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11/05/2023 | FRANCE | N°21/01385

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 11 mai 2023, 21/01385


N° RG 21/01385 - N° Portalis DBV2-V-B7F-IXMI





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 11 MAI 2023











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 01 Mars 2021





APPELANTE :





Société AGENET

[Adresse 1]

[Localité 4]



représentée par Me Perrine PINCHAUX, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS








r>INTIMÉE :





Madame [Z] [A]

[Adresse 2]

[Adresse 5]

[Localité 3]



représentée par Me Céline GIBARD, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me François AGUERA, avocat au barreau de ROUEN



































COMPOSITION DE LA...

N° RG 21/01385 - N° Portalis DBV2-V-B7F-IXMI

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 11 MAI 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 01 Mars 2021

APPELANTE :

Société AGENET

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Perrine PINCHAUX, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS

INTIMÉE :

Madame [Z] [A]

[Adresse 2]

[Adresse 5]

[Localité 3]

représentée par Me Céline GIBARD, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me François AGUERA, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 15 Mars 2023 sans opposition des parties devant Madame ROGER-MINNE, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame BIDEAULT, Présidente, rédactrice

Madame ROGER-MINNE, Conseillère

Madame POUGET, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

M. GUYOT, Greffier

DEBATS :

A l'audience publique du 15 Mars 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 11 Mai 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 11 Mai 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

La société Agenet est une société spécialisée dans le secteur d'activité du nettoyage courant des bâtiments. Elle emploie plus de 11 salariés et applique la convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés.

Mme [A] travaille en qualité d'agent de service pour le compte de plusieurs employeurs.

Elle a été embauchée par la société Proimpec aux termes d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel à compter du 23 janvier 2012.

Lors de la reprise du marché Acticall sur lequel elle était affectée, par la société Agenet le 5 août 2014, son contrat de travail a été transféré à la société Agenet avec reprise d'ancienneté au 23 janvier 2012.

Divers avenants ont été signés entre les parties. Au dernier état de la relation contractuelle, la salariée occupait le poste de chef d'équipe d'un bâtiment Acticall avec le coefficient CE2, pour une durée de travail de 114,83 heures par mois et une rémunération brute mensuelle de 1415,85 euros.

Par courrier du 26 août 2018, l'employeur a notifié à la salariée un avertissement en raison du climat régnant sur son périmètre d'encadrement, de son comportement agressif envers certains membres de son équipe et, ce, devant les employés du site.

Mme [A] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 26 octobre 2018 par lettre du 18 octobre précédent, mise à pied à titre conservatoire puis licenciée pour faute grave par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 31 octobre 2018 motivée comme suit :

'Nous vous avons informé en date du 18 octobre 2018 par lettre recommandée avec avis de réception doublée d'une lettre simple, que nous envisagions à votre égard une mesure disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement et nous vous avons convoqué à un entretien préalable le 26 octobre 2018, auquel vous avez souhaité être assisté par M. [Y] [P].

Après examen de votre dossier, nous avons le regret de vous notifier, par la présente, votre licenciement pour les motifs suivants.

Le 18 octobre 2018, vous vous êtes disputées avec M. [M] devant le personnel d'Acticall 2 où vous êtes affectées.

En effet, ce jour-là, lorsque M. [M] est venu vous trouver sur le site d'Acticall 2 afin de vous remettre un badge, vous vous êtes disputés suite à un nouveau reproche que vous lui avez fait. Vous l'avez alors insulté de menteur en hurlant devant le personnel d'Acticall.

Suite à cet événement, nous avons reçu l'ensemble du personnel du site et avons recueilli divers déclarations. Nous avons même réceptionné une pétition à votre encontre de l'ensemble du personnel de votre équipe.

Il s'avère qu'en plus d'avoir eu des paroles déplacé envers M. [M] le 18 octobre 2018, vous êtes coutumières du fait et avez un comportement dévalorisant et préjudiciable envers vos collaborateurs.

Ils sont tous unanime pour dire que vous abusez de votre statut du Chef d'équipe, que vous leur manquez régulièrement de respect, que vous vous permettez de les insulter et même de leur taper sur les mains: ils ont d'ailleurs fait une pétition dans ce sens.

En effet, la pétition que votre équipe nous a écrit stipule: 'Les agissements de Madame [A] [Z], chef d'équipe du site Acticall 2, à leur encontre sont intolérables, inacceptables, préjudiciables, car ils subissent chaque jour des remarques, reproches, insultes (vipère, serpent, des tapes sur les mains...), qui les amènent à un état de découragement, de peur au ventre, de dépression morale...'

