La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/04/2023 | FRANCE | N°21/01458

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 13 avril 2023, 21/01458


N° RG 21/01458 - N° Portalis DBV2-V-B7F-IXRG





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 13 AVRIL 2023











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 12 Mars 2021





APPELANTE :



S.A.S. RENAULT

[Adresse 1]

[Adresse 1]



représentée par Me Carole BONVOISIN de la SELARL BESTAUX BONVOISIN MATRAY, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Ol

ivier GILLIARD, avocat au barreau d'AVESNES-SUR-HELPE







INTIMEE :





Madame [T] [U]

[Adresse 2]

[Adresse 2]



représentée par Me Philippe DUBOS de la SCP DUBOS, avocat au barreau de ROUEN














...

N° RG 21/01458 - N° Portalis DBV2-V-B7F-IXRG

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 13 AVRIL 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 12 Mars 2021

APPELANTE :

S.A.S. RENAULT

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Carole BONVOISIN de la SELARL BESTAUX BONVOISIN MATRAY, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Olivier GILLIARD, avocat au barreau d'AVESNES-SUR-HELPE

INTIMEE :

Madame [T] [U]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Philippe DUBOS de la SCP DUBOS, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 07 Mars 2023 sans opposition des parties devant Madame BACHELET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente, rédactrice

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme DUBUC, Greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 07 Mars 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 13 Avril 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 13 Avril 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [T] [U] a été engagée par la société d'intérim Randstad et mise à disposition de la SAS Renault par contrats de mission entre les 17 mai 2017 et 23 janvier 2019.

Par requête du 6 novembre 2019, Mme [T] [U] a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen en requalification de sa relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée, ainsi qu'en paiement de rappels de salaire et d'indemnités.

Par jugement du 12 mars 2021, le conseil de prud'hommes, en formation de départage, a requalifié les contrats de mission en contrat à durée indéterminée à compter du 17 juillet 2017, dit que la rupture de la relation de travail le 24 janvier 2019 constitue un licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamné la SAS Renault à verser à Mme [T] [U] les sommes suivantes :

indemnité de requalification : 1 749,24 euros,

rappel de prime de participation à l'intéressement pour les années 2017-2018 : 1 882,03 euros,

indemnité compensatrice de préavis : 1 749,24 euros brut,

congés payés y afférents : 174,92 euros,

indemnité de licenciement : 765,29 euros,

indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse : 2 623,86 euros,

dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de formation : 500 euros,

dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par le délit de marchandage : 800 euros,

- dit que les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter du 12 novembre 2019, date de réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de jugement et les créances de nature indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du jugement, débouté Mme [T] [U] de sa demande d'indemnité pour non respect de la procédure de licenciement, rappelé qu'en vertu des dispositions de l'article R.1454-28 du code du travail, sont de droit exécutoires à titre provisoire, notamment :

1° Le jugement qui n'est susceptible d'appel que par suite d'une demande reconventionnelle,
2° Le jugement qui ordonne la remise d'un certificat de travail, de bulletins de paie ou de toute pièce que l'employeur est tenu de délivrer,

3° Le jugement qui ordonne le paiement de sommes au titre des rémunérations et indemnités mentionnées au 2° de l'article R.1454-14, dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire. Cette moyenne est mentionnée dans le jugement,

- condamné la SAS Renault à verser à Mme [T] [U] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, fixé à 1 749,24 euros brut la moyenne des 3 derniers mois de salaire et condamné la SAS Renault aux entiers dépens de l'instance.

Le 8 avril 2021,la SAS Renault a interjeté un appel limité aux dispositions ayant requalifié la relation contractuelle et dit que la rupture constitue un licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec toutes conséquences en terme de condamnation.

Par conclusions remises le 4 janvier 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la SAS Renault demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris sur l'ensemble des chefs critiqués,

y ajoutant,

- débouter Mme [T] [U] de sa demande de requalification de son contrat de mission intérimaire,

- débouter Mme [T] [U] de l'ensemble de ses demandes indemnitaires en découlant au titre de l'indemnité de requalification, des dommages et intérêts pour licenciement injustifié, de l'indemnité de préavis, de l'indemnité de licenciement, de la participation et de l'intéressement, de l'obligation de formation, du délit de marchandage, de l'article 700,

- débouter Mme [T] [U] de son appel incident et de l'ensemble de ses demandes,

- condamner Mme [T] [U] à lui verser la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens.

