cet incident (problème de conformité d'échafaudage) le chantier n'a pas pu démarrer le 25 janvier et a été reporté au 26 janvier.

Vous n'avez informé personne de l'incident lié au produit présent dans la cuve.

Dans l'après-midi (vers 16h) M. [I] (chef de chantier) a entendu une conversation entre vous-même et M. [L] concernant le liquide huileux présent dans la citerne.

Après avoir été alertée par M. [I], Mme [F] (chef de contrat) vous a rappelé l'importance d'avoir une citerne propre afin d'éviter des mélanges de produits pouvant entraîner une réaction chimique. Vous lui avez répondu que vous aviez tellement de choses à faire que vous n'y aviez pas pensé. Vous pensiez que M. [R] en avait parlé à Mme [F] ou

M. [I].

Mme [F] a contacté notre transporteur afin qu'il nous livre une nouvelle citerne propre et conforme.

Lors de notre entretien du 21 février 2018 au cours duquel vous étiez assisté de M. [V] [U] vous nous avez apporté les explications suivantes :

- Vous avez été affecté sur ce chantier en urgence et vous n'aviez pas l'habitude de ces procédures.

- Vous n'étiez pas présent à la réception de la citerne lorsque notre client a effectué la chek list ADR avec le transporteur.

- Lorsque le produit a coulé de la citerne, vous avez mesuré le PH qui s'est révélé faible (7) et donc ne présentait à vos yeux aucun danger.

- Lorsque la décision de report du chantier a été prise, vous pensiez que M. [R] avait alerté votre hiérarchie.

Ces explications ne sont pas recevables.

En effet, l'enchaînement des faits intervenus les 24 et 25 janvier 2018 constitue des manquements graves à vos obligations contractuelles et des infractions aux procédures et aux règles de sécurité.

Vous étiez parfaitement informé du mode opératoire applicable à cette intervention, et ce d'autant plus que suite aux incidents intervenus sur ce site en mai 2017, nous devons formellement vérifier la compatibilité du produit pompé avec celle du véhicule. Dès lors le produit pompé contenait de l'ammoniaque ; il était donc impératif que la citerne en inox soit parfaitement propre.

Lorsque vous avez réceptionné la citerne vous avez validé sur la lettre de voiture que la citerne était vide et non dégazée.

Après vous êtes aperçu que la citerne contenait un produit vous auriez dû immédiatement stopper le chantier et en informer votre hiérarchie. Il vous appartenait encore moins, après avoir mesuré le PH de ce produit de décider si vous pouviez continuer l'opération. Vous avez par ailleurs vous-même reconnu que le produit pompé par la suite contenait un taux d'ammoniaque beaucoup plus élevé que prévu confirmant ainsi la dangerosité de l'opération si vous aviez réceptionné ce produit dans une citerne contenant un liquide non identifié.

Fort heureusement, un incident indépendant (problème d'échafaudage) a entraîné le report du chantier.

Enfin, vous n'avez pas prévenu votre hiérarchie de cet incident alors qu'en votre qualité de chef d'équipe vous êtes garant du respect des règles de sécurité applicables. Vous pensiez que

M. [R] avait informé Mme [F] ou M. [I] mais vous n'avez même pas pris la précaution de vous en assurer.

C'est en surprenant une conversation entre vous-même et M. [L] que votre hiérarchie a été informée du problème et a pu réagir en conséquence en demandant une nouvelle citerne conforme.

Ces incidents auraient pu avoir des conséquences très graves en termes de sécurité sur ce site.

En conséquence, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave privative de l'indemnité de licenciement et de préavis et ce dès présentation de ce courrier. (...)'.

Par requête reçue le 27 février 2019, M. [A] a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen en contestation du licenciement, ainsi qu'en paiement de rappel de salaires et indemnités.

Par jugement du 20 janvier 2021, le conseil de prud'hommes a :

- dit le licenciement de M. [A] dépourvu de toute cause réelle et sérieuse, fixé son salaire mensuel brut à la somme de 2 650,18 euros et condamné la société Ortec environnement à lui payer les sommes suivantes :

rappel de salaire : 1 179,99 euros

dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 10 600,72 euros

indemnité de préavis : 5 300,36 euros

congés payés afférents : 530,03 euros

indemnité légale de licenciement : 3 975,27 euros

indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile : 1 200 euros

- débouté M. [A] de sa demande de rappel d'heures supplémentaires et de celle tendant à voir ordonner l'exécution provisoire au-delà de celle de droit,

- débouté la société Ortec environnement de toutes ses demandes et l'a condamnée aux dépens.

