N° RG 22/02030 - N° Portalis DBV2-V-B7G-JDL3
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 18 AVRIL 2024
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 11 Mai 2022
APPELANTS :
Monsieur [T] [P]
[Adresse 1]
[Localité 2]
présent
représenté par Me Jean-Michel DUDEFFANT, avocat au barreau de PARIS
Syndicat SYNDICAT CGT SCHINDLER
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Jean-Michel DUDEFFANT, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE :
S.A. SCHINDLER
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Anne MURGIER de la SELARL CAPSTAN LMS, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Nelly MORICE, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 13 Mars 2024 sans opposition des parties devant Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère, rédactrice
Madame ROYAL, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
M. GUYOT, Greffier
en présence de M. Alexis MICHELON, Greffier stagiaire
DEBATS :
A l'audience publique du 13 mars 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 18 avril 2024
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 18 Avril 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [T] [P] a été engagé le 7 juillet 2008 en qualité de technicien de montage par la société Schindler, laquelle a pour activité principale l'installation, l'entretien et la maintenance d'ascenseurs et de monte-charges.
Il a été licencié pour faute grave le 31 janvier 2019 dans les termes suivants :
'(...) Dans le cadre d'une intervention de modernisation, le 29 novembre 2018, il a été constaté un certain nombre de manquements graves à la sécurité dont les faits sont décrits ci-dessous, et qui ont occasionné votre accident du travail.
Cet accident du travail a entraîné un arrêt du 30 novembre 2018 au 24 décembre 2018 et c'est à votre retour, suite à des congés payés, que nous vous avons convoqué pour cet entretien préalable à licenciement.
Les faits sont les suivants :
En qualité de technicien de montage, vous étiez en charge d'un chantier de modernisation sur l'appareil numéro 1091175 situé à la DDFIP 23 place du Général de Gaulle au Mans (72 000), et plus précisément vous étiez sur la préparation du chantier.
En manoeuvrant la cabine depuis le seuil, à partir du boîtier d'inspection positionnée sur le toit de la cabine, vous vous êtes coincé le poignet entre la tête de l'opérateur et le haut de la porte palière, occasionnant ainsi votre accident du travail.
Lors de cette intervention, vous n'avez pas respecté les consignes de sécurité et les règles d'or de la sécurité affichées dans toutes les agences, notamment toujours garder le contrôle de l'ascenseur.
Lors de l'entretien, vous avez indiqué vouloir relever la cabine de 4 à 5 cm afin d'exécuter un travail et pour ce faire, avoir positionné votre main directement sur le boîtier d'inspection de toit cabine.
Cette manoeuvre n'était pas appropriée et dangereuse. En effet, vous aviez à votre disposition un boîtier déporté, doté d'une rallonge permettant de manoeuvrer à partir du pallier.
En utilisant ce boîtier déporté vous auriez pu intervenir en toute sécurité.
A ce titre nous vous rappelons que le manuel de sécurité par métier précise bien que le technicien ne doit pas se mettre en situation de cisaillement, ce que vous n'avez pas respecté.
Lors de l'entretien, je vous ai demandé de vous expliquer sur les circonstances de l'accident et sur les mesures que vous pourriez mettre en place afin de garantir en toutes circonstances votre sécurité et votre intégrité physique.
Vous avez tenté de vous dédouaner en expliquant que vous avez privilégié le délai de réalisation du chantier en négligeant ainsi les mesures nécessaires à votre sécurité et intégrité physique.
Vous avez confirmé ces graves manquements lors de notre entretien téléphonique du 30 novembre 2018, pour réaliser l'analyse et l'enquête de cet accident.
Vous avez en effet déclaré : 'A mon retour de déjeuner, et dans le cadre de la préparation de mon chantier pour l'après-midi, j'avais besoin de récupérer mes outils positionnés en cabine, j'ai fait deux tâches en même temps, j'ai positionné ma main sur le boîtier d'inspection toit cabine, je n'ai pas fait attention à la montée de la cabine, mon poignet s'est retrouvé coincé entre le toit cabine et le fronton, je n'ai pas pu me dégager seul, j'ai contacté par téléphone deux collègues qui sont arrivés 20 minutes plus tard pour me libérer.'
Lorsque je vous ai signalé cet écart de version entre le 30 novembre 2018 et le 7 janvier 2019, vous n'avez pas apporté d'explication, maintenant votre dernière version.
Aussi, lorsque je vous ai demandé quelles mesures vous mettrez dorénavant en oeuvre pour garantir votre sécurité et votre intégrité physique sur les chantiers, vous avez invoqué la pression des chantiers, du management, des clients sans me montrer une quelconque prise de recul ni prise de conscience sur votre rôle pour réaliser les travaux en toute sécurité.
Ces explications ne sont en aucun cas justifiées ni exigées par votre hiérarchie.
Enfin, ces faits ne sont pas isolés, car en 2017, votre responsabilité était engagée de la même façon également lors d'une intervention sur la tour TDF de Monnaie, qui avait occasionné un accident du travail.
