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13/04/2023 | FRANCE | N°21/00897

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 13 avril 2023, 21/00897


N° RG 21/00897 - N° Portalis DBV2-V-B7F-IWMT





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 13 AVRIL 2023











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 26 Janvier 2021





APPELANT :





Monsieur [E] [Z]

[Adresse 1]

[Localité 4]



présent



représenté par Me Nathalie VALLEE de la SCP VALLEE-LANGUIL, avocat au barreau de ROUE

N







INTIMEE :





S.A.S. BRENNENSTUHL

[Adresse 2]

[Localité 3]



représentée par Me Gontrand CHERRIER de la SCP CHERRIER BODINEAU, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Sophie MOYON-VIRELIZIER, avocat au barreau de ...

N° RG 21/00897 - N° Portalis DBV2-V-B7F-IWMT

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 13 AVRIL 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 26 Janvier 2021

APPELANT :

Monsieur [E] [Z]

[Adresse 1]

[Localité 4]

présent

représenté par Me Nathalie VALLEE de la SCP VALLEE-LANGUIL, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEE :

S.A.S. BRENNENSTUHL

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Gontrand CHERRIER de la SCP CHERRIER BODINEAU, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Sophie MOYON-VIRELIZIER, avocat au barreau de STRASBOURG

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 08 Mars 2023 sans opposition des parties devant Madame BACHELET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme DUBUC, Greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 08 Mars 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 13 Avril 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 13 Avril 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [E] [Z] a été engagé par la société Brennenstuhl le 21 juin 1999 en qualité d'attaché commercial, puis il a été promu chef de groupe le 1er mai 2001.

Il a été licencié pour faute grave le 11 septembre 2018 dans les termes suivants :

'(...) Embauché le 21 juin 1999, vous êtes depuis le 1er juillet 2008 notre chef des ventes secteur Nord.

M. [B] [I], attaché commercial, placé sous votre autorité hiérarchique depuis quelques mois, après avoir dénoncé verbalement, puis par mail, vos agissements constitutifs de harcèlement moral, s'est plaint par un courrier recommandé daté du 26 juillet 2018.

Cette correspondance très motivée sur la nature de ceux-ci, traduit sa détresse et sa souffrance au travail du fait de votre management.

Son médecin l'a immédiatement placé en arrêt de travail pour maladie, en raison de vos pressions et méthodes de management, qui nuisent à sa santé (insomnies à répétition, boule au ventre, stress intense, etc...), pour le faire craquer et obtenir sa démission.

Lors de notre entretien, et face à notre exaspération sur cette situation récurrente, vous avez d'une part tenté de minimiser votre attitude constitutive de harcèlement moral, d'autre part tenté de porter le discrédit sur M. [I], qui, 'dernier arrivé' dans l'entreprise, serait globalement selon vous, un incapable, un impulsif, un menteur et un fainéant.

Or, votre comportement a déjà été dénoncé par plusieurs commerciaux avant M. [I], dont Mme [N], qui avait donné sa démission en juillet 2016, parce qu'elle ne supportait plus votre harcèlement et votre communication dure et cassante.

Nous avions déjà attiré votre attention sur cette question, tant verbalement que par écrit, à de nombreuses reprises dont un avertissement daté du 28 juillet 2017 sans obtenir la moindre amélioration de votre part malgré vos promesses.

En ce sens, le turnover sur votre secteur depuis 2010 est assez édifiant et pénalise l'entreprise, puisqu'à chaque fois, nous devons procéder à un nouveau recrutement, impliquant le coût du cabinet de recrutement et une perte de temps.

De plus, l'image de marque liée à ce turnover à l'égard de nos clients n'est pas celle de stabilité que nous souhaitons donner.

Par ailleurs, nous vous rappelons votre signature de la charte de management de septembre 2016, par laquelle tous les cadres de l'entreprise se sont engagés au plus grand respect à l'égard des collaborateurs placés sous leur responsabilité et à la création d'une atmosphère de confiance.

La lettre recommandée de M. [I] confirme que vous faites tout, au contraire, pour qu'il n'y ait ni respect ni confiance et votre management, empreint d'autoritarisme et parfois de perversité, pose question.

