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18/04/2024 | FRANCE | N°22/01781

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 18 avril 2024, 22/01781


N° RG 22/01781 - N° Portalis DBV2-V-B7G-JC3C





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 18 AVRIL 2024











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 27 Avril 2022





APPELANT :





Monsieur [V] [S]

[Adresse 3]

[Localité 5]



représenté par Me Pierre-Hugues POINSIGNON, avocat au barreau de ROUEN









I

NTIMEE :





S.A.R.L. BHN 78

[Adresse 2]

[Localité 6]



représentée par Me Laëtitia RETY FERNANDEZ de la SARL LRF AVOCATS CONSEIL, avocat au barreau de MONTPELLIER







































COMPOSITION DE LA COUR  :





En applica...

N° RG 22/01781 - N° Portalis DBV2-V-B7G-JC3C

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 18 AVRIL 2024

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 27 Avril 2022

APPELANT :

Monsieur [V] [S]

[Adresse 3]

[Localité 5]

représenté par Me Pierre-Hugues POINSIGNON, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEE :

S.A.R.L. BHN 78

[Adresse 2]

[Localité 6]

représentée par Me Laëtitia RETY FERNANDEZ de la SARL LRF AVOCATS CONSEIL, avocat au barreau de MONTPELLIER

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 07 Mars 2024 sans opposition des parties devant Madame BIDEAULT, Présidente, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame BIDEAULT, Présidente

Madame ALVARADE, Présidente

Madame POUGET, Conseillère, rédactrice

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme DUBUC, Greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 07 mars 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 18 avril 2024

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 18 Avril 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

La société BHN78 (la société ou l'employeur) a pour activité l'installation de fibre optique et d'ADSL chez les particuliers et les professionnels pour le compte de clients donneurs d'ordres tels que Bouygues Telecom, SFR, Orange, Free, Scopelec, Circet.

Elle emploie 10 salariés.

M. [V] [S] (le salarié) a été embauché par la société en qualité d'installateur téléphonique à compter du 23 mars 2017 aux termes d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein.

Par courriers en date du18 octobre 2018, du 30 octobre 2019 et du 29 juin 2020, l'employeur a notifié au salarié des avertissements.

M. [S] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 4 septembre 2020 par lettre du 24 août précédent, mis à pied à titre conservatoire puis licencié pour faute par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 18 septembre 2020 motivée comme suit :

'Par courrier recommandé dont vous avez accusé de réception en date du 27/08/2020 nous vous avons convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé le 4 septembre 2020 à 11 heures, assortie d'une mise à pied à titre conservatoire à effet immédiat.

Lors de cet entretien qui s'est tenu le 4 septembre 2020, en présence de Mr [U] [B] (en qualité de conseiller du salarié) qui vous assistait, nous vous avons exposé les griefs suivants:

- Alors que vous faisiez l'objet d'une mesure d'isolement par certificat médical, vous avez échangé entre le 16 juin et le 15 juin 2020 des mails non équivoques avec l'un de nos concurrents directs.

La teneur de vos échanges ne fait aucun doute sur votre volonté de mettre à disposition vos services et compétences de 'technicien installateur' au profit d'un des concurrents de la société BHN 78 qui vous emploie depuis le 23 mars 2017.

En effet, il a été pros connaissance par la société BHN 78, que vous avez demandé à la société Groupe Telecom, concurrente directe et notoire de BHN 78, le tarif des interventions, le lieu des interventions et les délais de paiement. Vous leur avez fait part de vos disponibilités aux dates proposées. Vous leur avez adressé votre avis de situation SIRENE, puis votre KBIS après déplacement au greffe du tribunal de commerce.

Cette situation a été permise en amont par votre 'inscription' en qualité d'auto entrepreneur, démarche que vous avez reconnue lors de notre entretien et qui ne saurait constituer un fait non-intentionnel, et encore moins une situation fortuite.

Nous vous avons alors rappelé l'article 9 de votre contrat de travail qui dispose:

ARTICLE 9 Discrétion et concurrence

Monsieur [S] [V] s'engage à observer la plus grande discrétion sur toutes les informations, connaissances et techniques qu'aurait connues à l'occasion de son travail dans l'entreprise.

Il s'engage de plus à travailler exclusivement pour la société BHN78 et à n'exercer aucune activité concurrente de celle de la société pendant toute la durée de son contrat de travail.