Les explications que vous avez fournies et les tentatives pour vous dédouaner ont confirmé la gravité des faits. Compte tenu de votre large expérience et les nombreuses formations que vous avez suivies, vous ne pouviez pas ignorer l'ensemble des procédures en matière de sécurité.
En conséquence, nous sommes au regret de constater l'impossibilité de poursuivre votre contrat y compris durant le préavis qui vous aurait été applicable en l'absence de faute grave. (...)'.
Par requête reçue le 5 février 2021, M. [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen en contestation du licenciement, ainsi qu'en paiement de rappel de salaires et indemnités et le syndicat CGT Schindler a fait part de son intervention volontaire.
Par jugement du 11 mai 2022, le conseil de prud'hommes a :
- jugé irrecevable l'intervention volontaire du syndicat CGT Schindler,
- requalifié le licenciement de M. [P] en licenciement pourvu d'une cause réelle et sérieuse,
- condamné la société Schindler à verser à M. [P] les sommes suivantes :
indemnité de licenciement : 6 339,67 euros
indemnité compensatrice de congés payés : 4 804,80 euros
congés payés sur préavis : 480,05 euros
- débouté M. [P] du surplus de ses demandes,
- ordonné l'exécution provisoire pour le rappel de salaire et congés payés afférents, pour le paiement de l'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents et pour le paiement de l'indemnité de licenciement,
- débouté la société Schindler de sa demande reconventionnelle formulée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et laissé les dépens et éventuels frais d'exécution à la charge de la société Schindler.
M. [P] et le syndicat CGT Schindler ont interjeté appel de cette décision le 16 juin 2022.
Par conclusions remises le 9 mars 2023, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, M. [P] et le syndicat CGT Schindler demandent à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté la société Schindler de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile et l'a condamnée aux dépens, et statuant à nouveau, de :
- à titre principal, annuler le licenciement disciplinaire de M. [P] et en conséquence, ordonner sa réintégration dans son emploi et condamner la société Schindler à lui payer la somme de 45 282 euros à titre de provision sur les salaires dus pour licenciement nul, outre 4 528,20 euros à titre de provision sur les congés payés afférents,
- dire que la société Schindler ne pourra exiger de M. [P] qu'il reprenne son poste qu'après exécution des diligences suivantes :
remise en état du contrat de travail avec position professionnelle actualisée,
proposition d'un salaire actualisé à sa date de réintégration effective tenant compte de la médiane des augmentations de salaires constatées pour les salariés de la même classification IV-1 pendant sa durée d'éviction,
délivrance d'un bulletin de salaire récapitulatif pour la période du 1er février 2019 à la date de réintégration effective indiquant les montants mois par mois et tenant compte de la médiane des augmentations de salaire constatées pour les salariés de la même classification IV-1 pendant sa durée d'éviction,
paiement de l'intégralité des sommes du jugement,
- à titre subsidiaire, juger que le licenciement de M. [P] est sans cause réelle et sérieuse et condamner la société Schindler à lui payer les sommes suivantes :
indemnité compensatrice de préavis : 5 031,32 euros
congés payés afférents : 503,13 euros
indemnité de licenciement : 6 708,42 euros
dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 30 187,92 euros
- à titre très subsidiaire, confirmer le jugement en ce qu'il a dit le licenciement de M. [P] pourvu d'une cause réelle et sérieuse et condamner la société Schindler à lui payer les sommes suivantes :
indemnité compensatrice de préavis : 5 031,32 euros
congés payés afférents : 503,13 euros
indemnité de licenciement : 6 708,42 euros
- à titre infiniment subsidiaire, rectifier l'erreur matérielle dont le jugement est entaché en ce qu'il a condamné la société Schindler à verser à M. [P] la somme de 4 804,80 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés alors qu'il s'agit d'une indemnité compensatrice de préavis et rectifiant la dite erreur, condamner la société Schindler à payer cette somme à M. [P] à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 480,05 euros au titre des congés payés afférents et 6 339,67 euros à titre d'indemnité de licenciement,
- en tout état de cause, condamner la société Schindler à payer à M. [P] la somme de 2 515,66 euros pour non-respect de la procédure de licenciement,
- ordonner à la société Schindler de rembourser aux organismes sociaux les indemnités versées au salarié dans la limite de six mois,
- condamner la société Schindler à verser à M. [P] la somme de 5 000 euros pour non-respect des droits de la défense et celle de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- déclarer le syndicat CGT Schindler recevable en son intervention volontaire et bien-fondé en l'ensemble de ses demandes et en conséquence, juger que la direction de la société Schindler n'a pas accompli les formalités de dépôt et de publicité et que le règlement intérieur daté du 9 avril 2018 ainsi que son annexe 4 sont inopposables au salarié, condamner la société Schindler à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation des garanties de fond régissant le droit disciplinaire, en particulier les obligations imposées par les articles L. 1321-4 et R.1321-1 du code du travail, 2 500 euros à titre de dommages et intérêts pour abus de pouvoir, 15 000 euros pour absence d'information et de réunion du CHSCT constitutif d'un délit d'entrave et 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonner à la société Schindler de communiquer une copie de la décision à chaque salarié de l'entreprise, à défaut à chaque salarié de l'établissement Schindler Normandie-Centre,
- débouter la société Schindler de son appel incident, la débouter de l'ensemble de ses demandes et la condamner aux entiers dépens qui seront recouvrés par Me Dudeffant en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Par conclusions remises le 19 février 2024, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, la société Schindler demande à la cour de :
- à titre principal, confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré le syndicat irrecevable, l'infirmer en ce qu'il a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse et débouter M. [P] de l'ensemble de ses demandes,
- à titre subsidiaire, confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- à titre très subsidiaire, réduire la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à trois mois de salaire, soit 7 546,98 euros
- en tout état de cause, confirmer le jugement déboutant M. [P] de toutes ses autres demandes indemnitaires, débouter le syndicat de toutes ses demandes et condamner M. [P] et le syndicat in solidum à lui verser la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 5 mars 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'opposabilité du règlement intérieur du 9 avril 2018 et de son annexe 4
M. [P] rappelle que lorsque l'inspection du travail demande à un employeur, par voie de décision administrative, de modifier certaines dispositions du règlement intérieur, celui-ci est tenu d'y procéder et ne peut en aucun cas mettre en oeuvre le règlement intérieur tant qu'il n'a pas déféré à cette injonction, dans les termes de la demande.
