N° RG 21/01180 - N° Portalis DBV2-V-B7F-IW67
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 13 AVRIL 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DU HAVRE du 16 Février 2021
APPELANTE :
Société SCBE
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Richard FIQUET de la SELARL SUREL LACIRE-PROFICHET FIQUET, avocat au barreau du HAVRE
INTIME :
Monsieur [G] [C]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représenté par Me Laurence HOUEIX, avocat au barreau du HAVRE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 23 Février 2023 sans opposition des parties devant Madame DE BRIER, Conseillère, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
Madame DE BRIER, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme WERNER, Greffière
DEBATS :
A l'audience publique du 23 Février 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 13 Avril 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 13 Avril 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
FAITS ET PROCÉDURE
M. [G] [C] (le salarié), salarié de la société SCBE (EURL) en qualité de chef de chantier/plombier, a donné sa démission à effet au 31 janvier 2020.
Il a saisi le conseil de prud'hommes du Havre aux fins de réclamer diverses sommes afférentes à l'exécution du contrat de travail et des documents de rupture rectifiés.
Par jugement du 16 février 2021, le conseil de prud'hommes a :
- pris acte de ce que la société a réglé à M. [C] le montant du solde de tout compte par virement bancaire du Crédit du Nord du 20 novembre 2020 d'un montant de 3 332,78 euros représentant la période du 1er janvier 2020 au 31 janvier 2020 ;
- fixé le salaire de M. [C] à 2 058,75 euros ;
- condamné la société à payer au salarié les sommes suivantes :
205,87 euros à titre d'indemnité de congés payés du 1er janvier au 31 janvier 2020 ;
250 euros à titre de prime de rentabilité pour décembre 2019 ;
96 euros à titre d'indemnité de repas du 1er janvier au 31 janvier 2020, congés payés inclus ;
2 210,63 euros au titre de 131 heures supplémentaires du 10 septembre 2018 au 31 janvier 2020 ;
237,73 euros à titre de remboursement de frais professionnels (péage + carburant) ;
1 500 euros à titre de dommages et intérêts ;
- ordonné à la société de délivrer au salarié les attestations Pôle Emploi en conformité avec les contrats à durée déterminée effectués et le certificat de travail, sous astreinte de 15 euros par jour de retard et par document à compter du 15ème jour suivant la notification du jugement, le conseil se réservant le droit de liquider l'astreinte ;
- débouté le salarié de sa demande d'indemnité de déplacement du 1er au 31 janvier 2020 ;
- débouté la société de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société aux dépens de l'instance.
Par déclaration au greffe le 18 mars 2021, la société a fait appel du jugement en visant les chefs de décision relatifs aux heures supplémentaires, aux frais professionnels (péage + carburant), aux dommages et intérêts, à l'indemnité procédurale et aux dépens.
L'ordonnance de clôture de la procédure a été prononcée le 2 février 2023.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions remises le 13 décembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, la société demande à la cour d'infirmer le jugement dans les termes de la déclaration d'appel et statuant à nouveau, de :
- débouter le salarié de ses demandes,
- condamner le salarié à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les dépens.
Par des conclusions remises le 4 mai 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, M. [C] demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société à lui régler les sommes de :
2 210,63 euros au titre des heures supplémentaires du 10.09.2018 au 13.01.2020,
237,73 euros au titre des remboursements et de frais professionnels,
1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- l'infirmer en ce qu'il a fixé le montant des dommages et intérêts à 1 500 euros, et statuant de nouveau de ce chef, condamner la société à régler 6 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices résultant des retards de paiement des salaires ;
- condamner la société à lui payer la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, ainsi qu'à supporter les dépens d'appel.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I. Sur la demande en paiement d'un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires
La société soutient que la réalisation des heures supplémentaires devait faire l'objet d'une demande préalable à l'employeur, de sorte que le salarié ne peut revendiquer d'heures supplémentaires sauf à démontrer l'accord de l'employeur ou la nécessité de les réaliser ; qu'en l'occurrence les heures supplémentaires alléguées ont été réalisées sans son accord. Elle estime par ailleurs que le salarié, qui doit fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande, ne verse aux débats que des documents contestables ; qu'en outre, les termes de sa requête, dans laquelle il admet le refus de l'employeur que les salariés fassent des heures supplémentaires sans son accord, vaut aveu judiciaire.
