N° RG 21/02488 - N° Portalis DBV2-V-B7F-IZXW
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 06 JUILLET 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 25 Mai 2021
APPELANTE :
Madame [B] [T]
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Mickael LE BORLOCH, avocat au barreau de ROUEN substitué par Me Marie YSCHARD, avocat au barreau de ROUEN
INTIMEE :
Société ALTERBURO DISTRIBUTION
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Vincent MOSQUET de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Etienne DELATTRE, avocat au barreau de NANTES
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats et du délibéré :
Madame BIDEAULT, Présidente
Madame POUGET, Conseillère
Madame DE BRIER, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme DUBUC, Greffière
DEBATS :
A l'audience publique du 17 Mai 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 06 Juillet 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 06 Juillet 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
La société Alterburo Distribution (la société ou l'employeur) est spécialisée dans la distribution de fournitures de bureau, mobilier et consommables informatiques. Elle emploie 135 salariés et applique la convention collective de commerce de détail de papeterie, fourniture de bureau, de bureautique, informatique et librairie.
Mme [T] (la salariée) a été embauchée par la société en qualité de voyageur, représentant, placié (VRP) exclusif aux termes d'un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er avril 2005.
Par avenant au contrat de travail en date du 28 avril 2014, l'employeur a attribué à la salariée un portefeuille clients.
Par courrier en date du 11 juin 2020 adressé à son employeur, la salariée a notifié sa démission dans ces termes :
' Je vous fais part par ce courrier remis en main propre ce jour de ma démission pour le poste de VRP exclusif que j'occupe depuis avril 2005.
Je souhaite quitter mon poste en date du 4 septembre 2020 puisqu'une période de préavis de 3 mois est prévue dans mon contrat.
La passation de mon fichier client pourra se faire sur la période du 31 août au 4 septembre. A l'issue avec votre accord, je déposerai à l'agence de [Localité 5] mon véhicule, mon téléphone. (...)'
Par courrier du 24 juin 2020, la société a accusé réception de la démission de la salariée et lui a précisé que sa clause de non-concurrence serait appliquée pendant une année.
Par mail du 30 juin 2020, la société a accepté la demande de dispense partielle de préavis formée par la salariée et la relation de travail a pris fin le 4 septembre 2020.
Invoquant l'existence d'une exécution déloyale du contrat de travail par l'employeur, soutenant l'existence d'une inégalité de traitement, considérant que sa démission doit être requalifiée en prise d'acte de la rupture du contrat de travail produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, la salariée a saisi le 1er décembre 2020 le conseil de prud'hommes de Rouen.
Par jugement du 25 mai 2021, le conseil de prud'hommes de Rouen a :
- dit et jugé que le contrat de travail liant Mme [T] à la société Alterburo Distribution a été exécuté de façon loyale,
- dit que la rupture du contrat de travail repose sur la démission non équivoque de Mme [T],
- débouté Mme [T] de l'intégralité de ses demandes,
- condamné la société Alterburo Distribution de sa demande reconventionnelle,
- condamné Mme [T] aux entiers dépens.
Mme [T] a interjeté appel le 17 juin 2021 à l'encontre de cette décision qui lui a été régulièrement notifiée.
La société a constitué avocat par voie électronique le 1er juillet 2021.
Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 10 mai 2023, la salariée appelante sollicite l'infirmation du jugement entrepris et demande à la cour de :
- condamner la société Alterburo Distribution à lui verser :
la somme de 20 000 euros de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
la somme de 31 261,23 euros brut au titre de la différence de traitement outre la somme de 3 126,12 euros au titre des congés payés y afférents et, à titre subsidiaire, la somme de 30 510,21 euros brut outre la somme de 3 051,02 euros au titre des congés payés et, à titre infiniment subsidiaire, la somme de 18 277,62 euros outre 1 827,76 euros au titre des congés payés afférents,
les sommes suivantes à titre de rappel de salaire :
- pour le mois de mars 2020 : 111,30 euros outre 11,13 euros au titre des congés payés afférents,
- pour le mois de avril 2020 : 247,84 euros outre 24,78 euros au titre des congés payés afférents,
- pour le mois de mai 2020 : 299,60 euros outre 29,97 euros au titre des congés payés afférents,
- la somme de 16 238,28 euros au titre de l'indemnité pour travail dissimulé,
- condamner la société Alterburo Distribution à lui payer la somme de 808,81 euros au titre des congés payés non pris et non payés pour le mois d'avril 2020,
- juger que sa démission en date du 11 juin 2020 s'analyse en une prise d'acte produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamner la société Alterburo Distribution à lui verser, sur la base d'un salaire de référence reconstitué de 2 706,38 euros les sommes suivantes :
indemnité de licenciement: 11 276,58 euros
indemnité compensatrice de préavis (3 mois) : 8 119,14 euros
congés payés afférents: 811,91 euros
dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (13 mois de salaire) : 35 182,14 euros,
- débouter la société de ses demandes,
- condamner la société à lui verser la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que la condamner aux entiers dépens.
Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 10 mai 2023, la société intimée, réfutant les moyens et l'argumentation de la partie appelante, sollicite pour sa part la confirmation de la décision déférée en toutes ses dispositions et la condamnation de l'appelante au paiement d'une indemnité de procédure de 5 000 euros ainsi qu'aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture en date du 11 mai 2023 a renvoyé l'affaire pour être plaidée à l'audience du 17 mai 2023.
Il est expressément renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d'appel aux écritures des parties.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1/ Sur l'exécution déloyale du contrat de travail
La salariée soutient que l'employeur n'a pas exécuté loyalement le contrat de travail en ce que, sans l'avertir, par décision unilatérale, il a engagé à compter du mois de décembre 2015 une autre personne en qualité de VRP exclusif, sur le même périmètre de secteur que le sien, pour vendre les mêmes produits et auprès de la même clientèle.
Elle considère qu'en modifiant unilatéralement la relation contractuelle, l'employeur n'a pas respecté les dispositions légales applicables, que l'exécution déloyale du contrat de travail est caractérisée.
Elle sollicite en conséquence la condamnation de son ancien employeur au paiement de la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts.
La société conclut au débouté de la demande et, par voie de conséquence, à la confirmation du jugement entrepris de ce chef.
Elle indique qu'aucune clause prévoyant une exclusivité sur un secteur n'est prévue dans le contrat de travail de la salariée, précise qu'au jour de son embauche un autre commercial, M. [C], était d'ailleurs présent pour couvrir le secteur du département 76, ce qui n'avait posé aucune difficulté.
La société rappelle que l'avenant n°1 du contrat de travail de la salariée précisait que l'employeur se réservait la possibilité de réattribuer les clients à un autre commercial et/ou de modifier le secteur confié au représentant par voie d'extension ou de réduction.
En dernier lieu, l'employeur verse aux débats le détail des commissions perçues par la salariée au cours des années 2013 à 2017 aux fins de démonter que l'embauche d'une autre VRP n'a pas entraîné de baisse de rémunération pour Mme [T].
Sur ce ;
En application de l'article L 7311-3 eu code du travail, l'employeur et le VRP sont liés par un ensemble d'engagements fixant :
- la nature des prestations de services ou des marchandises offertes à la vente ou à l'achat ;
- le secteur géographique dans lequel le VRP exerce son activité ou les catégories de clients qu'il est chargé de visiter ;
- le taux des rémunérations (fixe et/ou commissions).
L'attribution d'un secteur est nécessaire. Ce secteur doit être déterminé et fixe mais il n'a pas à être nécessairement exclusif.
En l'espèce, il ne ressort pas du contrat de travail de la salariée ou des avenants à celui-ci de disposition imposant que le secteur de prospection soit réservé à un représentant.
