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11/05/2023 | FRANCE | N°21/01143

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 11 mai 2023, 21/01143


N° RG 21/01143 - N° Portalis DBV2-V-B7F-IW4O





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 11 MAI 2023











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 15 Février 2021





APPELANT :





OFFICE PUBLIC DE L'HABITAT DE ROUEN (OPH [Localité 4] HABITAT)

[Adresse 2]

[Localité 4]



représenté par Me Olivier BODINEAU de la SCP SILIE VERILHAC ET

ASSOCIÉS SOCIÉTÉ D'AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Justine DUVAL, avocat au barreau de ROUEN









INTIMEE :





Madame [D] [Z]

[Adresse 1]

[Localité 3]



représentée par Me Hélène QUESNEL de...

N° RG 21/01143 - N° Portalis DBV2-V-B7F-IW4O

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 11 MAI 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 15 Février 2021

APPELANT :

OFFICE PUBLIC DE L'HABITAT DE ROUEN (OPH [Localité 4] HABITAT)

[Adresse 2]

[Localité 4]

représenté par Me Olivier BODINEAU de la SCP SILIE VERILHAC ET ASSOCIÉS SOCIÉTÉ D'AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Justine DUVAL, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEE :

Madame [D] [Z]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Hélène QUESNEL de la SELARL MOLINERO QUESNEL STRATEGIES, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 15 Mars 2023 sans opposition des parties devant Madame ROGER-MINNE, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame BIDEAULT, Présidente, rédactrice

Madame ROGER-MINNE, Conseillère

Madame POUGET, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

M. GUYOT, Greffier

DEBATS :

A l'audience publique du 15 Mars 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 11 Mai 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 11 Mai 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

L'Office Public de l'Habitat de [Localité 4] (l'office ou l'employeur) est un établissement public local à caractère industriel ou commercial spécialisé dans le secteur d'activité de la location de logements. Il emploie plus de 11 salariés.

Mme [Z] a été mise à disposition de l'OPH par l'entreprise de travail temporaire Promaction aux termes d'un contrat de travail à durée déterminée d'usage en qualité d'assistante de clientèle du 2 janvier 2012 au 31 janvier 2012 après avoir effectué un stage au sein de l'établissement. Différents contrats de travail temporaire se sont succédé jusqu'en février 2014.

Mme [Z] a ensuite été embauchée par l'OPH en qualité d'assistance clientèle catégorie 2, niveau 1 aux termes d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein à compter du 17 novembre 2014.

Mme [Z] a été placée en arrêt de travail à compter du 21 juillet 2015 et n'a jamais repris son poste.

Estimant que son employeur avait gravement manqué à son égard à ses obligations légales et contractuelles, invoquant l'existence d'un harcèlement moral, Mme [Z] a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen le 11 février 2016 d'une demande tendant à voir prononcer la résiliation de son contrat de travail avec tous les effets attachés à un licenciement nul ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse.

A la suite de la visite médicale de reprise du 1er août 2016, le médecin du travail a rendu l'avis suivant: 'Inaptitude pour danger immédiat en une seule visite R 4624-31"

Mme [Z] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 28 septembre 2016 par lettre du 21 septembre précédent, puis licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 12 octobre 2016 motivée comme suit :

' Comme suite à la procédure médicale d'inaptitude engagée, nous vous rappelons les éléments qui nous ont conduits à envisager votre licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Suite à votre visite médicale de reprise du 1er août 2016, vous avez été déclarée inapte au poste d'assistante clientèle en une seule visite ( R 4624-31). Cette inaptitude est d'origine non professionnelle comme l'indique la fiche médicale établie par le Dr [K].

Dans la mesure où vous avez déclaré auprès de la CPAM une maladie professionnelle le 1er avril 2016, nous vous informons que sans qu'il y a ait à ce jour reconnaissance de la maladie professionnelle et avec les plus extrêmes réserves de l'employeur, il a été décidé de façon exceptionnelle de consulter les délégués du personnel sur votre dossier d'inaptitude.

