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06/07/2023 | FRANCE | N°21/00603

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 06 juillet 2023, 21/00603


N° RG 21/00603 - N° Portalis DBV2-V-B7F-IVZB





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 06 JUILLET 2023











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 05 Janvier 2021





APPELANTE :





Société [R] 1986 anciennement dénommée SOCIETE [O] [R] DISTILLERIE JANOT

[Adresse 1]

[Localité 4]



représentée par Me Vincent MOSQUET de la SELAR

L LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Aurélie CLERC, avocat au barreau de MARSEILLE







INTIME :





Monsieur [H] [S]

[Adresse 2]

[Localité 3]



représenté par Me Nathalie VALLEE de la S...

N° RG 21/00603 - N° Portalis DBV2-V-B7F-IVZB

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 06 JUILLET 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 05 Janvier 2021

APPELANTE :

Société [R] 1986 anciennement dénommée SOCIETE [O] [R] DISTILLERIE JANOT

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Vincent MOSQUET de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Aurélie CLERC, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIME :

Monsieur [H] [S]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté par Me Nathalie VALLEE de la SCP VALLEE-LANGUIL, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Anaëlle LANGUIL, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 12 Mai 2023 sans opposition des parties devant Madame ALVARADE, Présidente, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame ALVARADE, Présidente

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme DUBUC, Greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 12 Mai 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 06 Juillet 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 06 Juillet 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame ALVARADE, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [H] [S] a été engagé par la société [R] 1986, anciennement société [O] [R] Distillerie Janot, le 2 janvier 2012 en qualité de directeur des ventes suivant contrat à durée indéterminée, moyennant un salaire brut moyen mensuel qui était en dernier lieu de 3 150 euros.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des vins, cidres, jus de fruits, sirops, spiritueux et liqueurs de France (IDCC 0493).

La société employait habituellement au moins onze salariés au moment du licenciement.

M. [S] a été placé en arrêt de travail à compter du 27 octobre 2014 jusqu'au 25 septembre 2017, date à laquelle le médecin du travail a rendu l'avis suivant : « inapte à la reprise du poste occupé. L'état de santé du salarié ne permet pas de faire des propositions de reclassement au sein de l'entreprise », modifié comme suit le même jour : « inapte à la reprise du poste occupé. L'état de santé du salarié ne permet pas de faire des propositions de reclassement au sein de l'entreprise filiale et holding compris et le rend inapte à tout poste ».

Après avoir été convoqué à un entretien préalable fixé le 24 octobre 2017, auquel le salarié ne s'est pas présenté, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 31 octobre 2017, il a été licencié pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement.

Le 17 mai 2018, le salarié a saisi la juridiction prud'homale aux fins de voir reconnaître l'origine professionnelle de son inaptitude, déclarer nul son licenciement et obtenir diverses sommes au titre de la rupture de son contrat de travail.

Par jugement du 5 janvier 2021, le conseil de prud'hommes de Rouen a :

- dit que M. [S] est partiellement fondé et recevable en ses demandes ;

- dit que l'inaptitude de M. [S] n'est pas d'origine professionnelle ;

- débouté M. [S] de ses demandes d'indemnité de préavis doublée et de solde d'indemnité de licenciement ;

- constaté le défaut de consultation des délégués du personnel préalablement au licenciement de M. [S] ;

- condamné la société à verser une indemnité de 24 174 euros à titre de dommages et intérêts pour défaut de consultation des délégués du personnel rendant le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- débouté M. [S] de sa demande de nullité de l'avis d'inaptitude et donc du licenciement intervenu le 31 octobre 2017 ;

- constaté que la société a respecté son obligation étant exemptée de recherche de reclassement ;

- débouté M. [S] de ses demandes relatives à un défaut de recherches de reclassement ;

- débouté la société de l'ensemble de ses autres demandes ;

- condamné la société au versement d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

La société a interjeté appel de cette décision le 11 février 2021 dans des formes et délais qui ne sont pas critiqués.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 26 avril 2023.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par conclusions remises le 03 janvier 2023, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, la société demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

dit que l'inaptitude de M. [S] n'est pas d'origine professionnelle ;

débouté M. [S] de ses demandes d'indemnité de préavis doublée et de solde de l'indemnité de licenciement ;

constaté que la société a respecté son obligation étant exemptée de recherche de reclassement ;

débouté M. [S] de toutes ses autres demandes ;

