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18/04/2024 | FRANCE | N°22/01906

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 18 avril 2024, 22/01906


N° RG 22/01906 - N° Portalis DBV2-V-B7G-JDDC





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 18 AVRIL 2024











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DU HAVRE du 19 Mai 2022





APPELANTE :





S.A.S. EMERSON PROCESS MANAGEMENT

[Adresse 7]

[Adresse 7]

[Localité 3]



représentée par Me Camille-antoine DONZEL de la SELARL LF AVOCATS, avocat au

barreau de PARIS substituée par Me Marie DELANDRE, avocat au barreau de PARIS









INTIME :





Monsieur [M] [Y]

[Adresse 1]

[Localité 2]



présent



représenté par Me Stéphane PASQUIER de la SELARL PASQUIER, avoca...

N° RG 22/01906 - N° Portalis DBV2-V-B7G-JDDC

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 18 AVRIL 2024

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DU HAVRE du 19 Mai 2022

APPELANTE :

S.A.S. EMERSON PROCESS MANAGEMENT

[Adresse 7]

[Adresse 7]

[Localité 3]

représentée par Me Camille-antoine DONZEL de la SELARL LF AVOCATS, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Marie DELANDRE, avocat au barreau de PARIS

INTIME :

Monsieur [M] [Y]

[Adresse 1]

[Localité 2]

présent

représenté par Me Stéphane PASQUIER de la SELARL PASQUIER, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 13 Mars 2024 sans opposition des parties devant Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère, rédactrice

Madame ROYAL, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

M. GUYOT, Greffier

en présence de M. Alexis MICHELON, Greffier stagiaire

DEBATS :

A l'audience publique du 13 mars 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 18 avril 2024

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 18 Avril 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [M] [Y] a été engagé le 3 février 1997 par la société Fisher Rosemount, devenue la société Emerson process management et il occupait au dernier état de la relation contractuelle le poste d'ingénieur commercial.

Il a été licencié pour faute grave le 4 mai 2021 dans les termes suivants :

'(...) Vous avez été engagé par l'entreprise le 3 février 1997, et exercez les fonctions d'ingénieur commercial.

Dans le cadre de vos fonctions, vous pouvez vous faire rembourser par l'entreprise vos notes de frais, notamment celles correspondant aux frais de repas engagés à titre professionnel.

Le 1er avril 2021, vous avez soumis une note de frais de repas à votre manager, M. [C], via le système I-expense.

M. [C] s'est toutefois aperçu que le montant de remboursement demandé ne correspondait pas au montant indiqué sur le justificatif : celui-ci mentionnait un repas à 12 euros, alors que la demande de remboursement équivalait à 24 euros.

Etonné, M. [C] s'est alors intéressé à une demande de remboursement formée le 25 mars 2021, provenant du même restaurant.

A cette occasion, M. [C] a constaté que la demande de remboursement correspondait au montant du justificatif -soit 24 euros- mais que ce justificatif avait été modifié de sorte que ce montant de 24 euros qui correspondait aux prix de deux repas complets, apparaisse comme correspondant au prix d'un seul repas.

M. [C] a alors ensuite vérifié une note de frais de repas du 24 mars 2021 pour lequel vous avez effectué une demande de remboursement à hauteur de 24 euros, avec un justificatif du même montant.

Eu égard à ce qui précède, M. [C] a décidé de contacter le restaurant 'Le commerce' qui lui a confirmé ne proposer que des repas complets à emporter à 12 euros.

Face à ces incohérences, l'entreprise a décidé de se lancer dans de plus larges investigations quant à vos notes de frais.

Une note de frais, issue toujours du même restaurant, et datée du 8 juillet 2020, a été identifiée, là encore pour un montant de 24 euros pour un repas complet, alors que le repas complet proposé était de 12 euros.

Une autre note de frais a été découverte, datée du 4 février 2021, associée à une demande de remboursement de 21 euros pour un repas complet.

De surcroît, le restaurant concerné est un établissement situé à [Localité 8], lieu de votre domicile.

Or, les jours où vous avez indiqué avoir pris un repas dans le restaurant 'Le commerce', vos reportings clients font état de visites au [Localité 4] (à 80 kms) et à [Localité 9], dans l'Eure.

Il est donc apparu que vous ne pouviez pas avoir commandé de repas, ces jours-là, au restaurant susvisé.

Ensuite, ont été détectés des frais de 'visite client' les 12 décembre 2019, 3 mars 2020, 12 juin 2020, ainsi que les 8, 9, 14 et 15 septembre 2020, avec l'indication d'une invitation des clients, et ce alors que ces visites n'ont pas été enregistrées dans l'outil CRM (outil customer relationship management) au sein duquel est censée être retracée toute votre activité commerciale.

Lors de l'entretien préalable, vous avez indiqué :

- qu'il y avait deux formules dans le restaurant 'Le commerce' et ne pas avoir 'fait gaffe', ni vous rappeler y avoir commandé ou non en mars et avril 2021 ;

- ne pas toujours avoir fait de notes de frais, de sorte que vous compensiez, avec les demandes de remboursement, les jours où vous n'aviez pas fait de notes de frais ;

et avez admis que ce que vous aviez fait n'était 'pas correct'.

Il apparaît donc que vous avez délibérément formulé des demandes de remboursement de frais de repas ne correspondant pas au coût réel de vos repas, et ce à plusieurs reprises, de nombreux mois durant.

Un tel comportement est proprement inacceptable, et ce d'autant plus que l'entreprise vous accordait sa pleine et entière confiance, ce qui vous mettait à l'abri de tout soupçon.

Ce procédé révèle une profonde malhonnêteté, en contradiction avec l'obligation de loyauté à laquelle vous êtes tenu envers l'entreprise.