Vos affirmations tendant à démontrer que vous auriez agi dans l'intérêt de l'entreprise en cherchant à former au mieux M. [B] [I] sous la pression des chiffres, sont non seulement fausses, mais encore irrecevables au regard de l'éthique et la culture de notre entreprise familiale.

L'obligation de prévention des risques psycho-sociaux, définie par le code du travail, pesant sur les entreprises, s'impose à toutes et notre société ne peut et ne veut prendre aucun risque de sanctions civiles et/ou pénales.

Là encore, nous avons suffisamment attiré votre attention sur nos obligations légales, mais malheureusement, et fort de votre âge et de votre ancienneté qui ne constituent ni une impunité ni une dérogation à la loi, vous n'y avez donné aucune suite.

Lors de notre entretien et outre votre comportement à l'égard de M. [I] et d'autres collaborateurs, nous vous avons reproché votre misogynie et votre attitude également constitutive de harcèlement, tant à l'égard du personnel féminin de notre société, que celui de nos clients.

Cela est inacceptable et porte préjudice, tant aux femmes concernées à une époque où la tolérance est désormais de zéro par différents mouvements et législations et que vous ne pouvez ignorer, qu'à la réputation de notre société.

Pour seule justification, vous avez alors poussé la vantardise à prétendre 'aimer trop les femmes' et évoqué des rumeurs relevant de votre vie privée extra-conjugale, ce qui est radicalement hors sujet.

En clair, et à notre étonnement, vous ne semblez pas comprendre la gravité de vos propos et attitudes.

De plus, votre comportement impulsif (ex: un projecteur jeté au sol chez un client) et arrogant ne passe pas en clientèle, et certains clients ne souhaitent plus vous voir, ce qui est problématique au regard de vos fonctions.

Enfin, votre état d'esprit à l'égard de la direction dont vous contestez sans cesse l'autorité et plus précisément celle du soussigné, n'est pas plus positif que celui adopté avec les collaborateurs et nuit à l'ambiance générale du travail et au bon fonctionnement de l'entreprise.

Nous déplorons en effet le dénigrement régulier du soussigné auprès des collaborateurs, la remise en cause de la politique commerciale définie par le soussigné, ainsi qu'une volonté de diviser l'entreprise par un clanisme des équipes Nord-Sud, totalement inutile et difficile à supporter pour les collègues.

Sur la base de ces éléments, il découle une rupture de la confiance nécessaire envers un cadre.

Lors de l'entretien , vous avez encore alternativement tenté de banaliser votre comportement puis vous nous avez mis en demeure de le prouver, préférant vous considérer comme une victime...

A la lumière de nos échange du 3 septembre, nous avons compris qu'aucune remise en question de votre part n'était plus possible.

En effet, et alors que nous souhaitions aborder cet entretien de la manière la plus constructive et sereine possible, il est patent que votre ego surdimensionné, votre sentiment d'impunité lié à votre ancienneté et votre absence d'écoute, mettent un obstacle définitif à la prise de conscience nécessaire à une remise à plat de vos relations avec autrui (collaborateurs, clients, direction) avec pour objectif un changement radical d'attitude indispensable à la poursuite d'une collaboration.

Compte tenu de l'accumulation et de la gravité des griefs reprochés, nous sommes contraints de vous notifier, par la présente, votre licenciement pour faute grave, soit avec effet immédiat, sans versement des indemnités de rupture.(...)'.

Par requête du 26 octobre 2018, M. [Z] a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen en contestation de la rupture, ainsi qu'en paiement d'indemnités et rappel de salaires.

Par jugement du 26 janvier 2021, le conseil de prud'hommes a, avec le bénéfice de l'exécution provisoire :

- dit que le licenciement de M. [Z] ne reposait pas sur une faute grave mais sur une cause réelle et sérieuse et condamné la société Brennenstuhl à lui payer les sommes suivantes :

indemnité compensatrice de préavis : 25 666,29 euros

congés payés afférents : 2 566,62 euros

indemnité de licenciement : 22 777,15 euros

rappel de salaire sur mise à pied conservatoire : 1 954,71 euros

indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile : 1 000 euros

- débouté M. [Z] du surplus de ses demandes et la société Brennenstuhl de l'intégralité de ses demandes,

- condamné la société Brennenstuhl aux entiers dépens.

