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29/06/2023 | FRANCE | N°21/02452

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 29 juin 2023, 21/02452


N° RG 21/02452 - N° Portalis DBV2-V-B7F-IZTD





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 29 JUIN 2023











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 31 Mai 2021





APPELANTE :





Madame [Z] [P]

[Adresse 1]

[Localité 3]



représentée par Me Philippe DUBOS de la SCP DUBOS, avocat au barreau de ROUEN







INTIME

E :





S.A.S ALLEGRA BEAUTY SPA

[Adresse 2]

[Localité 4]



représentée par Me Vincent MOSQUET de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Pierre AUDIGUIER, avocat au barreau de PARIS




















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N° RG 21/02452 - N° Portalis DBV2-V-B7F-IZTD

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 29 JUIN 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 31 Mai 2021

APPELANTE :

Madame [Z] [P]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Philippe DUBOS de la SCP DUBOS, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEE :

S.A.S ALLEGRA BEAUTY SPA

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Vincent MOSQUET de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Pierre AUDIGUIER, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 24 Mai 2023 sans opposition des parties devant Madame BERGERE, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

M. GUYOT, Greffier

DEBATS :

A l'audience publique du 24 Mai 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 29 Juin 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 29 Juin 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [Z] [P] a été engagée par la société Allegra Beauty Spa en qualité d'esthéticienne par contrat de travail à durée indéterminée du 2 mai 2016.

Les relations contractuelles des parties étaient soumises à la convention collective de l'esthétique, cosmétique et enseignement associé.

Mme [P] a été placée en arrêt de travail à compter du 3 mars 2019.

Par une lettre recommandée avec accusé de réception reçue le 10 mai 2019, Mme [P] a pris acte de la rupture de son contrat de travail.

Par requête du 29 mai 2020, Mme [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen en requalification de sa prise d'acte en rupture aux torts de l'employeur, ainsi qu'en paiement de rappels de salaire et d'indemnités.

Par jugement du 31 mai 2021, le conseil de prud'hommes a dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail produit les effets d'une démission, débouté Mme [P] de l'ensemble de ses demandes, condamné Mme [P] à verser à la société Allegra Beauty Spa au titre du préjudice subi du fait du non-accomplissement du préavis la somme de'1 500 euros, débouté la société Allegra Beauty Spa du surplus de ses demandes, ordonné l'exécution provisoire pour ce qui est de droit, condamné la partie perdante aux dépens.

Mme [P] a interjeté appel de cette décision le 15 juin 2021.

Par conclusions remises le 2 septembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, Mme [Z] [P] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, statuant à nouveau, à titre principal, dire que la prise d'acte de la rupture est fondée et justifiée sur un grief de harcèlement moral et qu'en conséquence elle a les effets d'un licenciement nul, à titre subsidiaire, dire et juger que la prise d'acte de rupture est fondée et justifiée sur des griefs lui conférant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamner la société Allegra Beauty Spa à lui verser les sommes suivantes :

rappel de salaire pour heures supplémentaires : 9 768,22 euros,

congés payés y afférents : 976,82 euros,

dommages et intérêts pour travail dissimulé : 12 866,40 euros,

indemnité de préavis : 4 288,80 euros,

congés payés sur préavis : 428,88 euros,

indemnité de licenciement : 1 608,30 euros,

dommages et intérêts (effets d'un licenciement nul) : 7 466,40 euros,

à défaut dommages et intérêts (effets licenciement non causé) : 4 977,60 euros,

dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de formation : 2 000 euros,

- dire et juger que les sommes porteront intérêts à compter de la saisine de la juridiction prud'homale, rejeter toutes les demandes de la société Allegra Beauty Spa et la condamner à lui payer la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens, ordonner l'exécution provisoire lorsqu'elle n'est pas de droit.