Il est d'ailleurs à craindre que cette pratique remonte à des temps bien plus anciens que la seule période sur laquelle l'entreprise a opéré ses vérifications, et ait été réalisée chez d'autres restaurateurs, laissant augurer d'un préjudice d'une plus grande ampleur encore pour l'entreprise.

Vos agissements constituent donc un manquement grave à vos obligations contractuelles et professionnelles.

Vous comprendrez que ces faits, d'une particulière gravité, rendent impossible votre maintien dans l'entreprise à effet immédiat et nous contraignent, en conséquence, à vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave. (...)'.

Par requête reçue le 2 août 2021, M. [Y] a saisi le conseil de prud'hommes du Havre en contestation du licenciement, ainsi qu'en paiement de rappel de salaires et indemnités.

Par jugement du 19 mai 2022, le conseil de prud'hommes a :

- dit que le licenciement de M. [Y] reposait sur une cause réelle et sérieuse,

- fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire de M. [Y] à la somme de 5 858,50 euros,

- condamné la société Emerson automation solution à verser à M. [Y] les sommes suivantes :

indemnité de licenciement : 77 332,20 euros

indemnité de préavis : 35 151 euros

congés payés afférents : 3 515,10 euros

indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile : 1 500 euros

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit pour les salaires et accessoires de salaires,

- débouté M. [Y] du surplus de ses demandes,

- dit que les créances de nature salariale reconnues à M. [Y] produiraient intérêts de retard au taux égal à compter de la mise en demeure du défendeur, soit le 2 août 2021,

- fait droit à une partie des demandes de la société Emerson automation solution mais l'a déboutée de ses demandes reconventionnelles concernant le remboursement des jours de repos et de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Emerson automation solution aux éventuels dépens et frais d'exécution du jugement.

La société Emerson process management a interjeté appel de cette décision le 8 juin 2022.

Par conclusions remises le 20 mars 2023, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, la société Emerson process management demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en ce qu'il a requalifié le licenciement pour faute grave de M. [Y] en licenciement pour cause réelle et sérieuse et l'a condamnée à lui payer une indemnité de licenciement, une indemnité de préavis, les congés payés afférents et une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile, et, statuant à nouveau, de :

Sur le licenciement :

- à titre principal, juger que le licenciement de M. [Y] n'est pas nul et le débouter de l'ensemble de ses demandes afférentes, juger que les agissements de M. [Y] revêtent la qualification de faute grave et le débouter de l'ensemble de ses demandes afférentes à la rupture de son contrat de travail,

- à titre subsidiaire, si la cour considérait que les faits reprochés à M. [Y] ne constituaient pas une faute grave, fixer son salaire moyen à 5 858,50 euros, juger que son licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, limiter le montant des condamnations à l'indemnité de licenciement et l'indemnité compensatrice de préavis et débouter M. [Y] du surplus de ses demandes,

- à titre infiniment subsidiaire, si la cour devait juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse, limiter le montant des dommages et intérêts conformément aux dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail et débouter M. [Y] du surplus de ses demandes,

Sur le harcèlement moral et la prétendue dégradation des conditions de travail de M. [Y] :

- à titre principal, confirmer le jugement en ce qu'il a jugé qu'elle n'avait pas manqué à ses obligations en matière de harcèlement moral et obligation de sécurité et débouter M. [Y] de l'ensemble de ses demandes,

- à titre subsidiaire, juger que M. [Y] ne rapporte pas la preuve d'un préjudice et le débouter de l'ensemble de ses demandes,

- à titre infiniment subsidiaire, limiter le montant des dommages et intérêts alloués à M. [Y],

Sur les heures supplémentaires :

- à titre principal, confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que la convention de forfait annuel en jours était parfaitement valable et opposable à M. [Y] et le débouter de l'ensemble de ses demandes à ce titre,

- à titre subsidiaire, juger que M. [Y] ne rapporte ni la preuve de la réalité des heures supplémentaires qu'il prétend avoir accomplies, ni celle d'une intention de sa part de se livrer à du travail dissimulé et le débouter de l'ensemble de ses demandes,

- à titre subsidiaire, condamner M. [Y] au remboursement des jours de repos dont il a bénéficié en application de la convention de forfait annuel en jours sur les trois années ayant précédé la rupture de son contrat, soit 7 714,938 euros bruts, et limiter le paiement des sommes dues au titre des heures supplémentaires en retenant que le salaire versé par rapport au minimum conventionnel équivaut au moins partiellement au paiement de ces heures,

Sur les demandes complémentaires et reconventionnelles :

- débouter M. [Y] de ses demandes formulées en application de l'article 700 du code de procédure civile, le condamner à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions remises le 20 février 2024, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, M. [Y] demande à la cour de :

- débouter la société Emerson automation solution de l'ensemble de ses demandes et en conséquence,

- à titre principal, juger que son licenciement est discriminatoire pour être lié à son état de santé dégradé du fait des conditions de travail, ordonner sa réintégration avec toutes les conséquences de droit et condamner la société Emerson automation solution à lui payer la somme de 203 908,98 euros à titre de rappel de salaires arrêtés au 29 février 2024, outre 20 390,89 euros au titre des congés payés afférents et dire que la somme est à parfaire en fonction de la date effective de sa réintégration,

- subsidiairement, juger que son licenciement ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse et condamner la société Emerson automation solution à lui payer les sommes suivantes :

dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 108 133,55 euros

indemnité de licenciement : 87 495,35 euros

indemnité de préavis : 37 074,36 euros

congés payés afférents : 3 707,43 euros

- le recevoir en son appel incident et en conséquence,

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de ses demandes afférentes aux rappels d'heures supplémentaires et congés payés afférents, dommages et intérêts équivalents au montant de la contrepartie obligatoire en repos et dommages et intérêts pour travail dissimulé,

