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06/07/2023 | FRANCE | N°21/00923

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 06 juillet 2023, 21/00923


N° RG 21/00923 - N° Portalis DBV2-V-B7F-IWOB





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 06 JUILLET 2023











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 20 Janvier 2021





APPELANT :



Monsieur [I] [E]

[Adresse 2]

[Localité 3]



représenté par Me Jean-Christophe GARIDOU de la SCP MGH AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de l'EURE


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INTIMÉES :



Me [B] [P], es qualité de liquidateur judiciaire de la S.A.R.L. GROUPE COST

[Adresse 1]

[Localité 5]



n'ayant pas constitué avocat

régulièrement assignée par acte d'huissier en date du 24/01/2023



...

N° RG 21/00923 - N° Portalis DBV2-V-B7F-IWOB

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 06 JUILLET 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 20 Janvier 2021

APPELANT :

Monsieur [I] [E]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté par Me Jean-Christophe GARIDOU de la SCP MGH AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de l'EURE

INTIMÉES :

Me [B] [P], es qualité de liquidateur judiciaire de la S.A.R.L. GROUPE COST

[Adresse 1]

[Localité 5]

n'ayant pas constitué avocat

régulièrement assignée par acte d'huissier en date du 24/01/2023

Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE [Localité 5]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 5]

n'ayant pas constitué avocat

régulièrement assignée par acte d'huissier en date du 25/01/2023

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 14 Juin 2023 sans opposition des parties devant Madame BERGERE, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme DUBUC, Greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 14 Juin 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 06 Juillet 2023

ARRET :

REPUTE CONTRADICTOIRE

Prononcé le 06 Juillet 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [I] [E] a été engagé par la société Groupe Cost en qualité de commercial, concepteur, designer, par contrat de travail à durée indéterminée du 12 octobre 2018.

Les relations contractuelles des parties étaient soumises à la convention collective nationale des ouvriers du bâtiment (entreprise occupant jusqu'à10 salariés).

M. [E] a été placé en arrêt maladie à partir du 14 octobre 2019.

Par requête du 22 novembre 2019, M. [E] a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen aux fins de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur et paiement de rappels de salaires et indemnités.

Le licenciement pour faute grave a été notifié au salarié le 20 décembre 2019.

Par jugement du 20 janvier 2021, le conseil de prud'hommes a dit n'y avoir lieu à prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail, dit que le licenciement intervenu le 20 décembre 2019 pour faute grave repose sur une cause réelle et sérieuse, débouté M. [E] de ses demandes au titre du rappel d'heures supplémentaires, du remboursement de frais non réglés, du rappel de prime sur chiffre d'affaires, de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de l'indemnité compensatrice de préavis, de l'indemnité de licenciement et des frais irrépétibles, dit n'y avoir lieu à remise de documents particuliers ni exécution provisoire, débouté la société Groupe Cost de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et laissé les dépens à la charge de M. [E].

M. [E] a interjeté appel de cette décision le 15 juillet 2021.

Suivant jugement du tribunal de commerce de Rouen du 8 mars 2022, la société Groupe Cost a fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire simplifiée, Mme [P] ayant été désignée en qualité de liquidateur.

Par conclusions signifiées respectivement à Mme [P] et à l'association Unedic Délégation AGS-CGEA de [Localité 5] les 24 et 25 janvier 2023, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des moyens, M. [E] demande à la cour d'infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions, statuant à nouveau, prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail et dire que la rupture produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, en conséquence, condamner Mme [P], en qualité de liquidateur de la société Groupe Cost, ou à tout le moins cette dernière, à lui verser les sommes suivantes :

7 635,03 euros à titre de rappels d'heures supplémentaires,

763,50 euros au titre des congés payés afférents,

4 262,59 euros à titre de remboursement de frais professionnels pour la période d'octobre 2018 à septembre 2019,

1 687,95 euros à titre de rappel de prime sur chiffre d'affaire,

23 379,60 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé,

11 689,80 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

3 896,60 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

389,66 euros au titre des congés payés afférents,

974,15 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens,

dire que ces sommes sont à inscrire au passif de la société Groupe Cost et que l'AGS-CGEA de [Localité 5] en doit garantie dans les limites légales, ordonner la remise de l'ensemble des bulletins de salaire rectifiés et des documents de fin de contrat (certificat de travail, solde de tout compte, attestation Pôle Emploi), sous astreinte journalière de 50 euros par document de retard, passé quinze jours suivant la notification du jugement à intervenir.