Les griefs précités caractérisent une violation caractérisée et manifeste de vos obligations contractuelles.

- De plus, à l'occasion de l'analyse et reconstitution interne relative à votre demande formulée par mail en date du 29 juillet 2020 et ayant pour objet 'vos temps de travail et d'intervention', nous avons constaté que vous aviez déclaré à diverses reprises, à l'occasion de vos interventions techniques chez les clients, une clôture et fin d'intervention dans des conditions anormales 'client ira en agence' contraire aux règles de l'entreprise et aux process de notre donneur d'ordres. En effet, comme vous le savez, notre donneur d'ordre exige la réparation immédiate et le changement de la box du client dès la première intervention, c'est la raison pour laquelle vous êtes muni d'un stock de box dans votre véhicule. En cas de carence, l'un de vos collègues est susceptible de vous dépanner.

Il ressort pas exemple qu'en date du 16 et 17 décembre 2019, vous avez clôturé vos interventions en 'client ira en agence' obligeant le client à se rendre en boutique pour changer sa box. Votre non-respect des règles et du process client oblige notre entreprise à intervenir une seconde fois, sans être rémunéré par notre donneur d'ordre, impliquant pour nous une perte de temps et d'argent.

Nous pouvons donc légitimement en déduire que vous n'exécutez pas votre fonction conformément aux attentes en matière de service et de résultat attendus.

Au regard de tels faits, et rappelant que vous avez déjà fait l'objet de trois avertissements non contestés ( en date des 18 octobre 2018, 30 octobre 2019 et 29 juin 2020), ayant sanctionné des comportements fautifs constatés chez nos clients et de nature à nuire à la réputation de la société, nous avons décidé de prononcer votre licenciement pour faute, et de vous accorder néanmoins un droit à préavis ( dont nous vous dispensons d'exécution, et qui vous sera néanmoins intégralement rémunéré).

La période de mise à pied conservatoire observée vous sera intégralement payée.

En outre, à l'occasion de notre enquête interne, nous avons découvert que vous avez utilisé de manière répétée et à des fins personnelles le véhicule de service mis à votre disposition, et ceci sans jamais nous demander le moindre accord.

A titre d'exemple, votre véhicule a été géolocalisé au [Adresse 1] les 04,05,08,09, 10, 11 et 13 juillet 2019 alors que vous n'aviez rien à y faire, aucune intervention ne vous ayant été confiée à cette adresse...

Nous avons mis à votre disposition un véhicule de service pour l'exécution de votre travail, et non pas pour satisfaire vos besoins personnels.

Votre comportement abusif est préjudiciable à l'entreprise en ce qu'il nous a fait perdre du temps et de l'argent, notamment en frais d'essence et d'usure du véhicule.

Un tel comportement de votre part est interdit par les règles applicables dans notre entreprise, règles que vous avez acceptées:

- En signant votre contrat de travail le 20 mars 2017;

Article 13- Véhicule

L'utilisation de ce véhicule est exclusivement réservée aux déplacements nécessaires à l'entreprise. La police d'assurance est souscrite par l'employeur de tout accident dont il serait l'auteur ou la victime dans un délai maximum de 48 heures après sa survenance, en précisant de façons détaillées les circonstances.

- En signant le règlement intérieur le 20 mars 2017:

' Véhicule de service à ne pas utiliser à usage personnel sans l'accord de l'employeur'.

Le présent licenciement prendra effet à l'issue de votre préavis de 2 mois après la première présentation de cette lettre, date à laquelle vous quitterez les effectifs de l'entreprise. (...)'

Contestant la légitimité des sanctions disciplinaires prononcées et de son licenciement et estimant ne pas avoir été rempli de ses droits au titre de la rupture de son contrat de travail, M. [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen ; lequel, par jugement du 27 avril 2022, a :

- débouté la société de sa demande de nullité de la requête introductive d'instance,

- débouté le salarié de ses demandes d'annulation des avertissements du 18 octobre 2018, 30 octobre 2019 et 29 juin 2020,

- dit que l'avertissement du 18 octobre 2018 est légitime est bien fondé,

- dit que la demande d'annulation de l'avertissement du 18 octobre 2018 est prescrite,

- dit que les avertissements du 30 octobre 2019 et 29 juin 2020 sont légitimes et bien fondés,

- débouté le salarié de sa demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires,

- dit que le licenciement précède la saisine du conseil de prud'hommes du 25 janvier 2021 et ne peut être considéré comme nul,

- dit que le licenciement du salarié est causé par une faute simple,

- débouté le salarié de ses demandes,

- condamné le salarié à verser à la somme de 200 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile à la société ainsi qu'aux dépens,

- dit n'y avoir lieu au prononcé de l'exécution provisoire.