Or, il soutient que toute modification du règlement intérieur ou adjonction oblige l'employeur à reprendre la procédure légale prévue à l'article L. 1321-4 du code du travail et en conséquence à recueillir l'avis du Comité central d'entreprise et des comités d'établissements, ainsi qu'éventuellement celui du CHSCT, puis à procéder à une nouvelle communication de ce règlement intérieur modifié comportant l'avis des instances représentatives du personnel à l'inspection du travail, et enfin à sa publicité par la voie de l'affichage dans les locaux de l'entreprise et à son dépôt au secrétariat du Conseil de prud'hommes de la situation de l'établissement où le travail est exécuté.
En l'espèce, il explique qu'en 2014, la société Schindler a engagé une refonte complète de son règlement intérieur qui datait de 1983 et qu'ainsi, après de nombreux aléas, elle a présenté son règlement intérieur à l'inspection du travail le 10 mars 2017, lequel n'a pas été validé puisqu'il lui a été fait injonction, par voie de décision administrative du 13 avril 2017, de procéder à un certain nombre de modifications, lui rappelant qu'elle devait préalablement consulter les instances représentatives du personnel et que le règlement intérieur ne pourrait entrer en vigueur tant que les dispositions légales ne seraient pas respectées.
Il précise que la société Schindler a retransmis un projet ne satisfaisant toujours pas l'administration et qu'ainsi, l'inspection du travail a dû, à plusieurs reprises, lui enjoindre de respecter les demandes de modifications explicitées dans la décision du mois d'avril 2017, sachant que loin de procéder aux modifications sollicitées, la société Schindler a fait le choix, sur un certain nombre de points, de procéder à des suppressions et ce, sans consulter les instances représentatives du personnel, celles-ci ayant été simplement informées de la teneur de son nouveau règlement intérieur, tout comme les salariés à qui il a été notifié.
A cet égard, s'agissant plus particulièrement de la Charte disciplinaire en matière de sécurité correspondant à l'annexe 4 du règlement intérieur, il explique qu'il y ait renvoyé par l'article 27 du règlement intérieur qui prévoit qu'en cas d'infraction aux règles de sécurité, les sanctions définies à l'article 26 (avertissement, mise à pied, mutation disciplinaire, licenciement pour faute, licenciement pour faute grave et licenciement pour faute lourde) seront appliquées selon les modalités définies dans ladite charte.
Or, il relève que malgré la difficulté relevée par l'inspection du travail qui avait fait valoir qu'il y était créé une sanction supplémentaire par rapport à celles prévues au règlement intérieur pour y être fait état d'un 'rappel à l'ordre écrit', la société Schindler s'est contentée de supprimer la colonne 'rappel à l'ordre écrit' qui y était insérée et de remplacer les termes 'rappel à l'ordre écrit' par 'rappel à l'ordre oral', là encore sans consulter les institutions représentatives du personnel, ce qui ne répondait pas à la demande de modification présentée par la Direccte, étant au surplus relevé que ce rappel à l'ordre oral reste illicite puisqu'il doit toujours être analysé comme une sanction pour être le premier terme de la récidive visé pour permettre la mise en oeuvre de sanctions plus lourdes, de même que la référence aux règles de sécurité 'de bon sens non écrites' est illicite tant cette notion est imprécise.
Au vu de ces éléments, il estime que lui sont inopposables tant le règlement intérieur du 9 avril 2018 que son annexe 4, étant précisé que le seul courrier de l'inspection du travail précisant qu'elle n'avait pas l'intention de prendre une décision administrative au regard du dernier règlement intérieur déposé ne peut s'apparenter à une décision administrative et ne peut donc se substituer à celle prise en avril 2017.
Il note enfin qu'il ne pouvait, en vertu de cette charte, être licencié pour faute grave, seul le licenciement étant évoqué en cas de non-respect des règles de sécurité, analyse retenue par l'inspection du travail et le ministère du travail.
