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11/05/2023 | FRANCE | N°21/01331

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 11 mai 2023, 21/01331


N° RG 21/01331 - N° Portalis DBV2-V-B7F-IXIH





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 11 MAI 2023











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 25 Février 2021





APPELANTE :





Madame [I] [Z]

Chez M. et Mme [Z]

[Adresse 2]

[Localité 3]



représentée par Me Arnaud ROUSSEL de la SELARL ARNAUD ROUSSEL, avocat au barreau de R

OUEN substituée par Me Virgil SISSAOUI, avocat au barreau de ROUEN





(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2021/005181 du 17/05/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Rouen)







INTIMEE...

N° RG 21/01331 - N° Portalis DBV2-V-B7F-IXIH

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 11 MAI 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 25 Février 2021

APPELANTE :

Madame [I] [Z]

Chez M. et Mme [Z]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Arnaud ROUSSEL de la SELARL ARNAUD ROUSSEL, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Virgil SISSAOUI, avocat au barreau de ROUEN

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2021/005181 du 17/05/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Rouen)

INTIMEE :

Association LA BOUSSOLE

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Florent DUGARD de la SCP VANDENBULCKE DUGARD GAUTIER, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 16 Mars 2023 sans opposition des parties devant Madame BIDEAULT, Présidente, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame BIDEAULT, Présidente

Madame POUGET, Conseillère

Madame DE BRIER, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme WERNER, Greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 16 Mars 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 11 Mai 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 11 Mai 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

L'association La Boussole (l'employeur) est une association de prise en charge de personnes en difficultés, notamment en lien avec des addictions ou maladies chroniques. Elle emploie environ 40 salariés et applique la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées ou handicapées.

Mme [Z] a été embauchée par l'association en qualité d'agent de bureau aux termes d'un contrat de travail à durée déterminée du 15 décembre 2004 au 14 juin 2005, renouvelé par avenants jusqu'au 14 décembre 2006.

A compter du 15 décembre 2006, un contrat de travail à durée indéterminée a été régularisé entre les parties.

Par avenant en date du 1er janvier 2007, la salariée a été promue agent administratif, coefficient 376 puis, à compter du 1er janvier 2008, secrétaire administrative, coefficient 411.

Du 30 avril 2010 au 31 octobre 2011, la salariée a été placée en arrêt de travail.

Conformément aux préconisations du médecin du travail, elle a repris son emploi en mi-temps thérapeutique à compter du 2 novembre 2011.

L'association a fait signer à la salariée un avenant à son contrat de travail le 31 octobre 2012 précisant son passage à un travail à mi-temps à hauteur de 17h30 par semaine.

Elle a repris son emploi à temps plein à compter du 1er octobre 2013.

La salariée a de nouveau bénéficié d'arrêts de travail.

A la suite de la visite médicale de reprise du 15 septembre 2017, le médecin du travail a rendu l'avis suivant: 'reprise à l'essai sous surveillance médicale, en mi-temps par demi-journée sur des tâches administratives, sans contact avec le public. A revoir après 3 semaines.'

Un avenant au contrat de travail a été régularisé entre les parties le 15 septembre 2017 précisant que la salariée était embauchée à 50 % ETP à compter du 11 septembre 2017, la situation contractuelle étant susceptible d'évoluer au-delà du 15 octobre 2017 en fonction de l'avis du médecin du travail.

A compter du 25 septembre 2017, la salariée était placée en arrêt maladie.

A l'issue de la visite médicale du 6 octobre 2017, le médecin du travail a rendu l'avis suivant: 'Inaptitude. Tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé.'

Mme [Z] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 11 décembre 2017 par lettre du 29 novembre précédent puis licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du14 décembre 2017 motivée comme suit :

'Je vous ai convoquée à un entretien préalable pour vous expliquer les raisons qui me faisaient envisager de procéder à la rupture de votre contrat de travail pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement.

Après avoir pris le temps de la réflexion, je vous informe que les circonstances me contraignent à vous licencier pour ce même motif.

Conformément à la loi, les raisons vous en sont expliquées ci-après.

A la suite d'une période d'arrêt maladie, vous avez été examinée par le médecin du travail dans le cadre d'une visite de reprise à l'issue de laquelle le docteur [L] a préconisé un aménagement de votre poste de secrétaire: l'association a donc spécialement aménagé un poste répondant aux préconisations et restrictions des différents avis du médecin du travail.

Compte tenu de la particularité de la situation, le docteur [L] avait préconisé un suivi particulier en évoquant la nécessité de vous revoir régulièrement, et notamment trois semaines après la reprise.

