N° RG 21/02426 - N° Portalis DBV2-V-B7F-IZRJ
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 29 JUIN 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DU HAVRE du 28 Mai 2021
APPELANTE :
S.A.S. APEN
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Stanislas MOREL de la SCP DPCMK, avocat au barreau du HAVRE substituée par Me Xavier D'HALESCOURT, avocat au barreau du HAVRE
INTIME :
Monsieur [Y] [L] [D]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représenté par Me Nathalie VALLEE de la SCP VALLEE-LANGUIL, avocat au barreau de ROUEN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 23 Mai 2023 sans opposition des parties devant Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
Madame BERGERE, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme WERNER, Greffière
DEBATS :
A l'audience publique du 23 Mai 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 29 Juin 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 29 Juin 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [Y] [L] [D] a été engagé par la société Lancry en qualité d'agent de sécurité par contrat de travail à durée indéterminée du 28 septembre 2015.
Par avenants des 1er octobre 2016 et 29 mai 2019, le contrat de travail a été successivement transféré à la société Potentialis et à la SAS APEN, avec reprise de son ancienneté au 28 septembre 2015.
Les relations contractuelles des parties étaient soumises à la convention collective des entreprises de prévention et de sécurité.
Par requête du 26 juin 2020, M. [Y] [L] [D] a saisi le conseil de prud'hommes du Havre en résiliation judiciaire du contrat de travail.
Déclaré inapte à son poste par le médecin du travail le 12 novembre 2020, le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement a été notifié au salarié le 11 décembre 2020.
Par jugement du 28 mai 2021, le conseil de prud'hommes a débouté M. [Y] [L] [D] de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur, dit que le licenciement de M. [Y] [L] [D] est dépourvu de cause réelle et sérieuse, condamné la SAS APEN, prise en la personne de son représentant légal, à payer à M. [Y] [L] [D] les sommes suivantes :
indemnité compensatrice de préavis : 3 131,38 euros,
congés payés afférents : 313,13 euros ,
indemnité légale de licenciement : 1 667,79 euros
solde d'indemnité légale de licenciement : 283,84 euros,
indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 6 262,76 euros,
indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile : 1 500 euros
dit que les intérêts légaux commenceront à courir à compter de la réception par le défendeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation soit le 30 juin 2020 pour les éléments de salaire et à compter de la mise à disposition du jugement pour les autres sommes, ordonné l'exécution provisoire pour la totalité du jugement, débouté la SAS APEN de l'ensemble de ses demandes, fixé en application de l'article R. 1454-28 du code du travail, la moyenne des trois derniers mois de salaire de M. [Y] [L] [D] à la somme de 1 565,69 euros, en vertu de l'article L1235-4 du Code du travail, ordonné le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage, condamné la SAS APEN aux éventuels dépens et frais d'exécution du jugement.
La SAS APEN a interjeté un appel limité le 11 juin 2021.
Par conclusions remises le 8 septembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la SAS APEN demande à la cour de :
- infirmer le jugement en ce qu'il a dit que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et en ce qu'il l'a en conséquence, condamnée au paiement du préavis, des congés payés sur préavis, d'un solde d'indemnité légale de licenciement, de dommages et intérêts et d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
statuant à nouveau,
- dire que la société n'a manqué à aucune de ses obligations au titre du reclassement du salarié suite à son inaptitude,
- débouter M. [Y] [L] [D] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- condamner M. [Y] [L] [D] au paiement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de la procédure.
Par conclusions remises le 2 décembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, M. [Y] [L] [D] demande à la cour de :
- le juger recevable et bien-fondé en son appel et en ses demandes,
y ajoutant,
- rejeter toute demande, fin et conclusion contraire de la société APEN,
- réformer le jugement rendu en ce qu'il l'a débouté de sa demande de résiliation de son contrat de travail aux torts de son employeur,
statuant à nouveau,
- prononcer la résiliation du contrat de travail à la date du 15 décembre 2020 aux torts exclusifs de la société APEN, et dire que cette résiliation produira les effets d'un licenciement sans cause réelle ni sérieuse,
- condamner la société APEN à lui verser les sommes suivantes :
dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse : 15 656,90 euros,
indemnité compensatrice de préavis : 3 131,38 euros,
congés payés y afférents : 313,13 euros,
subsidiairement,
- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que le licenciement est dépourvu de toute cause réelle et sérieuse,
- le réformer sur les sommes allouées et statuant à nouveau, condamner la société APEN au paiement des sommes suivantes :
dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse : 15 656,90 euros,
indemnité compensatrice de préavis : 3 131,38 euros,
congés payés y afférents: 313,13 euros,
en tout état de cause,
- confirmer la décision entreprise s'agissant du principe du solde dû au titre de l'indemnité légale de licenciement,
- débouter la société APEN de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner en cause d'appel la société APEN au paiement d'une indemnité d'un montant de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 4 mai 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I - Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail
M. [Y] [L] [D] soutient que l'employeur a manqué gravement à ses obligations en lui imposant une mobilité alors qu'il n'est pas titulaire du permis de conduire et n'a jamais travaillé qu'à la surveillance du magasin Boulanger de [Localité 9], qu'il lui a proposé une modification de son temps de travail en septembre 2019 pour le réduire à 75 heures et qu'il a reçu des plannings lui imposant de travailler au [Localité 7] ou à [Localité 3].