M. [Z] a interjeté appel de cette décision le 26 février 2021.

Par conclusions remises le 17 novembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, M. [Z] demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a dit son licenciement justifié par une cause réelle et sérieuse et l'a débouté du surplus de ses demandes, et, statuant à nouveau, de :

- juger son licenciement dépourvu de toute cause réelle et sérieuse et condamner la société Brennenstuhl à lui payer les sommes suivantes :

dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 171 108,60 euros

rappel d'heures supplémentaires : 14 157,74 euros

congés payés afférents : 1 415,77 euros

- à titre subsidiaire, confirmer le jugement,

- débouter la société Brennenstuhl de l'ensemble de ses demandes et la condamner à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions remises le 17 août 2021, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, la société Brennenstuhl demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [Z] de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et rappel d'heures supplémentaires, l'infirmer pour le surplus, dire le licenciement pour faute grave bien fondé, débouter M. [Z] de l'ensemble de ses demandes et le condamner à lui payer la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile eu titre des frais irrépétibles engagés en première instance, et cette même somme pour ceux engagés en cause d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 9 février 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le licenciement

M. [Z] conteste tout fait de harcèlement moral, considérant que les mails produits ne sont que la traduction de son pouvoir hiérarchique sur un subordonné, étant par ailleurs précisé que les faits qui lui sont reprochés à l'égard de Mme [N] sont prescrits et ne peuvent en tout état de cause plus être invoqués dès lors qu'il a fait l'objet d'un avertissement en juillet 2017, acte par lequel l'employeur, qui avait connaissance des mails échangés avec Mme [N] et du prétendu problème de management, a épuisé son pouvoir disciplinaire.

En réponse, la société Brennenstuhl fait valoir que la relation avec M. [Z] s'est dégradée très rapidement, comme en témoignent des mails de 2012, et qu'il a été régulièrement mis en garde sur son management sans montrer de capacité à évoluer et prendre en compte les remarques.

Conformément aux dispositions de l'article L.1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, laquelle implique qu'elle soit objective, établie et exacte et suffisamment pertinente pour justifier la rupture du contrat de travail.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et l'employeur qui l'invoque doit en rapporter la preuve.

A l'appui du licenciement, la société Brennenstuhl produit des attestations de trois commerciaux ayant été placés sous la responsabilité de M. [Z] lors de leur arrivée dans l'entreprise, et ce, notamment durant la période d'accompagnement à la prise en main du service.

Ainsi, M. [I], engagé le 3 avril 2018 au sein de la société Brennestuhl, explique qu'à compter de cette date et jusqu'à mi-juillet 2018, il a été sous la responsabilité de M. [Z], chef de ventes, et qu'il a subi, dès la première semaine d'intégration, au quotidien, des pressions et des remarques désobligeantes, citant pour exemple le fait qu'il levait les yeux au ciel à chacune de ses interventions devant un tiers ou encore une formation produit lors de laquelle, alors que les assistantes administratives étaient présentes et qu'il s'agissait de nouvelles collègues, M. [Z] lui a fait des réflexions blessantes sur son surpoids pour évoquer la solidité des produits ou encore sur la présence d'un bouton d'arrêt d'urgence sur les coffrets de chantiers lui disant 'à utiliser pour les cons comme toi qui viendraient à s'électrocuter'.

Il explique qu'au mois de juin, à part le fait qu'il lui ait dit en montant en voiture 'je suis votre chauffeur et c'est tout', le manque de brief à la fin de chaque rendez-vous, le discours venimeux et dénigrant en boucle vis-à-vis de la direction et les réflexions désobligeantes sur le physique de certaines personnes du siège, tout s'est plutôt bien passé jusqu'à la deuxième semaine où les choses se sont radicalement compliquées, M. [Z] ayant créé par son attitude, à savoir excitation, énervement, ordre, contre-ordre, modification du plan de tournée, comportement déplacé, y compris vis-à-vis des clients qui, pour certains, ne voulaient plus avoir à faire à lui, un climat anxiogène et suffoquant, trouvant n'importe quel prétexte pour lui faire des reproches avec un ton à caractère despotique, avec envoi de mails à charge et copie à la direction pour accentuer la pression, ce qui a eu des incidences sur sa santé mentale.