Par conclusions remises le 20 août 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la société Groupe Cost demande à la cour, à titre principal, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit et jugé qu'il n'y avait pas lieu de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [E] et en ce qu'il a dit que le licenciement pour faute grave était justifié, et donc débouté M. [E] de l'ensemble de ses demandes, à titre subsidiaire, rapporter à de plus justes proportions les demandes financières de M. [E], en tout état de cause, infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté sa demande au titre des frais irrépétibles et en conséquence, condamner M. [E] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Ni l'association Unedic délégation AGS-CGEA de [Localité 5], ni Mme [P], ès qualités, n'ont constitué avocat.

L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 25 mai 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I - Sur la demande de résiliation judiciaire

Lorsqu'un salarié saisit le conseil des prud'hommes d'une demande de résiliation de son contrat de travail et qu'il est ensuite licencié, le juge doit d'abord examiner la demande de résiliation judiciaire, avant de se prononcer sur la régularité du licenciement.

La résiliation judiciaire du contrat de travail peut être prononcée si l'employeur n'exécute pas ses obligations contractuelles et que les manquements sont d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

La résiliation judiciaire du contrat de travail prend effet au jour où le juge la prononce, dés lors qu'à cette date le salarié est toujours au service de son employeur. Lorsque le salarié n'est plus au service de son employeur au jour où il est statué sur la demande de résiliation judiciaire, cette dernière prend effet, si le juge la prononce, au jour du licenciement ou au jour de la prise d'acte de rupture ou au jour à partir duquel le salarié a cessé de se tenir à la disposition de son employeur.

La résiliation judiciaire du contrat de travail produit les effets d'un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse avec toutes ses conséquences de droit.

En l'espèce, au soutien de sa demande de résiliation judiciaire, M. [E] fait valoir que son employeur a modifié unilatéralement son contrat de travail sans de surcroît appliquer le salaire minimal prévu pour les conducteurs de travaux, qu'il ne lui a pas réglé les heures supplémentaires réalisées, qu'il ne lui a pas remboursé ses frais professionnels, qu'il a dissimulé partiellement son activité de manière volontaire, qu'il ne lui a pas versé son commissionnement, qu'il n'a souscrit à aucun contrat collectif de mutuelle et n'a pas établi l'attestation de salaire nécessaire à la sa prise en charge.

I - a) Sur la modification du poste de M. [E]

M. [E] expose qu'alors qu'il a été engagé en qualité de 'commercial, concepteur, designer' par la société Group Cost au coefficient 210, cette dernière a unilatéralement modifié son contrat de travail en l'affectant au suivi des chantiers sur le terrain, sans de surcroît, procéder à une adéquation de son salaire, ce poste justifiant l'application du coefficient 250 correspondant au chef d'équipe niveau IV position 1 de la convention collective applicable.

Pour établir cette situation, le salarié verse aux débats un SMS provenant du contact identifié comme '[S] plaqui..' daté du 12 juin sans indication de l'année et rédigé comme suit : 'bonjour, à compter de ce jour, et conformément au dernier compte rendue interne [I] [E] n'aura plus de mission de suivi de chantier sur le terrain. [I] reprend le travail de concepteur à temps plein. Les détails techniques, plans seront à voir avec lui au bureau. Cordialement. [Y][O]'. Bien que l'année ne soit pas mentionnée, M. [E] ayant travaillé d'octobre 2018 à octobre 2019, ce message ne peut avoir été envoyé que le 12 juin 2019 par le gérant de la société Group Cost, les initiales correspondant à [Y] [O], le signataire du contrat de travail. Il est également produit un mail du 15 octobre 2019 adressé par M. [E] à M. [O] dans lequel il fait valoir qu' 'étant en liaisons quotidiennes avec les sous-traitants et les employés', il lui avait demandé avant les vacances d'été de devenir conducteur de travaux et bénéficier à ce titre d'une augmentation de 500 euros par mois.