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a :

condamné la société au paiement d'une somme de 21 174 euros à titre de dommages et intérêts pour défaut de consultation des délégués du personnel rendant le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

condamné la société au paiement d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [S] au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

A titre infiniment subsidiaire,

- constater que M. [S] n'allègue, ni ne justifie d'aucun préjudice susceptible d'excéder le plancher légal désormais instauré par l'article L 1235-3 du code du travail pour un salarié totalisant cinq années d'ancienneté.

La société fait valoir qu'il revient au salarié qui invoque les dispositions des articles L 1226-7 et suivants du code du travail de démontrer le lien de causalité entre son état de santé, son activité professionnelle et l'inaptitude à son poste et que l'employeur connaissait le caractère professionnel de la suspension, ou, à tout le moins, l'éventuel lien entre son état de santé et son emploi au moment du licenciement,

que l'origine non professionnelle de l'inaptitude n'est pas contestable, ainsi que cela résulte des pièces du dossier, le salarié n'ayant jamais émis aucune réserve lors de la délivrance de ses bulletins de salaire mentionnant une suspension du contrat de travail pour maladie simple, ni entamé de démarches aux fins de reconnaissance d'une maladie professionnelle auprès de la caisse primaire d'assurance maladie,

qu'en tout état de cause, elle n'a pas été informée de ces démarches antérieurement au licenciement,

que le caractère professionnel de l'arrêt de travail du salarié n'a du reste pas été reconnu par la CPAM,

qu'il sera débouté de ses demandes d'indemnité spéciale de licenciement et d'indemnité compensatrice de préavis, alors que son activité professionnelle n'est pas même partiellement à l'origine de la dégradation de son santé,

que par ailleurs, il n'est plus autorisé à contester l'avis d'inaptitude à l'origine de son licenciement, le délai de 15 jours prévus à l'article R. 4624- 45 du code du travail étant expiré, cette décision s'impose aux parties tout comme juge,

qu'il ne peut lui être fait grief de n'avoir pas procédé à des recherches de reclassement, alors qu'elle en était précisément dispensée en vertu de la loi du 8 août 2016, applicable à tout avis d'inaptitude émis à compter du 1er janvier 2017,

qu'elle a cependant à la suite de l'étude de poste du 18 septembre 2017 procédé à des recherches de reclassement en son sein, alors qu'elle n'y était nullement tenue,

qu'il n'y avait pas lieu à consultation des représentants du personnel (comité social et économique) contrairement à ce qu'ont décidé les premiers juges, cette consultation étant liée à l'obligation de reclassement,

qu'ainsi en présence d'un cas de dispense de recherche de reclassement, l'employeur n'est pas tenu de solliciter l'avis du comité social économique, dès lors dépourvu d'objet, cette obligation de consultation ne concernant en outre que les seules entreprises dotées de délégués du personnel, alors que pour sa part, elle n'en était pas tenue ainsi qu'elle en justifie par la production du procès-verbal de carence établi lors des dernières élections de juillet 2016, régulièrement réceptionné par l'inspection du travail.

Par conclusions remises le 23 décembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, le salarié demande à la cour de :

- juger M. [S] bien fondé et recevable en ses demandes ;

Y ajoutant,

- débouter la société de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé le licenciement de M. [S] dépourvu de cause réelle et sérieuse compte tenu du défaut de consultation des délégués du personnel ;

- réformer le jugement s'agissant des dommages et intérêts alloués au titre du licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;

- condamner en conséquence la société au paiement des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse de 40 680 euros ;

- condamner la société, compte tenu du caractère sans cause et sérieuse du licenciement, au paiement du l'indemnité équivalant à l'indemnité compensatrice de préavis, si l'origine professionnelle n'est pas reconnue, soit 6 780 euros ainsi que les congés payés sur préavis de 678 euros ;

- réformer en outre le jugement en ce qu'il a dit et jugé que l'inaptitude de M. [S] est d'origine non professionnelle ;

- juger l'inaptitude de M. [S] d'origine professionnelle ;

