N° RG 23/02749 - N° Portalis DBV2-V-B7H-JN6A
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 18 AVRIL 2024
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 10 Juillet 2023
APPELANTE :
S.A.S. JFC [Localité 6] - [Localité 5]
[Adresse 3]
[Localité 2]
représentée par Me Alexandre NOBLET de la SCP EMO AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Géraldine HANNEDOUCHE, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE :
Madame [E] [C]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Julien DETTORI, avocat au barreau de ROUEN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 13 Mars 2024 sans opposition des parties devant Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère, rédactrice
Madame ROYAL, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
M. GUYOT, Greffier
en présence de M. Alexis MICHELON, Greffier stagiaire
DEBATS :
A l'audience publique du 13 mars 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 18 avril 2024
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 18 Avril 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [E] [C] a été engagée par la société JFC en contrat à durée indéterminée à compter du 1er août 2004 en qualité de magasinière, statut employé. Elle était au dernier état de la relation contractuelle chef d'équipe ventes PRA, statut agent de maîtrise.
Par courrier daté du 7 octobre 2020, il a été notifié à Mme [C] un avertissement rédigé dans les termes suivants :
'Nous tenons à vous notifier notre insatisfaction quant à la qualité de votre travail qui est en totale inadéquation au regard de votre poste et de la politique de l'entreprise.
Suite à de nombreux problèmes de commandes de pièces, de nombreux dossiers ne peuvent pas être solutionnés. Plusieurs de nos clients sont très mécontents suite à l'immobilisation de leurs véhicules. Nous attirons votre attention sur le dossier suivant :
OR 3021110 : Notre client est venu à la concession en date du 29/06/2020 pour effectuer divers travaux sur son véhicule notamment un remplacement de batterie. Valeur de la facture : 1 853,47 euros. Suite à cette intervention, le client est revenu dès le lendemain car il avait un problème de fermeture centralisée. Nous avons donc réalisé un diagnostic de la panne et avons conclu que la serrure de la porte avant droite du véhicule était hors service. La pièce a donc été commandée au magasin pour un remplacement prévu le 10/07/2020.
Le véhicule revient donc en concession afin d'effectuer le changement de la pièce défectueuse. Malheureusement l'intervention a été effectuée sans résultat concluant. Un autre rendez-vous lui est donné pour poursuivre le diagnostic dès le 03/08/2020. Une recherche plus approfondie est effectuée, et nous découvrons qu'en réalité une mauvaise pièce a été commandée par le magasin. Notre client partait en vacances le 04/08/2020.
Malheureusement, suite à des mises à jour des calculateurs de la voiture à la demande de l'assistance JLR, il y a eu un dysfonctionnement rendant le démarrage impossible. Notre client, fort mécontent, a dû partir en vacances sans son véhicule. Ce dernier est donc resté à la concession et un autre diagnostic a été effectué par l'assistance. Suite à cette expertise supplémentaire, nous apprenons le 11/08/2020 qu'il est nécessaire de remplacer la boîte à fusibles.
Face à l'urgence, la pièce a donc été immédiatement commandée par M. [X] [L] afin de pouvoir la réceptionner dès le lendemain.
Notre client, rentrant de congé le 15/08/2020, souhaitait donc reprendre sa voiture, bien évidemment réparée, le lundi 17/08/2020. Il a appelé la concession tous les jours afin de connaître l'avancement des travaux et de manifester sa déception. Chaque matin depuis le mercredi 12/08/2020, M. [W] [F], gestionnaire atelier, vous a demandé si la pièce était arrivée. Question à laquelle vous répondiez par la négative.
Le matin du 14/08/2020, même réponse la pièce n'était toujours pas arrivée. M. [W] [F] vous demande donc de lui transmettre l'ensemble des documents concernant la commande de cette pièce indisponible afin de contacter directement le siège JLR pour trouver une solution rapide avant le retour de nos clients. Vous lui avez alors répondu que vous n'aviez aucun document et que vous aviez passé la commande le jeudi 13/08/2020.
Pourquoi avoir répondu à M. [W] [F] que la pièce n'était toujours pas livrée '! Non seulement vous n'aviez pas commandé la pièce en temps comme demandé mais en plus vous avez délibérément caché cette erreur.
Nous constatons que la négligence et le manque de professionnalisme dont vous faites preuve impactent la gestion de l'atelier et surtout la satisfaction de nos clients.
Nous vous rappelons que les principales tâches liées à votre poste sont les suivantes :
- contrôle des flux de produits
- établissement et suivi des relations avec les clients et les fournisseurs
- suivi de l'activité réception/stockage/expédition
- suivi de l'activité : actualisation de tableaux de bord de l'activité PRA: organisation des inventaires...