M. [C] fait valoir que l'employeur ne conteste pas la réalisation d'heures supplémentaires, se contentant d'alléguer une absence d'autorisation explicite préalable alors même qu'il avait connaissance des feuilles de pointage et n'y a pas réagi. Il fait également valoir que la société ne démontre pas que ces heures n'étaient pas nécessaires à la réalisation de ses tâches. Il conteste avoir été son propre contrôleur des heures de travail réalisées, exposant qu'il exécutait son travail sous les ordres de M. [T], qui n'ignorait pas leur nécessité. Il soutient que la prescription concernant les heures supplémentaires est fixée à trois ans et qu'il était donc libre d'introduire l'action deux ans après son départ.
Le salarié peut prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies, soit avec l'accord au moins implicite de l'employeur, soit s'il est établi que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées.
En application de l'article L. 3171-4 du code du travail, "en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable".
Il résulte des dispositions de l'article L. 3171-2 al. 1 (imposant à l'employeur l'établissement des documents nécessaires au décompte de la durée de travail, hors horaire collectif), de l'article L. 3171-3 (imposant à l'employeur de tenir à disposition de l'inspection du travail lesdits documents et faisant référence à des dispositions réglementaires concernant leur nature et le temps de leur mise à disposition) et de l'article L. 3171-4 précité, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
Ainsi, la charge de la preuve ne pèse pas sur le seul salarié, mais est partagée avec l'employeur.
Il est précisé que les éléments apportés par le salarié peuvent être établis unilatéralement par ses soins, la seule exigence posée étant qu'ils soient suffisamment précis pour que l'employeur puisse y répondre.
En l'espèce, le salarié verse aux débats :
- de nombreuses « feuilles de pointage hebdomadaires individuelles », outre une feuille manuscrite, mentionnant le nom du chantier et pour chaque jour de la semaine concernée, l'heure de début et de fin de journée de travail, le plus souvent une heure de pause repas, et le cas échéant la prise de congés payés,
- une feuille manuscrite présentant les calculs opérés par le salarié, basés sur le nombre d'heures majorées à 25 % et 50 % et les taux majorés applicables à chaque catégorie, pour en déduire une créance de 2 630 euros correspondant à 148 heures 45 minutes accomplies mais non payées.
Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre en apportant ses propres éléments, ce que ce dernier ne fait cependant pas.
Au vu des éléments produits, la cour est convaincue de la réalisation d'heures supplémentaires par le salarié sur la période incriminée.
Le salarié a admis dans sa requête que « l'employeur refusait que ses salariés fassent des heures supplémentaires sans son accord... », ce qui établit la véracité des allégations de l'employeur sur ce point. Or le salarié ne justifie pas d'autorisations expresses en ce sens. Mais par ailleurs, il est établi que l'employeur avait parfaitement connaissance de la réalisation de ces heures de travail puisque M. [C] prouve, en versant aux débats des SMS, que les feuilles de pointage hebdomadaires individuelles lui étaient réclamées et que l'employeur en était destinataire. Certaines d'entre elles sont contresignées de son supérieur hiérarchique M. [T]. L'employeur n'ayant jamais réagi au contenu de ces fiches horaires, le salarié rapporte la preuve d'un accord implicite de sa part et du caractère nécessaire des heures supplémentaires accomplies. M. [C] est donc en droit d'en réclamer paiement.
Au vu des éléments versés aux débats, la cour s'estime suffisamment informée pour évaluer la créance salariale en découlant à la somme de 2 210,63 euros. Il convient de confirmer le jugement de ce chef.