Par conclusions remises le 28 avril 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la société Allegra Beauty Spa demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme [P] de toutes ses demandes et en ce qu'il l'a condamnée à lui verser la somme de 1 500 euros en réparation du préjudice subi du fait du non-accomplissement du préavis, en conséquence, débouter Mme [P] de l'ensemble de ses demandes, condamner Mme [P] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais engagés en première instance et en appel, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 4 mai 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I - Sur les demandes au titre de l'exécution du contrat de travail

I - a) Sur les heures supplémentaires

Aux termes de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte des articles L. 3171-2 à L. 3171-4 du code du travail, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Seules les heures effectuées à la demande de l'employeur ou avec son accord, donnent droit à rémunération, étant précisé que l'accord peut être implicite. De même, lorsque la réalisation de ces heures a été rendue nécessaire par les tâches confiées au salarié, celui-ci a droit à la rémunération de ses heures supplémentaires.

En l'espèce, au soutien de sa demande, Mme [P] a établi un tableau dactylographié reprenant son temps de travail quotidien et hebdomadaire en distinguant les heures supplémentaires majorées à 25 % et à 50 % du 1er janvier 2017 au 26 février 2019. Ce document est accompagné de la copie d'un cahier dans lequel il est indiqué jour par jour ses horaires de travail et ses temps de pause, précisant qu'étant la seule esthéticienne titulaire du brevet professionnel, le salon ne pouvait être ouvert hors sa présence, ce qui explique l'amplitude horaire de ses journées, bien au-delà de 35 heures par semaine.

Il s'agit d'éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre.

À ce titre, la société Allegra Beauty Spa fait valoir que ses salariés sont soumis aux horaires d'ouverture de l'institut à savoir de 10h à 18h, les lundi et samedi et de 10h à 19h les mardi, mercredi et jeudi, qu'à ce titre, Mme [P] n'avait pas à arriver à 9 heures comme elle l'indique dans ses relevés d'heures, qu'au demeurant, ainsi que cela résulte de ses propres déclarations devant les services de gendarmerie dans le cadre de la plainte pénale qu'elle a déposée pour harcèlement moral, Mme [U], la gérante, lui a reproché d'arriver avant 10 heures, n'ayant pas à se trouver sur son lieu de travail avant l'ouverture de l'institut, et que pour autant, elle n'a pas tenu compte de ses remarques. Elle précise, planning des rendez-vous de l'institut sur les années 2017 et 2018 à l'appui, que les attributions confiées à Mme [P] en tant que responsable de l'institut pouvaient parfaitement être exécutées sur son temps de travail aux horaires d'ouverture de l'institut, puisqu'elle n'était pas constamment en rendez-vous clients et qu'elle bénéficiait donc, chaque jour, de plages horaires lui permettant d'accomplir les tâches administratives qui lui étaient confiées en qualité de responsable.

Par ailleurs, la société Allegra Beauty Spa rappelle qu'en tant que responsable, Mme [P] était chargée de rendre compte mensuellement des heures effectuées par chacune des salariées de l'institut ainsi que du chiffre d'affaire et qu'à ce titre, elle n'a jamais déclaré les heures supplémentaires qu'elle réclame dans le cadre de la présente instance et que lorsqu'elle a déclaré des heures supplémentaires, elles ont toujours été compensées par l'octroi de repos compensateurs.

Ainsi, alors que dans son décompte, la salariée déclare avoir réalisé au mois de juin 2018, 31 heures supplémentaires (9 heures pendant la semaine 21, 5 heures pendant la semaine 22, 8,5 pendant la semaine 23 et 8, 5 heures pendant la semaine 24), au mois d'août 2018, 16 heures supplémentaires et au mois de septembre 2018, 22 heures supplémentaires, par mail du 30 juin 2018, Mme [P] a déclaré à son employeur 4 heures supplémentaires pour la semaine 21, aucune pour la semaine 22, 9 heures pour la semaine 23 et 8 heures pour la semaine 24, sollicitant en compensation trois jours de repos les 13 juillet, mardi 17 juillet et jeudi 2 août, qui ont été acceptés par l'employeur et effectivement posés. De même, par mail du 31 août 2018, la salariée indiquait 'pas d'heures supp ni problèmes à déclarer' et par mail du 1er octobre 2018, elle transmettait à la responsable administrative le chiffre d'affaire du mois de septembre 2018, précisant 'aucun CP ni heures supplémentaires à déclarer'.