Vous avez déjà été reçu pour des faits similaires et malgré un premier avertissement, vous persistez à appliquer un comportement inadapté envers vos collaborateurs.

Votre comportement est inadmissible et préjudiciable au bon fonctionnement des prestations. Votre équipe est découragée et manque totalement de motivation sous la pression que vous leur infligez tous les jours. Votre agressivité est ressentie par toute votre équipe et nous ne pouvons tolérer de tels agissements.

Votre comportement est constitutif d'un manquement grave à vos obligations contractuelles de chef d'équipe.

Notre entreprise ne peut en effet continuer à fonctionner plus longtemps avec une personne qui met à mal le contrat qui nous lie à notre client et décourage son équipe par son comportement agressif.

En conséquence et en fonction des éléments qui précèdent, nous nous voyons dans l'obligation de vous notifier votre licenciement pour faute grave.

Vous cesserez donc définitivement de faire partie du personnel de notre entreprise dès l'envoi de la présente. (...)'

Estimant avoir été victime de harcèlement moral, contestant la légitimité de son licenciement et estimant ne pas avoir été remplie de ses droits au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail, Mme [A] a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen qui, par jugement du 1er mars 2021 a :

- dit et jugé le licenciement de la salariée dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamné le représentant de la société Agenet à lui verser les sommes suivantes :

5 839 euros net à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

2 925,02 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 292,50 euros brut au titre des congés payés afférents,

2 407,15 euros brut au titre de l'indemnité légale de licenciement,

573,43 euros brut au titre du rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire et 57,34 euros brut au titre des congés payés afférents,

- débouté la salariée de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- condamné la société à verser à Mme [A] la somme de 1000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la société de sa demande sur le même fondement,

- ordonné l'exécution provisoire de droit sur le fondement de l'article R 1454-28 du code du travail et sur le fondement de l'article 515 du code de procédure civile,

- condamné la société aux dépens.

La société Agenet a interjeté appel le 1er avril 2021 à l'encontre de cette décision qui lui a été régulièrement notifiée.

Mme [A] a constitué avocat par voie électronique le 8 avril 2021.

Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 26 mai 2021, l'employeur appelant sollicite l'infirmation du jugement entrepris et demande à la cour de :

- juger que le licenciement pour faute grave de Mme [A] est bien fondé avec toutes conséquences de droit,

- débouter Mme [A] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner Mme [A] à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner aux entiers dépens.

Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 23 août 2021, la salariée intimée, appelante incidente, réfutant les moyens et l'argumentation de la partie appelante, sollicite pour sa part la confirmation de la décision déférée dans le principe et le quantum des condamnations mises à la charge de son ancien employeur sauf à porter à 8 750 euros les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, requiert l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au titre du harcèlement moral et la condamnation de l'appelante à lui verser 15 000 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral et 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture en date du 23 février 2023 a renvoyé l'affaire pour être plaidée à l'audience du 15 mars 2023.

Il est expressément renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d'appel aux écritures des parties.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1/ Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale de compromettre son avenir professionnel.

L'article L 1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié présente des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

La deuxième partie de ce texte présuppose que les éléments de fait présentés par le salarié soient des faits établis puisqu'il n'est pas offert à l'employeur de les contester mais seulement de démontrer qu'ils étaient justifiés.

Mme [A] soutient avoir été victime de harcèlement moral de la part de quatre de ses collègues de l'équipe de nettoyage pendant environ deux ans (M. [M], son ex-épouse Mme [V] et les consorts [B] mère et fille) en ce qu'ils n'ont cessé de contester son autorité, qu'ils n'acceptaient aucune remarque ni instruction de sa part. Elle reproche à son employeur de ne pas être intervenu, de l'avoir laissée seule gérer ces tensions.

Elle indique que M. [M], qui ne faisait pourtant pas partie de son équipe, était l'instigateur de cette fronde, qu'il l'a menacée à plusieurs reprises, l'a insultée et l'a même suivie jusqu'à son domicile, ce qui l'a contrainte à déposer trois mains courantes au commissariat en 2016, 2017 et 2018.

L'intimée affirme avoir été victime d'insultes racistes de la part de Mmes [V] et [B] en raison de son origine algérienne.

La salariée indique avoir informé son employeur et plus spécifiquement Mme [D], responsable de l'agence Agenet de Caen, sa supérieure hiérarchique directe, qui n'est pas intervenue, ne lui a apporté aucun soutien.

