N° RG 21/03092 - N° Portalis DBV2-V-B7F-I3AG
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 29 JUIN 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 24 Juin 2021
APPELANTE :
Madame [H] [L] épouse [B]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Philippe DUBOS de la SCP DUBOS, avocat au barreau de ROUEN
INTIMEE :
S.C.P. CARRUCCI GOLLIOT BOWN OLLAGNIER MADELAIN MORIN
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Eric DI COSTANZO de la SELARL ACT'AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Sarah BALLUET, avocat au barreau de ROUEN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 24 Mai 2023 sans opposition des parties devant Madame BERGERE, Conseillère, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
Madame BERGERE, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
M. GUYOT, Greffier
DEBATS :
A l'audience publique du 24 Mai 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 29 Juin 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 29 Juin 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [H] [L] épouse [B] a été engagée par la SCP Carrucci, Golliot, Bown, Madelain, Morin, commissaires de justice, en qualité de gestionnaire de dossier par contrat de travail à durée déterminée de remplacement du 5 octobre 2009, puis par contrat de travail à durée indéterminée du 22 décembre 2009 en qualité de clerc catégorie 5 coefficient 296.
Les relations contractuelles des parties étaient soumises à la convention collective nationale des huissiers de justice du 11 avril 1996.
Le licenciement pour cause réelle et sérieuse a été notifié à la salariée le 21 février 2019.
Par requête du 16 novembre 2020, Mme [H] [B] a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen en contestation de son licenciement, ainsi qu'en paiement de rappels de salaire et d'indemnités.
Par jugement du 24 juin 2021, le conseil de prud'hommes a débouté Mme [B] de toutes ses demandes et débouté la SCP Carrucci, Golliot, Bown, Madelain, Morin de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, laissé les dépens à la charge de Mme [B].
Mme [H] [B] a interjeté appel de cette décision le 27 juillet 2021.
Par conclusions remises le 20 octobre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, Mme [H] [B] demande à la cour de réformer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes, statuant à nouveau, condamner la SCP Carrucci, Golliot, Bown, Madelain, Morin à lui verser les sommes de 21 009,78 euros à titre de dommages et intérêts, 1 000 euros de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de formation, et 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens, dire que les condamnations porteront intérêts à compter de la citation.
Par conclusions remises le 20 janvier 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la SCP Carrucci, Golliot, Bown, Madelain, Morin demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, débouter Mme [B] de sa demande au titre des frais irrépétibles, et à titre reconventionnel, condamner Mme [B] à lui payer la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 4 mai 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I - Sur l'obligation de formation
Alors qu'elle a été salariée pendant neuf années au sein de l'étude de commissaires de justice, Mme [B] reproche à son employeur d'avoir bénéficié uniquement de quatre jours de formation en avril 2018, qui plus est, par un organisme ayant principalement une mission d'audit de l'étude.
Aux termes de l'article L. 6321-1 du code du travail, l'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail. Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations. Il peut proposer des formations qui participent au développement des compétences, y compris numériques, ainsi qu'à la lutte contre l'illettrisme, notamment des actions d'évaluation et de formation permettant l'accès au socle de connaissances et de compétences défini par décret. Les actions de formation mises en oeuvre à ces fins sont prévues, le cas échéant, par le plan de développement des compétences mentionné au 1° de l'article L. 6312-1. Elles peuvent permettre d'obtenir une partie identifiée de certification professionnelle, classée au sein du répertoire national des certifications professionnelles et visant à l'acquisition d'un bloc de compétences.
En l'espèce, il convient de relever que Mme [B] n'allègue, ni a fortiori, ne justifie avoir sollicité la moindre formation auprès de son employeur pendant l'exécution du contrat de travail, de surcroit régulièrement suspendu pendant plusieurs mois, soit en raison de congé maternité puis parental, soit en raison d'arrêts de travail ou de congés sans solde. En outre et à l'inverse, la SCP Carrucci, Golliot, Bown, Madelain, Morin rapporte la preuve qu'à chaque changement de service de sa salariée (service crédit consommation, service amiable, service loyers), celle- ci a bénéficié, d'une part, d'une formation en interne, de sorte que son expérience et ses compétences professionnelles se sont enrichies, et d'autre part, à compter du second semestre 2017, dans le cadre d'un audit de performance, d'un accompagnement personnalisé, outre plusieurs formations de groupe.