Si, contrairement à ce que soutient M. [E], ces éléments ne permettent pas de retenir une modification du contrat de travail imposée unilatéralement par l'employeur, les missions de suivi de chantier confiées au salarié depuis le début de la relation contractuelle n'ayant jamais fait l'objet de la moindre remarque de la part de ce dernier, en revanche, ils établissent un désaccord sur le montant de la rémunération que M. [E] estimait trop faible.

A ce titre, M. [E] reproche à son employeur, de ne pas avoir appliqué la bonne classification, puisqu'exécutant des missions de suivi de chantier, il aurait dû percevoir non pas le salaire minimum prévu par le coefficient 210, à savoir 1 739,50 euros, mais le salaire minimum prévu pour le coefficient 250, à savoir 1 992,24 euros, en application de l'accord régionale du 28 novembre 2017 relatif aux salaires minimaux à compter du 1er mai 2018.

Alors que la mission de suivi de chantier ne revient pas nécessairement et exclusivement à un chef d'équipe, poste visé par le niveau IV position 1 qui correspond au coefficient 250 conformément à la convention collective applicable, M. [E] ne démontre aucunement en quoi, dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail, il effectuait les tâches caractérisant ce poste, à savoir 'accomplir des travaux complexes nécessitant une technicité affirmée ou organiser le travail des ouvriers constituant l'équipe appelée à l'assister et en assurer la conduite', ni qu'il disposait d'une 'autonomie dans son métier, pouvant prendre des initiatives relatives à la réalisation technique des tâches à effectuer et assurant, en fonction de ces dernières, par délégation du chef d'entreprise, des missions de représentation correspondantes', conformément à la définition donnée par les dispositions conventionnelles.

Surabondamment et en tout état de cause, même à supposer que M. [E] puisse prétendre au coefficient 250, il ne peut valablement reprocher à son employeur le non-respect du salaire minimum prévu pour cet échelon. En effet, en application de l'accord régional du 28 novembre 2017 relatif aux salaires minimaux à compter du 1er mai 2018 qui fixe le salaire minimum du coefficient 250 à la somme de 1 992,24 euros, et de l'article 4-1 de la convention collective applicable qui précise que le montant du salaire minimum s'entend comme rémunérant l'intégralité du travail accompli, de sorte que doivent être prises en compte les diverses primes perçues, il convient de constater que si M. [E] percevait un salaire de base de 1 739,50 euros conforme au salaire minimum du coefficient 210, il percevait également des primes de paniers et de commissions sur vente, ce qui, au vu de ses bulletins de salaires, lui assurait un salaire mensuel moyen de 2 849,20 euros, soit une somme bien supérieure au montant du salaire minimum fixé pour le coefficient 250.

Le grief formulé à ce titre est donc vain.

I - b) Sur les heures supplémentaires et le travail dissimulé

Aux termes de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte des articles L. 3171-2 à L. 3171-4 du code du travail, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

En l'espèce, au soutien de sa demande, M. [E] verse aux débats un décompte manuscrit aux termes duquel il indique, mois par mois, les journées au cours desquelles il aurait effectué des heures supplémentaires en indiquant uniquement le nombre d'heures supplémentaires qu'il retient par jour.

Alors que les heures supplémentaires s'apprécient de manière hebdomadaire, ce chiffrage journalier ponctuel qui n'est complété par aucune information sur les horaires exécutés par le salarié sur les autres jours d'une même semaine, en ce qu'il ne permet pas d'évaluer le temps de travail hebdomadaire du salarié, n'est pas un élément suffisamment précis permettant à l'employeur d'y répondre, ni a fortiori, à la cour d'apprécier le bien fondé de la demande. Le grief est donc infondé.

En l'absence d'heures supplémentaires non payées, la critique fondée sur le travail dissimulé est également inopérante.