II. Sur la demande de remboursement de frais professionnels
La société soutient que M. [C] ne démontre ni que les sommes revendiquées à partir des tickets de caisse produits ont été réglées à partir de son compte personnel, ni que ces sommes ont été employées au règlement de frais en lien avec l'exécution d'un travail pour le compte de l'employeur. Elle s'étonne de la tardiveté de la demande et se prévaut d'une violation des articles 9 et 12 du code de procédure civile en faisant valoir le défaut de communication des justificatifs cités par le conseil de prud'hommes à l'appui de sa décision.
Le salarié fait valoir que la société SCBE ne conteste pas le principe des frais avancés par lui mais remet en cause sa bonne foi, sans cependant prouver qu'il aurait fraudé ou n'aurait pas payé de tels frais. Il conteste toute tardiveté de sa demande et souligne que les justificatifs litigieux étaient joints à sa requête et qu'il les communique de nouveau devant la cour.
M. [C], qui réclame le remboursement de frais d'essence et de péage, doit rapporter la preuve qu'il a avancé ces frais pour le compte de son employeur. Or les seuls tickets versés aux débats ne permettent pas de connaître l'identité du payeur, et M. [C] ne produit pas de relevé bancaire ou tout autre document qui permettrait d'établir qu'il a lui-même payé les sommes incriminées.
Le jugement est donc infirmé et M. [C] débouté de sa demande.
III. Sur la demande de dommages et intérêts
La société fait valoir que les sommes dues ont finalement été payées, et que M. [C] n'apporte aucun élément permettant de justifier et de quantifier son préjudice.
Le salarié se prévaut de retards constants de la société dans le paiement des salaires et de l'absence de paiement des heures supplémentaires. Il soutient que ces retards expliquent sa démission, et évoque le caractère alimentaire des salaires.
Il est avéré que M. [C] n'a pas été payé de toutes les heures de travail accomplies et qu'il a plusieurs fois perçu son salaire avec retard, notamment ceux de février 2019, juillet 2019, décembre 2019 et janvier 2020, ainsi que cela résulte des SMS produits, étant précisé que le salaire de janvier 2020 ne lui a été payé qu'en novembre 2020 dans le contexte de l'instance prud'homale. Ces manquements lui ont causé un préjudice dès lors qu'il ne pouvait disposer des sommes qui lui étaient dues pour payer ses charges. Ce préjudice reste cependant modéré, dès lors que, de son aveu même dans la requête, il a pu grâce à son épargne « passer outre les agios et frais bancaires », et qu'il ne justifie pas d'un quelconque préjudice financier lié à ce recours à l'épargne, étant ajouté par ailleurs qu'il convient d'indemniser un préjudice distinct de celui généré par le retard déjà compensé par les intérêts moratoires.
Il convient donc d'infirmer le jugement et de condamner la société SCBE à lui payer la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.
IV. Sur les dépens et frais irrépétibles
En qualité de partie succombante pour l'essentiel, la société SCBE est condamnée aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel.
Par suite, la société SCBE est condamnée à payer à M. [C] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et se trouve déboutée de sa propre demande à ce titre. La décision de première instance ayant débouté la société de sa demande d'indemnité procédurale est confirmée.
Il est par ailleurs relevé que dans la mesure où le conseil de prud'hommes n'a pas accordé d'indemnité procédurale à M. [C], la demande de ce dernier tendant à la confirmation du jugement de ce chef est sans objet.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant dans les limites de l'appel, publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement en ce qui concerne les heures supplémentaires, les frais irrépétibles et les dépens,
L'infirme en ces dispositions relatives aux demandes de remboursement de frais professionnels et de dommages et intérêts,
Statuant à nouveau des chefs infirmés :
Déboute M. [C] de sa demande de remboursement de frais professionnels,
Condamne la société SCBE à payer à M. [C] la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts,
Et y ajoutant,
Condamne la société SCBE aux dépens, tant de première instance que d'appel,
Condamne la société SCBE à payer à M. [C] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute la société SCBE de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière La présidente