En réponse, la société Schindler, sans contester avoir reçu injonction de modifier son règlement intérieur par l'inspection du travail par décision du 13 avril 2017, relève néanmoins qu'elle a apporté les correctifs nécessaires à chacune des difficultés soulevées et qu'ainsi, la Direccte lui a explicitement confirmé en avril 2018 que la dernière version transmise ne soulevait pas d'observations particulières de sa part et en conséquence ne nécessitait pas qu'elle prononce une décision administrative la concernant.
Aussi, elle soutient que tant le règlement intérieur que son annexe 4 sont opposables à M. [P], étant rappelé que sa régularité relève de l'appréciation de l'inspection du travail et que les modifications rendues nécessaires à la suite de ses observations n'ont pas à être soumises à l'avis des représentants du personnel dans la mesure où elles s'imposent au chef d'entreprise, analyse qui correspond à celle du tribunal judiciaire de Versailles qui s'est récemment prononcé sur cette question.
Selon l'article L. 1321-1 du code du travail, le règlement intérieur est un document écrit par lequel l'employeur fixe exclusivement les mesures d'application de la réglementation en matière de santé et de sécurité dans l'entreprise ou l'établissement, notamment les instructions prévues à l'article L. 4122-1, les conditions dans lesquelles les salariés peuvent être appelés à participer, à la demande de l'employeur, au rétablissement des conditions de travail protectrices de la santé et de la sécurité des salariés, dès lors qu'elles apparaîtraient compromises et enfin, les règles générales et permanentes relatives à la discipline, notamment la nature et l'échelle des sanctions que peut prendre l'employeur.
Par ailleurs, en vertu de l''article L. 1321-4 du même code, le règlement intérieur ne peut être introduit qu'après avoir été soumis à l'avis du comité social et économique. Il indique la date de son entrée en vigueur. Cette date doit être postérieure d'un mois à l'accomplissement des formalités de dépôt et de publicité. En même temps qu'il fait l'objet des mesures de publicité, le règlement intérieur, accompagné de l'avis du comité social et économique, est communiqué à l'inspecteur du travail. Ces dispositions s'appliquent également en cas de modification ou de retrait des clauses du règlement intérieur.
Enfin, selon l'article L. 1322-1, l''inspecteur du travail peut à tout moment exiger le retrait ou la modification des dispositions contraires aux articles L. 1321-1 à L. 1321-3 et L. 1321-6.
En application des articles L. 1322-2 et suivants du code du travail, la décision de l'inspecteur du travail est motivée, notifiée à l'employeur et au comité social et économique. Elle peut faire l'objet d'un recours hiérarchique devant le Ministre du travail ou d'un recours contentieux qui relève de la compétence du tribunal administratif. A défaut de recours, elle s'impose à l'employeur.
Il résulte de ces textes que le règlement intérieur ne peut produire effet que si l'employeur a accompli toutes les diligences prévues par l'article L. 1321-4, notamment la consultation préalable des représentants du personnel, sans qu'il n'ait cependant à soumettre aux représentants du personnel une modification du règlement intérieur résultant uniquement d'une injonction de l'inspection du travail.
En l'espèce, la société Schindler a transmis le 10 mars 2017 à l'inspection du travail, après consultation des institutions représentatives du personnel, le règlement intérieur de la société et ses annexes notamment l'annexe 4 intitulée "Charte disciplinaire en cas d'infractions aux règles de sécurité".
Par décision du 13 avril 2017, à laquelle était jointe une lettre d'observation, la Direccte a décidé que les dispositions des articles 2 § 3, 8 § 2, 12 § 10, 17 § 3, 17 § 8, 19 § 3, 20, 21 § 4 et 5, et de l'article 27 du règlement intérieur de la société Schindler devaient être modifiées, laquelle décision n'a fait l'objet d'aucun recours.
Par la suite, par courriers des 29 mai, 22 août, 4 octobre et 23 octobre 2017, la société Schindler et la Direccte ont échangé au sujet des dispositions litigieuses, qui ont été expliquées, modifiées ou supprimées par la société et, après ces échanges de courriers et des modifications subséquentes du règlement intérieur, au besoin par la suppression de paragraphes litigieux, la Direccte a estimé le 27 mars 2018 qu'il avait été répondu à sa demande et que le règlement intérieur était conforme aux dispositions légales, réglementaires ou conventionnelles applicables.
C'est la raison pour laquelle, au regard de la dernière version du règlement intérieur transmise le 11 décembre 2017, la Direccte a considéré que les points soulevés ayant été traités au gré des diverses correspondances échangées, il ne lui apparaissait pas nécessaire de prononcer une nouvelle décision administrative demandant à nouveau la modification ou le retrait de certaines dispositions du règlement intérieur et elle a ainsi écrit que "le règlement intérieur tel que récemment déposé ne soulève pas d'observations particulières de ma part et que, toutes choses étant égales par ailleurs et sous réserve de mon appréciation présente, je ne projette pas de prononcer une décision administrative le concernant".