Il ressort de ces mêmes documents que le secteur attribué à la salariée était circonscrit au département 76, étant précisé que la salariée pourrait être amenée à travailler dans les départements limitrophes (27, 60 et 80).
Il n'est pas contesté qu'à compter de décembre 2015 l'employeur a embauché un autre VRP, Mme [G], chargée de la représentation commerciale de la société sur le secteur suivant : Centre-ville [Localité 13], [Localité 6], [Localité 9], [Localité 11], [Localité 7], [Localité 12], [Localité 10], [Localité 8].
La cour constate que le secteur attribué à Mme [G] était moins étendu géographiquement que celui attribué à l'appelante.
En outre, l'employeur établit qu'au jour de l'embauche de Mme [T], un commercial, M. [C], était déjà affecté sur le secteur attribué à la salariée (département 76).
Enfin, il ressort des éléments versés aux débats par l'employeur, non utilement contestés par la salariée, qu'à compter de l'embauche de Mme [G], le montant des commissions perçues par l'appelante n'a pas diminué (2014 : 10 622,62 euros, 2015 : 12 524,78 euros, 2016 : 10 831,37 euros et 2017 : 10 283,23 euros).
Il ressort des éléments produits que l'embauche d'un nouveau VRP affecté à une partie du secteur géographique attribué à la salariée ne constitue pas au regard des dispositions contractuelles une modification d'un élément de son contrat de travail mais un simple changement des conditions d'exécution du travail relevant du pouvoir de direction de l'employeur.
Il ne résulte pas des pièces et documents versés aux débats l'existence d'une exécution déloyale du contrat de travail par l'employeur.
Par confirmation du jugement entrepris, la salariée doit en conséquence être déboutée de sa demande.
2/ Sur la demande liée à l'inégalité de traitement
Selon le principe 'à travail égal salaire égal', l'employeur doit assurer l'égalité de traitement des salariés placés dans une situation identique et effectuant un même travail ou un travail de valeur égale. L'égalité de traitement et l'égalité salariale supposent que les salariés soient placés dans une situation comparable au regard de leur formation, soit un ensemble de connaissances professionnelles consacrées par un diplôme ou un titre ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l'expérience acquise.
Cependant une inégalité de traitement peut être admise si l'employeur établit qu'elle repose sur des éléments objectifs et non discriminatoires.
En application de l'article 1315 du Code civil, s'il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe d'égalité de traitement de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser cette inégalité, il incombe à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs, pertinents et matériellement vérifiables justifiant cette différence, ces éléments étant contrôlés par le juge.
C'est à celui qui invoque une atteinte au principe d'égalité de traitement de démontrer qu'il se trouve dans une situation identique ou similaire à celui auquel il se compare.
Si l'expérience professionnelle acquise antérieurement peut constituer un motif objectif justifiant une différence de traitement entre deux salariés occupant le même emploi, c'est à la condition que cette expérience atteste de connaissances particulières à l'exercice de la fonction occupée.
En l'espèce, l'appelante soutient avoir été victime d'une inégalité salariale en ce qu'elle était rémunérée à hauteur d'un salaire de base de 1 180 euros brut en décembre 2017, puis de 1 090 euros brut à partir de janvier 2018, puis d'un minimum garanti de 1 410 euros à compter de février 2019 alors que deux salariées, embauchées en qualité de VRP exclusif à compter de décembre 2015, sans autre qualification supplémentaire percevaient un salaire minimum net de 2 500 euros soit un minimum brut de 3 300 euros, soit plus de 800 euros supplémentaires.
Mme [T], qui compare sa situation à celle de Mme [G], considère qu'elles exerçaient toutes deux la même activité, sur le même secteur, qu'elle disposait de la même ancienneté, une différence de 2 années revenant à une ancienneté comparable lorsqu'il s'agit d'une expérience se comptant en dizaine d'années.