Par conclusions remises le 4 octobre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, Mme [T] [U] demande à la cour de :

- la recevoir en son appel incident,

- confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la requalification des contrats de mission d'intérim en un contrat à durée indéterminée,

- le réformer en ce qu'il a fixé au 17 juillet 2017 le premier jour de ce contrat et en ce qu'il a statué sur les montants de l'indemnité de requalification, de l'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, de l'indemnité de licenciement, des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et manquement à l'obligation de formation, du rappel de participation et intéressement,

- fixer au 17 mai 2017, premier jour du premier contrat de mission, le point de départ du contrat à durée indéterminée,

- condamner la SAS Renault à lui verser les sommes suivantes :

indemnité de requalification : 1 995,18 euros,

indemnité de préavis : 1 995,18 euros,

congés payés sur préavis : 199,52 euros,

indemnité légale de licenciement : 831,31 euros,

dommages et intérêts pour absence de motifs réels et sérieux de la rupture : 3 990,36 euros,

dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de formation : 1 000 euros,

rappel au titre de l'intéressement : 2 067,68 euros,

- confirmer le jugement en toutes ses autres dispositions, notamment quant au délit de marchandage et article 700 du code de procédure civile,

- y ajoutant, condamner la SAS Renault à verser la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en appel, ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 9 février 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I - Sur la demande de requalification

Aux termes de l'article L. 1251-5 du code du travail, le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice.

Selon l'article L. 1251-6, sous réserve des dispositions de l'article L. 1251-7, il ne peut être fait appel à un salarié temporaire que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire dénommée 'mission' et seulement dans des cas limitativement énumérés, comprenant notamment l'accroissement temporaire d'activité et le remplacement d'un salarié absent.

Il incombe à l'entreprise utilisatrice de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat qui s'apprécie à la date de sa conclusion.

Mme [T] [U], expliquant que le recours à l'intérim était une donnée constante chez Renault, et notamment sur le site de [Localité 3] avec une baisse constante de l'effectif en contrat de travail à durée indéterminée, le recours aux contrats précaires se situant à hauteur de 30 % de l'effectif, que d'ailleurs, il a été prononcé des requalifications par différents jugement récents, qu'ayant travaillé plus de 17 mois sur une période de 20 mois (entre les 17 mai 2017 et 23 janvier 2019), avant que ne lui soit dit à l'issue de sa dernière mission qu'il ne serait plus fait appel à ses services, soutient que non seulement le motif de recours au travail temporaire n'est pas justifié, tant pour le remplacement d'une salariée, que pour l'accroissement temporaire d'activité, mais aussi que le recours à l'intérim est un mode de gestion normale ayant pour effet de pourvoir à des emplois durables et permanents, justifiant la requalification à effet au premier jour, soit le 17 mai 2017.

La SAS Renault s'y oppose aux motifs que l'analyse des contrats de mise à disposition révèle qu'il y a été recouru pour les motifs expressément prévus par la loi, que la salariée a d'abord été recrutée pour pourvoir au remplacement en cascade de Mme [R], ce dont elle justifie, puis par quatre contrats à compter du 17 juillet 2017 en raison d'un accroissement temporaire d'activité lié à l'augmentation capacitaire du moteur M, laquelle est également justifiée et qu'en aucun cas, la salariée n'a été mise à sa disposition pour une durée excédant la durée légale.

Si la salariée invoque le besoin structurel de main d'oeuvre par des considérations d'ordre général en lien avec le taux élevé de contrats précaires par comparaison avec les salariés permanents, alors qu'un employeur peut valablement recourir à de tels contrats dès lors qu'il le fait pour les motifs limitativement énumérés dans des conditions régulières et de manière non abusive, il ne peut être retenu que la SAS Renault avait recours au travail temporaire concernant Mme [T] [U] pour pourvoir ainsi durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise, sur la seule base des éléments chiffrés résultant du bilan social de la société, alors même qu'à tout le moins, le recours pour remplacer une salariée absente était régulier.

En effet, le remplacement d'un salarié permet le recours au travail temporaire en cas :

- d'absence

- de passage provisoire à temps partiel conclu par avenant à son contrat de travail ou par échange écrit entre ce salarié et son employeur,

- de départ définitif précédant la suppression de son poste de travail après consultation du comité social et économique, s'il existe,

- d'attente de l'entrée en service effective d'un salarié recruté en contrat de travail à durée indéterminée appelé à le remplacer.

En l'espèce, Mme [T] [U] a été engagée pour remplacer une salariée du 17 mai 2017 au 16 juillet 2017, le motif en est plus précisément le remplacement de Mme [P] [R], 'en prêt, K170,en cascade'.

Alors que l'absence s'entend de celle à son poste habituel, quelqu'en soit le motif, laquelle est justifiée par l'employeur, son remplacement constitue un motif régulier de recours au travail temporaire.

Aussi, aucune requalification n'est encourue sur ce fondement.

S'agissant de l'accroissement temporaire d'activité, la salariée a été mise à disposition en raison de l'augmentation capacitaire du moteur M par les contrats suivants :

- du 17 juillet 2017 au 6 août 2017

- du 25 septembre 2017 au 26 novembre 2017

- du 1er janvier 2018 au 28 juillet 2018

- du 27 août 2018 au 23 janvier 2019.