Ainsi, par ce courrier, l'inspection du travail s'est clairement prononcée sur le fait qu'elle estimait les modifications ou suppressions apportées par la société Schindler comme ne débordant pas du contenu limitatif du règlement intérieur et comme étant conformes aux dispositions légales, réglementaires ou conventionnelles applicables.
A cet égard, il doit être relevé que l'inspection du travail, par ce courrier, a également validé la référence aux règles de sécurité 'de bon sens non écrites' et la cour n'a donc pas à substituer son appréciation sur sa régularité à celle de l'inspection du travail, étant surabondamment relevé que cette notion n'apparaît nullement illicite, le seul fait qu'elle puisse impliquer, comme la plupart des règles, même écrites, l'intervention des autorités judiciaires pour en apprécier la portée n'étant pas suffisant à les déclarer illicites.
Il en est de même en ce qui concerne la notion de 'rappel à l'ordre oral', étant surabondamment relevé qu'il résulte de l'article L. 1331-1 du code du travail que les observations verbales ne relèvent pas du régime des sanctions.
En outre, les modifications apportées au règlement intérieur déposé le 9 avril 2018 résultant d'une injonction de l'inspection du travail en date du 13 avril 2017, la seule information des instances représentatives du personnel par l'employeur à l'occasion de la réunion du 19 avril 2018 suffisait au respect de la procédure, et ce, quand bien même, la société Schindler a procédé, suite à ces observations, par suppression de certaines mentions.
Aussi, il convient de déclarer le règlement intérieur du 19 avril 2018 et son annexe 4 opposables à M. [P], étant relevé que si M. [P] et le syndicat CGT Schindler évoquent dans le dispositif de leurs conclusions et dans le rappel des règles de droit la question de la publicité du règlement intérieur, il apparaît néanmoins que la publicité du règlement intérieur du 19 avril 2018 et de son annexe 4 n'est, dans la présentation des faits, pas remise en cause.
Enfin, outre qu'il ne s'agit pas d'une question d'opposabilité du règlement intérieur, il convient d'indiquer que l'absence de visa du licenciement pour faute grave dans la charte ne peut être considérée comme interdisant un tel licenciement dès lors que le licenciement y est évoqué de manière générale et que l'article 27 du règlement intérieur visant ladite charte renvoie bien à l'échelle des sanctions prévues à l'article 26, en ce compris le licenciement pour faute grave.
Sur la demande de nullité du licenciement
Faisant valoir que le règlement intérieur doit rappeler les droits de la défense du salarié et qu'en l'occurrence, lui étant inopposable, il n'a pu lui rappeler utilement lesdits droits, M. [P] soutient que le manquement de l'employeur porte atteinte à un principe constitutionnel qui implique de déclarer nul son licenciement avec toutes conséquences de droit, en ce compris sa réintégration, demande à laquelle s'oppose la société Schindler en rappelant qu'à supposer même le règlement intérieur inopposable à M. [P], elle n'était pas privée de son droit de le licencier, ce droit résultant de la loi.
Outre que le règlement intérieur a été déclarée opposable à M. [P], en tout état de cause, une telle inopposabilité ne saurait avoir pour effet de rendre nul le licenciement prononcé, lequel est encadré par les articles L. 1231-1 et suivants du code du travail, qui régissent par ailleurs les droits de la défense du salarié, et il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [P] de sa demande tendant à voir prononcée la nullité du licenciement, ainsi que de l'ensemble de ses demandes en découlant, ainsi, notamment sa demande de réintégration avec injonction à l'employeur de procéder à un certain nombre de démarches et rappel de salaires.
Sur le bien-fondé du licenciement
Tout en rappelant qu'il incombe à l'employeur de prendre toutes les mesures propres à prévenir les risques d'accident sur un chantier et que les formations suivies n'ont pas fait de lui un expert en sécurité, M. [P] relève qu'il est versé pour seules pièces aux débats un compte-rendu d'accident du travail consistant en un document rempli informatiquement, non signé, dont l'auteur n'est pas identifié et qui ne comporte que de brefs commentaires ainsi qu'un document daté de plusieurs mois avant l'accident, présenté comme étant le résultat de l'enquête que la société Schindler aurait diligentée pour établir un arbre des causes de l'accident et ce, alors que le CHSCT n'a pas été informé de cet accident et, a fortiori, n'a pas mené d'enquête.
Il note encore qu'au regard de l'arbre des causes fourni, il lui est reproché de ne pas avoir défini de zone de stockage et d'avoir ainsi stocké son outillage et ses plans sur le toit de la cabine, et ce, alors qu'il résulte du compte-rendu d'accident du travail que cet outillage était dans la cabine mais surtout, il rappelle qu'il ressort de la fiche de poste de montage citée par la société elle-même que le technicien doit exécuter les travaux conformément au dossier de chantier remis par sa hiérarchie, lequel ne comportait pas de localisation de zone de stockage.