Au regard de la rémunération perçue, afin de réparer l'inégalité de traitement, la salariée demande la condamnation de son ancien employeur à lui verser la somme de 31 261,23 euros à titre de rappel de salaire et, subsidiairement, la somme de 18 277,62 euros.
A l'appui de ses prétentions, elle verse au débat un tableau comparatif de sa situation avec celle de Mme [G] pour la période comprise entre décembre 2017 et juin 2020 reprenant, mois par mois, le montant des salaires brut perçus par les deux salariées hors commissions et remboursement de frais.
Elle soumet ainsi des éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération.
L'employeur, qui verse aux débats le contrat de travail de Mme [G], conteste toute inégalité de traitement.
Il observe que le salaire fixe brut mensuel de Mme [G] a été contractuellement fixé à 2 300 euros sur 12 mois et non à 3 046,67 euros tel qu'allégué par l'appelante.
Il précise qu'antérieurement à son embauche, Mme [G] avait travaillé plus de 12 ans en qualité de cadre, pour une entreprise directement concurrente à la société Alterburo Distribution, la société Office Dépôt, qu'elle justifiait en conséquence d'une réelle expérience alors que Mme [T], ne bénéficiait d'aucune expérience dans le secteur de la bureautique lors de son embauche.
La société précise rapporter la preuve d'éléments objectifs justifiant un écart de salaire, précisant qu'à sa demande, Mme [T] a bénéficié à compter de 2019 d'une garantie de rémunération à hauteur de 30 000 euros brut par an, soit un montant supérieur au salaire fixe de Mme [G].
L'employeur conteste en dernier lieu la valeur probante du tableau de comparaison produit par la salariée indiquant que cette dernière compare le montant de son salaire brut hors commissions à la garantie de salaire de Mme [G], cette dernière intégrant son salaire fixe, variable et ses congés payés.
En premier lieu, la cour constate que si l'appelante évoque la situation de deux VRP embauchés en 2015 au sein de l'entreprise, elle n'en nomme qu'une seule et ne produit des éléments de comparaison qu'avec Mme [G].
Il ressort du contrat de travail à durée indéterminée de cette dernière qu'elle a été embauchée à compter du 1er décembre 2015 pour exercer les mêmes fonctions que l'appelante, sur un secteur similaire.
Il était prévu par le contrat de travail, à titre exceptionnel pour les années 2016 et 2017 une rémunération garantie de 2 916,67 euros brut par mois comprenant une garantie fixe, variable (commissionnement et primes) et congés payés se décomposant comme suit :
- salaire fixe brut mensuel de 2 300 euros sur 12 mois,
- une garantie sur variable mensuelle de 616,67 euros brut .
A compter du 1er janvier 2018, la rémunération de Mme [G] est déterminée de la façon suivante:
- salaire fixe de 2 300 euros brut par mois,
- une partie variable mensuelle calculée sur la marge brute facturée commerciale à hauteur de 6 % (taux de MB minimum de 30 %),
- une prime annuelle à hauteur de 4 000 euros brut pour 2018, cette prime étant versée à hauteur de 1 000 euros par trimestre si et seulement si les objectifs trimestriels définis par la direction commerciale sont atteints à 100 %.
Les bulletins de salaire de Mme [G] versés aux débats mentionnent un salaire fixe mensuel de 2 300 euros brut.
Il ressort des pièces produites par l'appelante et plus spécifiquement de ses bulletins de paie qu'elle percevait un salaire brut mensuel de base de 1 180 euros jusqu'en 2019 avec un complément temporaire de 250 euros soit 1430 euros au total.
Il est toutefois constaté que sur certains mois de l'année 2018, la rémunération fixe de la salariée a été diminuée sans que l'employeur ne s'explique sur cette modification.
A compter du 1er janvier 2019 la rémunération fixe est de 1090 euros augmentée d'un minimum garanti de 1410 euros brut par mois soit 2 500 euros.
Il ressort de ces éléments qu'à compter du 1er janvier 2019, il n'existait pas de différence de traitement entre les deux salariées.