- condamner la société Emerson automation solution à lui payer les sommes suivantes :

rappel d'heures supplémentaires : 40 411,20 euros

congés payés afférents : 4 041,12 euros

dommages et intérêts équivalent au montant de la contrepartie obligatoire en repos : 40 411,20 euros

dommages et intérêts pour travail dissimulé : 37 074,36 euros

dommages et intérêts pour dégradation des conditions de travail, du harcèlement moral et du manquement à l'obligation de sécurité : 10 000 euros

indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile : 3 000 euros

- juger que la demande reconventionnelle de la société afférente à la réclamation des RTT au titre du mois d'avril 2018 est prescrite,

- faire courir les intérêts au taux légal sur les créances salariales à compter de la saisine du conseil de prud'hommes et de même sur les demandes indemnitaires conformément à l'article 1153-1 du code civil,

- ordonner la capitalisation des intérêts dès lors que les intérêts courront depuis plus d'un an et qu'une demande a été faite,

- condamner la société Emerson automation solution aux entiers dépens, qui devront comprendre les frais d'exécution de la décision à intervenir.

L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 22 février 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I - Sur la validité de la convention de forfait et la demande de rappel d'heures supplémentaires

M. [Y] explique avoir été placé sous le régime du forfait-jours par avenant du 21 décembre 2000 par renvoi à un accord d'entreprise qui n'est pas versé aux débats, ce qui ne permet pas de vérifier si ses stipulations garantissaient le respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires, ce qui doit nécessairement conduire à invalider et à priver de tout effet ce forfait-jour, étant surabondamment relevé que l'employeur n'a pas assuré le suivi régulier de l'organisation et de sa charge de travail, aucun entretien annuel dédié n'ayant été tenu.

Dès lors, estimant avoir travaillé 9 heures par jour, cinq jours par semaine, soit 45 heures hebdomadaires, il réclame paiement des heures supplémentaires sur cette base en retenant 17 semaines complètes travaillées en 2018, 36 en 2019, 32 en 2020 et 13 en 2021.

En réponse, la société Emerson relève qu'il n'y a pas lieu de produire l'accord relatif au temps de travail dès lors qu'il était procédé à un décompte des jours non travaillés par M. [Y] et qu'il bénéficiait chaque année d'un entretien individuel au cours duquel sa charge de travail était évaluée et discutée, sans qu'il n'ait jamais sollicité d'entretiens complémentaires.

Selon l'article L. 3221-63 du code du travail, les forfaits annuels en heures ou en jours sur l'année sont mis en place par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche.

Selon l'article L. 3221-64, I.-L'accord prévoyant la conclusion de conventions individuelles de forfait en heures ou en jours sur l'année détermine :

1° Les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, dans le respect des articles L. 3121-56 et L. 3121-58 ;

2° La période de référence du forfait, qui peut être l'année civile ou toute autre période de douze mois consécutifs ;

3° Le nombre d'heures ou de jours compris dans le forfait, dans la limite de deux cent dix-huit jours s'agissant du forfait en jours ;

4° Les conditions de prise en compte, pour la rémunération des salariés, des absences ainsi que des arrivées et départs en cours de période ;

5° Les caractéristiques principales des conventions individuelles, qui doivent notamment fixer le nombre d'heures ou de jours compris dans le forfait.

II.-L'accord autorisant la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours détermine:

1° Les modalités selon lesquelles l'employeur assure l'évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié ;

2° Les modalités selon lesquelles l'employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l'organisation du travail dans l'entreprise ;

3° Les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion prévu au 7° de l'article L. 2242-17.

L'accord peut fixer le nombre maximal de jours travaillés dans l'année lorsque le salarié renonce à une partie de ses jours de repos en application de l'article L. 3121-59. Ce nombre de jours doit être compatible avec les dispositions du titre III du présent livre relatives au repos quotidien, au repos hebdomadaire et aux jours fériés chômés dans l'entreprise et avec celles du titre IV relatives aux congés payés.

Enfin, selon l'article L. 3121-65, I.-A défaut de stipulations conventionnelles prévues aux 1° et 2° du II de l'article L. 3121-64, une convention individuelle de forfait en jours peut être valablement conclue sous réserve du respect des dispositions suivantes :

1° L'employeur établit un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous la responsabilité de l'employeur, ce document peut être renseigné par le salarié ;

2° L'employeur s'assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;

3° L'employeur organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l'organisation de son travail, l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération.

II.- A défaut de stipulations conventionnelles prévues au 3° du II de l'article L. 3121-64, les modalités d'exercice par le salarié de son droit à la déconnexion sont définies par l'employeur et communiquées par tout moyen aux salariés concernés. Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, ces modalités sont conformes à la charte mentionnée au 7° de l'article L. 2242-17.

Le droit à la santé et au repos étant au nombre des exigences constitutionnelles, il résulte des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 que les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur.

Ainsi, toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.

En cas de manquement de l'employeur à l'une des obligations prévues par l'article L. 3121-65 du code du travail, l'employeur ne peut pas se prévaloir du régime dérogatoire institué par ce texte et la convention individuelle de forfait en jours conclue, alors que l'accord collectif ouvrant le recours au forfait en jours ne répond pas aux exigences de l'article L. 3121-64, II, 1° et 2°, est nulle.

En l'espèce, par avenant du 21 décembre 2000, il a été prévu, en application du chapitre III, articles 3.1 à 3.7 de l'accord d'entreprise sur la réduction et l'aménagement du temps de travail du 13 septembre 2000, que la rémunération mensuelle de M. [Y] couvrirait de façon forfaitaire l'ensemble des tâches et objectifs inhérents à sa fonction, accomplies chaque année à raison de 214 jours ouvrés (212 à [Localité 3]) par période de douze mois, appréciée du 1er janvier au 31 décembre de chaque année.