Il relève qu'il lui est également reproché de ne pas avoir utilisé le boîtier déporté dont aurait été équipé l'ascenseur, ce qui ne ressort que des seules allégations de la société, étant au surplus noté que la méthode produite par la société Schindler ne fait aucunement mention de la nécessité d'utiliser un tel boîtier et enfin, il constate qu'il lui est reproché une absence de contrôle visuel de la position de la cabine au moment où elle s'est déplacée et ce, alors que le chantier avait manifestement été mal préparé et qu'il a été réalisé sous pression compte tenu du retard pris, sans que la société n'ait pris les mesures nécessaires pour lui éviter d'effectuer cette intervention dans ces conditions de stress.
En réponse, la société Schindler rappelle que M. [P] devait en tant que technicien de montage exécuter les travaux dans le respect des règles de sécurité et des méthodes de montage, sachant que cette obligation s'impose aux salariés qui doivent y veiller, qu'il était expérimenté pour avoir dix années d'ancienneté et qu'il avait en outre bénéficié, compte tenu du danger que constitue le travail de réparation des ascenseurs, de très nombreuses formations, à savoir 43, correspondant à 631 heures, ce qui faisait de lui un expert de la sécurité.
Rappelant qu'un des risques de la maintenance d'une cabine d'ascenseur est celui du cisaillement par la cabine via les portes palières et les trappes de visites ou de coincement par la cabine, elle note que l'enquête diligentée a permis de mettre en évidence trois causes génératrices de l'accident, à savoir une absence de zone de stockage sécurisée, laquelle ne peut évidemment se situer sur le toit de la cabine, la non utilisation du boîtier de commande déporté présent et fonctionnel doté d'une rallonge et enfin l'absence de contrôle visuel de la position de la cabine au cours du mouvement.
Aussi, et alors que le manuel de sécurité par métier qui a été remis à M. [P] lors de son embauche comportait ces règles de sécurité, elle considère, au vu des formations suivies, qu'il a pris un risque inconsidéré mettant son intégrité physique en danger sans qu'il n'apporte aucun élément de nature à l'exonérer de sa responsabilité, et qu'ainsi, compte tenu de la dangerosité du secteur d'activité, elle a légitimement décidé de le licencier pour faute grave, et ce, d'autant qu'il avait déjà été impliqué dans la survenance d'un accident du travail en 2017.
Conformément aux dispositions de l'article L.1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, laquelle implique qu'elle soit objective, établie et exacte et suffisamment pertinente pour justifier la rupture du contrat de travail.
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et l'employeur qui l'invoque doit en rapporter la preuve.
Selon la Charte disciplinaire en cas d'infractions aux règles de sécurité, il est prévu en cas de non-respect d'une règle écrite interne ou externe (code de la route à titre professionnel) que le licenciement pourra avoir lieu en cas de récidive après mise à pied ou pour une première fois avec risque ou conséquence mortelle.
A titre liminaire, il convient d'indiquer qu'il n'est pas apporté le moindre élément sur le fait que M. [P] aurait été à l'origine d'un précédent accident du travail en 2017, et a fortiori qu'il aurait été mis à pied, et il ne peut qu'être constaté que la société Schindler n'explicite pas quel risque mortel aurait été encouru.
Aussi, et sur ce seul fondement, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
Surabondamment, à l'appui du licenciement, la société Schindler produit le compte-rendu de l'accident du travail de M. [P] survenu le 29 novembre 2018, lequel décrit le siège des lésions, le lieu de l'accident, les équipements individuels de protection portés et les conditions dans lesquels il se serait déroulé, à savoir, préparation du chantier pour poursuite de la modernisation, organisation pour le travail de l'après-midi et besoin d'accéder à la cabine tout en recherchant du matériel entreposé dans la cabine. Il est précisé que M. [P] a accédé au boîtier d'inspection du toit cabine depuis le seuil pour relever la cabine sans extraire le boîtier du toit et qu'en manoeuvrant, il s'est retrouvé avec le poignet coincé. Il est encore noté qu'il s'est senti sous pression pour pouvoir satisfaire le client, et ce, en raison du retard pris sur le chantier, en sachant qu'un technicien maintenance devait intervenir le samedi.
Outre ce compte-rendu non signé, il est produit un arbre des causes de cet accident dont il ressort que M. [P] a subi un écrasement du poignet droit avec atteinte des ligaments, le poignet ayant été écrasé entre la tête de l'opérateur et le haut de la porte palière et ce, après que M. [P], situé sur le seuil, a positionné sa main sur le boîtier de commande situé sur le toit cabine pour manoeuvrer la cabine, tout en récupérant l'outillage pour reprendre son travail.
Il est précisé que cet accident a été provoqué par la non-utilisation du boîtier de commande déporté, présent et fonctionnel, par une absence de contrôle visuel de la position de la cabine au cours du mouvement et par une réflexion du salarié quant à son organisation tout en agissant.
Néanmoins, là encore, il ne peut être déterminé qui est le rédacteur de ce document power point non signé, le seul nom apparaissant, à savoir, M. [Y], étant situé à côté de la date de mai 2018, soit des mentions sans lien avec l'arbre des causes ainsi établi, et aucune pièce complémentaire ne permet de savoir dans quelles conditions il a été établi, et notamment si des constats matériels ont été effectivement réalisés sur place ou encore si M. [P] a été entendu, celui-ci contestant les propos qui lui sont prêtés dans la lettre de licenciement.