Au soutien de ses allégations, la salariée verse aux débats :

- les copies de main courante déposées les 7 octobre 2016, 24 février 2017, 18 octobre 2018 faisant état de litiges au travail, de menaces de la part d'un collègue sans toutefois que l'identité de celui-ci ne soit précisée,

- la copie d'un courrier en date du 24 février 2017 au sein duquel elle relate avoir été victime d'une agression verbale et de menaces de coups, sans toutefois que le destinataire de ce courrier ne soit précisé,

- la copie du courrier recommandé du 19 octobre 2018 adressé à son employeur contestant le bien fondé de sa mise à pied conservatoire,

- la copie de nombreux courriels adressés à son employeur au sein desquels elle relate des incidents avec M. [M], Mme [V], le courriel du 22 août 2017 mentionnant une agression verbale, celui du 25 septembre 2018 faisant état de menaces, d'insultes de la part de M. [M], Mme [V] et Mme [B], celui du 2 octobre 2018 mentionnant le fait qu'elle se sent suivie, épiée par M. [M],

- le courrier de la société Agenet en date du 27 mars 2017 aux termes duquel l'employeur interdit à M. [M] de se rendre sur le site de travail de Mme [A] et vice et versa.

L'employeur conteste l'allégation de la salariée selon laquelle il serait demeuré inactif. Après avoir rappelé que les salariés travaillant avec Mme [A] se plaignaient de son comportement, il expose d'une part que celle-ci pouvait entretenir de bonnes relations avec M. [M] et Mme [V], ces derniers l'ayant ainsi assistée lors de l'entretien disciplinaire du 20 août 2018 en qualité de conseillers du salarié, entretien à l'issue duquel elle a été destinataire d'un avertissement.

La société justifie avoir sanctionné Mme [B] d'un avertissement le 20 juillet 2018 pour non-respect des consignes et mauvais comportement envers leur chef d'équipe, Mme [A].

L'employeur soutient être intervenu dès l'origine des tensions afin de tenter de les apaiser mais relate que Mme [A] n'avait de cesse de remettre en question sa supérieure directe, Mme [D] et verse aux débats des mails en ce sens.

Il ressort de ces éléments que si la salariée établit l'existence d'un conflit avec certains de ses collègues, il ressort des pièces produites par l'employeur que ce dernier est régulièrement intervenu pour mettre un terme aux tensions, faisant usage de son pouvoir disciplinaire à l'encontre des intéressés, imposant des interdictions et répondant aux demandes de la salariée, ce dont il résulte qu'il n'est pas demeuré inactif.

En outre, la salariée n'explique pas les raisons pour lesquelles, alors qu'elle soutient l'existence de relations particulièrement dégradées avec M. [M] et Mme [V], elle a fait le choix de solliciter leur assistance lors de l'entretien disciplinaire du 20 août 2018 se contentant d'affirmer avoir souhaité la présence de ces collègues afin qu'ils entendent ses propos.

Ainsi, les pièces produites ne permettent pas d'établir l'existence matérielle de faits précis et concordants qui pris et appréciés dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral à l'encontre de la salariée.

Par confirmation du jugement entrepris, la salariée doit être déboutée de sa demande au titre du harcèlement moral.

2/ Sur le licenciement

Pour satisfaire à l'exigence de motivation posée par l'article L.1232-6 du code du travail, la lettre de licenciement doit comporter l'énoncé de faits précis et contrôlables.

La lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l'employeur, qui fixe les limites du litige, lie les parties et le juge qui ne peut examiner d'autres griefs que ceux qu'elle énonce.

La faute grave s'entend d'une faute d'une particulière gravité ayant pour conséquence d'interdire le maintien du salarié dans l'entreprise.

La preuve des faits constitutifs de faute grave incombe à l'employeur et à lui seul et il appartient au juge du contrat de travail d'apprécier au vu des éléments de preuve figurant au dossier si les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, imputables au salarié, et s'ils ont revêtu un caractère de gravité suffisant pour justifier l'éviction immédiate du salarié de l'entreprise.

En l'espèce, l'employeur reproche à la salariée deux griefs :

- une altercation verbale le 18 octobre 2018 avec M. [M] en présence des salariés d'Acticall,

- un comportement inapproprié, insultant envers les membres de son équipe.

Sur le premier grief

La société verse aux débats le m l reçu le 18 octobre 2918 de Mme [X], salariée de la société Acticall qui l'informe d'une dispute 'qui aurait pu dépasser les bornes' le 18 octobre 2018 entre deux agents d'entretien (un homme et une femme) , précisant qu'un conseiller a dû s'interposer car cela aurait pu 'dégénérer'.

L'employeur indique avoir identifié les deux salariés comme étant Mme [A] et M. [M], s'être déplacé sur le site le lendemain et avoir signifié à chacun une mise à pied conservatoire, M [Y], délégué du personnel, indiquant que Mme [A] a eu des difficultés à obtempérer.

