N° RG 22/01726 - N° Portalis DBV2-V-B7G-JCXP
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 18 AVRIL 2024
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DU HAVRE du 27 Avril 2022
APPELANT :
Monsieur [G] [M]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Me Fabien LACAILLE, avocat au barreau de ROUEN
INTIMÉE :
S.A.S. COMATELEC SCHREDER
Zone Industrielle
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Jamellah BALI de la SCP BALI COURQUIN JOLLY PICARD, avocat au barreau de l'EURE substituée par Me Sophie BAILLY, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 07 Mars 2024 sans opposition des parties devant Madame BIDEAULT, Présidente, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame BIDEAULT, Présidente
Madame ALVARADE, Présidente
Madame POUGET, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme DUBUC, Greffière
DEBATS :
A l'audience publique du 07 mars 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 18 avril 2024
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 18 Avril 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
La société Comatelec Schreder (la société ou l'employeur) a pour activité la conception et la fabrication de luminaires et d'éclairages publics. Elle emploie environ 250 salariés et applique la convention collective nationale de la métallurgie.
M. [G] [M] (le salarié) a été embauché par la société en qualité d'agent technico-commercial, niveau cadre, position II, indice 100, aux termes d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps complet à compter du 2 septembre 2013.
Par avenant à effet au 1er juillet 2015, il a été convenu que le salarié exercerait ses fonctions sur les départements du Calvados, de la Manche et de la Seine Maritime.
Le salarié a bénéficié de différents arrêts maladie en 2016. A compter du 14 décembre 2016, il a été placé en arrêt de travail.
Par avis en date du 29 mars 2018, le médecin du travail a conclu à l'inaptitude du salarié.
M. [M] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 31 mai 2018 par lettre du 16 mai précédent puis licencié pour inaptitude par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 5 juin 2018 motivée comme suit :
' Par lettre du 16/05/2018, reçue le 17/05/2018, nous vous avons convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, entretien prévu le 31/05/2018. Vous ne vous êtes pas présenté à cet entretien.
Pour rappel, par avis en date du 29 mars 2018, le médecin du travail vous a déclaré inapte à votre poste de travail. Nous avons effectué des recherches de reclassement et nous vous avons adressé des propositions par lettre recommandée du 16 avril 2018.
Vous nous avez adressé un courrier recommandé daté du 26 avril 2018, par lequel vous nous avez fait part d'observations et de rappels concernant notre obligation de reclassement, mais vous ne nous avez pas fait part de votre position concernant les postes proposés.
Nous vous avons répondu par courrier du 2 mai 2018. Dans ce même courrier, nous vous indiquions également qu'à défaut de réponse de votre part sur les propositions de reclassement dans les 8 jours calendaires suivant la réception de cette lettre, nous considérerions que vous refusez les postes proposés.
Vous avez réceptionné cette lettre le 4 mai 2018 et ne nous avez jamais répondu.
Dans ces conditions, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour inaptitude physique à votre poste.
La rupture de votre contrat de travail prend effet dès la date d'envoi de la présente lettre, sans indemnité de préavis. (...)'
Soutenant avoir été victime de harcèlement moral, contestant la licéité et subsidiairement, la légitimité de son licenciement et estimant ne pas avoir été rempli de ses droits au titre de la rupture de son contrat de travail, M. [M] a saisi le conseil de prud'hommes du Havre ; lequel, par jugement du 27 avril 2022, a :
- constaté que 'le licenciement du salarié était d'origine non professionnelle',
- constaté que le salarié n'avait pas été victime d'un harcèlement moral,
- constaté que le licenciement n'était ni nul ni discriminatoire,
- constaté que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse,
- débouté le salarié de l'intégralité de ses demandes,
- condamné le salarié à verser à la société la somme de 200 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné le salarié aux dépens.
M. [M] a interjeté appel le 24 mai 2022 à l'encontre de cette décision.
La société a constitué avocat par voie électronique le 10 juin 2022.
Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 29 janvier 2024, le salarié appelant sollicite l'infirmation du jugement entrepris et demande à la cour de :
- à titre principal, requalifier son licenciement en un licenciement nul en raison du harcèlement moral et condamner l'employeur à lui verser des salaires depuis le licenciement jusqu'à sa réintégration soit 198 000 euros brut,
- à titre subsidiaire, requalifier son licenciement en un licenciement abusif,
- condamner la société à lui verser les sommes suivantes :
60 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance et 2 500 euros pour la procédure d'appel,
- débouter la société de ses demandes,
- condamner la société aux dépens qui comprendront les éventuels frais det honoraires d'exécution de l'arrêt à intervenir,
- dire qu'à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées et en cas d'exécution par voie extrajudiciaire, les sommes retenues par l'huissier devront être supportées par la société défenderesse.
Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 12 février 2024, la société intimée, réfutant les moyens et l'argumentation de la partie appelante, sollicite pour sa part la confirmation de la décision déférée et la condamnation de l'appelant au paiement d'une indemnité de procédure de 5 000 euros.
A titre subsidiaire, si la cour devait juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse, la société demande que le montant de l'indemnité à ce titre soit limité à une somme comprise entre 13 249,98 euros et 22 083,30 euros.
Si par extraordinaire la nullité du licenciement était reconnue et que la réintégration du salarié était prononcée, la société sollicite de la cour qu'elle :
- juge la demande de réintégration tardive,
- qu'elle fixe le point de départ de l'indemnisation au 5/06/2019 date du dépôt de la requête devant le conseil de prud'hommes,
- ordonne la déduction de l'ensemble des salaires et revenus de remplacement perçus par M. [M] sur la période considérée des salaires réclamés par ce dernier, à charge pour lui d'en justifier.
L'ordonnance de clôture en date du 15 février 2024 a renvoyé l'affaire pour être plaidée à l'audience du 7 mars 2024.
Il est expressément renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d'appel aux écritures des parties.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1/ - Sur le harcèlement moral
Le salarié soutient avoir été victime de harcèlement moral constitué par un management particulièrement brutal dès janvier 2016 de la part de son supérieur hiérarchique M. [L].
L'employeur conteste tout harcèlement moral ; précise que le salarié a sollicité la mise en oeuvre d'une rupture conventionnelle ; que les discussions en vue de cette rupture ont échoué en raison des prétentions financières excessives du salarié ; que ce dernier a alors saisi le CHSCT le 16 novembre 2016 d'une plainte en lien avec des faits de harcèlement moral ; qu'une enquête a été diligentée et a conclu à l'absence de tout harcèlement moral.
Sur ce ;
Aux termes de l'article L 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale de compromettre son avenir professionnel.
L'article L 1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié présente des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
La deuxième partie de ce texte présuppose que les éléments de fait présentés par le salarié soient des faits établis puisqu'il n'est pas offert à l'employeur de les contester mais seulement de démontrer qu'ils étaient justifiés.
Au soutien de sa demande, le salarié indique que son supérieur hiérarchique lui a refusé le remboursement de ses notes de frais avancés sur ses deniers personnels, qu'il lui a adressé des brimades particulièrement agressives, qu'il lui a bloqué l'utilisation de sa boîte mail lors de son retour d'arrêt de travail le 2 décembre 2016, qu'il a refusé de lui verser des primes en modifiant de façon unilatérale son contrat de travail.
Il justifie de ses arrêts de travail et de son état dépressif médicalement pris en charge.
Il ressort des éléments produits par le salarié qu'à son retour d'arrêt de travail en décembre 2016, un message d'absence était toujours présent sur sa messagerie outlook, message adressé systématiquement aux personnes lui adressant des emails.
Il ressort des échanges produits entre le salarié et son manager M. [L] que des tensions sont apparues entre eux concernant les remboursements de ses frais professionnels, le salarié se plaignant du retard de ceux-ci.
Le salarié justifie du fait que pour l'année 2016, il n'était plus prévu que le montant de la prime annuelle susceptible d'être versée soit amélioré en fonction de coefficients et que le montant du chiffre d'affaire global à atteindre pour prétendre au versement de la prime ne comportait plus que 4 palliers au lieu des 6 précédemment prévus pour les années antérieures.
M. [M] verse aux débats des échanges de mails avec M. [L] au sein desquels des tensions relationnelles apparaissent.
L'appelant justifie avoir saisi par courrier le CHSCT le 16 novembre 2016 en indiquant être victime de faits de harcèlement moral de la part de M. [L].