Comme justement relevé par M. [Y], l'accord d'entreprise n'est pas versé aux débats par la société Emerson et s'il est possible pour l'employeur, en vertu de l'article L. 3121-65 du code du travail, de conclure valablement une convention de forfait malgré l'absence de stipulations conventionnelles prévues aux 1° et 2° du II de l'article L. 3121-64, encore est-il nécessaire d'avoir un accord remplissant les conditions du I de ce même article.

Bien plus, les entretiens annuels d'évaluation produits aux débats ne permettent en aucun cas de retenir que la société Emerson se serait assurée que la charge de travail de M. [Y] était raisonnable, ni qu'elle aurait évoqué l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle.

Ainsi, si jusqu'en novembre 2017, un item était dédié à la charge de travail, il ne peut qu'être relevé, alors même que M. [Y] avait souligné à cette date son caractère excessif en expliquant que les problèmes de délai à l'usine avaient impacté son quotidien et généré une charge de travail supplémentaire et du stress, aucune conséquence n'en a été tirée et, bien plus, il n'a même plus été évoqué la charge de travail lors des entretiens suivants, sans que la société Emerson puisse sérieusement reporter la responsabilité de l'absence d'entretien en ce domaine sur M. [Y] alors que cette obligation lui incombe.

Dès lors, il convient d'infirmer le jugement et de dire que la convention de forfait de M. [Y] est nulle, et à tout le moins, privée d'effet, de sorte qu'il peut solliciter le paiement d'heures supplémentaires dans les conditions de droit commun.

Aux termes de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte des articles L. 3171-2 à L. 3171-4 du code du travail, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

A l'appui de sa demande, M. [Y] produit un planning des années 2019, 2020 et 2021 mentionnant les jours travaillés et précise sa demande en retenant une durée de travail journalière de 9 heures à raison de cinq jours par semaine, ce qui est suffisamment précis pour permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments, sans qu'il puisse se retrancher derrière le fait que M. [Y] ne lui aurait jamais fait part de prétendues heures supplémentaires.

Or, il ne peut qu'être relevé que la société Emerson se contente d'indiquer qu'elle ne lui a pas demandé d'effectuer d'heures supplémentaires sans apporter aucun élément permettant de conforter le fait que les heures réclamées par M. [Y] étaient inutiles à la réalisation de ses missions et que sa charge de travail ne les nécessitait pas.

Néanmoins, la confrontation des plannings produits, du décompte des heures supplémentaires réclamées par M. [Y] et des bulletins de salaire permet de relever certaines incohérences quant au nombre d'heures supplémentaires ainsi sollicitées puisque M. [Y] mentionne avoir travaillé des journées durant lesquelles il bénéficiait de réduction du temps de travail.

A cet égard, et alors que les heures supplémentaires se calculent à la semaine, il convient d'en apprécier le nombre en tenant compte des jours de réductions du temps de travail dès cette étape, sans procéder dans un second temps à leur remboursement, seule cette méthode permettant de respecter les modalités de calcul des heures supplémentaires et, à cet égard, il doit être noté que si la société Emerson a indiqué dans ses conclusions '7 jours de RTT en avril 2018", il s'agit manifestement d'une erreur puisque ces 7 jours ont en réalité été pris à compter de mai 2018 et il n'est donc encouru aucune prescription.

Ainsi, en tenant compte de cette méthode de calcul et du nombre de jours de RTT tels que retenus par la société Emerson, M. [Y] a réalisé 161 heures supplémentaires en 2018 dont 34 heures majorées à 50 %, 280 heures supplémentaires en 2019 dont 64 heures majorées à 50 %, 250 heures supplémentaires en 2020 dont 48 heures majorées à 50 % et 86 heures supplémentaires en 2021 dont 16 heures majorées à 50 %.

Aussi, et alors que le salaire de base doit être fixé à 31,72 euros dès lors que le salaire forfaitaire doit être considéré comme correspondant à 151,67 heures, il convient d'infirmer le jugement et de condamner la société Emerson à payer à M. [Y] la somme de 32 092,71 euros, outre 3 209,27 euros au titre des congés payés afférents, étant rappelé que la somme ainsi accordée tient compte des jours de RTT dont la société Emerson demande le remboursement, aussi, cette demande est-elle devenue sans objet.

II - Sur la demande de dommages et intérêts équivalents au montant de la contrepartie obligatoire en repos

Visant l'article L. 3121-33, M. [Y] indique n'avoir bénéficié d'aucune contrepartie obligatoire en repos et considère qu'il peut donc y prétendre à hauteur de 100 % de ses heures supplémentaires dès lors que la société Emerson emploie plus de 20 salariés.

Selon l'article L. 3121-33 du code du travail, une convention ou un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche :

1° Prévoit le ou les taux de majoration des heures supplémentaires accomplies au-delà de la durée légale ou de la durée considérée comme équivalente. Ce taux ne peut être inférieur à 10 % ;

2° Définit le contingent annuel prévu à l'article L. 3121-30 ;

3° Fixe l'ensemble des conditions d'accomplissement d'heures supplémentaires au-delà du contingent annuel ainsi que la durée, les caractéristiques et les conditions de prise de la contrepartie obligatoire sous forme de repos prévue au même article L. 3121-30. Cette contrepartie obligatoire ne peut être inférieure à 50 % des heures supplémentaires accomplies au-delà du contingent annuel mentionné audit article L. 3121-30 pour les entreprises de vingt salariés au plus, et à 100 % de ces mêmes heures pour les entreprises de plus de vingt salariés. L'effectif salarié et le franchissement du seuil de vingt salariés sont déterminés selon les modalités prévues à l'article L. 130-1 du code de la sécurité sociale.

Les heures supplémentaires sont accomplies, dans la limite du contingent annuel applicable dans l'entreprise, après information du comité social et économique.

Les heures supplémentaires sont accomplies, au-delà du contingent annuel applicable dans l'entreprise, après avis du comité social et économique.