L'employeur établit la matérialité des faits que la salariée ne conteste pas.

Mme [A] indique toutefois que M. [M] aurait été à l'origine de l'altercation. Elle verse aux débats l'attestation de M. [I], conseiller d'Acticall, qui confirme l'existence de l'altercation, indique que 'le monsieur' semblait irrité, qu'il menaçait Mme [A] de la frapper, qu'il l'insultait pour une histoire de tâche noire, que Mme [A] semblait craintive.

Au regard de ces éléments, du fait que l'altercation s'est déroulée sur le site Acticall 2 (tel que mentionné au sein de la lettre de rupture) alors que l'employeur avait clairement signifié à M. [M] l'interdiction de s'y rendre permet de douter de l'imputabilité de la faute à la salariée.

Ce grief ne peut en conséquence justifier le licenciement.

Sur le second grief

L'employeur verse aux débats la pétition reçue le 19 octobre 2018 signée par cinq salariés faisant état d'agissements intolérables de Mme [A] à leur égard. Au sein des attestations établies par ces salariés, ils précisent que leur chef d'équipe se montrait insultante, les traitant de 'vipère, serpent', qu'elle leur assénait parfois des tapes sur les mains, qu'elle leur faisait sans cesse des remarques et des reproches. Ils ont indiqué que ces comportements engendraient chez eux un état de découragement, de peur au ventre, de dépression morale.

Ils ont précisé que M. [M] était un agent exemplaire.

La salariée invoque la prescription des faits au regard de l'avertissement qui lui a été infligé le 26 août 2018 pour son comportement agressif envers certains membres de son équipe, soutenant que l'employeur a épuisé son pouvoir disciplinaire à cette date, qu'il n'établit pas l'existence de faits survenus entre le prononcé de cet avertissement et le licenciement.

Un même fait ne peut être sanctionné deux fois par application de la règle non bis in idem. L'employeur épuise son pouvoir disciplinaire à la date à laquelle il l'exerce. Il ne peut donc invoquer à l'appui d'une nouvelle sanction des faits antérieurs au prononcé d'une première sanction sauf à établir qu'il n'en a eu connaissance que postérieurement.

En l'espèce, il résulte des éléments produits que si l'employeur avait connaissance de certains comportements de la salariée antérieurement et qu'il l'a précédemment sanctionnée en raison de son comportement agressif à l'encontre des membres de son équipe, il n'a été destinataire de la pétition que le 19 octobre 2018 soit postérieurement au prononcé de l'avertissement, qu'il ne ressort pas des éléments produits qu'il ait eu connaissance avant la réception de ce document de faits d'insultes, de brimades tels qu'évoqués.

Au regard de ces éléments, la salariée ne peut invoquer l'application de la règle non bis in idem.

Si la cour constate que la pétition est notamment signée par Mme [B] et Mme [V], salariées avec lesquelles Mme [A] indique être en conflit, il y a lieu de constater qu'elle est également signé par Mme [K] et Mme [E].

Mme [K] atteste avoir été insultée par Mme [A] de 'menteuse, voleuse, bête'. Elle indique avoir entendu cette dernière dire à [G] qu'elle était têtue comme une mule et avoir vu cette dernière pleurer.

Mme [B] précise que Mme [A] l'a insultée, qu'elle lui criait dessus régulièrement, qu'elle a signalé les faits au délégué du personnel, qu'elle a demandé un rendez-vous à l'avocat de la maison de justice de [Localité 6], qu'elle a consulté le médecin du travail en raison du harcèlement au travail qu'elle subissait.

Mme [V] indique avoir été insultée de 'voleuse, menteuse, vipère, envieuse' Mme [A] pensant que d'autres voulaient prendre sa place.

Mme [D], supérieure hiérarchique de la salariée, atteste du fait que cette dernière rencontrait des difficultés dans sa façon de diriger l'équipe de nettoyage, qu'elle a été avertie oralement à plusieurs reprises, qu'elle ne s'est jamais remise en question.

Mme [A] conteste les faits allégués par les salariés. Elle verse aux débats des attestations aux fins d'établir que ses qualités professionnelles étaient reconnues. Elle indique avoir régulièrement alerté l'employeur concernant le conflit relationnel qu'elle entretenait avec M. [M], Mme [V] et Mmes [B].

Il ressort des éléments du dossier que la pétition signée le 19 octobre 2018 par certains salariés s'inscrit dans un contexte conflictuel opposant M. [M] à Mme [A], qu'il ressort de cet écrit que les salariés d'une part se plaignent de leur chef d'équipe et, d'autre part, vantent les mérites de M. [M].