- suivi et contrôle des activités confiées à vos collaborateurs
- commercialisation de pièces de rechange, accessoires et produits
A ce jour, vous ne respectez pas l'ensemble des tâches qui vous incombent et occultez totalement les missions de suivi et de vérification pourtant importantes pour le bon fonctionnement de votre service et plus globalement celui de l'entreprise.
Nous vous rappelons que plusieurs observations verbales vous ont été adressées auparavant par votre supérieur hiérarchique, M. [A] [V], directeur de site, et par M. [W] [F], gestionnaire atelier, concernant des erreurs et des retards de commandes, ainsi que des problèmes de suivi. Ces observations n'ayant pas été prises en compte, nous sommes contraints de vous adresser un avertissement avec inscription à votre dossier. (...)'.
Mme [C] a été placée en arrêt de travail le 12 octobre 2020 et, par courrier daté du même jour, elle a été convoquée à un entretien préalable à licenciement devant se tenir le 23 octobre.
Par requête du 12 février 2021, elle a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen aux fins de résiliation judiciaire de son contrat de travail, ainsi qu'en paiement de rappel de salaires et indemnités.
Par jugement du 10 juillet 2023, le conseil de prud'hommes a :
- prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [C] aux torts de la société JFC [Localité 6]-[Localité 5] à la date du 10 juillet 2023 et dit qu'elle produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamné la société JFC [Localité 6]-[Localité 5] à payer à Mme [C] les sommes suivantes :
dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 37 729,80 euros
indemnité compensatrice de préavis : 8 384,40 euros
congés payés afférents : 838,44 euros
indemnité de licenciement : 12 964 euros
dommages et intérêts pour préjudice de santé : 1 000 euros
dommages et intérêts pour préjudice lié à l'absence de représentation du personnel : 500 euros
dommages et intérêts pour avertissement infondé : 2 000 euros
indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile : 1 500 euros
- dit que la société JFC [Localité 6]-[Localité 5] devrait remettre à Mme [C] les documents de fin de contrat et les bulletins de salaire rectifiés et conformes à la décision et ce, sous astreinte de 10 euros par jour de retard et par document, un mois à compter du prononcé de la décision et dans la limite de six mois,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires et laissé les dépens à la charge de la société JFC [Localité 6]-[Localité 5].
La société JFC [Localité 6]-[Localité 5] a interjeté appel de cette décision le 4 août 2023.
Par conclusions remises le 12 février 2024, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, la société JFC [Localité 6]-[Localité 5] demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires et, statuant à nouveau, débouter Mme [C] de l'ensemble de ses demandes, subsidiairement, confirmer le jugement en ce qu'il a écarté le harcèlement moral et a dit que la résiliation judiciaire produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse mais ramener le quantum des sommes accordées à de plus justes proportions, en tout état de cause, condamner Mme [C] à lui verser la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Par conclusions remises le 14 février 2024, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, Mme [C] demande à la cour de :
- à titre principal, confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur mais l'infirmer en ce qu'il lui a fait produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et l'a déboutée de ses demandes financières y afférents,
- à titre subsidiaire, confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur lui faisant produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamnant l'employeur au titre des indemnités de licenciement, indemnité compensatrice de préavis, congés payés et dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- en tout état de cause, infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses plus amples demandes, le confirmer en ce qu'il lui a reconnu les préjudices liés à sa santé, à l'absence de représentation du personnel, à l'avertissement injustifié et à l'indemnisation en application de l'article 700 du code de procédure civile, mais le réformer quant au quantum,
et statuant à nouveau :
- prononcer la résiliation judiciaire de son contrat, dire qu'elle produit les effets d'un licenciement nul, et à titre subsidiaire d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamner la société JFC [Localité 6]-[Localité 5] à lui payer les sommes suivantes avec exécution provisoire et intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir :
dommages et intérêts pour licenciement nul : 67 075,20 euros
dommages et intérêts pour licenciement abusif : 37 729,80 euros
indemnité compensatrice de préavis : 8 384,40 euros
congés payés afférents : 838,44 euros
indemnité de licenciement : 12 964,01 euros
dommages et intérêts pour harcèlement moral : 10 000 euros
préjudice de santé : 5 000 euros
préjudice lié à l'absence de représentation du personnel : 2 000 euros
dommages et intérêts pour avertissement infondé : 2 000 euros
- condamner la société JFC [Localité 6]-[Localité 5] à lui remettre ses documents de fin de contrat et ses bulletins de salaire conformes, au besoin sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document,
- condamner la société JFC [Localité 6]-[Localité 5] à lui verser en cause d'appel la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 15 février 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande d'annulation de l'avertissement du 7 octobre 2020
Tout en expliquant qu'elle n'avait jusqu'alors jamais fait l'objet de la moindre remontrance, Mme [C] conteste le bien-fondé de l'avertissement qui lui a été délivré le 7 octobre, indiquant qu'elle avait uniquement pour fonction d'exécuter les commandes à la demande des commerciaux et qu'elle ne peut donc être tenue pour responsable des erreurs des mécaniciens dans leur diagnostic, étant en tout état de cause relevé que les pièces produites par la société JFC [Localité 6]-[Localité 5] ne sont pas de nature à confirmer les griefs élevés à son encontre, son nom n'apparaissant sur aucun des documents produits.