Dans ce cadre, nous avons procédé à une recherche de poste de reclassement parmi les postes à pourvoir dans l'entreprise et/ou en création;

- Responsable de secteur H/GF ( cadre) en CDI

- Ingénieur Informatique H/F ( cadre) en CDI

- Assistant de clientèle H/F (agent de maîtrise) en CDI

- Chargé de relocation principal H/F (agent de maîtrise) en CDI

- Formateur Auditeur H/F (agent de maîtrise) en CDI

- Conseiller Social Principal H/F (agent de maîtrise) en CDI

- Chef d'équipe Atelier de maintenance H/H (agent de maîtrise) en CDI

- Assistant RH2 H/F (cadre) en CDD remplacement maladie puis maternité

- Emploi d'avenir au service qualité H/F en CAE

Nous avons consulté les délégués du personnel le jeudi 15 septembre 2016, pour avis sur ce constat d'impossibilité de reclassement et discussion sur d'éventuelles nouvelles pistes de reclassement vous concernant. A l'unanimité des délégués du personnel présents lors de cette consultation il a été établi qu'il n'existait pas de possibilité de reclassement vous concernant au sein de [Localité 4] Habitat.

Nous avons consulté le médecin du travail sur toutes solutions de reclassement ainsi que sur votre aptitude éventuelle à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise aux fins possibles de mutation, transformation ou aménagement de poste ou encore indications sur votre aptitude à bénéficier d'une formation destinée à vous proposer un poste adapté.

Nous vous avons adressé un courrier recommandé AR le 20 septembre 2016 vous informant de l'impossibilité de reclassement constatée par l'employeur, confirmée lors de la consultation des délégués du personnels le 15/09/2016.

Par courrier recommandé AR du 21 septembre 2016, nous vous avons convoquée à un entretien préalable dans le cadre d'un projet de licenciement pour inaptitude médicale et impossibilité de reclassement.

L'entretien portant sur ce projet de licenciement s'est tenu le 28 septembre 2016 à 14h00 dans le bureau de Monsieur [M] [N], directeur ressources, en présence de Mr [O] [P], délégué du personnel suppléant et membre du CE suppléant, pour vous assister.

Lors de cet entretien, l'ensemble de la procédure vous a été rappelé ainsi que le constat d'impossibilité de reclassement. Vous n'avez exprimé aucun souhait de reclassement au sein de l'Office.

C'est pourquoi au regard de l'examen des postes à pourvoir dans l'Office, de la consultation du Médecin du Travail, de l'avis unanime des délégués du personnel sur l'impossibilité de reclassement dans l'entreprise, nous vous notifions, par la présente, votre licenciement inaptitude médicale et impossibilité de reclassement.

Votre préavis, d'une durée de deux mois, est prévu débuter dès présentation de la présente lettre.

Toutefois, compte tenu de votre inaptitude et de l'impossibilité dans laquelle vous vous trouvez d'effectuer ce préavis, nous vous dispensons de son exécution. Celui-ci sera rémunéré sous forme d'indemnité compensatrice de préavis.

En conséquence, vous cesserez de faire partie de nos effectifs à réception de la présente lettre. (...)'

Dans le cadre de la procédure prud'homale initiale aux fins de résiliation judiciaire de son contrat de travail, la salariée a contesté la licéité et subsidiairement la légitimité de son licenciement.

Par jugement en date du 15 février 2021 le conseil de prud'hommes de Rouen a :

- jugé que la salariée avait été victime de harcèlement moral,

- condamné l'employeur à lui verser les sommes suivantes :

22 500 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

22 500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

1 724,43 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier,

1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire pour ce qui est de droit,

- débouté la salariée du surplus de ses demandes,

- débouté l'employeur de l'ensemble de ses demandes,

- condamné l'employeur aux entiers dépens.

L'Office Public de l'Habitat a interjeté appel le 16 mars 2021 à l'encontre de cette décision qui lui a été notifiée le 4 mars précédent.

Mme [Z] a constitué avocat par voie électronique le 15 avril 2021.

Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 7 décembre 2021, l'employeur appelant sollicite l'infirmation du jugement entrepris en ses dispositions faisant droit aux demandes de la salariée et demande à la cour de :

- débouter la salariée de l'intégralité de ses demandes,

- fixer la moyenne des salaires à la somme de 1 877,58 euros,

- condamner la salariée à lui verser la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 8 septembre 2021, la salariée intimée, appelante incidente, réfutant les moyens et l'argumentation de la partie appelante, sollicite pour sa part l'infirmation partielle de la décision déférée, notamment en ce qu'elle a été déboutée de ses demandes de résiliation judiciaire du contrat de travail, de dommages et intérêts pour manquement aux obligations de prévention du harcèlement moral, de dommages et intérêts pour manquement à l'exécution de bonne foi du contrat de travail et demande à la cour de :

- prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail à la date du 17 octobre 2016 et dire qu'elle produit les effets d'un licenciement nul ou subsidiairement d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamner l'employeur à lui payer la somme de 22 500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou subsidiairement pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamner l'employeur à lui payer la somme de 22 500 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de prévention du harcèlement moral,

- condamner l'employeur à lui payer la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail,

- confirmer le jugement entrepris en ses autres dispositions.

Si la cour devait écarter l'existence d'un harcèlement moral, elle demande la condamnation de son employeur au paiement de :

22 500 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

22 500 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de prévention,

Subsidiairement, si la cour devait la débouter de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit son licenciement nul ou subsidiairement juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- le confirmer en ce qu'il a condamné l'employeur à lui payer 22 500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou subsidiairement pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamner son ancien employeur à lui payer la somme de 22 500 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de prévention du harcèlement moral,

- condamner l'employeur à lui payer la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail,

- confirmer le jugement entrepris en ses autres dispositions.

Si la cour devait écarter l'existence d'un harcèlement moral, elle demande la condamnation de son employeur au paiement de :

22 500 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

22 500 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de prévention,

En tout état de cause :

- condamner l'employeur à lui verser la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des fais irrépétibles exposés en cause d'appel et le condamner aux entiers dépens comprenant les honoraires et frais d'exécution de l'arrêt à intervenir.

L'ordonnance de clôture en date du 23 février 2023 a renvoyé l'affaire pour être plaidée à l'audience du 15 mars 2023.

Il est expressément renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d'appel aux écritures des parties.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1/ Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale de compromettre son avenir professionnel.

L'article L 1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié présente des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

La deuxième partie de ce texte présuppose que les éléments de fait présentés par le salarié soient des faits établis puisqu'il n'est pas offert à l'employeur de les contester mais seulement de démontrer qu'ils étaient justifiés.

Peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de direction mises en oeuvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu'elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En l'espèce, la salariée soutient avoir été victime de harcèlement moral caractérisé par le management autoritaire et le comportement à son égard de Mme [H], sa supérieure hiérarchique.

Elle indique qu'à compter de mars 2015, cette dernière a régulièrement fait des réflexions blessantes en présence de collègues sur de prétendus traits de son caractère tel son égoïsme, sa radinerie ou sur la situation de son mari, gardien d'immeuble. Elle lui reproche en outre d'avoir révélé à au moins un membre de l'équipe les observations qu'elle lui avait faites lors de son entretien annuel d'évaluation. Elle reproche à Mme [H] d'avoir cessé de la saluer le matin, de hurler son prénom pour qu'elle vienne la voir dans son bureau au lieu de la convoquer ou de venir la chercher.

Mme [Z] indique avoir été progressivement mise à l'écart par Mme [H] à partir du jour où l'office a récupéré la gestion d'une résidence étudiante, des tâches subalternes étant exigées de la part de sa supérieure, telle que celle de fermer les fenêtres et volets de son bureau.

Mme [Z] indique ne pas avoir été la seule victime de ces agissements, précise que le CHSCT est intervenu auprès de l'employeur, qu'une enquête interne a été diligentée à la suite de laquelle une procédure de licenciement avec mise à pied conservatoire a été diligentée à l'encontre de Mme [H].