S'il résulte des pièces produites au débat que la SAS Renault avait mis au point un nouveau moteur M dont le lancement était prévu en 2018, ce qui peut générer un surcroît d'activité à tout le moins lors du démarrage de sa fabrication dès lors qu'elle se fait parallèlement à ceux déjà commercialisés et aurait vocation à s'y substituer, néanmoins, en l'espèce, alors que le Président, M. [S], expliquait en mai 2017 que le moteur R va se stabiliser, voire baisser, alors que le moteur M augmentera fortement, il convient de constater que la prévision de fabrication était stable depuis au moins mars 2017, ainsi que cela résulte des programmes de fabrication versés au débat, le volume étant fixé à 1400 moteurs M/jour et celui du moteur R à 2390 jours avant l'embauche de la salariée pour accroissement temporaire d'activité à compter du 17 juillet 2017, que cette prévision était identique pour le mois de juillet 2017, que la baisse du volume de fabrication du moteur R a été amorcée en janvier 2018, alors que parallèlement le moteur M connaissait aussi un fléchissement net de ses prévisions de fabrication comme se situant alors autour de 1200 moteurs/jour.

Aussi, s'il se trouve ainsi caractérisé un accroissement temporaire d'activité pour les deux premiers contrats souscrits en raison d'un accroissement temporaire d'activité , en revanche cette démonstration n'est plus faite à compter du 1er janvier 2018.

Aussi, par arrêt infirmatif, la cour ordonne la requalification des contrats de mission de Mme [T] [U] à compter du 1er janvier 2018.

II - Sur les conséquences de la requalification

II-1 indemnité de requalification

Le montant minimum de l'indemnité de requalification d'un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée étant calculé sur la moyenne de salaire mensuel dû au titre du contrat dans le dernier état de la relation de travail avant saisine de la juridiction prud'homale, laquelle est déterminée au regard de l'ensemble des éléments de salaire, y compris lorsqu'ils ont une périodicité supérieure au mois, déduction faite des indemnités de fin de mission et compensatrice de congés payés, cette moyenne s'élève à 1 976,98 euros.

Aussi, par arrêt infirmatif, la cour alloue cette somme au titre de l'indemnité de requalification.

II-2 rappel au titre de l'intéressement

Mme [T] [U] sollicite un rappel au titre de l'intéressement et participation pour l'exercice 2018, mais aussi pour le premier semestre 2017.

La SAS Renault s'y oppose dès lors que Mme [T] [U] n'a pas travaillé une année complète en 2017 alors que les accords Renault exigent d'être présent au sein de l'entreprise pour percevoir la prime d'intéressement, précisant aussi que la somme versée au titre de l'année 2018 s'élevait à 1 342,68 euros et non 1 519,56 euros comme sollicité.

Alors qu'il n'est pas versé l'accord d'intéressement prévoyant les conditions d'octroi au sein de la société, que la SAS Renault affirme sans l'établir que le versement est conditionné à la présence sur l'année complète, en considération du temps de présence de la salariée dans l'entreprise, de la requalification à effet au 1er janvier 2018, des sommes qui ont été allouées au cours de l'exercice 2018, la cour alloue la somme de 1 342,68 euros.

III - Sur les conséquences de la rupture

Compte tenu de la requalification prononcée, la rupture intervenue le 23 janvier 2019 s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

III-1 Indemnité de licenciement

Compte tenu de l'ancienneté de Mme [T] [U], incluant son préavis, de 1 an et 1 mois, de la moyenne la plus favorable entre les trois (1827,98 euros) ou les douze derniers mois (1789,61euros) , l'indemnité de licenciement s'élève à :

1827,98 euros x1/4 + 1827,98 euros x 1/12 ème x 1/4 = 609,32 euros

III-2 Indemnité de préavis

Compte tenu du salaire que Mme [T] [U] aurait perçu si elle avait travaillé au cours de son préavis, apprécié sur la base de son salaire moyen au cours des mois complets, la cour par arrêt infirmatif, alloue à la salariée la somme de 1 976,98 euros et les congés payés afférents.

III-3 - Dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Conformément à l'article L. 1235-3 du code du travail, au regard du salaire et de l'ancienneté de Mme [T] [U] qui peut prétendre à une indemnité comprise entre un et deux mois de salaire, la cour confirme le jugement entrepris en ce qu'il lui a alloué 2 623,86 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

IV - Sur la demande de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de formation

Mme [T] [U] sollicite des dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à l'obligation de formation telle que résultant des dispositions de l'article 930-1 du code du travail.

La SAS Renault s'y oppose aux motifs que le fondement invoqué s'applique aux employeurs et non aux entreprises utilisatrices, alors qu'au surplus, la salariée n'apporte aucun élément justifiant de son préjudice.