Aussi, et quand bien même il est justifié que M. [P] a régulièrement bénéficié des formations liées à la sécurité et qu'il existait un manuel de sécurité rappelant les opérations nécessaires avant d'accéder au toit de la cabine, pour autant, outre que celui-ci ne fait nullement mention du boîtier déporté, en tout état de cause, à défaut de toute valeur probante pouvant être attachée à l'arbre des causes, pour être une pièce établie unilatéralement par la société Schindler elle-même, sans aucune transparence sur ses conditions de réalisation, il n'est pas suffisamment établi que l'accident du travail subi par M. [P] résulterait des causes qui y sont répertoriées, et en conséquence, d'une faute de sa part justifiant un licenciement, et encore moins d'une faute grave.
Au vu de ces éléments, il convient d'infirmer le jugement et de dire que le licenciement de M. [P] ne repose ni sur une faute grave, ni sur une cause réelle et sérieuse.
Dès lors, et alors que le calcul des sommes réclamées au titre de l'indemnité de licenciement et de l'indemnité compensatrice de préavis n'est pas en soi contesté par la société Schindler, il convient de la condamner à payer à M. [P] la somme de 6 708,42 euros à titre d'indemnité de licenciement et celle de 5 031,32 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 503,13 euros au titre des congés payés afférents, infirmant le jugement sur les montants accordés.
Par ailleurs, conformément à l'article L. 1235-3 du code du travail qui prévoit une indemnisation comprise entre trois et dix mois de salaire pour une ancienneté de dix années complètes dans une entreprise de plus de onze salariés, et alors que M. [P] ne produit qu'un seul bulletin de salaire de mars 2019 auprès d'une autre société, qui, s'il démontre une légère baisse du salaire de base, est néanmoins insuffisant pour connaître le montant réel de sa rémunération, pour bénéficier dans son domaine d'activité d'indemnités complémentaires, il convient de condamner la société Schindler à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Enfin, en vertu de l'article L 1235-4 du code du travail, il convient d'ordonner à la société Schindler de rembourser à France travail les indemnités chômage versées à M. [P] du jour de son licenciement au jour de la présente décision, dans la limite de six mois.
Sur la demande de dommages et intérêts pour irrégularité de la procédure
Alors que M. [P] ne peut cumuler dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et dommages et intérêts pour irrégularité de la procédure de licenciement, il convient de le débouter de cette demande sans qu'il soit nécessaire d'examiner les moyens développés.
Sur la demande de dommages et intérêts pour atteinte aux droits de la défense
M. [P] rappelle que le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi et qu'ainsi, en violant les dispositions d'ordre public régissant le droit disciplinaire, à savoir violation des règles régissant la mise en place et la modification du règlement intérieur, défaut du respect du délai de cinq jours devant lui permettre de préparer sa défense pour l'entretien préalable à licenciement, défaut de mention de la faculté d'être assisté par un membre de l'unité économique et sociale dans la convocation à entretien préalable et licenciement en violation des droits de la défense et des garanties de fond encadrant la procédure disciplinaire, la société Schindler a violé les droits de la défense et doit être condamnée à lui verser 5 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Alors qu'il résulte des précédents développements que la société Schindler a respecté les règles régissant la mise en place et la modification du règlement intérieur et que les autres manquements soulevés par M. [P], à savoir non-respect du délai de cinq jours pour le convoquer à l'entretien préalable, défaut de mention de la faculté d'être assisté par un membre de l'unité économique et sociale sont constitutifs d'une simple irrégularité de procédure, M. [P] ne peut, sous couvert d'une demande de dommages et intérêts pour atteinte aux droits de la défense, en solliciter l'indemnisation alors que le code du travail ne permet pas le cumul entre dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et dommages et intérêts pour irrégularité de la procédure.
Enfin, et alors qu'il ne développe pas quels autres droits de la défense et garanties de fond auraient été bafoués lors de son licenciement, étant à cet égard relevé que le seul engagement tardif de la procédure donnant lieu à un licenciement pour faute grave n'a une incidence que sur l'appréciation de la gravité de la faute, sans autres conséquences, il convient de le débouter de sa demande de dommages et intérêts pour violation des droits de la défense.
Sur l'intervention volontaire du syndicat CGT Schindler
Le syndicat CGT Schindler soutient que son action est recevable dès lors qu'elle est fondée sur la violation par la société Schindler d'une part, de son obligation d'informer et réunir le CHSCT en cas d'accident du travail et d'autre part, des garanties de fond régissant le droit disciplinaire qu'elle exerce en l'absence d'un règlement intérieur licite.
Sur le fond, faisant valoir que la société Schindler n'a ni informé, ni réuni le CHSCT lors de l'accident du travail de M. [P], et que, pourtant parfaitement informée de l'inopposabilité du règlement intérieur et de son annexe 4 aux salariés, elle continue à engager des procédures disciplinaires dans l'entreprise et qu'en procédant ainsi, elle entend opposer aux salariés des règles générales et permanentes relatives à l'hygiène, la sécurité et la discipline qui leur sont pourtant inopposables et viole systématiquement leurs droits de la défense, comme les garanties instituées par le règlement intérieur, il estime qu'il est en conséquence fondé à demander réparation du préjudice causé à la profession par l'usage répété par la société Schindler de son pouvoir disciplinaire en dehors du cadre légal.