La société Ortec environnement a interjeté appel de cette décision le 26 février 2021.

Par conclusions remises le 30 janvier 2023, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, la société Ortec environnement demande à la cour d'infirmer le jugement sauf en ce qu'il a débouté M. [A] de sa demande au titre des heures supplémentaires et, statuant à nouveau, de :

- écarter des débats la pièce adverse n° 8 et dans les conclusions tous les développements y afférents et condamner M. [A] à lui payer la somme de 1 000 euros pour production d'une pièce obtenue en violation de l'article 9 du code de procédure civile,

- dire que le licenciement pour faute grave est fondé et débouter M. [A] de l'intégralité de ses demandes,

- à titre subsidiaire, si la cour retenait l'absence de faute grave, fixer le montant du salaire dû pendant la mise à pied à 981,81 euros, celui de l'indemnité de licenciement à 3 940,12 euros et enfin celui des dommages et intérêts à trois mois de salaire,

- en tout état de cause, condamner M. [A] à lui payer la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais engagés en première instance, et à cette même somme pour ceux engagés en cause d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions remises le 6 février 2023, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, M. [A] demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a dit son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ainsi que sur les sommes allouées au titre du rappel de salaire pour mise à pied conservatoire, indemnité de préavis, congés payés afférents, indemnité légale de licenciement et indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- infirmer le jugement sur le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu'il l'a débouté de sa demande de rappel d'heures supplémentaires,

- statuant à nouveau, condamner la société Ortec environnement à lui payer les sommes suivantes :

dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 18 551,26 euros

rappel de salaire pour heures supplémentaires du 30 mars au 30 juin 2015 : 1 081,53 euros

congés payés afférents : 108,15 euros

- débouter la société Ortec environnement de toutes ses demandes et la condamner à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 9 février 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande tendant à voir écartée la pièce n°8 de M. [A]

La société Ortec environnement soutient que la teneur même de la pièce n° 8, à savoir, sa précision, sa longueur, sa présentation et son style, apporte la preuve qu'il s'agit en réalité de la retranscription d'un enregistrement illicite de l'entretien préalable à licenciement, aussi, invoquant l'article 9 du code de procédure civile, elle demande à ce que cette pièce, obtenue de manière déloyale et à son insu, soit écartée des débats, sachant que le procédé est passible de poursuites pénales en vertu de l'article 226-1 du code pénal.

En réponse, M. [A] rappelle que cette pièce correspond au compte-rendu d'entretien préalable rédigé par M. [U], représentant du personnel l'ayant assisté à cette occasion, sans qu'il ne soit apporté la preuve qu'il s'agirait de la retranscription d'un enregistrement illicite de l'entretien préalable, sa teneur ne permettant nullement de le démontrer dès lors qu'il fait simplement trois pages, comporte des citations résultant de notes mais aussi des résumés des propos tenus.

Il résulte des articles 6 et 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 9 du code de procédure civile et de l'article 9 du code civil que le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi.

En l'espèce, la teneur de l'attestation de M. [U], à savoir, la précision de l'échange, qui ne porte pas sur quelques mots ou quelques phrases qui pourraient ressortir de notes prises à l'occasion de l'entretien préalable à licenciement, mais sur des paragraphes de plusieurs lignes mis entre guillemets, permet de retenir que cette attestation correspond en partie à la retranscription de propos enregistrés lors de cet entretien, une prise de notes aussi complète étant matériellement impossible.

Néanmoins, si cet enregistrement est déloyal, l'entretien préalable à licenciement ne peut être considéré à proprement parler comme un entretien tenu à titre privé puisqu'il implique la présence d'un tiers, à savoir le conseiller du salarié, lequel peut, s'il le souhaite, attester dans le cadre d'une instance prud'homale, si bien que l'employeur connaît à l'occasion de cet entretien la possibilité de voir ses propos portés à la connaissance de tiers.

Dès lors, et alors qu'au surplus cette attestation reprend essentiellement les propos de M. [A] et ne cite ceux de M. [G] que sur des points extrêmement précis et importants dans le cadre de la procédure, qui auraient d'ailleurs pu être pris en note par le conseiller du salarié, il convient de dire que la production de cette attestation, certes recueillie par le biais d'un procédé déloyal, est néanmoins proportionnée au but poursuivi, en l'occurrence rapporter la preuve pour

M. [A] que son licenciement est infondé.

Dès lors, il y a lieu de débouter la société Ortec environnement de sa demande tendant à voir écarter la pièce n°8 produite par M. [A] ainsi que la partie des conclusions s'y référant.