Ces éléments établissent ainsi suffisamment des faits répétés qui, pris et appréciés dans leur ensemble, sont de nature à laisser présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral en présence de laquelle l'employeur se doit d'établir que les comportements et faits qui lui sont reprochés étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.
En réponse, l'employeur indique que les relations ont toujours été tendues et difficiles avec M. [M] ; qu'à l'origine il ne s'est pas entendu avec M. [E], son collègue, ce qui a conduit à procéder à une nouvelle répartition des secteurs au sein de la région et à proposer au salarié la signature d'un avenant le 1er juillet 2015.
Il expose que dès 2015, son ancien supérieur hiérarchique M. [O] faisait état au sein de l'entretien individuel du salarié de la nécessité d'améliorer son comportement vis-à-vis des collaborateurs, qu'en l'absence d'évolution de la situation un entretien de mise au point a eu lieu dès le 3 décembre 2015.
La société verse aux débats le mail de M. [O] concernant le déroulement de cet entretien qui constate notamment un manque de considération de l'appelant vis-à-vis de tous les services qu'il considère comme incapables et incompétents, de sa volonté de tout savoir, tout gérer et décider de tout, ce qui l'a amené à prendre des décisions techniques qui ont coûté cher à la société. Il précise également lui avoir reproché de soudoyer des collègues pour obtenir des informations sur des affaires gérées par ses supérieurs hiérarchiques, de se plaindre de ses supérieurs devant les clients.
L'employeur précise que suite aux alertes du médecin du travail au cours de l'été 2016, des entretiens et rencontres pour résoudre les tensions existantes entre le salarié et M. [L] ont été organisées ; qu'une éventuelle rupture du contrat de travail dans le cadre d'une rupture conventionnelle a été envisagée, que le salarié a souhaité en échanger avec son épouse, qu'il a bénéficié d'un temps de réflexion mais qu'en raison de ses prétentions excessives (une indemnisation complémentaire de 95 000 euros net a été sollicitée) le projet n'a pas abouti.
La société justifie que le CHSCT s'est immédiatement saisi de l'alerte effectuée par le salairé le 16 novembre 2016, qu'une enquête a été réalisée et que le rapport a conclu à l'absence de tout harcèlement moral.
L'employeur justifie qu'à la suite du courrier reçu, des demandes de précisions ont été adressées au salarié qui n'a pas répondu au courrier du 22 novembre 2016.
Concernant les faits évoqués par le salarié, l'employeur précise que la boîte mail du salarié n'a jamais été bloquée, que le message d'absence présent pouvait être retiré par le salarié lui-même, ce qu'il n'a pas fait ; que le service informatique a été sollicité et à procéder au retrait du mail.
L'employeur verse aux débats les messages entre le salarié et M. [L] et constate que si des tensions existent, celles-ci proviennent du ton inapproprié utilisé par M. [M] à l'égard de son supérieur hiérarchique. La société verse également aux débats la copie d'échanges entre le salarié et la DRH afin d'établir l'existence d'un ton agressif de celui-ci.
La société justifie avoir toujours remboursé les frais professionnels du salarié mais verse aux débats des éléments tendant à établir d'une part, que M. [M] envoyait ses notes de frais avec beaucoup de retard (souvent plusieurs mois) et, d'autre part, qu'il ne les adressait pas sous un format conforme au process en vigueur et que parfois les justificatifs de ces frais n'étaient pas produits.
Concernant les primes versées, l'employeur précise que chaque année le salarié se voyait notifier ses objectifs et modalités de rémunération variables, qu'il les a toujours acceptés en apposant la mention 'bon pour accord' et sa signature sur les documents notifiés.
Il précise qu'en 2016, contrairement à ses allégations, le salarié a perçu une prime de 14 000 euros brut.
Il ressort de l'ensemble de ces éléments que si le salarié a alerté le CHSCT par courrier du 16 novembre 2016 de l'existence d'un harcèlement moral, une enquête a été diligentée ; que le rapport du 30 mars 2017 conclut qu'il n'apparaît pas de pratiques anormales de management ni de différence de traitement de la part de M. [L] envers M. [M] par rapport aux autres membre de son équipe ; qu'au niveau du management, rien ne démontre à ce jour au CHSCT des actes volontaires de M. [L] voulant nuire à M. [M], qu'aucun élément en la connaissance actuelle du CHSCT ne peut donc conclure à une situation de harcèlement moral de la part de M. [L] au sujet de M. [M].