Au demeurant, si l'employeur rapporte la preuve, pour les mois de juin, août et septembre 2018, que les heures supplémentaires revendiquées ne correspondent pas aux déclarations contemporaines de leur exécution et spontanées de Mme [P] , il convient d'ajouter que l'examen de la copie du cahier qui est censé être le relevé quotidien desdites heures montre qu'il n'existe pas non plus de cohérence entre ce cahier et les déclarations de Mme [P]. À titre d'exemple, pour le mois de juin 2018, la lecture de ce cahier établit que la salariée aurait effectué, au cours de la semaine 21, 2 heures supplémentaires, au cours de la semaine 22, 5 heures supplémentaires, au cours de la semaine 23, 8, 5 heures et au cours de la semaine 24 6, 5 heures. Ce chiffrage ne correspond ni à ce qu'elle a déclaré par mail à son employeur, ni aux heures revendiquées dans le cadre de la présente instance.

Il est ainsi démontré par la société Allegra Beauty Spa que les horaires déclarés par Mme [P] sur lesquels elle fonde sa demande d'heures supplémentaires correspondent pour partie à des heures de travail (entre 9 et 10 heures) qu'elle a effectuées en contradiction avec les consignes de son employeur et sans que ses fonctions et sa charge de travail ne le justifient et, pour une autre partie, reposent sur une base de calcul incohérente avec les propres relevés de la salariée.

En outre, en produisant son registre unique du personnel et les planning des rendez-vous client, la société Allgra Beauty Spa établit que contrairement à ce que soutient Mme [P], elle n'était pas la seule esthéticienne titulaire du brevet professionnel, de sorte qu'elle n'était pas contrainte d'être présente sur l'entière amplitude des horaires d'ouverture de l'institut, allégations au demeurant incohérentes avec son propre relevé d'heures dans lequel elle ne conteste pas avoir bénéficié toutes les semaines, en sus du dimanche, et donc sur un jour d'ouverture de l'institut, d'un jour de congés au cours desquels le planning montre que des rendez-vous clients étaient néanmoins honorés par [G], secondée par [D], apprentie esthéticienne.

Néanmoins, l'examen du planning produit par l'employeur permet de constater, même si ce n'est pas nécessairement en cohérence avec les jours indiqués par la salariée, qu'alors que Mme [P] pouvait travailler sur une amplitude horaire de 8 heures par jour, elle n'a pas toujours bénéficié d'une pause méridienne d'une heure, de sorte que des heures supplémentaires ont été réalisées sans qu'elles aient été compensées par des repos compensateurs.

En conséquence, la cour acquiert la conviction que Mme [P] a réalisé des heures supplémentaires entre janvier 2017 et le 26 février 2019, mais dans une proportion bien moindre que ses prétentions et retient ainsi l'accomplissement de 96 heures supplémentaires majorées à 25 %. Ainsi, il convient de lui allouer à titre de rappel de salaire, sur la base d'un taux horaire moyen de 14, 14 euros, la somme de 1 696, 63 euros, outre celle de 169,66 euros au titre des congés payés afférents.

I -b) Sur le travail dissimulé

Il résulte de l'article L. 8221-5 du code du travail qu'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur, soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche, soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli.