Cependant, la salariée qui indique avoir été placée en arrêt maladie à compter du 21 juillet 2015 au regard de la dégradation de son état de santé, précise avoir été informée du retour le 2 septembre 2015 de Mme [H] au sein de son service, comme si rien ne s'était passé, ce retour plaçant les salariés concernés dans un grand désarroi et obérant toute reprise de poste la concernant.

Au soutien de ses allégations, Mme [Z] produit :

- le compte-rendu de la réunion extraordinaire du CHSCT du 26 juin 2015 faisant suite à l'enquête réalisée suite au signalement d'une salariée mettant en cause Mme [H],

- l'attestation de M. [B], secrétaire du CHSCT, indiquant qu'il est ressorti de l'enquête diligentée que plusieurs personnes autres que Mmes [Z], [A] et [S] avaient été victimes du comportement de Mme [H],

- le courrier de M. [B] adressé à M. [V] le 29 février 2016 lui indiquant que plusieurs salariées étaient concernées par les agissements de Mme [H], que les plaignants devaient être protégés en les éloignant définitivement de cette dernière; faisant état de témoignages tardifs parvenus après l'enquête ; précisant avoir entendu Mme [Z], cette dernière évitant dans un premier temps de critiquer Mme [H] considérant cette dernière à l'origine de son embauche mais manifestant un grand mal être qui s'est traduit par une crise de larmes et le signalement du comportement déviant de Mme [H] ; faisant état de ses inquiétudes liées au fait qu'il était demandé aux salariées en septembre 2015 de travailler à nouveau sous les ordres de Mme [H],

- le compte-rendu de la réunion du 2 septembre 2015 concernant le service attribution actant le retour de Mme [H] au sein du service ainsi que la modification de la localisation et de l'affectation des bureaux afin de limiter la promiscuité et le retrait provisoire de la responsabilité managériale de Mme [H] en direction des assistants clientèle, cette responsabilité revenant au responsable de service, M. [W],

- les attestations de Mmes [A] et [S], collègues de la salariée, relatant l'humiliation de Mme [Z] par Mme [H] lors des réunions, l'existence de moqueries à propos de son manque d'organisation, le ton humiliant utilisé par Mme [H] à l'égard de ses subordonnées, les exigences de Mme [H] concernant la fermeture et l'ouverture de ses stores, le fait que Mme [H] qualifiait Mme [Z] d'égoïste, de pingre ; la dégradation de l'état de santé de Mme [Z], ses crises de larmes, de tremblements, le fait qu'elle se soit progressivement isolée,

- les attestations des membres de sa famille et de son entourage faisant état d'une dégradation de son état de santé, d'une perte de poids de 20 kilogrammes, d'une crise de tétanie suivie d'une hospitalisation en août 2015, de son état de stress extrême en lien avec son activité professionnelle, de sa prise d'anti- dépresseurs,

- la copie de son dossier médical et de ses ordonnances aux fins d'établir la réalité de son suivi et de son traitement,

- la décision de la caisse primaire d'assurance maladie du 6 septembre 2017 de prise en charge de sa pathologie au titre de la législation sur les risques professionnels après avis du CRRMP,

- la notification de la décision relative à l'attribution d'une rente, son incapacité permanente étant fixée à 25 % dont 5 % pour le taux professionnel.

L'employeur conteste la matérialité des faits évoqués soutenant d'une part qu'il ne ressort pas des éléments produits de faits précis et circonstanciés et d'autre part que Mme [Z] n'était pas à l'origine de l'enquête diligentée par le CHSCT, que cette procédure ne la concernait pas, qu'elle n'a travaillé que 7 mois environ avec Mme [H].

Il soutient que Mme [Z], comme deux autres collègues, ont été fortement influencées par l'accusatrice de Mme [H], Mme [G].

Il observe que l'inspection du travail n'a pas été saisie, que dans le cadre de la procédure qu'il a initiée devant le tribunal des affaires de sécurité sociale, un nouveau CRRMP a été saisi aux fins de donner son avis.