La résiliation judiciaire du contrat de travail peut être prononcée si l'employeur n'exécute pas ses obligations contractuelles et que les manquements sont d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail.
Lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d'autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée. C'est seulement dans le cas contraire qu'il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l'employeur.
La résiliation judiciaire du contrat de travail prend effet au jour où le juge la prononce, dés lors qu'à cette date le salarié est toujours au service de son employeur.
Lorsque le salarié n'est plus au service de son employeur au jour où il est statué sur la demande de résiliation judiciaire, cette dernière prend effet, si le juge la prononce, au jour du licenciement ou au jour de la prise d'acte de rupture ou au jour à partir duquel le salarié a cessé de se tenir à la disposition de son employeur.
Dans le cadre d'une procédure conventionnelle de transfert du personnel en application de l'accord du 28 janvier 2011, étendu par arrêté du 29 novembre 2012 relatif à la reprise du personnel conformément à la convention collective des entreprises de prévention et de sécurité par suite de la reprise du marché des magasins Boulanger sur la région havraise, le contrat de travail a été transféré à la SAS APEN à compter de mai 2019.
Il n'est pas discuté que l'avenant soumis au salarié le 29 mai 2019 dans le cadre de ce transfert, n'a pas été signé comme comportant une modification quant au secteur de son activité en ce qu'il visait les [Localité 5].
Il en résulte que les relations contractuelles des parties étaient soumises aux clauses du contrat de travail initial.
Selon ce contrat, s'agissant du lieu de travail et de la mobilité géographique, il était prévu que :
'Vos lieux de travail sont ceux des clients de l'établissement, tels qu'ils résultent de votre planning prévisionnel ou modifié. Ces sites pourront être ceux d'un ou plusieurs clients et vous pourrez être affecté indifféremment, successivement ou alternativement sur l'un quelconque de ces sites, en fonction des nécessités, urgences ou priorités de services et d'organisation justifiés par la vocation et la nature des prestations de la société.'
Il était précisé que la mobilité géographique s'exerçait sur les départements 76, 27, 14, 50 et 61, soit l'ensemble de la [Localité 10].
Un nouvel avenant a été soumis au salarié le 9 septembre 2019 pour réduire son temps de travail à 75 heures mensuelles, également non signé.
Il résulte des plannings produits au débat qu'à compter de juin 2019, M. [Y] [L] [D] a été affecté sur le site de plusieurs clients de l'employeur (Boulanger, LH Leclerc, Intermarché), tous situés en [Localité 10] ([Localité 9], [Localité 4], [Localité 8], [Localité 3]).
Même si M. [Y] [L] [D] a été affecté sur le site du magasin Boulanger à [Localité 9] depuis l'origine de la relation contractuelle en septembre 2015 jusqu'en juin 2019, compte tenu de la clause du contrat qui permettait une affectation selon les besoins de l'employeur sur un quelconque site en [Localité 10], son affectation sur d'autres sites dans le secteur visé contractuellement n'est pas constitutif d'un manquement de l'employeur, étant observé que si le salarié évoque une affectation au [Localité 7], soit en dehors de ce périmètre géographique, celle-ci n'est corroborée par aucun élément du dossier.
S'agissant de l'avenant proposant une réduction significative du temps de travail, outre que l'employeur en conteste en être à l'origine, expliquant avoir répondu ainsi à une demande du salarié, en tout état de cause, cet avenant n'a pas été signé et il ne résulte pas de l'examen des plannings que le salarié a subi une réduction de son temps de travail.
Aussi, même si le salarié a été en arrêt de travail à plusieurs reprises :
- du 20 août au 5 septembre 2019
- du 14 novembre 2019 au 11 janvier 2020
- du 27 au 31 janvier 2020
- 10 avril 2020,
outre que le motif de ses arrêts n'est pas connu, il ne peut être fait aucun lien avec une éventuelle dégradation des conditions de travail du salarié et des manquements de l'employeur.