Il précise qu'il avait peur de ses réactions violentes et impulsives, notant ainsi l'avoir vu détruire la barrière d'un parking souterrain à [Localité 5] au motif qu'elle ne s'ouvrait pas ou jeter violemment au sol un luminaire dans le bureau d'un client car ce dernier mettait en cause sa solidité.

Enfin, il indique que la tension a été si forte que M. [Z] a laissé passé quelques semaines avant de revenir sur son secteur et que, lorsque la date a été prise, il n'a pas dormi du week-end et à la simple vue de sa voiture, il a été pris d'une crise d'angoisse et, comprenant qu'il ne parviendrait pas à passer la journée à ses côtés, il lui a alors fait part des difficultés, ce à quoi, il lui a simplement répondu qu'à son âge, il n'avait plus rien à prouver, contrairement à lui et qu'il fallait qu'il s'en inquiète, lui disant en souriant 'vous n'avez qu'à démissionner! Prenez votre téléphone et appelez M. [Y] pour le lui dire', qu'il a préféré partir et prendre rendez-vous chez son médecin, que les vacances du mois d'août lui ont permis de se reposer, que l'annonce du départ de M. [Z] l'a libéré et qu'il est depuis épanoui dans son travail.

Cette attitude inadaptée est corroborée par l'attestation, désormais signée, de M. [M] qui explique que le comportement de M. [Z] consistait à le décrédibiliser devant la clientèle, se montrant condescendant, méprisant et autoritaire, le moindre faux-pas étant prétexte pour le rabaisser au rôle de médiocre subalterne, ce qui ne lui permettait pas de se sentir en confiance lors de ses rendez-vous professionnels même si, en soirée, après quelques verres, il pouvait soudainement devenir presque amical afin qu'il oublie son attitude quotidienne négative, ce qui, selon lui, démontre qu'il était conscient de ses agissements. Il note également qu'ils pouvaient faire ensemble un point lors duquel aucun problème n'était soulevé, puis, le soir même, des points non abordés lui étaient reprochés par mail envoyé à la direction, sachant qu'il dénigrait par ailleurs M. [Y].

Enfin, Mme [N] expose avoir été engagée en octobre 2015 lors de l'arrêt maladie de M. [Z] qu'elle a rencontré deux semaines après son arrivée, notant que, s'il avait une bonne connaissance des produits, il était imbu de lui même et manquait de patience à son égard alors même que M. [Y] l'avait informée qu'il lui faudrait bien un an avant qu'elle soit à l'aise avec la gamme produits. Elle relève que lors de la tournée suivante en clientèle, il l'a humiliée en la rabaissant et en tenant des propos misogynes, mettant mal à l'aise le client qui n'a plus souhaité par la suite qu'il vienne en rendez-vous, sachant qu'au lieu de lui faire des observations pour progresser et mieux appréhender la technicité des produits, il lui envoyait par mail ses récriminations, avec copie à la direction pour la discréditer, ce qui l'a conduite à s'ouvrir de la situation auprès du responsable de recrutement sans que cela ne permette cependant une amélioration durable, les observations rabaissantes ayant recommencé très rapidement, aussi, a t-elle immédiatement répondu positivement lorsque son ancien employeur l'a rappelée.

Ces attestations sont parfaitement corroborées par les mails versés aux débats qui démontrent que M. [Z] utilisait à l'égard de Mme [N] un ton cassant, énumérant les uns après les autres les points négatifs et les erreurs, et ce, en mettant M. [Y], directeur général, et parfois même le directeur des ressources humaines, M. [G], en copie, sans qu'il puisse être utilement expliqué qu'il avait lui-même des comptes à rendre alors que certains mails concernent des organisations de tournée, ce qui, a priori, doit pouvoir se gérer entre un commercial et son chef de ventes, sauf à faire remonter, en cas d'insuffisance, de manière professionnelle, par un mail directement adressé aux supérieurs les éventuelles difficultés rencontrées, ce qui n'implique pas d'utiliser un ton cassant, lequel, contrairement à ce qu'indique M. [Z] ne permet pas 'd'aider à grandir'.