C'est dans ce contexte que vous avez de nouveau été examinée le 6 octobre 2017.

Après avoir procédé à un examen médical et mis en oeuvre les mesures prévues par les dispositions du code du travail, le docteur [L] vous a déclaré inapte à votre poste de secrétaire en considérant que 'tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé.'

J'ai bien évidemment informé les délégués du personne de votre situation et je les ai consultés pour avis.

Il se trouve que compte tenu des dispositions actuellement en vigueur, et de l'avis du médecin du travail constatant votre inaptitude et le fait que tout maintien dans un emploi serait gravement préjudiciable à votre état de santé, je n'ai d'autre choix que de constater votre inaptitude physique et l'impossibilité de pourvoir à tout reclassement.

La rupture de cotre contrat de travail prend effet à compter de l'envoi de la présente: compte tenu de votre incapacité à exécuter tout préavis, aucune indemnité ne vous sera versée à ce titre.(...)'

Invoquant l'existence d'un harcèlement moral, contestant la licéité de son licenciement et estimant ne pas avoir été remplie de ses droits au titre de la rupture de son contrat de travail, Mme [Z] a saisi le 19 septembre 2018 le conseil de prud'hommes de Rouen, qui, par jugement du 25 février 2021 l'a déboutée de l'intégralité de ses demandes, a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile, l'a condamnée aux entiers dépens.

Mme [Z] a interjeté appel le 29 mars 2021 à l'encontre de cette décision qui lui a été notifiée le 15 mars précédent.

L'association a constitué avocat par voie électronique le 13 avril 2021.

Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 8 novembre 2022, la salariée appelante, sollicite l'infirmation du jugement entrepris et demande à la cour de :

- à titre principal : dire et juger nul son licenciement et condamner l'employeur à lui verser la somme de 21 217,68 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- à titre subsidiaire : dire et juger son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner l'employeur à lui verser les sommes suivantes :

21 217,68 euros brut à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

3 857,76 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 385,66 euros au titre des congés payés afférents,

- en tout état de cause :

- condamner l'association à lui verser la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail liée à l'irrégularité de l'avenant du 15 septembre 2017

- ordonner la remise des documents de fin de contrat rectifiés sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document, à compter de la décision à intervenir,

- condamner l'association à lui verser la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article 37 de la loi de 1991,

- condamner l'association aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 28 octobre 2022, l'association intimée, réfutant les moyens et l'argumentation de la partie appelante, sollicite pour sa part la confirmation de la décision déférée en toutes ses dispositions, demande que l'appelante soit déboutée de l'ensemble de ses demandes, condamnée à lui verser la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et condamnée aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture en date du 23 février 2023 a renvoyé l'affaire pour être plaidée à l'audience du 16 mars 2023.

Il est expressément renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d'appel aux écritures des parties.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1/ Sur la demande au titre de l'irrégularité de l'avenant du 15 septembre 2017

La salariée soutient que le médecin du travail ayant préconisé le 15 septembre 2017 'une reprise à l'essai', cet essai se déroule obligatoirement pendant l'arrêt de travail, de sorte que l'employeur n'avait nul besoin de lui faire signer un avenant au contrat de travail, ce dernier étant suspendu du fait de son arrêt maladie.

Au surplus, si la cour devait considérer que cet avenant devait être régularisé alors même qu'elle était toujours en arrêt maladie et que son contrat ne pouvait être modifié, la salarié considère qu'il devait impérativement mentionner la cause et le caractère non définitif du passage à temps partiel. Elle précise en outre qu'alors qu'elle avait sollicité un délai de réflexion pour pouvoir consulter cet avenant et qu'elle avait demandé à l'employeur de lui envoyer antérieurement, cette possibilité lui a été refusée et qu'elle a été contrainte de le signer sous pression de la directrice le 15 septembre 2017.

Elle déduit de ces éléments que l'employeur n'a pas exécuté de bonne foi le contrat de travail et requiert à ce titre sa condamnation au paiement de dommages et intérêts soutenant notamment que le montant de son indemnité de licenciement aurait dû être calculée sur la base d'un temps plein.

L'employeur soutient que la reprise de la salariée ne se situe en aucune manière dans le cadre du dispositif spécifique de l'essai encadré prévue par l'article L 323-3-1 du code de la sécurité sociale. Il indique qu'au jour de la signature de l'avenant la salariée n'était plus en arrêt maladie, qu'une visite de reprise avait eu lieu, que le contrat de travail n'était plus suspendu.

Il précise que la salariée a elle-même sollicité la signature d'un avenant avant même que n'intervienne la visite de reprise, ce qui n'était pas envisageable, l'association devant attendre les préconisations du médecin du travail.