I - c) Sur le non-paiement de ses frais professionnels et de sa commission

Sur l'absence de paiement de la commission pour le devis signé au mois d'août 2019 concernant le chantier de M. [K] et de Mme [W], M.[E] verse lui-même aux débats un courrier des clients expliquant que le chantier a dû être annulé et que l'acompte qu'ils avaient versé leur a été restitué. Le contrat de vente n'ayant pas été conclu, M. [E] ne peut prétendre à la commission sur chiffre d'affaires pour vente réalisée prévu à son contrat de travail.

Quant au remboursement de ses frais professionnels, la seule production de relevés bancaires sur lesquels apparaissent le paiement de frais de péage ou d'achats divers qui correspondraient à la fourniture de matériel pour les chantiers professionnels de M. [E] n'est pas suffisant pour établir la réalité des frais qui auraient été engagés par le salarié sans être remboursés par l'employeur, étant relevé qu'il est constant que la société Groupe Cost a versé à ce titre au salarié une somme 2 848,96 euros le 11 octobre 2019, outre, au vu des bulletins de salaires produits aux débats, des versements réguliers de remboursement de frais professionnels de l'ordre de 150 ou 200 euros par mois.

Ce grief ne peut être retenu.

I- d) Sur l'absence de mutuelle et d'attestation de salaire

L'article R. 323-10 du code de la sécurité sociale ne prévoyant aucun délai pour la transmission par l'employeur de l'attestation de salaire qu'il doit établir en cas d'arrêt maladie d'un salarié, le fait que, par mail du 28 octobre 2019, M. [E] se soit plaint de l'absence d'envoi de ce document alors qu'il était en arrêt de travail depuis moins de quinze jours ne peut être retenu comme constitutif d'une faute, et ce d'autant que le salarié ne justifie aucunement de l'existence d'un préjudice découlant d'une prétendue transmission tardive de ce document.

Enfin, si l'affirmation selon laquelle M. [E] n'a pas bénéficié de l'affiliation à une mutuelle proposée par son employeur ne peut être contredite en l'absence de tout élément produit à ce titre, ce seul grief, alors que par ailleurs, M. [E] ne fait état d'aucun préjudice en résultant, ne saurait justifier le prononcé de la résiliation du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur.

II - Sur le licenciement

II - a) Sur la faute grave

Conformément aux dispositions de l'article L.1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, laquelle implique qu'elle soit objective, établie, exacte et suffisamment pertinente pour justifier la rupture du contrat de travail.

L'article L. 1235-1 du même code précise qu'à défaut d'accord, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

Il appartient à l'employeur qui l'invoque d'en rapporter la preuve.

En l'espèce, la lettre de licenciement pour faute grave du 20 décembre 2019, qui fixe les limites du litige, reproche à M. [E] une mauvaise gestion des chantiers suivants :

- pour le chantier [W] : il lui est reproché une absence de transmission du planning des travaux et des dates de réunions de suivi de chantier, outre la non transmission d'attestations nécessaires à l'obtention de subventions (prime énergie notamment), ayant eu pour conséquence l'annulation du chantier,

- pour le chantier [V] : il est fait état de la plainte du client quant à un retard de travaux de trois semaines sur le calendrier initial qui pourrait, in fine, entraîner un retard de plusieurs mois,

- pour le chantier [X] : le client se plaint d'un départ de chantier chaotique 'digne d'un amateur'.

En outre, la lettre de licenciement vise les propos déplacés et la violence verbale de M. [E] à l'encontre du gérant, faits qui se seraient déroulés le 15 octobre 2019 lorsque le salarié est venu déposer son arrêt de travail.

Alors que ces faits sont contestés par M. [E], il n'est produit aucune pièce permettant d'en établir la véracité, étant de surcroît relevé, que les premiers juges ont renversé la charge de la preuve en motivant le bien fondé du licenciement pour faute grave sur l'absence de pertinence des éléments de preuve communiqués par le salarié et en se contentant de relever que la lettre de licenciement visait des faits précis et circonstanciés.

En conséquence, il convient d'infirmer la décision entreprise et de dire que le licenciement de M. [E] est sans cause réelle et sérieuse.

II - b) Sur les conséquences financières

* Sur l'indemnité compensatrice de préavis

Aux termes de l'article L.1234-1 du code du travail, le salarié qui justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus entre six mois et moins de deux ans a droit à un préavis d'un mois. La convention collective applicable ne comporte pas de dispositions plus favorables en la matière.