Au regard du contexte précédemment décrit un doute existe quant à la matérialité des faits reprochés à la salariée au sein de cette pétition, celle-ci apparaissant destinée à soutenir M. [M], signée par des salariées en conflit avec Mme [A], la cour constatant en outre que Mme [E] n'a pas attesté.

Le témoignage de Mme [K], identique dans son contenu à ceux rédigés par les salariés en conflit avec Mme [A] n'est pas suffisant à établir avec certitude la matérialité des faits reprochés.

Le doute devant profiter à la salariée, la cour considère que ce grief ne peut légitimer le licenciement prononcé.

Au regard de ces éléments, il y a lieu, par confirmation du jugement entrepris, de juger le licenciement de la salariée dépourvu de cause réelle et sérieuse.

La salariée est par conséquent en droit de prétendre, non seulement aux indemnités de rupture (indemnité compensatrice de préavis augmentée des congés payés afférents, indemnité légale ou conventionnelle de licenciement), mais également à des dommages et intérêts au titre de l'absence de cause réelle et sérieuse de licenciement ainsi qu'à un rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire injustifiée.

Les parties s'opposent sur le salaire moyen de Mme [A]. La salariée soutient que la moyenne de salaire est de 1 462,51 euros alors que l'employeur retient la somme de 1 375,81 euros.

Il y a lieu de constater que l'avenant au contrat de travail de la salariée du 21 mars 2018 mentionne un salaire brut mensuel de 1 415,85 euros pour 114,83 heures, qu'il n'est pas établi que la durée de travail de la salariée ait été réduite.

Il ressort de la moyenne des trois derniers mois complets de salaire (juillet, août et septembre 2018) que le salaire moyen s'élève à 1 449,36 euros.

Au regard de ces éléments, il y a lieu de faire droit aux demandes formées par la salariée au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, de l'indemnité légale de licenciement et du rappel de salaire à hauteur des sommes mentionnées au dispositif.

Compte-tenu de la date du licenciement sont applicables les dispositions de l'article L 1235-3 du code du travail dans sa version issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.

Selon ces dispositions si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, en cas de refus de la réintégration du salarié dans l'entreprise, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par ledit article, en fonction de l'ancienneté du salarié dans l'entreprise et du nombre de salariés employés habituellement dans cette entreprise.

Pour une ancienneté de 6 années dans une entreprise employant habituellement plus de onze salariés, l'article L. 1235-3 du code du travail prévoit une indemnité comprise entre trois et sept mois de salaire.

La salariée ne justifie pas de sa situation actuelle.

En considération de sa situation particulière et eu égard notamment à son âge (56 ans), à l'ancienneté de ses services, à sa formation et à ses capacités à retrouver un nouvel emploi, la cour dispose des éléments nécessaires pour évaluer la réparation qui lui est due à la somme justement fixée par les premiers juges. Le jugement entrepris est confirmé de ce chef.

Aux termes de l'article L 1235-4 du code du travail dans sa version issue de la loi du 8 août 2016, dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

Il convient en conséquence de faire application des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail et d'ordonner à l'employeur de rembourser à l'Antenne Pôle Emploi concernée les indemnités de chômage versées à l'intéressée depuis son licenciement dans la limite de trois mois de prestations.

3/ Sur les frais irrépétibles et les dépens

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la salariée les frais non compris dans les dépens qu'elle a pu exposer.

Il convient en l'espèce de condamner l'employeur, appelant succombant dans la présente instance, à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel et de confirmer la condamnation à ce titre pour les frais irrépétibles de première instance.

Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de l'employeur les frais irrépétibles exposés par lui.

Il y a également lieu de condamner la société appelante aux dépens d'appel et de confirmer sa condamnation aux dépens de première instance.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement, en dernier ressort ;

Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Rouen du 1er mars 2021 sauf en ses dispositions relatives au montant de l'indemnité compensatrice de préavis, du rappel de salaire et des congés payés afférents ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant:

Condamne la société Agenet à verser à Mme [Z] [A] les sommes suivantes :

2 898,72 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 289,87 euros au tire des congés payés afférents,

568,37 euros à titre de rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire outre 56,83 euros au titre des congés payés afférents,

Condamne la société Agenet à verser à l'organisme concerné le montant des indemnités chômage versées à Mme [A] depuis son licenciement dans la limite de 3 mois de prestations ;

Condamne la société Agenet à verser à Mme [Z] [A] la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel ;

Rejette toute autre demande ;

Condamne la société Agenet aux entiers dépens d'appel.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/01385
Date de la décision : 11/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-11;21.01385 ?
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