Enfin, compte tenu de la proportionnalité retenue, il convient également de débouter la société Ortec de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.

Sur la demande de rappel d'heures supplémentaires

M. [A] explique avoir effectué des heures supplémentaires entre mars et juin 2015 lorsqu'il travaillait sur le chantier de dépollution de la centrale EDF de Vitry-sur-Seine, qui, pour certaines, ne lui ont pas été payées, soit 24 heures devant être majorées à 25 % et 41 devant être majorées à 50 %, sans qu'il puisse lui être opposé une quelconque prescription dès lors que sa demande remonte à moins de trois ans avant la rupture de son contrat de travail.

En réponse, la société Ortec environnement soutient que sa demande est prescrite dans la mesure où elle remonte à plus de trois ans avant la saisine du conseil de prud'hommes et qu'en tout état de cause, outre le forfait de 161,67 heures prévu au contrat de travail, M. [A] ne rapporte pas la preuve des heures effectuées, le décompte étant imprécis et les fiches horaires non signées.

Selon l'article L. 3245-1 du code du travail, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

Il résulte de la combinaison des articles L. 3245-1 et L. 3242-2 du code du travail que le délai de prescription des salaires court à compter de la date à laquelle la créance salariale est devenue exigible. Pour les salariés payés au mois, la date d'exigibilité du salaire correspond à la date habituelle du paiement des salaires en vigueur dans l'entreprise et concerne l'intégralité du salaire afférent au mois considéré.

Aussi, le contrat de travail de M. [A] ayant été rompu le 2 mars 2018 et son action portant sur les trois années précédant cette rupture, sa demande de rappel de salaire pour la période de mars à juin 2015 n'est pas prescrite.

Aux termes de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte des articles L. 3171-2 à L. 3171-4 du code du travail, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

A l'appui de sa demande, M. [A] produit un décompte reprenant le nombre d'heures effectuées semaine par semaine mais aussi les feuilles de pointage reprenant jour par jour ce nombre d'heures et, s'il est exact qu'il ne précise pas l'heure de début et de fin de service, ce décompte est néanmoins suffisamment précis pour permettre à la société Ortec environnement, sur qui pèse la charge du contrôle des heures, d'y répondre utilement.

Or, si ce n'est d'invoquer le forfait prévu au contrat de travail de M. [A] dont il a déjà tenu compte en le retenant dans les heures payées, la société Ortec environnement n'apporte pas le moindre élément permettant de remettre en cause le bien fondé de ce décompte, étant noté qu'au regard des fonctions de M. [A], la réalisation de ces heures a été implicitement acceptée.

Il convient en conséquence d'infirmer le jugement et de condamner la société Ortec environnement à payer à M. [A] la somme de 1 081,53 euros bruts, outre 108,15 euros au titre de congés payés afférents, et ce, sur la base d'un salaire horaire de 11,82 euros avec majoration de 25 % pour 24 heures et de 50 % pour 41 heures.

Sur le licenciement

Tout en rappelant qu'il n'avait jamais fait l'objet de la moindre sanction préalablement au licenciement, M. [A] soutient qu'il ne lui appartenait pas de réceptionner la citerne le 24 janvier 2018, cette tâche incombant à M. [I], chef de chantier, sachant qu'il n'a reçu aucune délégation à cette fin et n'a pas été informé de la nécessité de récupérer un certificat de voyage, sans que la société Ortec environnement puisse utilement lui opposer ni 'les causeries' dont la feuille d'émargement était signée en blanc, ni les formations reçues dès lors qu'elles n'avaient pas pour objet la réception d'une citerne.

Par ailleurs, il indique n'avoir découvert le liquide contenu dans la citerne que le 25 janvier après avoir vérifié la fermeture des vannes, sachant que le personnel de Boréalis, chargé de la surveillance de l'entrée du site, n'a, pour sa part, procédé ni à cette vérification, ni à l'absence de goutte-à-goutte aux bouchons de vannes et ce, alors que cela faisait partie de sa check-list.