II.-Une convention ou un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche peut également :

1° Prévoir qu'une contrepartie sous forme de repos est accordée au titre des heures supplémentaires accomplies dans la limite du contingent ;

2° Prévoir le remplacement de tout ou partie du paiement des heures supplémentaires, ainsi que des majorations, par un repos compensateur équivalent.

III.-Une convention ou un accord d'entreprise peut adapter les conditions et les modalités d'attribution et de prise du repos compensateur de remplacement.

Alors que le contingent annuel d'heures est de 220 heures et que seules les heures effectuées au-delà de ce contingent donnent lieu à contrepartie obligatoire en repos à 100 % pour les salariés engagés dans une entreprise employant plus de 20 salariés, seules les années 2019 et 2020 sont concernées par cette demande, le contingent n'ayant pas été atteint en 2018 et 2021.

Par ailleurs, il n'a été dépassé que de 60 heures en 2019 et de 30 heures en 2020.

Aussi, et alors que le paiement de ces heures est effectué sur la base du salaire non majoré, soit 31,72 euros, il est dû à M. [Y] la somme de 2 854,80 euros à titre de dommages et intérêts lié à la contrepartie obligatoire en repos.

III - Sur la demande d'indemnité pour travail dissimulé

M. [Y] considère qu'en n'assurant pas le suivi régulier de l'organisation de son travail, en ne tenant pas compte de ses alertes et en ne bénéficiant pas du contrôle du nombre de journées ou demi-journées travaillées, la société Emerson a intentionnellement dissimulé la réalisation d'heures supplémentaires, ce qu'elle conteste en rappelant que M. [Y] n'a jamais sollicité le paiement d'heures supplémentaires et a été régulièrement suivi pour adapter sa charge de travail.

Aux termes de l'article L. 8221-5 du Code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur : 1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ; 2° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli (...).

Selon l'article L. 8223-1, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

L'annulation d'une convention de forfait en raison d'un manque de suivi de la charge de travail ne saurait à elle seule permettre de retenir l'élément intentionnel de la dissimulation des heures supplémentaires retenues à raison de cette annulation et ce, d'autant qu'en l'espèce, M. [Y] bénéficiait d'une autonomie réelle dans le cadre de ses fonctions et d'un salaire conséquent.

Dès lors, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [Y] de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé à défaut pour lui d'établir l'élément intentionnel.

IV - Sur le licenciement

Tout en relevant que le contrôle soudain et tatillon de notes de frais a été reconnu comme harcèlement moral, M. [Y] soutient en tout état de cause que son licenciement ne repose pas sur une faute grave, sachant qu'il n'a jamais présenté de notes de frais supérieures à 24 euros et qu'il a régulièrement engagé des frais pour un montant moindre à celui pouvant être remboursé, à savoir 22 euros, et même, a souvent fait l'impasse sur un certain nombre de remboursement de frais dès lors que ceux-ci ne dépassaient pas 10 euros.

En outre, tout en notant que ces faits sont pour certains prescrits, il conteste avoir établi de fausses notes de frais que ce soit en lien avec l'invitation de clients, seule une erreur de remplissage du logiciel expliquant l'incohérence relevée, ou auprès du restaurant de [Localité 8] qui n'est pas son lieu d'habitation, aussi, considère-t-il que ce licenciement est en réalité économique comme le démontre le profil recherché après son départ, rémunéré 20 000 euros de moins que lui sur l'année.

Enfin, il conteste avoir eu connaissance des codes de conduite vantées par la société Emerson et note qu'en tout état de cause, le licenciement n'est prévu qu'à titre facultatif, étant relevé qu'il a réellement engagé la somme de 24 euros réclamée et qu'il n'existe aucune interdiction de déjeuner de deux menus lorsque les portions sont minimalistes.

En réponse, la société Emerson explique qu'elle dispose en son sein d'un code de conduite qui expose les règles éthiques et professionnelles applicables, lesquelles rappellent expressément que le collaborateur peut prétendre à un remboursement maximum de 22 euros correspondant à un seul repas, sauf en cas d'invitation d'un client ou collaborateur de la société, lequel montant n'est pas un forfait mais un montant maximal. Elle relève qu'il y est en outre mentionné l'importance de ne pas falsifier les notes de frais, même pour un faible montant, avec précision de la sanction encourue, à savoir la possibilité d'un licenciement.

Aussi, elle considère qu'en prenant deux repas à emporter auprès du restaurant 'Le commerce' alors qu'il n'avait droit qu'à un seul repas remboursé et en sollicitant le remboursement de repas avec des clients sur des journées où il n'était pas en visite, M. [Y] a commis une faute grave justifiant le licenciement, sans qu'il puisse utilement argué qu'il aurait ainsi compensé d'autres frais engagés pour lesquels il n'aurait pas demandé le remboursement, la procédure ne le permettant pas et M. [Y] n'en justifiant pas en tout état de cause.

Conformément aux dispositions de l'article L.1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, laquelle implique qu'elle soit objective, établie et exacte et suffisamment pertinente pour justifier la rupture du contrat de travail.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et l'employeur qui l'invoque doit en rapporter la preuve.

A titre liminaire, il convient de relever qu'aucun des faits reprochés à M. [Y] n'est prescrit dès lors que la société Emerson n'a pu en avoir connaissance qu'en raison d'une erreur commise par ce dernier lors d'une demande de remboursement de frais, ce qui l'a alors conduite à découvrir des faits plus anciens, peu important que le supérieur hiérarchique de M. [Y] ait validé ses remboursements de frais, la fréquence de ces remboursements impliquant de pouvoir compter sur l'honnêteté des commerciaux.