En conséquence,

- condamner la société à verser à M. [S] les sommes suivantes :

6 780,66 euros au titre de l'indemnité de préavis doublée ;

3 957,50 euros au titre du solde de l'indemnité de licenciement ;

En tout état de cause,

- juger que la société a méconnu son obligation de recherche de reclassement et juger en conséquence que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;

- condamner la société au paiement des sommes suivantes :

40 680 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;

6 780 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, si l'origine professionnelle n'est pas reconnue ;

678 euros au titre des congés payés y afférents ;

- condamner la société au versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Le salarié soutient que son inaptitude est au moins partiellement d'origine professionnelle et que l'employeur en avait connaissance, alors qu'il l'avait informé du possible lien entre son état de santé et ses conditions de travail antérieurement à son licenciement,

que c'est à tort que le conseil de prud'hommes a écarté ses demandes retenant que l'avis d'inaptitude ne mentionnait pas de caractère professionnel de la pathologie dont il souffre, alors que le médecin du travail n'a pas à se prononcer sur l'origine professionnelle de l'inaptitude,

que quand bien même la CPAM a rejeté sa demande de reconnaissance de son état de santé au titre de la maladie professionnelle, cela ne prive aucunement la juridiction de considérer que la pathologie est imputable au travail,

que la procédure de licenciement est irrégulière, alors qu'en cas de d'inaptitude d'origine professionnelle ou non professionnelle, les dispositions du code du travail exigent la consultation préalable des délégués du personnel, dont la mise en place est obligatoire lorsque l'effectif est de onze salariés et plus pendant douze mois consécutifs ou non au cours des trois années précédant les élections,

que son licenciement est en tout état de cause infondé dès lors que l'employeur n'a pas procédé à des recherches de reclassement de façon loyale et sérieuse en concertation avec le médecin du travail,

que les dispositions de l'article L.1226- 12 du code du travail prévoit que la dispense de reclassement ne peut résulter que de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé et que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi,

que contrairement à ce qu'ont indiqué les premiers juges, la mention selon laquelle l'état de santé d'un salarié ne permet pas de faire de propositions de reclassement dans l'entreprise ne dispense pas l'employeur d'une telle recherche,

qu'il n'est par ailleurs justifié d'aucune recherche loyale et suffisante, notamment au sein du groupe auquel l'employeur appartient, de sorte que son licenciement doit être déclaré dépourvu de cause réelle et sérieuse.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'origine professionnelle de l'inaptitude

L'article L 1226-7 du code du travail dispose 'Le contrat de travail du salarié victime d'un accident du travail, autre qu'un accident de trajet, ou d'une maladie professionnelle est suspendu pendant la durée de l'arrêt de travail provoqué par l'accident ou la maladie.'

L'article L1226-9 prévoit :'Au cours des périodes de suspension du contrat de travail, l'employeur ne peut rompre ce dernier que s'il justifie soit d'une faute grave de l'intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l'accident ou à la maladie.'

Aux termes de l'article L1226-10 du code du travail : 'Lorsque le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. Cette proposition prend en compte, après avis du comité économique et social, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté.

L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.

Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.'

L'article L.1226-14 du code du travail énonce :'La rupture du contrat de travail dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article L. 1226-12 (rupture du contrat de travail du fait de l'impossibilité de reclassement) ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L. 1234-5 ainsi qu'à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité prévue par l'article L. 1234-9.

Les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.

En l'espèce, le 25 septembre 2017, le médecin du travail a rendu l'avis d'inaptitude suivant : « inapte à la reprise du poste occupé. L'état de santé du salarié ne permet pas de faire des propositions de reclassement au sein de l'entreprise filiale et holding compris et le rend inapte à tout poste ».

Cette constatation d'inaptitude est intervenue à l'issue d'un arrêt de travail pour maladie qui a débuté le 27 octobre 2014 et a constamment été renouvelé jusqu'à la date de la visite de reprise. Il est vrai que le salarié a formulé une demande de reconnaissance de maladie professionnelle le 20 octobre 2017, pour dépression sévère, enregistrée le 23 octobre 2017 à la CPAM, sa demande a toutefois fait l'objet d'une décision de refus de prise en charge au titre de la législation sur les maladies professionnelles.