L'employeur verse aux débats des attestations de salariés aux fins d'établir l'absence de harcèlement moral au sein de l'office, l'existence d'un environnement de travail apaisé, le fait qu'ils se sentent reconnus et soutenus par Mme [H], que des tensions existaient entre Mme [G] et Mme [H].

Au regard de ces éléments, il y a cependant lieu de constater que les agissements de Mme [H] relatés par Mme [Z] ne résultent pas uniquement des attestations de ses collègues mais également de l'enquête interne diligentée.

Si celle-ci n'a pas été mise en oeuvre à l'initiative de Mme [Z], les documents produits permettent d'établir que les faits reprochés à Mme [H] concernaient plusieurs salariés, dont Mme [Z].

Si l'employeur justifie avoir initié une procédure devant le tribunal des affaires de sécurité sociale aux fins de contester l'opposabilité à son égard de la décision de prise en charge de la caisse de la pathologie de Mme [Z], cette procédure ne remet pas en cause l'origine professionnelle de la maladie reconnue au profit de la salariée par la caisse.

Enfin, si Mme [Z] n'a effectivement travaillé que 7 mois auprès de Mme [H] dans le cadre de son contrat de travail à durée indéterminée, il ressort des éléments produits que lors de ses précédents contrats elle était régulièrement affectée au sein du service de cette dernière.

Il ne ressort cependant pas des pièces produites d'éléments relatifs à la divulgation par Mme [H] du contenu d'un entretien avec Mme [Z].

La salariée établit également l'existence d'actes humiliants à son encontre de la part de sa supérieure hiérarchique, l'existence d'une situation généralisée de souffrance au travail pour plusieurs salariées.

Ainsi, Mme [Z] établit le fait que Mme [H] tenait des propos désobligants sur son caractère en la qualifiant de radine, d'égoïste, qu'elle invoquait la situation de son époux, qu'elle s'adressait à elle en criant son prénom de son bureau pour la faire venir, qu'elle lui reprochait de refuser de fermer et ouvrir les stores de son propre bureau, qu'elle la plaçait dans des situations humiliantes en lui rappelant qu'elle avait été embauchée grâce à elle et, ce, devant des collègues.

Il est établi que cette situation a généré pour Mme [Z] une réelle souffrance relayée auprès de l'employeur par les délégués du personnel et mise en évidence au sein de l'enquête diligentée par le CHSCT.

La cour constate que l'employeur, qui conteste tout acte de harcèlement, n'explique pas les raisons pour lesquelles il a autorisé Mme [H] à reprendre ses fonctions en septembre 2015 au sein du service en lui retirant une partie de ses responsabilités managériales.

Ces éléments établissent ainsi suffisamment des faits répétés qui, pris et appréciés dans leur ensemble, sont de nature à laisser présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral en présence de laquelle l'employeur se doit d'établir que les comportements et faits qui lui sont reprochés étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

Pour démontrer que les faits qui lui sont imputés ne sont pas constitutifs de harcèlement et qu'ils sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, l'employeur verse aux débats des attestations de salariés aux fins d'établir l'absence de faits de harcèlement moral au sein de l'office, les qualités professionnelles reconnues de Mme [H].

Ces témoignages n'apportent cependant aucune explication objective concernant les faits précis dénoncés par la salariée.

Ces éléments sont insuffisants pour contester utilement les pièces versées aux débats par Mme [Z] faisant état de la dégradation de ses conditions de travail en lien avec le comportement de sa supérieure hiérarchique.

Ainsi, à l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que l'employeur échoue à démontrer que les faits matériellement établis par la salariée sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le harcèlement moral est donc établi. Le jugement entrepris est confirmé de chef.

La somme de 7 000 euros est de nature à assurer la réparation intégrale du préjudice causé par le harcèlement moral subi par la salariée. Le jugement entrepris est infirmé de ce chef.