A cet égard, dès cette période, Mme [N] a fait part de son ressenti à M. [Z] en lui indiquant qu'elle aimerait qu'il cesse de la rabaisser systématiquement devant les clients, en la regardant méchamment, ou en lui disant qu'elle pose des questions stupides auxquelles il ne souhaite même pas répondre, sachant que loin de contester ces propos, M. [Z], répondant directement sur ce mail, a alors écrit sous ces dires : 'comme vous le disiez, cela fait six mois que vous êtes chez nous. Et n'êtes pas une débutante. Et parfois je suis plutôt surpris', ce qui constitue une réponse ironique et méprisante.

D'ailleurs, lors de la démission de Mme [N] en août 2016, M. [Y] lui a fait part de l'inadéquation de ses méthodes, lui demandant ainsi s'il avait entrepris quelque chose afin que Mme [N] ait eu une quelconque chance de se faire au métier en dehors d'un harcèlement de reproches tant écrits que verbaux, certaines fois devant des clients.

A cet égard, et s'il est certain que par l'avertissement notifié à M. [Z] le 28 juillet 2017, lequel faisait référence à son ton irrespectueux à l'égard de M. [Y] mais aussi à son management inadapté, la société Brennestuhl a sanctionné M. [Z] pour ces faits, il convient néanmoins de rappeler que l'existence de nouveaux griefs autorise l'employeur à tenir compte de griefs antérieurs, qu'ils aient ou non déjà été sanctionnés, notamment pour en apprécier le caractère de gravité.

Or, il résulte des mails échangés entre M. [Z] et M. [I] et de l'attestation de ce dernier que des faits de même nature se sont reproduits, sans qu'il puisse être écarté la force probante de son attestation au motif qu'elle reprend la teneur d'un courrier envoyé à la direction en juillet 2018, M. [I] ne faisant, par le biais de cette attestation, que donner plus de force probante à ce courrier en rappelant qu'il a connaissance des risques pénaux encourus en cas de propos mensongers.

Par ces différentes pièces, si la misogynie reprochée ne peut être retenue à défaut de précision quant aux propos tenus, notamment à l'égard de Mme [N], sont pour autant caractérisés des agissements constitutifs de harcèlement moral, à savoir communication dure et cassante, attitude méprisante, y compris devant les clients, reproches multiples et répétés avec envoi en copie à la direction pour de nouveaux arrivants, ayant pour effet une dégradation des conditions de travail de ses subordonnés susceptible de porter atteinte à leur dignité, d'altérer leur santé physique ou mentale ou de compromettre leur avenir professionnel.

Si face à ces éléments, M. [Z] produit l'attestation de M. [V] qu'il a accompagné dans de nombreuses tournées, qui indique avoir à cette occasion pu constater ses qualités indéniables de formateur et de manager ainsi qu'une très bonne aisance relationnelle en clientèle, et que, les quelques remarques de fonctionnement à son égard lors des premières tournées étaient une réalité et qu'avec du recul, elles avaient un sens de formation et d'aide à l'accompagnement, il doit être relevé que cette attestation a été rédigée en août 2018, alors que M. [Z] était encore son responsable hiérarchique, mais surtout, elle ne fait que corroborer les attestations précédentes et le discours systématiquement tenu par M. [Z] dans ses différents mails, à savoir, que les remarques faites n'ont pour seul objet que d'aider le commercial à grandir et s'améliorer alors même que leur teneur démontre qu'elles sont en réalité de nature à déstabiliser, voire à détruire une personne plus fragile.

A cet égard, le mail précité échangé entre Mme [N] et M. [Z] aux termes duquel il ne contestait pas lui avoir dit que ses questions étaient stupides, se poursuivait quelques paragraphes plus loin par 'c'est mon travail que de vous former à notre politique, de vous aider à grandir'.

Par ailleurs, s'il verse aux débats des attestations de quatre clients chez lesquels il s'est rendu dans le cadre de l'accompagnement de trois de ses commerciaux, à savoir, MM. [M], [I] et [P], qui indiquent qu'ils n'ont perçu aucun comportement négatif de sa part à leur égard, M. [Z] intervenant de manière professionnelle, sans aucune agressivité et dans une ambiance détendue avec un bon état d'esprit, pour autant ce simple constat à l'occasion de quatre rendez-vous, ne permet pas de remettre en cause la description de son attitude faite par MM. [I] et [M], d'autant qu'il ressort de leur attestation respective que certains entretiens ont pu bien se passer, notamment la première semaine de juin selon M. [I], ce qu'il indiquait dès son courrier de juillet 2018 et correspond précisément aux dates données par ces clients le concernant.