Tant l'absence de saisine d'une instance représentative du personnel et ce, sur des sujets ayant trait à la sécurité des salariés que l'illicéité des dispositions du règlement intérieur d'une entreprise qui concernent l'ensemble des salariés soumis à ce règlement, indépendamment de l'établissement où ils exercent leurs fonctions, cause un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession, il en résulte que l'intervention du syndicat CGT Schindler est recevable, infirmant sur ce point le jugement.
Dès lors qu'il a été jugé que le règlement intérieur d'avril 2018 et son annexe 4 étaient opposables à M. [P], il convient d'écarter tout manquement de la société Schindler consistant à continuer à appliquer des procédures disciplinaires fondées sur des textes inopposables et il convient en conséquence de débouter le syndicat CGT Schindler de sa demande de dommages et intérêts fondée sur le non-respect des articles L. 1321-4 et R. 1321-1 du code du travail.
Au contraire, la société Schindler ne produit aucune pièce de nature à justifier qu'elle aurait informée le CHSCT de l'accident du travail de M. [P] et ce, alors que cette obligation résultait de l'article L. 4614-10 du code du travail qui prévoyait que le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, encore existant sur la période litigieuse, devait être réuni à la suite de tout accident ayant entraîné ou ayant pu entraîner des conséquences graves ou à la demande motivée de deux de ses membres représentants du personnel.
A cet égard, la convocation du CHSCT du 20 mars 2019 produite aux débats aux termes de laquelle il est effectivement indiqué qu'il doit être fait une analyse et un bilan des accidents du travail sur 2018 et 2019 ne permet cependant pas de s'assurer, à défaut de produire le compte-rendu de cette réunion, que le cas de M. [P] y a été effectivement abordé.
Il n'est pas davantage établi, comme le prévoit pourtant l'accord d'entreprise du 26 janvier 1995, que le dossier d'accident de M. [P] devant être établi par la société aurait été communiqué au CHSCT.
Dès lors, et alors que ces obligations ont pour objet de prémunir les salariés de la société d'autres accidents du travail en permettant une réflexion sur leurs causes et sur les possibilités d'y remédier, il convient de condamner la société Schindler à payer au syndicat CGT Schindler la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts à ce titre.
Aucun abus de pouvoir n'étant cependant démontré, il convient de débouter le syndicat de sa demande de dommages et intérêts sur ce fondement.
Sur la demande de communication de la décision
Le syndicat CGT Schindler demande à la cour de communiquer le présent arrêt à chaque salarié de l'entreprise, et à défaut à chaque salarié de l'établissement Schindler Normandie-Centre et ce, sans viser aucun moyen de droit, aussi, il convient de le débouter de sa demande.
Sur les dépens et frais irrépétibles
En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner la société Schindler aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à M. [P] la somme de 1 500 euros sur ce même fondement. Il est également équitable de la condamner à payer 500 euros au syndicat CGT Schindler sur ce même fondement.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant contradictoirement et publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions sauf celles relatives à l'article 700 du code de procédure civile, aux dépens et en ce qu'il a déclaré le règlement intérieur du 9 avril 2018 et son annexe 4 opposables à M. [T] [P], débouté M. [T] [P] de ses demandes tendant à voir prononcer la nullité du licenciement et ordonner sa réintégration avec rappel de salaires, mais aussi de ses demandes de dommages et intérêts pour violation des droits de la défense et non-respect de la procédure de licenciement ;
Statuant à nouveau,
Dit que le licenciement de M. [T] [P] ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse ;
Condamne la SA Schindler à payer à M. [T] [P] les sommes suivantes :
indemnité de licenciement : 6 708,42 euros
indemnité compensatrice de préavis : 5 031,32 euros
congés payés afférents : 503,13 euros
dommages et intérêts pour licenciement sans
cause réelle et sérieuse : 10 000,00 euros
Ordonne à la SA Schindler de rembourser à France travail les indemnités chômage versées à M. [T] [P] du jour de son licenciement au jour de la présente décision, dans la limite de six mois ;
Déclare recevable l'intervention du syndicat CGT Schindler ;
Condamne la SA Schindler à payer au syndicat CGT Schindler la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour absence d'information et de réunion du CHSCT ;
Déboute le syndicat CGT Schindler de ses demandes de dommages et intérêts pour abus de pouvoir et violation des garanties de fond régissant le droit disciplinaire ;
Déboute le syndicat CGT Schindler de sa demande tendant à voir communiquer le présent arrêt aux salariés de la SA Schindler, et à défaut à ceux de l'établissement Schindler Normandie-Centre ;
Y ajoutant,
Condamne la SA Schindler aux entiers dépens ;
Condamne la SA Schindler à payer à M. [T] [P] la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SA Schindler à payer au syndicat CGT Schindler la somme de 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute la SA Schindler de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière La présidente