A l'appui du licenciement, la société Emerson produit aux débats les supports 'formation éthique' établis à compter de 2017 aux termes desquels il est expressément mentionné que falsifier une note de frais peut faire l'objet d'un licenciement, que sa fiabilité ne relève pas de la responsabilité de l'assistante ou de la finance mais de celle du salarié l'établissant, ce qui est encore plus précisément rappelé en 2019 puisqu'il est indiqué que les notes de frais doivent être exactes et qu'il ne faut pas tricher, même pour de faibles montants, et en 2020, que toute fraude out tricherie, même minime, peut entraîner un licenciement, avec à l'appui, l'exemple d'un directeur licencié pour avoir imputé des frais d'hôtel personnels à des frais professionnels.

Il est également versé aux débats la procédure de remboursement de frais dont il résulte que la somme remboursée de 22 euros par repas n'est pas un forfait mais un maximum.

Il est également produit les facturettes qui démontrent que M. [Y] a faussement mentionné un repas au restaurant 'Le commerce' en modifiant le 2 en 1, et ce, alors que ce restaurant proposait des menus à emporter à 12 euros, comprenant entrée, plat, dessert et, à cet égard, il ne peut sérieusement se retrancher derrière le fait qu'il n'aurait pas eu connaissance de la procédure applicable alors que, manifestement, il savait qu'il ne pouvait faire apparaître deux repas.

Il est ainsi établi qu'il a falsifié ou fait falsifier ces justificatifs pour se faire rembourser deux repas au lieu d'un seul, sans qu'il puisse cependant être sous-entendu qu'il n'aurait même pas pris ces repas dès lors qu'il justifie les avoir réellement commandés en produisant ses relevés de comptes, ce qui ne le dédouane cependant pas de la fraude ainsi commise.

Par ailleurs, s'il fait valoir qu'il avait des rendez-vous clients les 12 décembre 2019, 3 mars 2020, 12 juin 2020 et 8, 9, 14 et 15 septembre 2020, il ne peut qu'être relevé qu'aucun d'entre eux n'apparaît sur son agenda informatique et qu'il n'apporte aucun élément permettant d'en corroborer l'existence, peu important que les montants ainsi réclamés restent raisonnables par rapport aux plafonds prévus par la société Emerson, étant tout de même relevé que sur le mois de septembre, le montant de ces frais s'élèvent à 163 euros sur deux semaines.

En outre, et quand bien même il n'est pas sérieusement contesté qu'il ne se serait pas fait rembourser ses frais d'hôtel de 55 euros le 10 juin pour un déplacement à [Localité 6], outre qu'il apparaît une fausse note de frais le 12 juin, il ne peut être admis qu'il procède par compensation sauf à interdire tout contrôle sérieux, ce mode de fonctionnement, à savoir la fausseté des facturettes produites, rendant extrêmement difficile tout contrôle par la société, la manoeuvre n'ayant d'ailleurs pu être découverte qu'en raison d'une erreur dans l'établissement de la facturette et le fait que cet établissement ne propose qu'un seul menu à 12 euros.

Au vu de ces éléments, et quand bien même M. [Y] n'aurait pas suivi la formation 'éthique' dispensée par la société Emerson, il ne pouvait ignorer l'interdiction de falsifier une note de frais et il convient donc de retenir qu'il a commis une faute justifiant un licenciement, laquelle n'empêchait cependant pas la poursuite immédiate du contrat de travail, et il y a donc lieu de dire qu'il ne reposait pas sur une faute grave mais sur une cause réelle et sérieuse, sauf à ce que M. [Y] justifie de son caractère discriminatoire.

V - Sur la demande de dommages et intérêts pour dégradation des conditions de travail, harcèlement moral et manquement à l'obligation de sécurité

Tout en précisant qu'il n'avait avant 2017 jamais été placé en arrêt de travail, M. [Y] explique que sa situation s'est dégradée en 2016 lors du changement du directeur général France, du directeur et du N+2, et qu'ainsi, M. [C], son N+1, a refusé de lui serrer la main lors d'un séminaire à [Localité 5] en octobre 2016, qu'il lui a même indiqué à cette occasion qu'il était en rouge sur la liste s'il y avait du monde à virer, qu'il a à nouveau subi des situations humiliantes et stressantes lors d'un séminaire à Embiez du 10 au 13 octobre 2017, lors duquel il a été victime d'une altercation avec son N+1, pour encore à nouveau subir ce type d'humiliations lors d'un séminaire en octobre 2019.

Il relève en outre qu'en janvier 2017, 42 000 euros de commandes ont disparu, que ce même phénomène, outre des problèmes de livraison, s'est reproduit au mois de février, qu'il est également apparu comme premier destinataire sur les mails envoyés par le directeur général France et qu'enfin des clients lui ont été retirés en 2018 et 2021, ce qui a conduit à une dégradation de son état de santé comme le prouvent ses arrêts maladie mais aussi le fait que des clients se soient inquiétés de sa santé.

En réponse, tout en s'étonnant que M. [Y] sollicite sa réintégration s'il était effectivement victime de harcèlement moral et d'une dégradation de ses conditions de travail ayant impacté sa santé, la société Emerson note qu'il se contente de produire le mail envoyé à l'inspection du travail pour arguer d'une situation de harcèlement moral, lequel n'a aucune valeur probatoire comme en témoignent d'ailleurs les pièces qu'il produit lui-même et qui démontrent qu'il avait une perception très subjective et surprenante des situations, sachant qu'il n'apporte par ailleurs pas le moindre élément quant à l'existence de situations humiliantes ou stressantes lors des séminaires alors pourtant qu'ils réunissaient des dizaines de salariés.

Elle rappelle en outre qu'il ne faut pas confondre harcèlement moral et pouvoir de direction et qu'ainsi, dans ce cadre, elle a effectivement dû réaffecter des clients sur d'autres commerciaux, soit à raison d'une demande de leur part, d'une réorganisation ou pour faire face aux absences de M. [Y], sans que cela n'impacte cependant ni sa rémunération, ni son travail.