Enfin, en ce qui concerne le défaut d'information qui lui est reproché, il indique qu'il ne lui a pas été laissé le temps de le faire car M. [I], sûrement conscient de ne pas avoir correctement effectué son travail, s'est empressé d'en informer Mme [F], sachant qu'il pensait que le responsable QHSE, présent lors de la découverte du liquide, l'avait déjà fait et qu'en tout état de cause, le chantier était arrêté jusqu'au lendemain.

Après avoir expliqué qu'elle n'avait procédé à la mise à pied conservatoire que le 8 février en raison de la nécessité d'obtenir l'ensemble des renseignements sur les circonstances des faits, la société Ortec environnement rappelle qu'il résulte du règlement intérieur la nécessité de respecter tout particulièrement les règles de prévention en matière de sécurité et qu'en tant que chef d'équipe de nettoyage industriel, M. [A], qui a régulièrement assisté à des 'causeries' et suivi des formations, notamment en matière de pompage et nettoyage, y était tout particulièrement sensibilisé, sans qu'il puisse utilement invoquer avoir occupé de simples fonctions d'opérateurs durant l'année 2017 alors même qu'il a signé tout au long de cette année des autorisations de travaux.

Au vu de ces éléments, et rappelant que le site Boréalis est un site Seveso, la société Ortec considère que le manquement de M. [A], qui connaissait l'ensemble des consignes de sécurité et avait toute capacité à réceptionner la citerne, revêt un caractère de gravité qui justifiait un licenciement pour faute grave, sans qu'il puisse s'exonérer de sa propre responsabilité en mettant en avant une carence de la société Boréalis ou encore en invoquant les plus faibles sanctions prises à l'encontre des responsables d'un accident survenu en mai 2017 chez ce client dans la mesure où suite à cet événement, la direction a lancé une campagne d'information afin de faire savoir à l'ensemble des salariés que si de tels manquements devaient se reproduire, ils seraient plus lourdement sanctionnés.

Conformément aux dispositions de l'article L.1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, laquelle implique qu'elle soit objective, établie et exacte et suffisamment pertinente pour justifier la rupture du contrat de travail.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et l'employeur qui l'invoque doit en rapporter la preuve.

A l'appui du licenciement, la société Ortec environnement justifie que M. [A] a signé le 24 janvier 2018 une lettre de voiture aux termes de laquelle il était coché la case 'citerne vide et non dégazée' et ce, alors que le lendemain, vers 11 heures, il est apparu, à l'ouverture d'une vanne, qu'il y restait un petit résiduel de liquide, M. [A] l'estimant à environ quatre-cinq litres, sans que cette allégation ne soit remise en cause alors que plusieurs personnes étaient présentes au moment de ce constat.

Aussi, et s'il est certain que M. [A] a signé un document qui n'était pas totalement conforme à la réalité, et qu'il lui est reproché de ne pas avoir vérifié avec le transporteur si la citerne était vide et propre, il convient néanmoins de s'assurer qu'il disposait de l'ensemble des compétences lui permettant d'appliquer la procédure en vigueur.

A cet égard, la société Ortec environnement produit le règlement intérieur aux termes duquel il est rappelé que chaque salarié est responsable de sa sécurité personnelle et qu'il doit, par son comportement, préserver celle des autres en respectant notamment l'ensemble des prescriptions en matière d'hygiène et de sécurité sous peine de sanctions disciplinaires.

Elle justifie également par la production de l'attestation du responsable des ressources humaines, M. [H], et celle du chef d'agence, M. [G], que les salariés ont été tout particulièrement sensibilisés aux risques existants au sein de la société Boréalis suite à un incident grave survenu le 23 mai 2017.

Ainsi, M. [H] indique qu'à la suite de cet événement, la direction a pris des engagements vis-à-vis de la société Boréalis concernant le contrôle des citernes et le strict respect des modes opératoires, ce qui a été confirmé à l'inspection du travail, et M. [G] précise, quant à lui, que des actions ont été mises en place avec renforcement des contrôles, communication sur les bonnes pratiques, affichage des nouvelles orientations prises et information de ce que de nouveaux manquements ne seraient plus tolérés et seraient plus lourdement sanctionnés, notant que M. [A] en a inévitablement été informé.

Elle justifie par ailleurs des très nombreuses adaptations au poste et formations dont a bénéficié M. [A] depuis son arrivée dans la société ainsi que de sa participation aux 'causeries' sécurité-hygiène-environnement-qualité, sans que l'attestation de M. [X] qui indique que la direction leur a imposé à plusieurs reprises de signer des causeries sur des sujets non écrits, soit sur une feuille blanche, ne puisse être retenu au regard de la vingtaine d'attestations de salariés versées par la société Ortec environnement qui contestent cette affirmation.