Sur la période comprise entre décembre 2017 et le 1er janvier 2019, une différence de salaire brut existait entre les deux salariées sur la partie fixe de leur rémunération garantie, à hauteur de 870 euros en moyenne.
Si l'employeur invoque l'expérience professionnelle de 12 années de Mme [G] au jour de son embauche pour justifier de cette différence de rémunération, il y a lieu de constater qu'en 2015, Mme [T] avait acquis au sein de l'entreprise une expérience de 10 années dans ses fonctions, expérience que la cour considère comme tout à fait similaires.
Faute pour l'employeur de justifier objectivement la différence de traitement entre la salariée appelante et Mme [G], la cour, infirmant le jugement entrepris, dit que l'inégalité de traitement est fondée pour la période comprise entre décembre 2017 et le 1er janvier 2019.
Il sera accordé à Mme [T] un rappel de salaire à hauteur de 10 440 euros outre 1044 euros au titre des congés payés afférents.
3/ Sur la demande de rappel de salaire liée à l'activité partielle
La salariée appelante soutient avoir travaillé à temps complet pendant les deux mois et demi au cours desquels elle a été placée en activité partielle lors de la période de confinement liée à la pandémie Covid 19.
Aux termes de l'article L 3171-4 du code du travail en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Il résulte des dispositions de l'article L. 3171-2 al. 1, de l'article L. 3171-3 et de l'article L. 3171-4 précité, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
Mme [T] indique qu'il résultait des directives même de l'employeur adressées aux clients de la société que les commerciaux étaient disponibles aux horaires habituels. Elle affirme ainsi avoir travaillé plus de 3h50 par jour et revendique un rappel de salaire pour les mois de mars, avril et mai 2020.
En réponse aux arguments de l'employeur, elle indique avoir refusé de remplir le tableau relatif aux heures travaillées dès lors qu'elle travaillait à temps complet.
Au soutien de ses allégations, elle verse aux débats :
- le mail adressé par l'employeur aux clients de la société précisant que les commerciaux, actuellement en télétravail, demeurent joignables de manière habituelle,
- des attestations de clients indiquant l'avoir sollicitée comme habituellement lors de cette période et notamment les témoignages de Mme [F], dirigeante de la société EPI Normandie, de Mme [Y], gérante de l'entreprise Solution, de Mme [D], dirigeante de la société [D] Entreprise, de Mme [K], dirigeant de la société Homiso, de Mme [W], gérante de la société Carrosserie Industrielle Hangard,
- la copie de mails envoyés aux clients,
- la copie de mails alertant son employeur.
La salariée présente ainsi des éléments préalables suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre en apportant ses propres éléments.
En réponse, l'employeur verse aux débats les documents relatifs à la mise en place de l'activité partielle pour la période comprise entre le 24 mars 2020 et fin mai 2020 en raison de la période de confinement liée à la pandémie Covid-19.
Il indique qu'à compter du 24 mars 2020 l'ensemble de la force de vente a été placée en activité partielle à hauteur de 50 % en télétravail en raison de l'interdiction de déplacement.
Il justifie avoir adressé aux salariés un tableau hebdomadaire à remplir concernant les horaires travaillés, précisant que la durée de travail était limitée à 3h50 par jour. Il indique que l'appelante n'a jamais rempli ces tableaux.
La société précise avoir informé ses clients de la disponibilité des commerciaux n'étant pas tenue de leur expliquer la nature des mesures d'activité partielle mises en place.
L'intimée conteste la réalité du travail à temps complet de la salariée durant cette période. Elle expose d'une part que pendant cette période, l'activité de la salariée a été une activité de commande de produits d'hygiène (gels, masques, savons...) que d'autre part, la baisse de 53 % de son chiffre d'affaires sur cette période témoigne d'une activité moindre.