L'employeur considère n'avoir commis aucune irrégularité, constate que l'avenant prévoyait expressément son caractère provisoire, ce dont il résulte qu'il s'agissait d'un aménagement temporaire du temps de travail de la salariée conformément aux préconisations de la médecine du travail.

Enfin, l'employeur conteste la réalité du préjudice subi par la salariée.

Sur ce ;

Afin de faciliter la reprise rapide d'une activité professionnelle, l'accompagnement peut débuter au cours de l'arrêt de travail. En application de l'article L 323-3-1 du code de la sécurité sociale, il prend notamment la forme d'un « essai encadré » ou d'une convention de rééducation professionnelle dont les modalités de mise en oeuvre ont été fixées par le décret n° 2022-373 du 16 mars 2022. Créé par la loi du 2 août 2021, l'essai encadré permet à un salarié en arrêt de travail d'évaluer au sein de son entreprise ou d'une autre, la compatibilité d'un poste de travail avec son état de santé.

En l'espèce, la salariée ne peut prétendre en 2017 avoir relevé de ce dispositif qui n'a été créé que par la loi du 2 août 2021.

La visite médicale de reprise met un terme à la suspension du contrat de travail.

En l'espèce, il ne peut être reproché à l'employeur d'avoir attendu les préconisations du médecin du travail, à l'issue de la visite médicale de reprise du 15 septembre 2017, pour formaliser l'avenant soumis à la signature de la salariée.

En outre, il s'évince de la lecture de l'avenant que l'employeur a spécifiquement mentionné les préconisations du médecin du travail et a précisé 'la situation contractuelle est susceptible d'évoluer au-delà du 15 octobre 2017 en fonction de l'avis du médecin du travail'.

Au regard de ces éléments, il y a lieu, par confirmation du jugement entrepris, de juger qu'aucune irrégularité n'a été commise par l'employeur, qu'il n'est pas établi qu'il n'a pas exécuté de bonne foi le contrat de travail.

2/ Sur le licenciement

A titre principal, la salariée soutient que son licenciement est entaché de nullité, son inaptitude ayant pour origine le harcèlement moral subi.

A titre subsidiaire, elle demande à la cour de juger son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, cause de son inaptitude.

Sur la licéité du licenciement

Le licenciement consécutif à une inaptitude physique du salarié qui trouve son origine dans des faits de harcèlement moral se trouve frappé de nullité.

Aux termes de l'article L 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale de compromettre son avenir professionnel.

L'article L 1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié présente des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

La deuxième partie de ce texte présuppose que les éléments de fait présentés par le salarié soient des faits établis puisqu'il n'est pas offert à l'employeur de les contester mais seulement de démontrer qu'ils étaient justifiés.

Peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de direction mises en oeuvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu'elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En l'espèce, la salariée soutient avoir été victime de harcèlement moral caractérisé par le fait qu'au retour de son premier arrêt maladie en octobre 2013, elle s'est retrouvée en concurrence avec une autre salariée recrutée à temps partiel, sur son propre poste de travail. Elle indique que ses conditions de travail ont été modifiées puisqu'alors qu'elle était préalablement affectée au poste de secrétaire d'accueil, elle se voyait affectée, chaque matin, au service appartement thérapeutique. Elle affirme que la directrice de l'association a imposé qu'elle ne participe à la réunion de l'équipe d'accueil que sur son autorisation, qu'elle a ainsi été mise à l'écart, que la direction a sciemment laissé un climat anxiogène perdurer avec sa collègue à mi-temps sur son poste, que les délégués du personnel se sont émus de cette situation.

Enfin, la salariée indique qu'elle se voyait en permanence donner des ordres et contre-ordres par ses supérieurs hiérarchiques, qu'elle était destinataire de reproches incessants, qu'elle était victime de menace de licenciement. Elle constate que le 17 décembre 2014, la médecine du travail a constaté au sein de l'association l'existence d'altération et d'atteinte à la santé de salariés en lien avec l'organisation du travail, que l'association a commandé un rapport d'évaluation des risques psychosociaux, lequel, remis le 28 février 2017, a mis à jour l'existence d'une 'violence institutionnelle'.