Aussi, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme [B] de sa demande indemnitaire pour manquement à l'obligation de formation.
II - Sur le licenciement
Conformément aux dispositions de l'article L.1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, laquelle implique qu'elle soit objective, établie, exacte et suffisamment pertinente pour justifier la rupture du contrat de travail.
L'article L. 1235-1 du même code précise qu'à défaut d'accord, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
En l'espèce, la lettre de licenciement du 21 février 2019, qui fixe les limites du litige, fait état des manquements suivants :
' - non-respect des instructions et directives de travail. En la matière, nous déplorons votre refus persistant de ne pas suivre les consignes de travail qui vous sont données.
À titre d'exemples et sans que cette liste soit exhaustive, vous persistez systématiquement à utiliser une boîte mail interdite dans le cadre des missions qui vous sont confiées, vous ouvrez des dossiers à votre bon vouloir sans respecter les instructions de travail qui vous sont données. De même, vous avez délibérément refusé d'inscrire plusieurs hypothèques en tant que garanties pour nos clients en dépit des nombreuses relances faites à ce sujet.
Cette insubordination perturbe gravement le fonctionnement de notre étude et pénalise le travail de vos collègues de travail.
- refus illégitimes d'exécuter certaines tâches relevant de vos attributions et de votre fonction.
À titre d'exemples et sans que cette liste ne soit exhaustive, nous regrettons que systématiquement vous avez reporté sur vos collègues de travail certaines tâches qui vous incombaient parce que vous n'aviez pas envie de les réaliser. Vous n'effectuez aucun suivi des urgences et aucune relance débiteur sur les accords de règlement ou les prises d'accord alors que vous avez été formée à la réalisation de ces actes qui vous incombent dans le cadre de vos fonctions
De même, vous avez persisté à ne pas suivre les clients du portefeuille qui vous était attribué. Ainsi, ceux-ci se sont plaints de l'absence délibérée de votre part de réponse à certains de leurs courriers ainsi que du manque de diligences dans certaines procédures.
Un tel comportement au-delà même de nuire au bon fonctionnement de l'étude, a généré le mécontentement de clients et a porté atteinte à l'image de notre entreprise.
- Enfin, nous vous reprochons de nombreuses négligences professionnelles, un manque de sérieux et d'implication professionnelle dans la réalisation de votre travail.
À titre d'exemples, nous n'avons pas retrouvé traces de nombreux mails arrivés sur votre messagerie auxquels il n'a été apporté aucune réponse, en dépit des nombreuses relances qui vous étaient faites, ce qui a généré le mécontentement de clients. De même, vous avez utilisé et enregistré de nombreux courriers en utilisant le papier à entête de l'étude laissant supposer dans l'historique du dossier que le travail était fait (retour de dossier, dépôt IP, dépôt de requête en saisie des rémunérations) alors que le travail était renvoyé à 1 ou 2 mois, ce qui une fois encore, perturbait le bon fonctionnement du service et générait le mécontentement de vos collègues de travail d'une part et des clients d'autre part.
Ces faits mettent en cause la bonne marche de l'étude. Après avoir reporté à plusieurs reprises l'entretien préalable à votre demande, nous avons pris le temps de la réflexion et nous avons décidé de vous licencier pour cause réelle et sérieuse.'
Mme [B] conteste l'intégralité des griefs qui lui sont reprochés et produit à ce titre deux attestations :
- celle de Mme [G], collègue de travail entre mars 2014 et septembre 2017 qui explique qu' 'elle a eu l'opportunité de travailler avec Mme [L] durant 3 années auprès de l'étude SCP CGLM, celle-ci s'est investie sur les différents postes qui ont pu lui être proposés. Elle a toujours été ponctuelle, elle a su rester motivée malgré ces différents changements et exécuter les tâches qui lui étaient confiées',
- celle de Mme [Y] qui témoigne en ces termes : 'j'ai rencontré [H] il y a 8 ans lorsque je suis arrivée à l'étude en tant que stagiaire, puis en tant que clerc d'huissier de justice par la suite. Par ailleurs, j'ai été amenée à travailler avec cette dernière et je peux affirmer sans équivoque qu'elle a toujours fait preuve de professionnalisme et de sérieux dans les tâches qui lui étaient confiées. En outre, durant mes deux années au sein de l'étude, elle n'a jamais fait l'objet de quelconque mesure disciplinaire d'où ma grande surprise d'apprendre son départ.', étant précisé que l'employeur établit que Mme [Y] a travaillé au sein de son étude entre 2011 et 2013.