La société verse aux débats les fiches clients de certaines sociétés dont les gérants ont attesté en faveur de la salariée afin d'établir que ces dernières n'ont passé commande qu'au cours de la crise sanitaire et ne pouvaient se prévaloir du 'caractère habituel' de la relation commerciale.
En dernier lieu, l'employeur verse aux débats des mails adressés par Mme [T] à ses clients au sein desquels elle indique par exemple être en télétravail le matin et en chômage partiel l'après midi, être en vacances (mail du 14 avril 2020), ne pas travailler l'après midi et par conséquent ne pas pouvoir répondre (mail du 20 mai 2020).
L'employeur précise avoir exploité les mails reçus et envoyés par la salariée tels que versés aux débats. Il indique que sur un volume de 175 pages de mails versés aux débats, Mme [T] a adressé en moyenne 4,5 mails par jour travaillé dont certains adressés à partir de son smart phone.
Au vu de ces éléments, la cour constate que l'employeur avait clairement donné pour directive à la salariée de ne travailler qu'à temps partiel au cours de la période considérée, que cette dernière a déféré à cette demande comme précisé à certains clients. Il est établi que la salariée n'a pas respecté les directives de l'employeur concernant le renseignement du tableau hebdomadaire. Le fait qu'elle ait pu adresser ponctuellement un mail en dehors de la plage horaire au sein de laquelle elle devait travailler ne suffit pas à caractériser un travail à temps complet tel qu'allégué.
Ainsi, au vu des éléments produits de part et d'autre, et sans qu'il soit besoin d'une mesure d'instruction, la cour a la conviction au sens du texte précité que Mme [T] n'a pas travaillé à temps complet au cours de la période de confinement.
Le jugement sera par conséquent confirmé de ce chef.
Par voie de conséquence, la salariée doit également être déboutée de sa demande au titre du travail dissimulée, celle-ci n'étant relative qu'à la période d'activité à temps partiel précédemment étudiée.
4/ Sur la demande au titre des jours de congés
La salariée soutient que l'employeur a unilatéralement retiré 6 jours de congés payés sur le bulletin de salaire du mois d'avril 2020 sans qu'elle n'ait posé de congés ou donné son accord à cette déduction.
Elle sollicite en conséquence la somme de 808,81 euros à ce titre.
L'employeur conclut au débouté de la demande. Il indique que le 26 février 2020 la salariée a demandé à être en congés payés du 27 au 30 avril 2020 soit pendant 4 jours et qu'elle a demandé le 10 mars 2020 à bénéficier de congés payés du 14 au 15 avril 2020 inclus, ce qui lui a été accordé et qui justifie la déduction de 6 jours de congés payés opérée.
Sur ce ;
Il appartient à l'employeur de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé et, en cas de contestation, de justifier qu'il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombent.
En l'espèce, l'employeur verse aux débats les captures d'écran du logiciel Octime spécialisé dans la gestion de planning RH aux fins de démontrer que la salariée a formé deux demandes de congés pour les périodes du 14 au 15 avril 2020 et du 27 au 30 avril 2020. Il précise que pour l'utilisation du logiciel, chaque salarié est identifié avec son matricule, que celui de Mme [T] est le 3601 et qu'il résulte sans doute possible de la lecture des documents qu'elle a formé ces demandes.
Il résulte des documents versés aux débats par l'employeur que la salariée, avant la mise en oeuvre de la période de confinement, avait sollicité des congés payés aux dates précisées qui lui ont été accordés par l'employeur selon les modalités en vigueur au sein de l'entreprise.
Au regard de ces éléments, par confirmation du jugement entrepris, il y a lieu de juger que la salariée a été remplie de ses droits au titre de ses congés payés.
5/ Sur la rupture du contrat de travail
Mme [T] soutient que sa démission doit être requalifiée en prise d'acte de la rupture produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse au regard des manquements antérieurs et/ou concomitants de l'employeur.