M. [S] a interjeté appel le 30 mai 2022 à l'encontre de cette décision.

La société a constitué avocat par voie électronique le 4 août 2022.

Par ordonnance en date du 9 février 2023, le magistrat chargé de la mise en état a débouté la société de sa demande de caducité d'appel, a condamné la société aux dépens d'incident ainsi qu'au paiement de la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au salarié.

Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 25 août 2022, le salarié appelant, sollicite l'infirmation du jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté la société de sa demande de nullité de la requête introductive d'instance et demande à la cour de :

- annuler les avertissements du 18 octobre 2018, 30 octobre 2019 et 29 juin 2020,

- juger nul et subsidiairement, sans cause réelle et sérieuse son licenciement,

- condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour sanction nulle,

12 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

774 euros à titre de rappel de salaire et 77,40 euros au titre des congés payés afférents,

2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 21 novembre 2022, la société intimée, réfutant les moyens et l'argumentation de la partie appelante, sollicite pour sa part la confirmation de la décision déférée en toutes ses dispositions, demande que l'appelant soit débouté de l'ensemble de ses prétentions et qu'il soit condamné à lui verser la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens dont distraction est requise au profit de la Sarl LRF Avocats Conseil.

L'ordonnance de clôture en date du 15 février 2024 a renvoyé l'affaire pour être plaidée à l'audience du 7 mars 2024.

Il est expressément renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d'appel aux écritures des parties.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1/ Sur les avertissements

Le salarié demande à la cour d'annuler les avertissements notifiés les 18 octobre 2018, 30 octobre 2019 et 29 juin 2020 aux motifs que celui du 18 octobre 2018 n'est pas justifié, que celui du 30 octobre 2019 a été envoyé à une mauvaise adresse et qu'il n'en a pas eu connaissance, que celui du 29 juin 2020 n'est pas justifié.

La société soutient que la demande d'annulation de l'avertissement du 18 octobre 2018 est prescrite en ce qu'en application de l'article L 1471-1 du code du travail le salarié disposait d'un délai de 2 ans pour contester la sanction, qu'il n'a formulé aucune observation en 2018, qu'il n'a pas saisi le conseil de prud'hommes d'une demande d'annulation de cette sanction puisque seuls les avertissements du 30 octobre 2019 et du 29 juin 2020 étaient visés dans sa requête introductive d'instance.

A titre subsidiaire, il soutient que l'avertissement du 18 octobre 2018, comme ceux prononcés les 30 octobre 2019 et 29 juin 2020 sont fondés.

Sur ce ;

Sur la prescription

L'article L 1471-1 du code du travail dispose en son premier alinéa que toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

En l'espèce, il n'est pas contesté que le salarié a eu connaissance de l'avertissement du 18 octobre 2018 dès son prononcé par l'employeur, de sorte qu'il pouvait en contester le bien fondé jusqu'au 18 octobre 2020.

Le salarié n'ayant saisi le conseil de prud'hommes de Rouen que le 25 janvier 2021, son action en contestation de la légitimité de cette sanction doit être déclarée irrecevable comme prescrite.

Le jugement entrepris est confirmé de ce chef et infirmé en ce qu'il jugé l'avertissement du 18 octobre 2018 bien fondé.

Sur les avertissements du 30 octobre 2019 et du 29 juin 2020

L'article L. 1333-1 du code du travail prévoit que le juge apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction; l'employeur fournit au conseil de prud'hommes les éléments retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le conseil de prud'hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Lorsque le juge annule une sanction disciplinaire, il peut, si cela lui est demandé, accorder des dommages et intérêts au salarié. Pour cela, le salarié doit établir l'existence d'un préjudice distinct qui n'est pas entièrement réparé par l'annulation.

En l'espèce, l'employeur a notifié au salarié un avertissement le 30 octobre 2019 aux motifs que ses statistiques étaient très basses, qu'il faisait énormément de TR2 et de REO BI, ce fait constituant un manquement à la discipline générale de l'entreprise et étant constitutif d'une faute contractuelle.