Il est établi qu'en 2016, le salarié a perçu au titre de sa rémunération variable une somme supérieure à celles précédemment percues en ce qu'il perçu 14 000 euros en 2016, 8 000 euros en 2015, 10 000 euros en 2014 et 2 000 euros en 2013 selon les bulletins de paie que M. [M] verse lui-même aux débats, de sorte les modifications des conditions de fixation de sa rémunération variable n'ont pas eu d'incidence sur le montant de celle-ci.
Il ressort des échanges de mails tendus entre M. [M] et M. [L] que l'appelant est en grande partie à l'origine du ton agressif utilisé.
Ainsi, le 26 novembre 2015, M. [M] somme son supérieur hiérarchique de le mettre obligatoirement en copie lorsqu'il communique avec d'autres personnes sur ses dossiers.
Le 12 février 2016, il accuse son supérieur hiérarchique de 'persister à maintenir un blocage injustifié' après avoir écrit le 8 février 2016 'je suis encore une fois forcé de constater des méthodes détournées ayant pour objectif de me nuire'.
L'employeur justifie d'une part que M. [L] a répondu dans des termes corrects au salarié en tentant de le rassurer sur l'absence de volonté de lui nuire et en lui signifiant qu'il devait lui parler autrement et, d'autre part, que le 12 février 2016, le directeur général a dû intervenir pour signifier au salarié que ses propos étaient inacceptables, qu'il ne pouvait pas s'adresser de la sorte à son N+1.
Il ressort des échanges produits que si des retards sont intervenus dans le règlement des frais professionnels du salarié, ceux-ci étaient dûs d'une part à la tardiveté de transmission des éléments par M. [M] et, d'autre part, au fait que ses demandes n'aient pas respecté le process en vigueur et n'aient pas été systématiquement accompagnées des justificatifs.
Il résulte des éléments versés aux débats que si un message d'absence était toujours présent sur la messagerie outlook au retour du salarié de son arrêt de travail en décembre 2016, ce dernier avait la possibilité de le retirer ; qu'en raison de son inaction et de sa demande, le service informatique est intervenu pour procéder au retrait du message, sans qu'il ne résulte des éléments produits que la messagerie ait été bloquée.
Ainsi, à l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que l'employeur démontre que les faits matériellement établis par le salarié sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En conséquence, par confirmation du jugement entrepris, il y a lieu de débouter M. [M] de sa demande.
2/ Sur la rupture du contrat de travail
A titre principal, le salarié soutient que son licenciement est nul en raison du harcèlement moral subi et de l'absence de mesures prises par l'employeur pour prévenir le harcèlement moral précisant que deux salariés de la société ont mis fin à leurs jours.
A titre subsidiaire, il demande que son licenciement soit jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse soutenant d'une part que la lettre de licenciement est insuffisamment motivée, d'autre part, que le comportement de l'employeur est à l'origine de son inaptitude et, enfin, que ce dernier n'a pas loyalement rempli son obligation de reclassement.
Sur la nullité du licenciement
Le licenciement consécutif à une inaptitude physique du salarié qui trouve son origine dans des faits de harcèlement moral se trouve frappé de nullité.
En l'espèce, il a été précédemment jugé que le salarié n'avait pas été victime de harcèlement moral.
Il y a lieu de préciser qu'à la supposer établie, l'absence de mise en place de mesures de prévention du harcèlement moral par l'employeur n'a pas pour conséquence la nullité du licenciement.
En outre, en l'espèce, s'il n'est pas contesté que deux salariés de l'entreprise ont mis fin à leurs jours, la société indique, sans être utilement contredite, que le premier salarié n'était plus présent au sein de l'entreprise depuis plusieurs mois et justifie que sa famille l'a remerciée pour tout ce qui avait été fait pour lui et que le geste du second n'était pas en lien avec la relation de travail.
Au regard de ces éléments, par confirmation du jugement entrepris, le salarié doit être débouté de sa demande de nullité du licenciement et, par voie de conséquence, de sa demande de réintégration et de rappel de salaires.