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L. 1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement et il incombe à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

A titre liminaire, il convient de relever qu'il n'est pas produit le moindre élément permettant d'accréditer le fait que M. [C] aurait refusé de serrer la main de M. [Y] lors du séminaire d'octobre 2016, pas plus qu'il n'est justifié du moindre comportement blessant, ni même de la moindre parole déplacée, et ce quelque soit le séminaire, étant au contraire noté que la société Emerson produit des attestations de salariés et de M. [C] contestant toute situation de ce type et il est versé aux débats des photographies montrant M. [Y] lors d'un de ces séminaires parfaitement intégré au groupe.

Bien plus, il est justifié qu'il a été nominé lors du séminaire à Embiez pour sa persévérance auprès du client Dresser rand et M. [Y] produit lui-même un mail de félicitation d'octobre 2018 en précisant qu'il émane de sa direction, lequel est particulièrement valorisant, à savoir 'Comme toujours tu assures, merci pour ta réactivité et ta perspicacité'.

Il est également produit un mail de M. [C] datant de mars 2017 qui, s'il lui écrit que cela aurait pu être parfait mais qu'il manque la déclaration end user, quelques minutes avant qu'il ne se rende compte de cette difficulté, il lui écrivait 'superbe commande [M]! Ton acharnement a bien payé et tu l'avais dit : 'la commande sera là vendredi'!! Bien joué!', ce qui démontre au contraire un encouragement plus que bienveillant et parfaitement conforme aux mails qu'il verse aux débats sur une période se situant entre 2008 et 2011 et qui lui font part de son travail très satisfaisant.

Par ailleurs, si M. [Y] produit aux débats trois mails des 23 janvier 2017, 30 janvier 2017 et 5 avril 2018 émanant de M. [Z], directeur général, dont il est effectivement le premier destinataire de la liste, ces trois mails s'adressent à de multiples collaborateurs sans viser aucunement de manière personnelle M. [Y], étant au surplus relevé que leur contenu consiste uniquement à rappeler, pour le premier, le contexte économique changeant et la nécessité que chacun d'entre eux revisite son portefeuille clients et définisse des plans d'actions individuels cohérents, pour le deuxième, l'importance de préparer le module e-learning sans qu'il n'en ressorte le moindre reproche, et enfin pour le troisième, il fait suite au séminaire d'Embiez et a pour objet de les convier à une réunion afin de revoir la dynamique de la région, la compétition, les perspectives de croissance et, là encore, sans que les termes mêmes du mail laissent penser qu'il s'agirait de mesures de représailles puisqu'au contraire, il est indiqué 'nous avons le plaisir de vous convier' et qu'il doit être rappelé que lors de ce séminaire, M. [Y] a été nominé.

Il doit encore être noté que le contenu des mails produits tendant à démontrer que les clients avaient perçu son mal-être au sein de la société consiste simplement à débuter ceux-ci par 'j'espère que tout va bien pour vous.' ou 'j'espère que vous allez bien' en poursuivant immédiatement sur une demande à traiter, ce qui correspond à une simple formule de politesse sans pouvoir y déceler une interrogation quant à un quelconque mal-être.

Par ailleurs, s'il s'est plaint en décembre 2018 auprès de sa direction 'd'agissements se répétant à son encontre' en faisant remonter le mail d'une collaboratrice qui lui avait écrit 'Bonjour [M], je suis désolée pour toi pour ces amendes, pas un bon cadeau d'anniversaire...' en indiquant ensuite l'avoir désigné comme conducteur en lui précisant les modalités de réception des avis de contraventions et en finissant ce mail en lui souhaitant une très bonne journée et un joyeux anniversaire pour la semaine à venir avec un gâteau d'anniversaire en émoticône, il ne peut qu'être constaté que la perception de M. [Y] face à ce mail, dont la lecture ne laisse percevoir aucune ironie, est très personnelle et négative, au mieux peut-il être retenu une certaine maladresse en ne mesurant pas totalement l'impact de cette nouvelle pour M. [Y].

Cette tendance à l'interprétation de faits anodins se révèle encore lorsqu'il écrit que les 'situations sont très bizarres' ou qu'une commande de 42 000 euros aurait disparu alors même qu'il lui est immédiatement répondu lorsqu'il s'interroge qu'elles se trouvent en P05, sachant qu'il n'est nullement établi 'la disparition' de commandes.

Reste donc établi le fait qu'un client lui a été retiré en février 2018, sachant que la société Emerson justifie que ce client a demandé à travailler avec un autre ingénieur, ainsi qu'un deuxième client en septembre 2020 et un troisième en février 2021, soit près de trois ans plus tard.

Néanmoins, et s'il est exact que M. [Y] a appris ce transfert de client de manière indélicate pour en avoir eu connaissance à son retour d'arrêt-maladie à l'occasion d'une réunion, il s'explique néanmoins par la nécessité d'attribuer les clients durant un arrêt d'une durée relativement longue pour avoir été de quatre mois ininterrompue.

Au vu de ces éléments, M. [Y] ne présente pas des faits de nature à laisser supposer l'existence d'agissements répétés de harcèlement moral, étant au surplus relevé qu'il n'est produit aucune pièce médicale permettant de connaître les raisons de ses arrêts de travail et il convient en conséquence de dire que M. [Y] n'a pas été victime de harcèlement moral.

Néanmoins, et alors qu'il invoque également un manquement à l'obligation de sécurité, il doit être relevé que malgré le mail adressé à sa direction en mai 2019 pour faire part de son ressenti et de son sentiment d'être victime de situations humiliantes, il n'est produit par la société Emerson que le seul courrier de la responsable des ressources humaines faisant état des diligences devant être mises en oeuvre, et notamment le lancement d'une enquête auprès de CHSCT, sans qu'il n'en soit aucunement justifié.