2/ Sur le manquement de l'employeur à son obligation de prévention du harcèlement moral

La salariée soutient que l'employeur a manqué à son obligation de prévention du harcèlement moral puisqu'en permettant à Mme [H] de revenir dans le service, en redéfinissant le lien hiérarchique, l'OPH n'a pas pris les mesures utiles pour préserver la santé mentale de ses salariées dont il connaissait la fragilité. Elle considère que cette décision a anéanti pour elle tout espoir de revenir un jour travailler dans le service.

Elle expose en outre que le médecin du travail, qui avait constaté l'existence de graves dysfonctionnements, a été contrainte d'exercer son droit de retrait après une plainte de l'office auprès de l'ordre des médecins, l'organisme étant en désaccord avec certains de ses avis exprimés dans des dossiers du personnel.

L'employeur conteste tout manquement à l'obligation de prévention.

Sur ce ;

Il résulte de l'article L 1152-4 du code du travail que l'employeur prend toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

Aux termes de l'article L 4121-1 du même code, l'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs et veiller à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

En l'espèce, si l'employeur affirme avoir respecté l'obligation mise à sa charge, il ne résulte pas des pièces et documents produits qu'il a pris toutes les mesures de prévention visées aux articles L 1152-4, L 4121-1 et L 4121-2 du code du travail. Ainsi, l'employeur ne verse pas aux débats le document unique d'évaluation des risques psycho sociaux.

Il n'explique pas les raisons pour lesquelles, à la suite des enquêtes diligentées, il a réintégré Mme [H] au sein de son service, sans respecter la demande des délégués du personnel consistant à éviter toute relation entre les salariées plaignantes et cette dernière.

Il résulte de ces constatations un manquement de l'employeur à son obligation de prévention du harcèlement moral en violation des dispositions de l'article L 1152-4 du code du travail. En conséquence, il sera alloué à la salariée en réparation du préjudice subi des dommages et intérêts à hauteur de la somme précisée au dispositif.

Le jugement entrepris est infirmé de ce chef.

3/ Sur le manquement de l'employeur à l'obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail

La salariée soutient que l'employeur n'a pas exécuté de bonne foi le contrat de travail en ce qu'il a laissé 'pourrir' la situation, soit pour la contraindre à la démission, soit pour attendre une déclaration d'inaptitude plutôt que de traiter le problème à la source et de lui permettre de rester au sein de l'office.

Sur ce ;

Tout comme le salarié, l'employeur est tenu d'une obligation générale d'exécuter de bonne foi le contrat de travail.

Cependant, aux termes de ses conclusions, la salariée sollicite des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail en se référant de manière générale aux mêmes manquements de l'employeur constitutifs de harcèlement moral et de manquement à son obligation de prévention du harcèlement moral sans articuler de moyen spécifique et sans établir un préjudice distinct de ceux précédemment réparés.

Il n'est ainsi pas démontré de fait générateur distinct des différents manquements allégués de nature à fonder spécifiquement une telle demande d'indemnisation.

Cette demande doit en conséquence, par confirmation du jugement entrepris, être rejetée.

4/ Sur la rupture du contrat de travail

En cas d'action en résiliation judiciaire suivie en cours d'instance d'un licenciement, l'examen de la résiliation judiciaire revêt un caractère préalable, dans la mesure où si la résiliation du contrat est prononcée, le licenciement ultérieurement notifié par l'employeur se trouve privé d'effet. L'examen de la légitimité du licenciement n'a donc lieu d'être opéré qu'en cas de rejet de la demande de résiliation judiciaire.

En l'espèce, il y a lieu de constater que les premiers juges ont commis une erreur de droit en statuant en premier lieu sur la légitimité du licenciement.

Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail

Mme [Z] soutient que les faits évoqués au soutien de sa demande de harcèlement moral sont constitutifs d'agissements graves justifiant le prononcé de la résiliation judiciaire. Elle reproche en outre à l'employeur son manquement à l'obligation de prévention du harcèlement moral et son manquement à l'obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail.

L'employeur, qui conteste tout harcèlement moral et tout manquement à ses obligations, conclut au débouté de la demande.

Il observe que cette demande a été présentée moins de six mois avant l'engagement de la procédure de licenciement pour inaptitude, à une époque où la salariée savait pertinemment qu'elle allait être licenciée.