Au-delà de cette sensibilisation certaine à la sécurité avec la mise en oeuvre d'actions concrètes, notamment par le biais des formations, il convient néanmoins de s'assurer que M. [A], qui n'était chef d'équipe sur le site Boréalis que depuis un mois au moment des faits reprochés, avait compétence pour réceptionner le camion citerne.

A cet égard, il établit que Mme [F], responsable contrat Boréalis, avait, par mail du 19 janvier 2018, expressément confié cette tâche à M. [I], et ce, en le confirmant par mail du même jour aux partenaires commerciaux à qui il était précisé que pour la réception de la citerne, le chauffeur devait contacter avant son arrivée M. [I] sur son téléphone portable dont le numéro était mentionné.

Si la société Ortec environnement fait justement valoir qu'aucune délégation particulière n'était nécessaire pour que M. [I] confie cette tâche à M. [A], encore doit-elle apporter la preuve qu'il avait les connaissances lui permettant d'y procéder, d'autant qu'aucune pièce ne vient le contredire lorsqu'il explique qu'il n'avait jamais réalisé une telle réception depuis son arrivée dans l'entreprise et qu'il résulte tant de l'entretien préalable que du courrier qu'il a ensuite envoyé à M. [G], qu'il est intervenu ce jour-là au pied-levé, ayant été appelé sur son téléphone par M. [I] pour qu'il se rende au parking d'entrée où un chauffeur l'attendait avec sa citerne afin qu'il lui montre le lieu du chantier et qu'il le fasse reculer dans la rétention [Z] pour y déposer sa citerne, sachant que M. [I] qui atteste dans cette procédure ne remet pas en cause cette déclaration et ne fait pas état d'informations qu'il aurait alors pu lui donner sur les contrôles à effectuer et les documents à réceptionner.

En outre, et s'il est justifié que M. [A] a suivi de nombreuses 'causeries' et formations, notamment en lien avec des opérations de nettoyage industriel en 2015 et 2016 mais aussi de pompage et qu'il a, en ce domaine, obtenu un certificat de compétence opérateur pompage en octobre 2016, chef de bord pompage en décembre 2016, pompage des produits dangereux, méthodes et sécurité en mars 2017 et enfin, à nouveau, chef de bord pompage en novembre 2017, laquelle formation avait notamment pour objet de rappeler les risques liés aux interventions de pompage et de former à la préparation et la vérification des équipements de pompage et aux procédures d'intervention pour le pompage des produits dangereux (préparation du chantier, mise en place du chantier, réalisation du pompage et repli du chantier), pour autant, il n'est pas possible de s'assurer au vu de ces seuls documents s'il était formé à la réception d'une citerne et, à cet égard, le seul document faisant état de la nécessité de solliciter un certificat de nettoyage ressort de la fiche métier n° 16 de la société Boréalis.

Or, ce document issu du plan de prévention Boréalis n'est pas daté, ce qui pose une réelle difficulté puisqu'il ressort du plan d'actions mis en oeuvre suite à l'incident du 23 mai 2017 que la fiche métier n°16 devait être révisée avant la fin de l'année pour noter les exigences des matériels utilisés pour l'eau acidulée.

Aussi, alors que rien ne permet d'affirmer que cette révision a eu lieu avant la fin de l'année 2017, et encore moins que M. [A] en aurait eu connaissance, il ne peut être retenu à son encontre la faute consistant à ne pas avoir sollicité de certificat de lavage, étant surabondamment relevé qu'il ressort de l'attestation de M. [U], non écartée des débats, que M. [G] a reconnu lors de l'entretien préalable à licenciement qu'il ne pouvait en avoir connaissance et qu'il n'a pas remis en cause ces propos dans le cadre de la présente procédure alors même qu'il a attesté sur d'autres points.

Au vu de ces éléments, il n'est pas suffisamment justifié que la société Ortec environnement avait apporté à M. [A] une information suffisante sur la procédure particulière applicable à la réception des citernes avant de lui confier cette tâche, et ce, d'autant plus au regard des conditions de son intervention qui ne lui ont pas permis de l'anticiper.