Aussi, la cour confirme le jugement entrepris ayant rejeté la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail.
II - Sur le licenciement
La SAS APEN soutient avoir fait toutes les démarches et engagé toutes les recherches nécessaires pour reclasser le salarié compte tenu des conclusions du médecin du travail qui limitaient grandement les possibilités de reclassement offertes, précisant que seuls des postes d'agents de sécurité étaient disponibles et que la majeure partie de son activité se réalise dans la région des [Localité 5], ce que le salarié excluait totalement.
M. [Y] [L] [D] fait valoir que l'employeur, qui fait partie d'un groupe, n'apporte aucun élément permettant d'en connaître le périmètre, ne communique pas le registre unique du personnel, n'établit pas avoir régulièrement consulté les membres du CSE, de sorte que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
Selon l'article L. 1226-2 du code du travail, lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.
Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.
Cette proposition prend en compte, après avis du comité social et économique lorsqu'il existe, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté.
L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.
Si la preuve de l'exécution de l'obligation de reclassement incombe à l'employeur, il appartient au juge, en cas de contestation sur l'existence ou le périmètre du groupe de reclassement, de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments qui lui sont soumis par les parties.
Suivant avis du 12 novembre 2020, le médecin du travail a déclaré le salarié inapte au poste précédemment occupé, précisant que seul un poste sans position debout, ni marche prolongée pourrait convenir.
Le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement a été notifié au salarié le 11 décembre 2020.
Si la SAS APEN verse au débat quelques mails pour établir qu'elle aurait recherché une possibilité de reclassement, outre que ces éléments sont insuffisants pour établir le caractère exhaustif de sa démarche sur l'ensemble des structures du groupe, elle n'apporte aucun élément permettant de vérifier la réalité de la consultation obligatoire du comité social et économique, ni d'éléments établissant l'impossibilité d'aménager un poste prenant en compte les contraintes décrites par le médecin du travail, lequel n'excluait pas nécessairement une affectation sur un poste d'agent de sécurité, mais dans des conditions dans lesquelles il ne serait pas resté debout et aurait été soumis à une marche prolongée.
Il en résulte que l'employeur n'a pas rempli sérieusement et loyalement son obligation de reclassement ce qui le rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse, comme justement retenu par les premiers juges qui sont ainsi confirmés.
III - Sur les conséquences du licenciement
Alors que les parties s'accordent sur le montant du salaire de référence, 1 565,69 euros, que ne sont pas sérieusement remises en cause les sommes allouées au titre du l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, la cour confirme le jugement entrepris ayant statué sur ces points.
S'agissant de l'indemnité légale de licenciement, alors que l'examen du bulletin de paie de décembre 2020 permet de constater qu'une somme à hauteur de 1 383,95 euros a été réglée à ce titre, la cour infirme le jugement entrepris ayant condamné l'employeur au paiement de l'indemnité légale de licenciement, seul un solde restant dû dès lors que l'employeur n'apporte aucune critique au soutien de sa demande d'infirmation, de sorte que la cour confirme le jugement entrepris l'ayant condamné à verser au salarié la somme de 283,84 euros.
Concernant les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, compte tenu de l'ancienneté de 5 ans, l'indemnité se situe entre 3 et 6 mois de salaire.
M. [Y] [L] [D], âgé de 51 ans au moment de la rupture du contrat de travail, a perçu l'allocation de retour à l'emploi à compter du 12 juillet 2022, après avoir travaillé pendant un an comme agent de sécurité du 23 juin 2021 au 17 juin 2022 pour le Grand casino du [Localité 6].
Aussi, les premiers juges ont fait une juste appréciation de la réparation devant lui être allouée.
Les autres points du jugement non critiqués sont confirmés.
III - Sur les dépens et frais irrépétibles
En qualité de partie principalement succombante, la SAS APEN est condamnée aux entiers dépens, déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et condamnée à payer à M. [Y] [L] [D] la somme de 1 500 euros en cause d'appel, en sus de la somme allouée en première instance pour les frais générés par l'instance et non compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SAS APEN à payer la somme de 1 667,79 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement ;
Statuant à nouveau,
Déboute M. [Y] [L] [D] de sa demande au titre de l'indemnité légale de licenciement;
Le confirme en ses autres dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne la SAS APEN aux entiers dépens d'appel ;
Condamne la SAS APEN à payer à M. [Y] [L] [D] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel ;
Déboute la SAS APEN de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile en appel.
La greffière La présidente