De même, alors qu'il évoquait une charge de travail excessive en 2017, comme vu précédemment, cette plainte n'a nullement été prise en compte et, au contraire, cet item n'a plus été abordé par la suite.

Il convient donc de retenir un manquement de la société Emerson à son obligation de sécurité et de la condamner à verser à M. [Y] la somme de 1 500 euros à ce titre, sans qu'il ne soit cependant établi aucun lien entre le licenciement de M. [Y] et son état de santé, ni davantage avec de quelconques difficultés économiques de l'entreprise, les faits reprochés étant particulièrement objectifs et de sa seule responsabilité.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [Y] de sa demande de nullité du licenciement, et en conséquence de sa demande de réintégration et de rappel de salaire y afférents.

VI - Sur les conséquences financières liées à la requalification du licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse

Alors que l'indemnité compensatrice de préavis correspond au salaire que le salarié aurait perçu s'il avait travaillé, en ce compris les heures supplémentaires régulièrement effectuées, sans pouvoir correspondre à la moyenne des salaires la plus favorable, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Emerson à payer à M. [Y] la somme de 35 151 euros correspondant à six mois de salaire conformément à la convention collective de la métallurgie des ingénieurs et cadres alors applicable, outre 3 515,10 euros au titre des congés payés afférents.

Par ailleurs, selon l'article 29 de la convention collective nationale de la métallurgie des ingénieurs et cadres, alors applicable, il est alloué à l'ingénieur ou cadre, licencié sans avoir commis une faute grave, une indemnité de licenciement distincte du préavis.

Le taux de cette indemnité de licenciement est fixé comme suit, en fonction de la durée de l'ancienneté de l'intéressé dans l'entreprise :

- pour la tranche de 1 à 7 ans d'ancienneté : 1/5 de mois par année d'ancienneté ;

- pour la tranche au-delà de 7 ans : 3/5 de mois par année d'ancienneté.

Pour le calcul de l'indemnité de licenciement, l'ancienneté et, le cas échéant, les conditions d'âge de l'ingénieur ou cadre sont appréciées à la date de fin du préavis, exécuté ou non. Toutefois, la première année d'ancienneté, qui ouvre le droit à l'indemnité de licenciement, est appréciée à la date d'envoi de la lettre de notification du licenciement.

En ce qui concerne l'ingénieur ou cadre âgé d'au moins 50 ans et de moins de 55 ans et ayant 5 ans d'ancienneté dans l'entreprise, le montant de l'indemnité de licenciement sera majoré de 20 % sans que le montant total de l'indemnité puisse être inférieur à 3 mois.

L'indemnité de licenciement résultant des alinéas précédents ne peut pas dépasser la valeur de 18 mois de traitement.

L'indemnité de licenciement est calculée sur la moyenne mensuelle des appointements ainsi que des avantages et gratifications contractuels, dont l'ingénieur ou cadre a bénéficié au cours de ses 12 derniers mois précédant la notification du licenciement. En cas de suspension du contrat de travail, pour quelque cause que ce soit, au cours des 12 ou 3 mois, il est retenu, au titre de chacune de ces périodes de suspension, la valeur de la rémunération que l'ingénieur ou cadre aurait gagnée s'il avait travaillé durant la période de suspension considérée, à l'exclusion de toutes les sommes destinées à se substituer aux salaires perdus - telles que les indemnités de maladie - éventuellement perçues par l'intéressé au titre de la période de suspension.

Au regard de la moyenne des salaires des douze derniers mois, la plus favorable, tenant compte des heures supplémentaires accordées, il convient de retenir le salaire moyen proposé par M. [Y], à savoir 6 179,06 euros, et, compte tenu de son âge à l'issue du préavis, soit 54 ans, et de son ancienneté de 24 ans, il convient d'infirmer le jugement et de condamner la société Emerson à lui payer la somme de 86 012,51 euros à titre d'indemnité de licenciement.

VII - Sur les intérêts

Les sommes allouées en première instance et en appel à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l'employeur en conciliation et celles à caractère indemnitaire à compter du jugement de première instance pour les dispositions confirmées et du présent arrêt pour les dispositions prononcées.

Les intérêts échus produiront intérêts, dés lors qu'ils seront dus au moins pour une année entière à compter de l'arrêt, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil.

VIII - Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner la société Emerson aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à M. [Y] la somme de 1 500 euros sur ce même fondement, en plus de la somme allouée en première instance.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement et publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté M. [M] [Y] de ses demandes de rappel d'heures supplémentaires, congés payés afférents, dommages et intérêts au titre de la contrepartie obligatoire en repos, dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité ainsi que sur les intérêts et sur le montant de l'indemnité de licenciement ;

L'infirme de ces chefs et statuant à nouveau,

Condamne la SAS Emerson process management à payer à M. [M] [Y] les sommes suivantes :

rappel d'heures supplémentaires : 32 092,71 euros

congés payés afférents : 3 209,27 euros

dommages et intérêts au titre de la

contrepartie obligatoire en repos  : 2 854,80 euros

dommages et intérêts pour manquement à

l'obligation de sécurité : 1 500,00 euros

indemnité de licenciement : 86 012,51 euros

Dit que les sommes allouées en première instance et en appel à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l'employeur en conciliation et celles à caractère indemnitaire à compter du jugement de première instance pour les dispositions confirmées et du présent arrêt pour les dispositions prononcées :

Y ajoutant,

Dit que les intérêts échus produiront intérêts, dés lors qu'ils seront dus au moins pour une année entière à compter de l'arrêt, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;

Condamne la SAS Emerson process management aux entiers dépens ;

Condamne la SAS Emerson process management à payer à M. [M] [Y] la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la SAS Emerson process management de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 22/01906
Date de la décision : 18/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 24/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-18;22.01906 ?
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