Selon l'article L. 8223-1, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

En l'espèce, s'il est effectivement justifié d'heures de travail effectuées par la salariée non rémunérées par l'employeur, il n'est cependant pas suffisamment établi que la société Allegra Beauty Spa aurait intentionnellement mentionné un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, Mme [P], en tant que responsable de l'institut bénéficiant d'une certaine autonomie dans l'organisation de son travail et l'établissement des plannings de rendez-vous clients qui n'étaient pas supervisés, seuls des comptes sur le chiffre d'affaire et les heures supplémentaires à déclarer étant demandés à la salariée, qui, à ce titre, n'a jamais fait de réclamations au cours de l'exécution du contrat de travail.

Le jugement entrepris est donc confirmé sur ce point.

I - c) Sur le manquement à l'obligation de formation

Mme [P] reproche à la société Allegra Beauty Spa de ne jamais avoir bénéficié de formations, de sorte qu'elle a été contrainte de régulariser un avenant à son contrat de travail prévoyant expressément des formations, que l'employeur n'a pas respecté, puisque les formations ont été annulées.

En l'espèce, alors que Mme [P] soutient n'avoir bénéficié d'aucune formation depuis son embauche le 2 mai 2016, la société Allegra Beauty Spa rapporte la preuve contraire en établissant que sa salariée, antérieurement à l'avenant litigieux, a accompli, en août 2016, une formation 'extension cils',en octobre 2016, sur une semaine, plusieurs formatons dispensées par l'institut Yon-Ka concernant des soins du visage, une formation en novembre 2016 sur le 'modelage réflexologie plantaire esthétique', en novembre 2017, une formation dispensée par Organovia, ainsi qu'en avril 2018, deux formations sur l'hygiène et le 'microbalding expert' dispensées par la société Cils Expert.

Par ailleurs, suivant avenant du 7 novembre 2018, les parties ont convenu que 'du fait de la nature de ses fonctions, Madame [P] [Z] pourra bénéficier de deux formations spécifiques à savoir :

- formation maquillage permanent microbalding dermocolor du'ne durée de 5 jours soit 35 heures

- hygiène et salubrité durée de 3 jours soit 21 heures.'

Ainsi que le fait observer l'employeur, aucune condition de temps ou de date n'était prévue pour l'organisation de ces formations. En outre, il est constant qu'alors que ce contrat a été signé en novembre 2018, il était prévu dès le 25-26 février 2019, soit seulement trois mois plus tard, que Mme [P] bénéficie d'une des deux formations. Certes, finalement, la formation n'a pas eu lieu et la salariée a été prévenue le 14 février 2019 qu'elle était annulée, les parties ne précisant pas les raisons de cette annulation. Toutefois, ce seul élément, alors qu'en sus, Mme [P] s'est trouvée en arrêt maladie à partir du 3 mars 2019 de manière continue jusqu'à la rupture du contrat de travail, ne peut caractériser un manquement de l'employeur à son engagement contractuel.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme [P] de sa demande indemnitaire pour manquement à l'obligation de formation.

II - Sur les demandes au titre de la rupture du contrat de travail

II -a) Sur la prise d'acte

Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison des faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit dans le cas contraire d'une démission.

Dans le cadre de l'exception d'inexécution il est admis que les manquements de l'employeur à l'exécution de bonne foi du contrat de travail peuvent justifier la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par le salarié dès lors que ce dernier établit que ces manquements sont suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail, peu important que la lettre par laquelle le salarié prend acte ne stigmatise qu'une partie des griefs finalement évoqués à l'appui de la demande dès lors que cette lettre ne fixe pas les limites du litige.

En l'espèce, la lettre de prise d'acte de la rupture du contrat de travail adressée par Mme [P] à son employeur le 10 mai 2019 évoque le fait que son contrat de travail ne contient pas de mention de son salaire mensuel, que l'engagement de formation n'a pas été tenu, que la clause de non-concurrence a été aggravée dans l'avenant conclu le 7 novembre 2018 et reproche à son employeur le fait d'avoir reçu une mise en garde collective pour une erreur de caisse le 26 février 2019.