Au soutien de ses allégations, la salariée verse aux débats :

- les comptes-rendus CE/DP des 6 octobre et 18 novembre 2013 au sein desquels les délégués du personnel attirent l'attention de la direction sur les difficultés rencontrées par Mme [Z] et sa collègue, Mme [D], les deux salariés occupant le même poste, mentionnant en outre une situation anxiogène pour les deux salariées,

- les attestations de M. [O] et de Mme [R], anciens collègues, qui relatent le fait que la salariée recevait des ordres et contre-ordres de la part de deux instances hiérarchiques en désaccord, qu'elle se trouvait en concurrence avec Mme [D] sur le même poste de travail, qu'elle vivait dans la peur d'un licenciement, qu'elle a été aperçue à plusieurs reprises sur son lieu de travail en pleurs,

- le témoignage de Mme [G], médecin addictologue, ayant travaillé au sein de l'association de 2007 à 2012 puis à compter de juillet 2017 qui relate une situation de souffrance au travail pour certains salariés au sein de l'association,

- la copie du rapport d'évaluation des risques rendu le 28 février 2017 qui mentionne notamment l'existence d'un climat institutionnel jugé violent, problématique, dysfonctionnel, angoissant, qui précise que certains salariés ont été exposés à des actes de harcèlement,

- la copie de courriers adressés à son employeur au sein desquels elle demande à retrouver ses missions initiales et notamment à participer aux réunions,

- les témoignages de ses proches attestant de la dégradation de son état de santé en lien avec ses difficultés professionnelles,

- le certificat médical établi par le médecin du travail le 19 septembre 2016 à destination d'un de ses confrères indiquant qu'elle présente un syndrome dépressif qui serait en lien avec le travail, précisant ne pas trouver d'autre cause.

En réponse, l'employeur soutient qu'au regard des règles de la prescription, de la saisine par Mme [Z] du conseil de prud'hommes le 19 septembre 2018, la salariée ne peut invoquer des faits antérieurs au 19 septembre 2013 et, concernant les fautes simples relatives à l'exécution du contrat de travail, il considère que seuls peuvent être retenus les faits postérieurs au 19 septembre 2016. Enfin, il affirme que les faits antérieurs à la reprise de septembre 2017 ne peuvent être liés au prononcé de l'inaptitude en ce qu'ils sont 'couverts' par les avis d'aptitude antérieurs.

Il y a lieu de rappeler que l'action fondée sur un harcèlement moral est soumise au délai de prescription de droit commun de 5 ans de l'article 2224 du code civil. En outre, pour apprécier l'existence ou non d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner si les faits pris et appréciés dans leur ensemble laissent présumer une existence de harcèlement moral quelque soit le degré de gravité de la faute commise ou alléguée, étant précisé que les avis d'aptitude ont vocation à mesurer les capacités du salarié à reprendre son emploi et ne peuvent avoir comme finalité de priver le salarié de la possibilité de se prévaloir de faits constitutifs de harcèlement.

Enfin, il sera constaté que la salariée invoque des faits postérieurs à sa reprise de travail le 1er octobre 2013.

Il ressort des éléments produits par la salariée qu'elle établit que lors de sa reprise d'activité à temps plein à compter du 1er octobre 2013, elle s'est retrouvée en concurrence sur son poste avec une autre salariée embauchée à temps partiel au cours de la période pendant laquelle elle travaillait dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique afin de la remplacer et, ce, dans un climat anxiogène, l'employeur ayant à plusieurs reprises fait état de menaces de licenciement, considérant qu'il avait 'trop de secrétaires'.

La salariée établit également l'existence d'ordres et contre-ordres donnés par deux autorités hiérarchiques distinctes, l'existence d'une situation généralisée de souffrance au travail au sein de l'association. Elle démontre l'existence d'une dégradation de son état de santé.

Il est établi que cette situation a généré pour la salariée une réelle souffrance relayée auprès de l'employeur par les délégués du personnel.

Ces éléments établissent ainsi suffisamment des faits répétés qui, pris et appréciés dans leur ensemble, sont de nature à laisser présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral en présence de laquelle l'employeur se doit d'établir que les comportements et faits qui lui sont reprochés étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

Pour démontrer que les faits qui lui sont imputés ne sont pas constitutifs de harcèlement et qu'ils sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, l'employeur verse aux débats des attestations de salariés aux fins d'établir l'absence de faits de harcèlement moral au sein de l'association, le fait qu'à son retour de congé maladie Mme [Z] bénéficiait de son propre bureau, qu'elle n'était pas en contact avec le public conformément aux préconisations du médecin du travail, que la salariée a été bien accueillie lors de son retour, qu'elle a bénéficié d'une réelle attention.

Ces témoignages n'apportent cependant aucune explication objective concernant les faits précis dénoncés par la salariée.

Il conteste le fait que la salarié ait eu accès au rapport d'évaluation des risques psyschosociaux affirmant que la version produite aux débats n'est qu'un document préparatoire non finalisé et observe en tout état de cause que 60 % des salariés ont déclaré n'avoir aucune remarque à formuler concernant un éventuel phénomène de souffrance au travail.