En l'espèce, M. [E] ayant un an et deux mois d'ancienneté, il peut prétendre au versement d'une indemnité compensatrice de préavis équivalente à un mois de salaire d'un montant qu'il convient de fixer à la somme de 2 849,20 euros, outre les congés payés afférents.

* Sur l'indemnité légale de licenciement:

En application des dispositions des articles L.1234-9 et R.1234-1 à R.1234-4 du code du travail dans leur rédaction issue de l'ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017 et du décret du 25 septembre 2017 applicable au présent litige, le salarié licencié qui compte au moins huit mois d'ancienneté au service du même employeur a droit à une indemnité de licenciement dont le montant ne peut être inférieur à un quart de mois de salaire par année d'ancienneté, auquel s'ajoute un tiers de mois de salaire par année au-delà de dix ans d'ancienneté. En cas d'année incomplète, l'indemnité est calculée proportionnellement au nombre de mois complets.

En application de ces dispositions, M. [E], qui a 1 an et 3 mois complets d'ancienneté, peut prétendre à une indemnité de (2 849,20/4) +[ (2 840,20 /4)/12 x 3] = 890,37 euros.

* Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse:

M. [E] ayant moins de deux ans d'ancienneté dans une entreprise employant de manière habituelle moins de onze salariés, il est fondé à obtenir réparation du préjudice résultant de son licenciement sans cause réelle et sérieuse, conformément aux dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail dans sa rédaction issue de l'ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017 applicable au présent litige.

En considération de son ancienneté d'un an et trois mois qui fixe le montant de l'indemnité entre un et deux mois de salaire, de son âge au moment de la rupture du contrat de travail (50 ans), des circonstances de la rupture, et en l'absence de précision sur sa situation financière postérieure à la rupture du contrat de travail, il y a lieu d'allouer à ce titre à M. [E] la somme de 3 000 euros.

Il convient d'inscrire ces différentes créances au passif de la liquidation judiciaire de la société Groupe Cost.

En outre, compte tenu de la nature des sommes allouées, l'AGS doit sa garantie dans les termes des articles L. 3253-8 et suivants du code du travail, à défaut de fonds disponibles, et dans la limite des plafonds définis aux articles L. 3253-17 et D. 3253-5 du code du travail.

Enfin, conformément à la demande présentée par M. [E] il convient d'ordonner à Mme [P], ès qualités, de lui remettre une attestation Pôle Emploi, un certificat de travail et un reçu pour solde de tout compte rectifiés conforme à la présente décision, sans qu'il soit justifié d'assortir cette obligation d'une astreinte.

III - Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner Mme [P], ès qualités, aux entiers dépens, y compris ceux de première instance et de la condamner à payer à M. [E] la somme de 2 000 euros sur ce même fondement pour les frais générés tant en première instance qu'en cause d'appel et non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant publiquement par arrêt réputé contradictoire rendu par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail ;

L'infirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que le licenciement de M. [I] [E] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Fixe au passif de la liquidation judiciaire de la société Groupe Cost, la créance de M. [I] [E] aux sommes suivantes :

indemnité compensatrice de préavis : 2 849,20 euros

congés payés y afférents : 284,92 euros

indemnité légale de licenciement : 890,37 euros

dommages et intérêts pour licenciement sans

cause réelle et sérieuse : 3 000,00 euros

Ordonne à Mme [P], ès qualités, de remettre à M. [I] [E] une attestation Pôle emploi, un certificat de travail et un reçu pour solde de tout compte rectifiés conforme à la présente décision ;

Dit n'y avoir à lieu à assortir cette obligation d'une astreinte ;

Dit que l'Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 5] sera tenue à garantie pour ces sommes dans les conditions définies par les articles L.3253-6 et L.3253-8 et suivants du code du travail, à défaut de fonds disponibles ;

Condamne Mme [P], ès qualités, à payer à M. [I] [E] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mme [P], ès qualités, aux entiers dépens de première d'instance et d'appel.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/00923
Date de la décision : 06/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-07-06;21.00923 ?
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