Sur ce ;

La voie de la résiliation judiciaire n'est ouverte qu'au salarié et produit, lorsqu'elle est accueillie, tous les effets attachés à un licenciement nul ou dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Lorsque les manquements de l'employeur à ses obligations légales, conventionnelles ou contractuelles sont établis, ont revêtu une gravité suffisante et empêchent la poursuite du contrat de travail, la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail doit être accueillie.

Il appartient au salarié d'apporter la preuve des manquements invoqués.

Lorsqu'en cours d'instance de résiliation judiciaire le contrat de travail a été rompu, notamment par l'effet d'un licenciement, la date d'effet de la résiliation doit être fixée à la date de rupture effective du contrat, c'est à dire dans l'hypothèse considérée à la date du licenciement.

En l'espèce, il a été précédemment jugé que Mme [Z] avait été victime de harcèlement moral de la part de sa supérieure hiérarchique, que l'employeur avait manqué à son obligation de prévention du harcèlement moral.

Compte tenu des développements précédents, il convient de retenir qu'il s'agit de manquements suffisamment graves pour justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail.

Aussi, et alors qu'elle a été licenciée pour inaptitude le 12 octobre 2016, il convient de prononcer la résiliation judiciaire à cette date, laquelle, justifiée par des faits de harcèlement moral, doit produire les effets d'un licenciement nul.

Conformément à l'article L. 1235-3-1 du code du travail, qui prévoit une indemnisation qui ne peut être inférieure aux six derniers mois de salaire, au regard de l'ancienneté de Mme [Z], mais aussi de l'absence de tout élément sur sa situation professionnelle postérieurement au licenciement, il convient de condamner l'employeur à lui payer la somme de 11 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.

Aux termes de l'article L 1235-4 du code du travail dans sa version issue de la loi du 8 août 2016, dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

Il convient en conséquence de faire application des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail et d'ordonner à l'employeur de rembourser à l'Antenne Pôle Emploi concernée les indemnités de chômage versées à l'intéressée depuis son licenciement dans la limite de trois mois de prestations.

5/ Sur les frais irrépétibles et les dépens

Il serait inéquitable de laisser à la charge de Mme [Z] les frais non compris dans les dépens qu'elle a pu exposer.

Il convient en l'espèce de condamner l'employeur, appelant succombant dans la présente instance, à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel et de confirmer la condamnation à ce titre pour les frais irrépétibles de première instance.

Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de l'employeur les frais irrépétibles exposés par lui.

Il y a également lieu de condamner l'employeur aux dépens d'appel et de confirmer sa condamnation aux dépens de première instance.

Il est précisé que la charge des frais d'exécution forcée est régie par les dispositions d'ordre public de l'article L. 111-8 du code des procédures civiles d'exécution. Le juge du fond ne pouvant statuer par avance sur le sort de ces frais.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement et en dernier ressort ;

Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Rouen du 15 février 2021 sauf en ce qu'il a jugé Mme [Z] victime de harcèlement moral, en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [D] [Z] aux torts de l'employeur avec effet au 12 octobre 2016 ;

Dit que cette résiliation judiciaire produit les effets d'un licenciement nul ;

Condamne l'Office Public de l'Habitat de [Localité 4] à verser à Mme [D] [Z] les sommes suivantes :

7 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par le harcèlement moral,

3 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi en raison du manquement de l'employeur à son obligation de prévention du harcèlement moral,

11 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

Condamne l'Office Public de l'Habitat de [Localité 4] à verser à l'organisme concerné le montant des indemnités chômage versées à Mme [Z] depuis son licenciement dans la limite de 3 mois de prestations ;

Condamne l'Office Public de l'Habitat de [Localité 4] à verser à Mme [D] [Z] la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel ;

Déboute Mme [Z] de ses autres demandes ;

Rejette toute autre demande ;

Condamne l'Office Public de l'Habitat de [Localité 4] aux entiers dépens d'appel.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/01143
Date de la décision : 11/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-11;21.01143 ?
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