Il résulte de l'article L. 6321-1 du code du travail, dans sa version applicable à l'espèce, que l'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail. Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations.

En l'espèce, alors que par l'effet de la requalification, la société Renault acquiert la qualité d' employeur de Mme [T] [U], et ne justifie d'aucune formation particulière, si ce n'est l'adaptation nécessaire à chacun des postes occupés, pour autant, Mme [T] [U] n'apporte aucun élément en lien avec une éventuelle difficulté à se réinsérer sur le marché de l'emploi et ne justifie d'aucun préjudice.

Il convient en conséquence d'infirmer le jugement en ce qu'il a fait droit à cette demande.

V - Sur la demande de dommages et intérêts pour délit de marchandage

Selon l'article L 8231-1 du Code du travail, le marchandage, défini comme toute opération à but lucratif de fourniture de main-d'oeuvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu'elle concerne ou d'éluder l'application de dispositions légales ou de stipulations d'une convention ou d'un accord collectif de travail, est interdit.

Aux termes de l'article L 8241-2 du Code du travail, toute opération à but lucratif ayant pour object exclusif le prêt de main d'oeuvre est interdite. Toutefois, ces dispositions ne s'appliquent pas aux opérations réalisées dans le cadre : 1° Des dispositions du présent code relatives au travail temporaire (...). Une opération de prêt de main-d'oeuvre ne poursuit pas de but lucratif lorsque l'entreprise prêteuse ne facture à l'entreprise utilisatrice pendant la mise à disposition, que les salaires versés au salarié, les charges sociales afférentes et les frais professionnels remboursés à l'intéressé au titre de la mise à disposition.

Il ressort de la combinaison de ces deux articles que deux conditions sont nécessaires pour qualifier le délit de marchandage, à savoir, d'une part, l'existence d'une opération à but lucratif de fourniture de main-d'oeuvre, et d'autre part, que cette opération ait pour effet de causer un préjudice au salarié ou d'éluder l'application de dispositions légales.

Or, au vu du dernier alinéa de l'article L 8241-2 du Code du travail, il ne peut être considéré que l'entreprise intérimaire réaliserait une opération de fourniture de main-d'oeuvre à but lucratif en mettant à disposition des salariés au profit d'une entreprise utilisatrice dès lors qu'elle ne facture que les salaires, charges sociales et frais professionnels.

Dès lors, et sans contester la possibilité que l'entreprise utilisatrice puisse être coauteur de ce délit de marchandage en cas de concertation frauduleuse, encore est-il nécessaire qu'il y ait une fourniture de main-d'oeuvre à titre lucratif et le simple fait que l'entreprise utilisatrice, seule, tire un bénéfice d'une mise à disposition illégale par l'obtention d'une plus grande flexibilité, ne peut caractériser la fourniture de main-d'oeuvre à titre lucratif, le texte précisant la fourniture et non pas l'obtention ou l'usage de main-d'oeuvre.

Dès lors, la simple requalification de contrats intérimaires en contrat à durée indéterminée ne permet pas de qualifier le délit de marchandage, sauf à justifier de ce que l'entreprise intérimaire aurait reçu une rémunération complémentaire de l'entreprise utilisatrice, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

Il convient, en conséquence, par arrêt infirmatif, de débouter Mme [T] [U] de sa demande de dommages et intérêts au titre du préjudice résultant du délit de marchandage, étant au surplus relevé qu'elle ne justifie ni d'une intention frauduleuse, ni d'un préjudice.

VI - Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie principalement succombante, il y a lieu de condamner la société Renault aux entiers dépens de première instance et d'appel et de la débouter de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile. De même, il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à Mme [T] [U] la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. Y ajoutant, elle sera condamnée à payer 1 000 euros à Mme [T] [U] au titre des frais irrépétibles engagés en appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a statué sur le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sur les frais irrépétibles et les dépens ;

L'infirme en ses autres dispositions ;

Statuant à nouveau,

Ordonne la requalification de la relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée à effet au 1er janvier 2018 ;

Condamne la SAS Renault à payer à Mme [T] [U] les sommes suivantes :

indemnité de requalification : 1 976,98 euros

intéressement 2018 : 1 342,68 euros

indemnité compensatrice de préavis : 1 976,98 euros

congés payés afférents : 197,69 euros

indemnité légale de licenciement : 609,32 euros

Déboute Mme [T] [U] de ses demandes de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de formation et au titre du délit de marchandage ;

Y ajoutant,

Condamne la SAS Renault aux entiers dépens d'appel ;

Condamne la SAS Renault à payer à Mme [T] [U] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel ;

Déboute la SAS Renault de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile en appel.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/01458
Date de la décision : 13/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-13;21.01458 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award