Cette même analyse doit être retenue en ce qui concerne l'attestation de la gérante du Kyriad qui indique que lors d'une réunion professionnelle du 4 juin entre M. [I] et M. [Z], elle a noté que l'ambiance était conviviale.

Enfin, s'il est justifié que trois de ses collègues féminines, qui n'étaient pas sous sa responsabilité dans le cadre de l'activité commerciale, entretenaient de bonnes relations avec lui et n'ont jamais relevé de propos misogynes, là encore, cela ne remet pas en cause la teneur des attestations versées par la société Brennenstuhl, sauf à indiquer qu'il a d'ores et déjà été considéré qu'il n'était pas suffisamment justifié de comportements misogynes.

Aussi, sans qu'il puisse être reproché à la société Brennenstuhl de ne pas avoir diligenté d'enquête suite aux faits dénoncés par M. [I] dès lors qu'elle s'estimait suffisamment informée pour envisager une procédure de licenciement à l'encontre de M. [Z], au regard des pièces produites qui démontrent que, sous couvert de l'autorité dont il disposait à l'égard des commerciaux, il a usé d'attitudes et de propos dénigrants et cassants caractérisant un harcèlement moral, et ce, sans avoir su tenir compte de l'avertissement préalable qui lui avait été délivré en juillet 2017, pour avoir adopté la même attitude à l'égard de M. [I] que celle adoptée à l'égard de Mme [N], il convient d'infirmer le jugement et de dire que les faits reprochés empêchaient toute poursuite du contrat de travail au regard des risques encourus pour la santé mentale de ses subordonnés.

Il convient en conséquence d'infirmer le jugement, de dire que le licenciement pour faute grave est fondé et de débouter M. [Z] de l'intégralité de ses demandes en lien avec la rupture.

Sur la demande formulée au titre des heures supplémentaires

Relevant l'importance de son secteur d'activité, M. [Z] soutient qu'il a régulièrement accompli plus de 35 heures par semaine et considère que le descriptif très détaillé des jours durant lesquels il a été amené à effectuer des heures supplémentaires permet utilement à l'employeur de répondre, ce qu'il ne fait pas, se contentant de produire un seul et unique formulaire de récupération d'heures suite à un salon qui, en tout état de cause, ne permet pas d'exclure la majoration pour un dimanche travaillé.

En réponse, la société Brennenstuhl invoque une prescription des demandes antérieures à novembre 2016 et relève que M. [Z] réclame des heures supplémentaires accomplies à la journée, et ce, alors qu'elles doivent être calculées à la semaine civile, sachant qu'au sein de la société, les commerciaux effectuent leur semaine de 35 heures sur 4,5 jours dans la mesure où ils ne travaillent pas les vendredis après-midi, et, lorsqu'ils participent à des salons, ils peuvent alors récupérer leurs heures sous forme de congés supplémentaires.

Aux termes de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte des articles L. 3171-2 à L. 3171-4 du code du travail, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Selon l'article L. 3245-1 du code du travail, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

Il résulte de la combinaison des articles L. 3245-1 et L. 3242-2 du code du travail que le délai de prescription des salaires court à compter de la date à laquelle la créance salariale est devenue exigible. Pour les salariés payés au mois, la date d'exigibilité du salaire correspond à la date habituelle du paiement des salaires en vigueur dans l'entreprise et concerne l'intégralité du salaire afférent au mois considéré.

Aussi, en l'espèce, M. [Z] ayant saisi le conseil de prud'hommes le 26 octobre 2018 et étant payé en fin de mois, aucune prescription n'est encourue dès lors qu'il ne sollicite des heures supplémentaires qu'à compter du mois d'octobre 2015.