Le salarié soutient que pour autant, la dégradation de son état de santé est directement liée à ses conditions de travail.

Il indique que dès octobre 2014, l'employeur était informé du fait qu'il subissait une dégradation réelle de ses conditions de travail, qu'il en justifie par la production des courriels échangés notamment avec le directeur général de la société, M. [I], les 25 et 26 octobre 2014 qui démontrent la pression qu'il subissait et que ce dernier n'avait aucun égard pour sa personne, ainsi que d'un courrier adressé le 28 novembre 2014,

qu'il sera d'ailleurs hospitalisé les 27 et 28 octobre 2014 après une tentative de suicide, puis placé en arrêt maladie,

que l'employeur avait à l'époque, au vu des circonstances, abandonné l'idée de son projet de licenciement pour motif disciplinaire, engagé quelques semaines auparavant,

qu'il s'avérait qu'il avait en réalité été victime d'un burn out, l'empêchant de reprendre son poste de travail, déclenchant son placement en invalidité de 2ème catégorie le 1er juillet 2017, jusqu'à l'avis d'inaptitude du 25 septembre 2017, alors que les pièces médicales démontrent qu'il ne souffrait d'aucune pathologie antérieure.

L'analyse des pièces du dossier ne permet toutefois pas d'établir une détérioration des conditions de travail ayant eu un impact sur l'état de santé du salarié, alors qu'il se plaint de pressions exercées par sa hiérarchie sur la seule foi d'un courriel du 9 janvier 2014, dans lequel il indique « je travaille comme un dingue depuis plus de 20 ans » dont la lecture démontre seulement qu'il n'a pas accepté que son employeur lui demande de justifier de son emploi du temps lui disant'pouvez-vous me dire ou vous êtes', alors qu'il n'arrivait pas à le joindre et des courriels échangés les 25 et 26 octobre 2014, qui ne le laissent pas apparaître en position de faiblesse contrairement à ce qu'il soutient (courriel du salarié le 25 octobre à [K] [N], en copie à M. [I] 'T'es un bon [N], tu blagues mais les deux, ils sont moins costauds. Ils ont moins de facilités, alors j'ai envie de les booster...si tu veux attends moi qu'on se voit un peu car ça barde avec [I]...', à M. [I] 'je n'ai pas de ta part d'agenda pour notre réunion de lundi et pas davantage d'horaires, j'avoue avoir très peu de temps car je descends lundi et vais arriver dans l'après-midi...donc je te remercie de m'indiquer au moins ton ordre du jour afin que j'anticipe les éléments à te présenter' à M. [I] le 26 octobre 2014 'Bonjour [X], Les Monsieur [I] par ci, Monsieur [I] par-là, sont bels et bien finis, de toute façon ça ne mène à rien car il arrive souvent que je respecte davantage des gens que je tutoie plutôt que je vouvoie (') Toi qui est si sérieux et si humble selon toi, ça ne m'étonne pas de toi, car tu juges facilement les uns, les autres, mais toi comme tu te vois parfait, moderne, visionnaire, humaniste, etc' tu n'as jamais de contre-pouvoir pour que tu dégonfles ton melon ! A lundi pour ta réunion dont je n'ai ni horaires, ni agenda et pour laquelle j'ai très peu de temps... Merci d'être concis et de ne pas te perdre en conjecture qui trop souvent nous font perdre du temps', ces derniers propos ayant été retenus par l'employeur comme suffisamment graves pour justifier l'engagement d'une procédure de licenciement disciplinaire par lettre du 28 octobre 2014 avant de l'abandonner suite à l'arrêt maladie du salarié et aux excuses écrites qu'il a adressées à l'employeur.