Par ailleurs, en ce qui concerne la remontée d'information, s'il est justifié que la fiche Vigicom 118, qui a pour objet de rappeler l'importance de la remontée d'information en cas de constat de toute anomalie ou problème technique, a été présentée aux salariés lors de la causerie du 22 décembre 2017, il y est néanmoins clairement indiqué que le salarié qui fait un tel constat doit alors en parler dès que possible à son responsable ou à son correspondant/préventeur SHE-Q.

Or, en l'espèce, s'il est certain que M. [A] n'a pas informé dès que possible le chef de chantier, M. [I], ou le chef de contrat, Mme [F], de l'anomalie, à savoir cinq litres de liquide retrouvés dans la citerne, pour autant, sans contester l'opportunité de cette information, il ne peut lui être reproché cette carence alors même qu'il est constant que le préventeur SHE-Q était présent lorsque le liquide a été repéré dans la citerne et qu'il a légitimement pu penser qu'il remonterait l'information.

Aussi, et alors qu'il résulte de la fiche Vigicom 118 que le salarié prévient soit son responsable, soit le préventeur SHE-Q, aucune faute ne peut lui être reprochée au titre d'une information tardive de l'anomalie, étant par ailleurs relevé qu'il ne peut lui être reproché, comme cela est écrit dans la lettre de licenciement, de ne pas avoir stoppé le chantier ou d'avoir décidé de poursuivre l'opération dès lors que le chantier était déjà à l'arrêt pour une autre raison.

Au vu de ces éléments, les conditions dans lesquelles M. [A] a été amené à opérer la réception de la citerne le 24 janvier 2018 ne permettent pas de retenir que sa faute justifiait un licenciement, et a fortiori un licenciement pour faute grave.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il a dit que le licenciement de M. [A] ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse.

De même, il convient de le confirmer sur le montant alloué au titre de l'indemnité de préavis et des congés payés afférents dont les montants ne sont pas contestés par la société Ortec environnement.

S'agissant du montant accordé au titre de la mise à pied conservatoire, soit 1 179,99 euros, dès lors que le préavis ne court qu'à compter de la date de présentation de la lettre de licenciement, soit le 2 mars 2018, c'est à juste titre que les premiers juges ont tenu compte de la somme prélevée au titre de la mise à pied conservatoire tant pour le mois de février à hauteur de 981,81 euros que pour le mois de mars, à hauteur de 198,18 euros et il convient donc de confirmer le jugement sur le montant alloué.

En ce qui concerne l'indemnité de licenciement, M. [A] avait une ancienneté de six ans et deux mois, préavis compris, et un salaire de référence de 2 650,18 euros, aussi, dans la limite de sa demande, il convient de confirmer le jugement sur ce point.

Enfin, conformément à l'article L. 1235-3 du code du travail, au regard de l'ancienneté de M. [A], celui-ci peut prétendre à une indemnisation comprise entre trois et sept mois, aussi, au regard de son âge, d'un syndrome dépressif constaté concomitamment à son licenciement et de la période de chômage et de précarité dont il justifie jusqu'à la signature d'un contrat à durée indéterminée en octobre 2020 pour un salaire de 1 750 euros, il convient de condamner la société Ortec environnement à lui payer la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Conformément à l'article L 1235-4 du code du travail, il convient d'ordonner à la société Ortec environnement de rembourser à Pôle emploi les indemnités chômage versées à M. [A] du jour de son licenciement au jour de la présente décision, dans la limite de six mois.

Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner la société Ortec environnement aux entiers dépens, y compris ceux de première instance et de la débouter de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile. Par ailleurs, M. [A] étant bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale, il convient de le débouter de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement et publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté M. [W] [A] de sa demande de rappel d'heures supplémentaires, a statué sur le montant alloué au titre des dommages et intérêts et sur l'allocation d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

L'infirme de ces chefs et statuant à nouveau,

Condamne la SASU Ortec environnement à payer à M. [W] [A] les sommes suivantes :

rappel de salaire au titre des heures supplémentaires : 1 081,53 euros

congés payés afférents : 108,15 euros

dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 15 000 euros

Y ajoutant,

Ordonne à la SASU Ortec environnement de rembourser à Pôle emploi les indemnités chômage versées à M. [W] [A] du jour de son licenciement au jour de la présente décision, dans la limite de six mois ;

Condamne la SASU Ortec environnement aux entiers dépens ;

Déboute la SASU Ortec environnement et M. [W] [A] de leur demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/00885
Date de la décision : 13/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-13;21.00885 ?
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