Cependant, si l'association soutient que ce rapport d'évaluation des risques psyschosociaux n'était qu'un document provisoire confidentiel, elle ne justifie pas de l'existence du rapport définitif, ce document faisant état pour certains salariés d'une réelle souffrance au travail et de méthodes de direction mises en oeuvre assimilables à du harcèlement moral.

Ces éléments sont insuffisants à contester utilement les pièces versées aux débats par Mme [Z] faisant état de la dégradation de ses conditions de travail en lien avec le comportement de l'employeur.

En outre, l'employeur ne produit pas d'éléments justifiant l'existence d'ordres et contre-ordres donnés à la salariée.

Ainsi, à l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que l'employeur échoue à démontrer que les faits matériellement établis par la salariée sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le harcèlement moral est donc établi.

Il ressort des éléments médicaux que l'avis d'inaptitude est en lien avec le harcèlement moral subi par la salariée, le médecin du travail précisant au sein de son courrier du 19 septembre 2016 que la salariée présentait un syndrome dépressif qui 'serait' en lien avec le travail.

Il convient en conséquence de retenir que le harcèlement moral est à l'origine de l'inaptitude de Mme [Z] et de dire en conséquence le licenciement nul.

En raison de la nullité du licenciement, la salariée peut prétendre à une indemnité compensatrice de préavis et aux congés payés afférents.

Les sommes sollicitées par l'appelante à ce titre n'étant pas spécifiquement contestées dans leur quantum par l'employeur, il sera fait droit à sa demande.

Enfin, conformément à l'article L. 1235-3-1 du code du travail, qui prévoit une indemnisation qui ne peut être inférieure aux six derniers mois de salaire, au regard de l'ancienneté de Mme [Z] (12 ans), mais aussi de l'absence de tout élément sur sa situation professionnelle postérieurement au licenciement, Mme [Z] se contentant d'indiquer avoir eu de grandes difficultés à retrouver un emploi et percevoir uniquement une pension d'invalidité de catégorie 2, il convient de condamner l'association à lui payer la somme de 17 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.

Aux termes de l'article L 1235-4 du code du travail dans sa version issue de la loi du 8 août 2016, dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

Il convient en conséquence de faire application des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail et d'ordonner à l'employeur de rembourser à l'Antenne Pôle Emploi concernée les indemnités de chômage versées à l'intéressé depuis son licenciement dans la limite de trois mois de prestations.

3/ Sur la remise des documents de fin de contrat

Il sera ordonné la remise par l'employeur des documents de fin de contrat conformes au présent arrêt, sans que le prononcé d'une astreinte soit nécessaire à ce stade de la procédure.

4/ Sur les frais irrépétibles et les dépens

Aux termes de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991, l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle peut demander au juge de condamner la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle à lui payer une somme au titre des honoraires et frais non compris dans les dépens que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide, à charge pour l'avocat s'il a recouvré cette somme de renoncer à percevoir l'aide contributive de l'Etat.

En l'espèce, il y a lieu de constater que la salariée demande qu'il soit fait application de l'article 37 de la loi de 1991 mais ne sollicite pas que l'association soit condamnée à payer cette somme à son avocat mais à elle-même, ce qui n'est pas conforme aux dispositions précitées.

Elle doit en conséquence être déboutée de sa demande formée sur l'article 37 de la loi de 1991.

Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de l'employeur les frais irrépétibles exposés par lui.

Par infirmation du jugement entrepris, l'association sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement et en dernier ressort ;

Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Rouen du 25 février 2021 sauf en ce qu'il a débouté Mme [Z] de sa demande au titre de l'exécution fautive du contrat de travail liée à l'irrégularité de l'avenant du 15 septembre 2017 ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant:

Dit que le licenciement de Mme [I] [Z] est nul ;

Condamne l'association La Boussole à verser à Mme [I] [Z] les sommes suivantes :

3 857,76 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 385,77 euros au titre des congés payés afférents,

17 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

Condamne l'association La Boussole à verser à l'organisme concerné le montant des indemnités chômage versées à Mme [Z] depuis son licenciement dans la limite de 3 mois de prestations ;

Ordonne la remise à Mme [Z] des documents de fin de contrat de travail conformes au présent arrêt ;

Dit n'y avoir lieu à astreinte ;

Rejette toute autre demande ;

Condamne l'association La Boussole aux entiers dépens de première instance et d'appel.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/01331
Date de la décision : 11/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-11;21.01331 ?
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