Par ailleurs, le fait que le salarié ait eu à effectuer de nombreux déplacements dans le cadre de son travail, ne permet pas non plus d'établir une détérioration de ses conditions de travail à l'origine d'une dégradation de son état de santé et le courrier qu'il a adressé à l'employeur le 28 novembre 2014 ne saurait valoir preuve d'un lien quelconque avec l'activité professionnelle, alors qu'il indique seulement : 'Le comportement que j'aurais adopté ces derniers jours et dernières heures précédent votre mail du 27 octobre, et dont vous faites état dans ces termes, n'est que la conséquence d'une dégradation lente mais réelle de mon état de santé dont vous connaissez les tenants et les aboutissants », l'employeur répondant pour sa part par courrier du 22 décembre 2014 'Nous prenons en considération votre situation personnelle que nous regrettons. Mais nous maintenons notre position sur le caractère inadmissible des propos contenus dans les messages que vous avez envoyés à M. [X] [I]...Ceci étant, il n'est pas dans les habitudes de la société d'accabler quelqu'un qui est en grande difficulté. Compte tenu de votre état de santé actuel et de votre hospitalisation, nous respectons la période de repos nécessaire à l'amélioration de votre santé. Nous abandonnons donc notre projet de licenciement...', ces échanges ne permettant pas d'affirmer que l'employeur connaissait la nature de la pathologie dont le salarié souffrait, alors qu'il résulte des éléments du dossier que ce dernier bénéficiait d'un suivi psychiatrique pour troubles thymiques (certificat médical du 19 octobre 2022) et avait fait l'objet de plusieurs hospitalisations complètes entre octobre 2014 et janvier 2022, soit cinq ans après son licenciement.

Il n'est donc pas démontré de lien, même partiel, entre les conditions de travail du salarié et la pathologie à l'origine des arrêts de travail et de l'avis d'inaptitude. Il n'est pas davantage démontré que l'employeur aurait pu avoir connaissance de l'origine professionnelle de l'inaptitude, alors qu'il n'est pas justifié de la communication à l'employeur de la demande de reconnaissance de maladie professionnelle du 24 octobre 2017, que ce dernier conteste en avoir été informé, que ce soit par télécopie, ou par lettre recommandée, l'avis de dépôt produit par le salarié à titre de preuve mentionnant la date du 20 octobre 2017 alors que la lettre est datée du 24 octobre, le surplus des mentions, en particulier le nom et l'adresse du destinataire, étant en outre illisible.

Le salarié sera, en conséquence, débouté de sa demande au titre de l'indemnité spéciale de licenciement et de l'indemnité de préavis doublée.

Sur le licenciement

Il résulte de l'article L1226-2 du code du travail que lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités. Cette proposition doit prendre en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise.

Selon l'article L.1226-2-1 du même code, l'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

Il s'ensuit que, lorsque le médecin du travail a mentionné expressément dans son avis que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi, l'employeur, qui n'est pas tenu de rechercher un reclassement, n'a pas l'obligation de consulter les délégués du personnel.

Au regard des considérations exposées ci-dessus, l'employeur pouvait se prévaloir de l'avis d'inaptitude puisqu'il n'est pas établi de carences fautives de sa part à son origine.

Considérant les dispositions précitées, l'employeur n'a pas davantage manqué à son obligation au titre du reclassement. En effet, dès lors que le médecin du travail a mentionné expressément, comme en l'espèce, que l'état de santé du salarié ne permet pas de faire des propositions de reclassement au sein de l'entreprise filiale et holding compris et le rend inapte à tout poste », l'employeur n'était pas tenu de rechercher un reclassement, ce quand bien même, la mention de l'article L1226-12 du code du travail n'est pas reprise à l'identique, alors que l'incidence est similaire, peu important que l'avis d'inaptitude ait été modifié, alors que cette modification n'avait que pour objet de préciser le périmètre de l'impossibilité de reclassement.

L'employeur n'avait en outre n'a pas non plus l'obligation de consulter les représentants du personnel.

Le salarié ne peut donc voir dire son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et prétendre à des indemnités et des dommages et intérêts, le jugement étant infirmé sur ces points.

Sur les frais du procès

En application des dispositions des articles 696 et 700 du code de procédure civile, le salarié sera condamné aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'au paiement d'une indemnité globale de 2.000 euros.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

après en avoir délibéré, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe, en matière prud'homale,

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a condamné la société [R] à payer à M. [H] [S] les sommes de 24.174 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles et l'a condamnée aux dépens,

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Dit le licenciement justifié,

Déboute M. [H] [R] de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et au titre des frais irrépétibles,

Condamne M. [H] [R] à payer la société [R] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [H] [S] aux dépens de première instance et d'appel

Rejette toute autre demande.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/00603
Date de la décision : 06/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-07-06;21.00603 ?
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