Le salarié ne conteste pas spécifiquement la matérialité des faits reprochés mais soutient que l'avertissement doit être annulé en ce qu'il a été envoyé à une mauvaise adresse, que l'erreur de l'employeur prive la sanction de toute portée.

Il constate que l'avertissement précédent en 2018, lui avait été adressé à la bonne adresse à Petit Quevilly, lieu de sa résidence depuis son embauche.

Il soutient n'avoir eu connaissance de cet avertissement qu'à l'occasion d'un échange de mails avec son employeur en juillet 2020.

L'employeur indique que le courrier de notification de la sanction disciplinaire a été adressé à M. [S] [Adresse 4], adresse figurant sur le contrat de travail signé par le salarié.

Il ressort des éléments du dossier que le courrier d'avertissement a été envoyé au salarié à Darnétal, adresse mentionnée au sein du contrat de travail. Cependant, il résulte des éléments produits que l'employeur n'ignorait pas le changement d'adresse du salarié sur la commune du Petit Quevilly en ce que d'une part, le précédent courrier d'avertissement avait été envoyé à cette adresse et que, d'autre part, les bulletins de salaire du salarié portaient mention de l'adresse à Petit Quevilly dès le mois de mai 2018.

Au regard de ces éléments, il y a lieu d'annuler l'avertissement prononcé le 30 octobre 2019.

Par courrier du 29 juin 2020, l'employeur a notifié au salarié un avertissement pour avoir restitué le 26 juin 2020 le véhicule qui lui était confié avec de nombreuses 'anomalies' en contrevenant à l'article 13 de son contrat de travail.

L'employeur verse aux débats un mail adressé au salarié le 7 décembre 2018 lui reprochant l'état déplorable de son véhicule ainsi que des photographies non datées.

Le salarié conteste la matérialité des faits et verse aux débats le courrier du 2 juillet 2020 adressé à son employeur aux termes duquel il conteste la légitimité de la sanction prononcée.

En l'espèce, l'employeur, sur qui repose la charge de la preuve de fournir les éléments pris en compte pour prendre la sanction, échoue à établir que les faits énoncés dans l'avertissement sont avérés en ce que le mail de 2018 ne permet pas d'établir l'existence de même faits en 2020 et que les photographies produites ne sont ni datées ni circonstanciées.

Au regard de ces éléments, par infirmation du jugement entrepris, il y a lieu d'annuler l'avertissement du 29 juin 2020.

Le salarié, qui sollicite l'octroi de 1 000 euros de dommages et intérêts, ne justifie ni de l'existence ni de l'ampleur du préjudice distinct qui ne serait pas entièrement réparé par l'annulation des sanctions. Il doit en conséquence être débouté de sa demande de dommages et intérêts.

2/ Sur les heures supplémentaires

Il résulte des dispositions de l'article L. 3171-2 al. 1, de l'article L. 3171-3 et de l'article L. 3171-4 du code du travail, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

En l'espèce, le salarié soutient avoir effectué 61 heures supplémentaires non rémunérées.

Il verse aux débats un courrier adressé à son employeur le 2 juillet 2020 aux termes duquel il lui indique ne pas avoir été rémunéré de 69 heures supplémentaires effectuées sur la période de septembre 2018 à mars 2020, courrier accompagné d'un récapitulatif mensuel des heures prétendument effectués les samedis.

Il produit également des échanges de mails avec son employeur datés du 31 juillet 2020 aux termes desquels il réclame le paiement de 62 heures supplémentaires effectuées les samedis.

Le salarié présente ainsi des éléments préalables suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre en apportant ses propres éléments.

En réponse, l'employeur indique que le salarié n'a pas travaillé les samedis pour lesquels il réclame le paiement d'heures supplémentaires. Il indique que dès l'origine de la relation contractuelle il était convenu que le salarié serait amené à travailler 2 samedis par mois à la demande de la société ; que pour le mois de septembre 2018, il reconnaît lui-même n'avoir travaillé qu'un seul samedi.

L'employeur indique que le salarié n'était pas davantage d'astreinte ; que chaque samedi effectivement travaillé a été rémunéré par le paiement d'heures supplémentaires.

L'employeur verse aux débats les bulletins de paie de mai, juin et décembre 2018 afin de démontrer que le salarié a été rémunéré au titre des samedis travaillés.