Elle soutient avoir été placée en activité partielle alors qu'elle travaillait à temps plein, que son employeur bénéficiait des aides de l'Etat relatives au chômage partiel, qu'elle l'a alerté à plusieurs reprises sur cette situation et que sa démission est justifiée par les manquements de l'employeur.
Sur ce ;
La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste, de façon claire et non équivoque, sa volonté de mettre fin au contrat de travail.
Lorsqu'un salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de sa démission, remet en cause celle-ci dans un délai rapproché en raison de faits ou de manquements imputables à son employeur et lorsqu'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, elle doit être analysée en prise d'acte qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d'une démission.
En l'espèce, il y a lieu de constater que la lettre de démission reproduite précédemment, dont il n'est pas soutenu qu'elle serait entachée d'un vice du consentement, ne comporte pas de réserves.
Cependant, il ressort des éléments versés aux débats que par mails adressés à son employeur en avril 2020 Mme [T] a interrogé ce dernier sur la baisse de sa rémunération pendant la période de confinement, soutenant travailler à temps complet et revendiquant un salaire à taux plein.
Ainsi au sein de son mail du 20 avril 2020 la salariée indiquait 'malgré ma patience, je précise qu'à l'heure actuelle je n'effectue pas 3h50 de travail hebdomadaire mais bien plus' et reprochait à son employeur de ne pas répondre à ses sollicitations.
Il résulte par conséquent de ces éléments que la démission de Mme [T] s'est inscrite dans un contexte de conflit avec son employeur relatif à son temps de travail effectif et à sa rémunération.
A la date à laquelle elle a été donnée, la démission de la salariée ne peut être considérée comme l'expression d'une volonté libre et non équivoque de rupture.
Remise en cause dans un délai suffisamment rapproché à raison de manquements imputés à l'employeur, elle doit donc s'analyser en une prise d'acte susceptible de produire soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits et manquements imputés à l'employeur sont établis et d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail, soit, dans le cas contraire, les effets d'une démission.
En l'espèce, au titre des manquements invoqués la salariée soutient uniquement ne pas avoir été pleinement rémunérée au titre du travail à temps plein effectué au cours de la période de confinement.
Il a cependant été précédemment jugé que la salariée n'avait pas travaillé à temps plein au cours de la période de confinement, de sorte que ce manquement n'est pas établi.
En outre, la cour constate que l'employeur justifie du fait que la salariée, qui avait demandé une dispense partielle de son préavis, avait reçu une promesse d'embauche de la part de la société Allianz le 2 juin 2020, qu'elle a accepté ce nouvel emploi à compter du 7 septembre 2020 et qu'elle avait antérieurement, lors des entretiens d'évaluation professionnelle évoqué son projet de réorientation professionnelle.
Au vu de ces éléments, la prise d'acte de la rupture doit produire les effets d'une démission.
6/ Sur les dépens et frais irrépétibles
Il serait inéquitable de laisser à la charge de Mme [T] les frais non compris dans les dépens qu'elle a pu exposer.
Il convient en l'espèce de condamner l'employeur, appelant succombant dans la présente instance, à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel.
Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de l'employeur les frais irrépétibles exposés par lui.
Il y a également lieu de condamner la société aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant contradictoirement, en dernier ressort ;
Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Rouen du 25 mai 2021 sauf en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande au titre de l'inégalité de traitement, en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande de requalification de sa démission en prise d'acte et en ses dispositions relatives aux dépens ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
Requalifie la démission de Mme [B] [T] en prise d'acte de la rupture ;
Juge que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail produit les effets d'une démission ;
Condamne la société Alterburo Distribution à verser à Mme [B] [T] les sommes suivantes :
10 440 euros à titre de rappel de salaire de décembre 2017 au 1er janvier 2019 outre 1044 euros au titre des congés payés afférents,
avec intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation ;
Condamne la société Alterburo Distribution à verser à Mme [B] [T] la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel ;
Rejette toute autre demande ;
Condamne la société Alterburo Distribution aux entiers dépens de première instance et d'appel.
La greffière La présidente