Dans le cadre de la présente instance, Mme [P] ne reprend pas ces griefs à l'exception de 'la mise en garde collective' et du non-respect de l'engagement de formation qu'elle présente désormais comme des actes ayant participé à une situation de harcèlement moral. Elle invoque également le non paiement des heures supplémentaires au titre des griefs justifiant une rupture aux torts exclusifs de son employeur.

A titre liminaire, il convient de préciser que les griefs concernant la critique du contrat de travail et de son avenant du 7 novembre 2018, que ce soit au titre de la mention du salaire mensuel ou de la clause de non-concurrence sont totalement inopérants, le montant du salaire fixe et variable de Mme [P] apparaissant de manière parfaitement expresse tant dans son contrat de travail que dans les bulletins de salaire et la clause de non-concurrence limitée à 20 km autour de la commune de [Localité 4] pour une durée de douze mois ne souffrant d'aucune critique légitime, étant de surcroît fait observer que lors de la rupture du contrat de travail, l'employeur a renoncé à cette clause, de sorte que Mme [P] a été engagée dans l'institut situé en face de son ancien employeur et qu'il existe un litige commercial entre les deux employeurs pour détournement de clientèle.

Concernant le grief relatif au harcèlement moral, il convient de rappeler qu'aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale de compromettre son avenir professionnel.

L'article L. 1154-1 du même code, dans sa version antérieure à la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 applicable au cas d'espèce prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, au soutien de ses allégations, Mme [P] explique qu'à compter de janvier 2019, elle va être victime d'une stratégie de harcèlement de la part de Mme [U], la gérante, visant à ce qu'elle démissionne de son poste. C'est dans ces conditions qu'elle va s'apercevoir qu'en janvier 2019, le chiffre d'affaire pris en compte pour calculer sa rémunération variable est inexact, qu'elle ne va plus avoir de réponses à ses mails, que le 14 février 2019, sa formation va être annulée et ses horaires de travail modifiés, que le même jour, elle va recevoir une lettre de mise en garde injustifiée, que le 25 février 2019, elle va subir la visite de Mme [U] et de sa soeur, responsable administrative au sein de la société, qui vont tenter de lui imposer une rupture conventionnelle, dans des conditions donnant lieu à une altercation, que le 26 février 2019, elle va recevoir une nouvelle mise en garde collective injustifiée. Elle a été placée en arrêt maladie à l'issue de quelques jours de congés, à compter du 3 mars 2019 après avoir déposé plainte pour harcèlement moral le 25 février 2019.

Il résulte des motifs adoptés précédemment que la plainte de la salariée concernant l'annulation de sa formation est infondée. Il en est de même de sa critique sur sa rémunération de janvier 2019, Mme [P] versant elle-même au débat la réponse explicative et justificative de Mme [E], la responsable administrative, ainsi que de la modification de ses horaires, le cahier produit par Mme [P] qui correspond, selon elle, à son temps de travail noté chaque jour démontrant au contraire, une parfaite stabilité et régularité de ses horaires, situation à l'origine du désaccord avec son employeur qui ne parvenait pas à obtenir de Mme [P] qu'elle débute sa journée à 10h et non à partir de 9h comme elle lui imposait unilatéralement, ayant, en sa qualité de responsable, les clés de son lieu de travail.

Par ailleurs, sur la lettre de mise en garde du 14 février 2019, elle ne fait que retranscrire les difficultés relevées par Mme [P] elle-même dans son entretien d'évaluation du 6 novembre 2018 aux termes duquel elle reconnaissait avoir des difficultés avec le management de l'équipe et un positionnement relationnel inadapté, notamment en raison d'une trop grande susceptibilité et volonté d'autonomie, sans respecter les consignes et le contrôle de Mme [U], notamment pour les achats de consommables ou l'organisation de l'inventaire de l'institut. Cette situation est, par ailleurs, corroborée par le témoignage très précis et circonstanciée de deux anciennes salariées de l'institut qui ont quitté leur poste en raison du comportement harcelant et inapproprié de Mme [P].