Il produit des attestations de salariés indiquant avoir toujours été rémunérés par le paiement d'heures supplémentaires les samedis travaillés.

En dernier lieu, l'employeur verse aux débats un document intitulé 'synthèse d'activité' pour la période comprise entre le 18 mai 2019 et le 8 février 2020 issu des données de géolocalisation du véhicule du salarié, le rapport d'activité de son véhicule de service pour la période comprise entre le 1er juin et le 31 décembre 2019, un récapitulatif des heures supplémentaires rémunérées au salarié et de ses demandes d'acomptes.

Il ressort des éléments produits que l'employeur ne justifie pas systématiquement des horaires effectivement réalisés par le salarié.

Il n'est pas contesté que le contrat de travail du salarié prévoyait que ce dernier serait susceptible de travailler certains samedis, à la demande de l'employeur, indiquant en son article 5 'M. [S] s'engage à travailler au moins deux samedis par mois à la demande de la société'.

Il résulte des éléments produits que certains mois, le salarié a travaillé davantage de samedis, l'employeur indiquant lui-même avoir rémunéré l'appelant pour 3 samedis travaillés en juin et décembre 2018,

Pour l'année 2018, le salarié revendique le paiement d'heures supplémentaires comme suit :

septembre 2018 : 7 heures manquantes car 2 samedis travaillés,

novembre 2018 : 5,5 heures manquantes car 2 samedis travaillés

décembre 2018 : 2,5 heures manquantes car 3 samedis travaillés.

L'employeur justifie que pour le mois de septembre 2018, le salarié lui a indiqué par Sms ne pas souhaiter être rémunéré pour le 2ème samedi travaillé car il n'avait pas 'fait de dossier'.

Pour les mois de novembre et décembre 2018, le salarié soutient avoir travaillé chaque samedi 7 heures et l'employeur ne verse aucun élément concernant les données de géolocalisation ou concernant la durée de travail du salarié.

Pour l'année 2019, le salarié soutient ne pas avoir été intégralement rémunéré pour les heures travaillées le samedi indiquant qu'il effectuait chaque samedi 7 heures de travail.

Pour la période comprise entre janvier et le 18 mai 2019, l'employeur ne justifie pas des horaires accomplis et ne fournit aucun élément relatif aux données de géolocalisation du véhicule du salarié.

Pour la période comprise entre le 18 mai 2019 et le 31 décembre 2019, l'employeur fournit les données de géolocalisation du véhicule du salarié.

Il ressort de ces éléments que les heures réglées par l'employeur correspondent aux heures effectivement travaillées par le salarié.

Ainsi par exemple, alors que le salarié soutient avoir travaillé 7 heures le 18 mai et 7 heures le 25 mai 2019, les données de géolocalisation de son véhicule démontrent que pour le 18 mai il a quitté son domicile à 7h58 pour le regagner à 12h31 sans en repartir et que pour le 25 mai il a quitté son domicile à 8h11 pour le regagner à 10h07 sans en repartir.

Pour les mois de janvier et février 2020, les éléments produits par l'employeur permettent d'établir que le salarié a été intégralement rempli de ses droits au titre des heures supplémentaires effectuées.

L'employeur ne produit en revanche aucun élément justifiant des horaires du salarié pour le mois de mars 2020.

Ainsi, au vu des éléments produits de part et d'autre, et sans qu'il soit besoin d'une mesure d'instruction, la cour a la conviction au sens du texte précité que le salarié a bien effectué les heures supplémentaires non rémunérées au cours des mois de novembre 2018, décembre 2018 et mars 2020.

Il lui sera en conséquence accordé un rappel de salaire à hauteur de 27 heures pour la somme mentionnée au dispositif.

Le jugement sera par conséquent infirmé de ce chef.

3/ Sur le licenciement

A titre principal, le salarié considère que son licenciement est nul comme prononcé en rétorsion de son souhait de saisir le conseil de prud'hommes.

A titre subsidiaire, il considère certains griefs prescrits et, en tout état de cause non fondés, de sorte qu'il considère son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur ce ;

Aux termes de l'article L.1332-4 du code du travail aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales. Sous cette réserve, le licenciement disciplinaire prononcé à raison de faits connus depuis plus de deux mois par l'employeur est sans cause réelle et sérieuse.