Sur la légitimité du licenciement
Ne constitue pas l'énoncé d'un motif précis de licenciement au sens de l'article L 1232-6 du code du travail, la seule référence à l'inaptitude physique du salarié, sans mention de l'impossibilité de reclassement. Cette insuffisance de motivation de la lettre de notification de la rupture prive à elle seule le licenciement de cause réelle et sérieuse.
Ne peut constituer en soi une cause réelle et sérieuse de licenciement le refus par le salarié de postes de reclassement proposés. Il appartient à l'employeur de tirer les conséquences du refus du salarié, soit en formulant de nouvelles propositions de reclassement, soit en procédant au licenciement de l'intéressé aux motifs de l'inaptitude et de l'impossibilité de reclassement.
En l'espèce, la lettre de licenciement telle que reproduite ci-dessus fait état de l'inaptitude du salarié et du refus par celui-ci de propositions de postes de reclassement sans toutefois mentionner l'impossibilité de le reclasser, de sorte que, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les moyens tirés du défaut de recherche de reclassement et de l'origine de l'inaptitude, il est désormais jugé que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Compte-tenu de la date du licenciement sont applicables les dispositions de l'article L 1235-3 du code du travail dans sa version issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.
Selon ces dispositions, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, en cas de refus de la réintégration du salarié dans l'entreprise, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de 1'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par ledit article, en fonction de l'ancienneté du salarié dans l'entreprise et du nombre de salariés employés habituellement dans cette entreprise.
Pour une ancienneté de 4 années dans une entreprise employant habituellement plus de onze salariés, l'article L. 1235-3 du code du travail prévoit une indemnité comprise entre trois et cinq mois de salaire.
En considération de sa situation particulière et eu égard notamment à son âge, à l'ancienneté de ses services, à sa formation et à ses capacités à retrouver un nouvel emploi, la cour dispose des éléments nécessaires pour évaluer la réparation qui lui est due à la somme qui sera indiquée au dispositif de l'arrêt.
Aux termes de l'article L 1235-4 du code du travail dans sa version issue de la loi du 8 août 2016, dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.
Il convient en conséquence de faire application des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail et d'ordonner à l'employeur de rembourser à l'Antenne Pôle Emploi concernée les indemnités de chômage versées à l'intéressé depuis son licenciement dans la limite de quatre mois de prestations.
3/ Sur les frais irrépétibles et les dépens
Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [M] les frais non compris dans les dépens qu'il a pu exposer.
Il convient en l'espèce de condamner l'employeur, succombant dans la présente instance, à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour l'ensemble de la procédure et d'infirmer la condamnation à ce titre mise à sa charge pour les frais irrépétibles de première instance.
Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de l'employeur les frais irrépétibles exposés par lui.
Il y a également lieu de condamner la société aux dépens de première instance et d'appel.
S'agissant des dépens afférents aux actes et procédures d'exécution, il est rappelé que la présente décision permet le recouvrement des frais de son exécution forcée. En application de l'article L. 111-8 du code des procédures civiles d'exécution, ces frais sont à la charge du débiteur (à l'exception des droits proportionnels de recouvrement ou d'encaissement, qui peuvent être mis partiellement à la charge des créanciers dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État), sauf s'il est manifeste qu'ils n'étaient pas nécessaires au moment où ils ont été exposés, et les contestations éventuelles sont tranchées par le juge. Le juge du fond n'a donc pas à statuer par avance sur le sort de ces frais.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Infirme le jugement du conseil de prud'hommes du Havre du 27 avril 2022 en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de licenciement sans cause réelle et sérieuse, en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens ;
Le confirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant:
Juge sans cause réelle et sérieuse le licenciement de M. [G] [M] ;
Condamne la société Comatelec Schreder à verser à M. [G] [M] la somme de 18 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
Condamne la société Comatelec Schreder à verser à l'organisme concerné le montant des indemnités chômage versées à M. [M] depuis son licenciement dans la limite de 4 mois de prestations ;
Condamne la société Comatelec Schreder à verser à M. [G] [M] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour l'ensemble de la procédure ;
Rejette toute autre demande ;
Condamne la société Comatelec Schreder aux dépens de première instance et d'appel.
La greffière La présidente