Quant au courrier du 26 février 2019, l'analyse est identique, comme n'étant qu'un rappel à l'ordre officiel concernant une erreur de caisse de l'ordre de 50 euros constatée le 25 février 2019, puis une nouvelle erreur de caisse de 15 euros le lendemain, rappelant qu'en sa qualité de responsable de l'institut, elle était comptable à l'égard de son employeur de cette situation.

Enfin, s'agissant de l'altercation qui se serait produite le 25 février 2019, alors qu'elle est fortement contestée par la société Allegra Beauty Spa, il n'est versé aux débats qu'une lettre écrite par la salariée dont l'objet est 'compte-rendu de l'entretien du 25 février 2019" ainsi que son dépôt de plainte du jour même, dans lequel elle explique que le matin, Mmes [U] et [E] lui ont reproché d'être présente à l'institut lors de leur arrivée à 9h35 alors qu'elle ne doit embaucher qu'à 10h, qu'ensuite elle a été victime de chantage et de menace de la part des deux femmes qui souhaitaient son départ.

Alors que Mme [P] a indiqué aux gendarmes ayant recueilli sa plainte que Mme [R], une cliente, pouvait attester du déroulement de l'altercation, elle ne produit pas son témoignage dans le cadre de la présente procédure. En outre, il convient de relever que la plainte a été classée sans suite. Dans ces conditions, il ne peut être accordé aucune valeur probante aux pièces produites par la salariée qui ne font que reprendre ses seules déclarations, sans aucun élément permettant leur objectivation.

Enfin, les arrêts de travail pris à compter du 3 mars 2019 ne contiennent pas la précision de leur motif.

Au vu de ces motifs, il convient de considérer que Mme [P] ne présente pas d'éléments qui pris dans leur ensemble, laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral.

Le seul grief tenant à l'absence de paiement d'heures supplémentaires dont le quantum retenu par la présente cour représente en moyenne une heure supplémentaire par semaine et étant rappelé qu'à aucun moment au cours de la relation contractuelle, ni au demeurant dans sa lettre de prise d'acte du 10 mai 2019, la salariée ne s'est plainte de cette situation, ne peut à lui seul justifier une rupture du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur.

En conséquence, c'est à juste titre que les premiers juges ont qualifié cette prise d'acte de démission et débouté Mme [P] de toutes ses demandes subséquentes.

II - b) Sur le préavis

La prise d'acte de la rupture du contrat qui n'est pas justifiée produit les effets d'une démission. Il en résulte que le salarié doit à l'employeur le montant de l'indemnité compensatrice de préavis.

Conformément à l'application de l'article L. 1234-1 du code du travail, le préavis applicable à Mme [P] qui avait plus de deux ans d'ancienneté est de deux mois, étant rappelé qu'il n'est pas contesté que son salaire mensuel moyen s'établit à la somme de 2 144 euros. Au vu de ces éléments et en l'absence de toute contestation sérieuse de la part de la salariée, il convient de confirmer le jugement entrepris, la cour statuant dans les limites de la demande.

III - Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie succombante , il y a lieu de condamner la société Allegra Beauty Spa aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à Mme [P] la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés tant en première instance qu'en appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant publiquement par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe,

Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme [Z] [P] de sa demande au titre des heures supplémentaires et au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Confirme le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions ;

Statuant des chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne la société Allegra Beauty Spa à payer à Mme [Z] [P] la somme de 1 696,63 euros à titre de rappel de salaire pour les heures supplémentaires réalisées entre le 1er janvier 2017 et le 26 février 2019, et celle de 169,66 euros au titre des congés payés afférents ;

Condamne la société Allegra Beauty Spa aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

Déboute la société Allegra Beauty Spa de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Allegra Beauty Spa à payer à Mme [Z] [P] la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais engagés tant en première instance qu'en cause d'appel.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/02452
Date de la décision : 29/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-29;21.02452 ?
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