Il résulte de l'article L.1235-1 du code du travail que la charge de la preuve de la cause réelle et sérieuse de licenciement n'incombe spécialement à aucune des parties. Toutefois, le doute devant bénéficier au salarié avec pour conséquence de priver le licenciement de cause réelle et sérieuse, l'employeur supporte, sinon la charge, du moins le risque de la preuve.

Les faits invoqués comme constitutifs d'une cause réelle et sérieuse de licenciement doivent non seulement être objectivement établis mais encore imputables au salarié, à titre personnel et à raison des fonctions qui lui sont confiées par son contrat individuel de travail.

Il ressort de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qu'est nul comme portant atteinte à une liberté fondamentale le licenciement intervenu en raison d'une action en justice introduite ou susceptible d'être introduite par le salarié à l'encontre de son employeur.

Lorsque le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse fait suite à l'action en justice engagée par le salarié contre son employeur, il appartient à ce dernier d'établir que sa décision est justifiée par des éléments étrangers à toute volonté de sanctionner l'exercice, par le salarié, de son droit d' agir en justice.

Sur les griefs reprochés

Au sein de la lettre de congédiement, l'employeur reproche au salarié le non-respect de l'exclusivité et une déloyauté dans l'exercice de son contrat de travail, la persistance du non-respect des procédures de l'entreprise et l'utilisation de son véhicule de service à des fins personnelles.

Concernant le non-respect de l'exclusivité et la déloyauté du salarié, la société verse aux débats la copie d'échanges de mails entre le salarié et la société groupe Telecom démontrant l'existence de contacts entre cette société et M. [S], ce dernier indiquant qu'il pourrait être disponible pour réaliser des interventions à son profit, demandant les conditions tarifaires, proposant ses services et indiquant par mail du 16 juin 2020 qu'il est dans l'attente de la délivrance de son K bis.

Il n'est pas contesté que lors de ces échanges (juin/juillet 2020) le salarié était placé en isolement médical à son domicile en raison de l'épidémie Covid 19.

L'employeur justifie avoir alors découvert d'une part que le salarié était immatriculé en qualité d'entrepreneur individuel sous l'enseigne RJ Com depuis le 25 juin 2014 avec une activité de travaux d'installation électrique et, d'autre part, qu'il était inscrit sur 2 plateformes de mise en relation entre professionnels et qu'il proposait d'effectuer des travaux d'installation électrique.

La société verse aux débats un extrait du site société.com concernant l'immatriculation du salarié en qualité d'auto entrepreneur ainsi que la copie de deux sites 'e-pro' et 'mon artisan' aux fins de démontrer l'enregistrement du salarié sur ces plateformes.

M. [S] ne conteste pas l'existence des échanges avec la société groupe Telecom.

Il considère d'une part qu'il n'est pas fautif pour un salarié de 'prospecter' un emploi chez d'autres employeurs potentiels, d'autre part que les mails produits relevaient du secret de la correspondance et enfin qu'il doit être constaté qu'au cours des échanges il a clairement signalé à son interlocuteur qu'il était toujours salarié et qu'il n'était en conséquence pas disponible.

Il y a lieu de constater que les messages électroniques litigieux ne proviennent pas de la messagerie professionnelle du salarié mais de sa propre messagerie professionnelle contenant son enseigne RJ.com, ce qui corrobore les allégations de l'employeur selon lesquelles ces messages lui ont été remis par son concurrent, le groupe Telecom et qui démontre l'existence d'une activité professionnelle propre du salarié.

Il ressort de ces éléments que le salarié a expressément proposé ses services à un concurrent de son employeur avant de se rétracter.

Le contenu de ces échanges, les démarches effectuées par le salarié constituent un manquement du salarié à son obligation de loyauté et sont constitutifs d'une faute.

Concernant le grief relatif au non-respect des process mis en oeuvre au sein de l'entreprise, il y a lieu de constater qu'aux termes de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, l'employeur reproche uniquement au salarié de clôturer des dossiers de façon inadaptée en mentionnant 'client ira en agence'.

La cour relève que la pièce produite afin d'établir la matérialité de ce fait (pièce 6) est relative à une autre anomalie (chutes d'arbres et absence de déplacement du technicien) et ne concerne pas les clôtures de dossiers par mention 'client ira en agence'.

La cour considère en conséquence ce grief comme non établi.