Sur le fond, à l'appui de sa demande, M. [Z] produit, à compter d'octobre 2015 et jusqu'en juin 2018, un récapitulatif des jours, datés, pour lesquels il réclame des heures supplémentaires, sans aucune précision quant au nombre d'heures travaillées sur la semaine, ni sur l'heure de début et de fin de service, mais en indiquant néanmoins les raisons du dépassement horaire et ce, pour un total de 251 heures, sachant qu'en réalité, sont réclamées 223 heures supplémentaires et 28 heures au titre des majorations du dimanche, étant d'ores et déjà indiqué que si, conformément à l'article 46 de la convention collective nationale du commerce de gros, ces heures sont majorées à 100 %, il ne peut cependant leur être appliqué, comme le fait M. [Z], une majoration à 125 %.

Bien que le calcul des heures supplémentaires ne soit pas réalisé par semaine civile comme le prévoit le code du travail, pour autant, alors que l'employeur assure le contrôle des heures effectuées, en précisant le motif des heures réclamées, la demande ainsi présentée par M. [Z] permet utilement à la société Brennenstuhl d'y répondre, au besoin en apportant des éléments permettant de justifier que M. [Z] n'aurait pas accompli plus de 35 heures par semaine malgré des journées plus chargées.

A cet égard, il résulte tant des pièces versées aux débats par la société Brennenstuhl que de l'intitulé des heures supplémentaires réclamées les vendredis après-midi par M. [Z], à savoir 'après-midi en home office', que les commerciaux effectuaient la semaine de 35 heures sur 4,5 jours et étaient donc en repos dès le vendredi midi.

Aussi, tenant compte de cet élément et à défaut pour M. [Z] de produire le moindre mail envoyé ou compte-rendu d'activité édité alors qu'il se trouvait à son domicile les vendredis après-midi, les heures supplémentaires réclamées sous l'intitulé 'après-midi en home office' ne seront pas retenues.

Au contraire, à défaut pour la société Brennenstuhl de produire des éléments de nature à remettre en cause les heures supplémentaires réclamées au titre des déplacements, des salons ou encore des formations, lesquelles ont été implicitement acceptées au regard du secteur géographique de M. [Z], il convient de les retenir, à l'exception de celles sollicitées au titre du salon tenu les l4 et 15 février 2017 pour lesquelles la société justifie d'une demande de récupération du 2 au 3 novembre 2017, sauf à tenir compte de la majoration au titre du dimanche.

Ainsi, au vu des éléments produits par chacune des parties, la cour a la conviction que M. [Z] a accompli 157 heures supplémentaires majorées à 25 % d'octobre 2015 à juin 2018 et qu'il lui est dû en outre 28 heures majorées au titre des dimanches.

Aussi, et alors qu'il ne peut être pris en compte les commissions de M. [Z] pour calculer le taux horaire devant être majoré, il convient de retenir, comme le réclame la société Brennensthul le salaire fixe augmenté de la prime d'ancienneté, soit un salaire mensuel de 2 390,82 euros correspondant à un taux horaire de 15,76 euros.

Il est ainsi dû à M. [Z] la somme de 3 092,9 euros au titre des heures supplémentaires effectuées d'octobre 2015 à juin 2018, toutes majorées de 25 %, outre 441,28 euros au titre de la majoration des dimanches à hauteur de 100 %.

Il convient en conséquence d'infirmer le jugement et de condamner la société Brennenstuhl à payer à M. [Z] la somme de 3 534,18 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires et majoration du dimanche, outre 353,42 euros au titre des congés payés afférents.

Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie partiellement succombante, il y a lieu de condamner la société Brennenstuhl aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à M. [Z] la somme de 500 euros sur ce même fondement, en plus de la somme allouée en première instance.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement et publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement sauf en ses disposions relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens et en ce qu'il a débouté M. [Z] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Dit que le licenciement de M. [E] [Z] repose sur une faute grave ;

Déboute M. [E] [Z] de l'ensemble de ses demandes en lien avec la rupture de son contrat de travail ;

Condamne la SAS Brennenstuhl à payer à M. [E] [Z] la somme de 3 534,18 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires et majoration du dimanche, outre 353,42 euros au titre des congés payés afférents ;

Y ajoutant,

Condamne la SAS Brennenstuhl aux entiers dépens ;

Condamne la SAS Brennenstuhl à payer à M. [E] [Z] la somme de 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la SAS Brennenstuhl de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/00897
Date de la décision : 13/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-13;21.00897 ?
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