Outre le fait que ces deux témoignages, en ce qu'ils portent sur une période qui n'est pas concernée par la procédure de licenciement qui vise uniquement des griefs relevés à compter de juin 2018 au vu des pièces produites, n'ont aucune valeur probante, ils sont contredits par les éléments versés aux débats par l'employeur.
En effet, il résulte des attestations des salariés et commissaires de justice de la société ainsi que des mails échangés produits aux débats qu'en raison de son insuffisance professionnelle mise en lumière par l'audit de l'étude débuté au dernier trimestre 2017 et de la détérioration de ses relations avec sa responsable, que Mme [B] a été affectée à compter de mai 2018 au service 'Loyer'.
Or, malgré une formation de plusieurs semaines par deux de ses collègues et un suivi très régulier avec rappels des tâches à effectuer et des consignes notamment quant à l'utilisation de la messagerie structurelle du service et à l'importance de l'inscription des hypothèques par Maître [R], le commissaire de justice en charge de la supervision du service 'loyer', l'employeur s'est s'aperçu sur la période des congés estivaux de Mme [B] suivie d'un arrêt maladie jusqu'au 16 septembre 2018, que cette dernière a persisté dans son comportement fautif.
Ainsi, elle a continué à utiliser son ancienne adresse professionnelle rattachée au service 'Amiable', de sorte que les demandes des clients n'étaient pas examinées et qu'aucune réponse n'était apportée aux mails, puisque cette adresse n'était accessible qu'à Mme [B] à partir d'un mot de passe dont elle détenait seule la connaissance. L'employeur a également découvert que les demandes d'inscription d'hypothèque étaient traitées de manière très tardive (quatre mois de délai), que les dossiers qui lui étaient confiés n'étaient pas gérés, Mme [B] se contentant de générer informatiquement le traitement du dossier mais sans accomplir aucun acte dans les faits, programmant ces diligences sur ses jours d'absence, ou, à l'inverse, qu'elle avait diligenté des actes inutiles (intervention d'un serrurier alors que le donneur d'ordre lui avait adressé un mail lui indiquant qu'il ne donnait plus suite à la procédure d'expulsion).
Il est produit à cet effet de nombreux mails de clients se plaignant au mois de septembre et octobre 2018 de l'absence de réponses aux mails adressés à Mme [B] en juin 2018. Il est également versé aux débats plusieurs attestations de collègues se plaignant d'une augmentation de leur charge de travail résultant du comportement de Mme [B] qui n'accomplissait pas ses tâches correctement (absence de réponses aux mails, envoi de dossiers incomplets aux avocats notamment).
À la suite de cette découverte, l'employeur, au retour d'arrêt maladie de Mme [B], a envisagé une rupture conventionnelle du contrat de travail. Contrairement à ce qu'elle soutient, il est établi qu'après avoir accepté cette proposition, elle a changé d'avis, ne s'est pas présenté à l'entretien programmé le 24 octobre 2018 et a été placée en arrêt maladie le 31 octobre 2018, juste après avoir reçu sa première convocation à entretien préalable en vue de son licenciement, entretien qui a été reporté à plusieurs reprises à sa demande.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, la cause réelle et sérieuse du licenciement est parfaitement caractérisée, de sorte qu'il convient de confirmer le jugement entrepris.
III - Sur les dépens et frais irrépétibles
En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner Mme [B] aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande en application de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à la SCP Carucci Golliot Bown Ollagnier Madelain Morin la somme de 300 euros sur ce même fondement pour les frais générés en cause d'appel et non compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant publiquement par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne Mme [H] [L] épouse [B] aux entiers dépens de la présente instance ;
Déboute Mme [H] [L] épouse [B] de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme [H] [L] épouse [B] à payer à la SCP Carrucci, Golliot, Bown, Madelain, Morin la somme de 300 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel.
La greffière La présidente