Concernant l'utilisation du véhicule de service à des fins personnelles, il ressort de l'article 2 du contrat de travail du salarié que le véhicule mis à sa disposition ne pouvait être utilisé exclusivement que lors des déplacements nécessaires à l'entreprise.

L'employeur verse aux débats le rapport d'activité de la géolocalisation du véhicule du salarié qui démontre que ce dernier a utilisé le véhicule à des fins personnelles.

Le salarié, qui ne conteste pas spécifiquement avoir utilisé son véhicule à des fins personnelles, reproche à l'employeur de se fonder uniquement sur des données de géolocalisation à des fins disciplinaires indiquant ne jamais avoir été informé de la potentielle utilisation de ces données à cette fin.

Il considère que la société ne démontre pas la nécessité de recourir à la géolocalisation pour contrôler sa durée de travail, observe que le règlement intérieur signé ne semble pas avoir fait l'objet dune consultation préalable du CSE ni avoir respecté les formalités prévues aux articles R 1321-2 à R 1321-4 du code du travail, de sorte qu'il ne lui est pas opposable.

Selon l'article L. 1121-1 du code du travail , nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.

L'utilisation d'un système de géolocalisation pour assurer le contrôle de la durée du travail , laquelle n'est licite que lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par un autre moyen, n'est pas justifiée pour localiser le conducteur en dehors du temps de travail .

En l'espèce, si l'utilisation d'un système de géolocalisation peut être adaptée en l'espèce pour contrôler le temps de travail du salarié au regard de la liberté d'organisation du travail dont disposait ce dernier et de l'absence d'autre moyen d'effectuer ce contrôle par l'employeur, la mise en place du traitement de géolocalisation du véhicule de la société a permis un contrôle permanent du salarié, en collectant des données relatives à la localisation de son véhicule en dehors de ses horaires et de ses jours de travail , de sorte qu'elle a porté une atteinte importante à son droit à une vie personnelle, atteinte disproportionnée par rapport au but poursuivi.

Il s'en déduit que les données collectées à partir du système de géolocalisation ne peuvent être utilisées par l'employeur pour démontrer l'usage personnel du véhicule par le salarié.

Ce grief n'est en conséquence pas établi.

Il ressort de ces éléments que seul le grief relatif au manquement à l'obligation de loyauté du salarié est fondé.

Ce grief revêt une importance tel qu'il justifiait le prononcé d'un licenciement pour faute.

S'il ressort des échanges entre le salarié et son employeur que M. [S] avait indiqué en juillet 2020 à la société qu'en l'absence de paiement de ses heures supplémentaires et de l'annulation des avertissements prononcés il se réservait la possibilité de saisir le conseil de prud'hommes, la cour relève d'une part que le licenciement a été prononcé en septembre 2020 pour des faits fautifs et matériellement établis et que le salarié n'a saisi le conseil de prud'hommes que le 25 janvier 2021 soit plus de 4 mois après son prononcé, de sorte qu'il est établi que la décision de l'employeur était justifiée par des éléments étrangers à toute volonté de sanctionner l'exercice, par le salarié, de son droit d' agir en justice.

Au regard de ces éléments, par confirmation du jugement entrepris, il y a lieu de juger légitime le licenciement prononcé.

4/ Sur les frais irrépétibles et les dépens

Chacune des parties succombant partiellement dans ses prétentions supportera la charge de ses dépens et frais irrépétibles pour l'ensemble de la procédure.

Le jugement entrepris qui a condamné le salarié au paiement d'une indemnité de procédure ainsi qu'aux dépens est infirmé de ce chef.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement, en dernier ressort ;

Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Rouen du 27 avril 2022 en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande au titre des heures supplémentaires, en ce qu'il a dit légitime les avertissements prononcés, en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens ;

Le confirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

Juge prescrite la demande de nullité de l'avertissement du 18 octobre 2018 ;

Annule les avertissements prononcés les 30 octobre 2019 et 29 juin 2020 ;

Déboute M. [V] [S] de sa demande de dommages et intérêts pour sanction nulle ;

Condamne la société BHN 78 à verser à M. [V] [S] la somme de 342,56 euros à titre de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires outre 34,25 euros au titre des congés payés afférents, avec intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation ;

Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette toute autre demande ;

Dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens pour l'ensemble de la procédure dont distraction au profit de la LRF Avocats Conseil pour les dépens la concernant.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 22/01781
Date de la décision : 18/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 24/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-18;22.01781 ?
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