En réponse, la société JFC [Localité 6]-[Localité 5] rappelle qu'il était de l'essence même des fonctions de Mme [C] de s'assurer du bon déroulé des commandes et que si cette dernière soutient qu'il n'est pas prouvé qu'elle aurait passé les commandes litigieuses, elle indique dans le même temps qu'elle n'était qu'une simple exécutante. Or, en l'espèce, elle considère qu'il est non seulement établi que Mme [C] a commis une erreur de référence lorsqu'elle a commandé la serrure mais aussi qu'elle n'a pas passé commande d'une boîte à fusibles malgré la demande qui lui en avait été faite le 11 août, et bien plus, a menti en assurant l'avoir fait, alors qu'elle ne l'a fait que le 13 août, au surplus en passant une commande classique alors qu'il fallait une livraison accélérée.
Selon l'article L. 1333-1 du code du travail, en cas de litige, le conseil de prud'hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. L'employeur fournit au conseil de prud'hommes les éléments retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le conseil de prud'hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
Selon l'article L. 1333-2, le conseil de prud'hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.
A l'appui de l'avertissement du 7 octobre 2020, la société JFC [Localité 6]-[Localité 5] produit les imprimés relatifs aux commandes des 1er juillet et 4 août 2020 dont il résulte des conclusions de Mme [C], malgré quelques contradictions, qu'elle ne conteste pas les avoir passées puisqu'elle indique qu'elle a seulement commandé la pièce en suivant rigoureusement les indications de l'atelier.
En tout état de cause, il ne peut être considéré que la société JFC [Localité 6]-[Localité 5] rapporterait la preuve d'une erreur de Mme [C], aucune pièce du dossier ne permettant d'affirmer que la pièce initialement commandée n'était pas celle réclamée par l'atelier, la seule annotation manuscrite sur les commandes 'erreur de référence', puis 'bonne référence' n'étant pas de nature à justifier ce grief, une erreur de diagnostic de l'atelier ne pouvant être écartée sur cette seule base.
En ce qui concerne le retard pris pour la commande du 11 août 2020, il ressort de l'attestation de M. [F] qu'il a réclamé le 13 août (et non pas le 14 août) à Mme [C] une trace de la commande de pièce pour M. [Z], qu'elle lui a alors répondu qu'elle n'avait pas passé cette commande qui aurait dû être faite le 11 août, tout en sachant que chaque matin, dès son arrivée, il lui posait la question de savoir où en était le dossier et que sa réponse était toujours 'pas livré' alors qu'elle savait qu'aucune commande n'avait été passée. Il précise que durant tout ce temps le client était sans mobilité et qu'ils ont ainsi perdu sept jours entre le moment de la commande par le technicien au magasin le 11 août et la réception le 18 août.
Il est par ailleurs produit un document, présenté comme étant une commande interne, aux termes duquel il apparaît qu'il a été enregistré une vente le 11 août à 14h42 pour M. [Z] sans qu'il ne soit cependant désigné le personnel devant traiter ladite commande, alors même que pour trois autres commandes, il est systématiquement renseigné le nom du personnel, soit Mme [C], soit Mme [Y].
Aussi, ce seul document, sans l'accompagnement d'une attestation permettant d'en appréhender la portée, ne permet en aucune manière de s'assurer qu'il s'agirait effectivement d'une commande interne passée par M. [L] et transmise à Mme [C].
Dès lors, outre que l'attestation de M. [F] manque pour le moins de mesure lorsqu'il écrit avoir interrogé Mme [C] 'chaque matin' alors même qu'il n'y a eu qu'une matinée entre le 11 et le 13 août, il ne peut au surplus qu'être constaté qu'il n'indique pas que Mme [C] lui aurait dit avoir passé la commande, ses seuls propos étant qu'elle n'était pas livrée de la pièce.
Au vu de ces éléments, et quand bien même Mme [C] était responsable du service, il ne saurait, sur une seule journée, être considéré qu'elle aurait manqué à son obligation de suivi de l'activité et il convient en conséquence de dire que la société JFC [Localité 6]-[Localité 5] ne rapporte pas la preuve des faits ainsi reprochés à Mme [C], pas plus d'ailleurs qu'elle ne rapporte la preuve de dysfonctionnements réguliers qui lui auraient valu les remontrances de ses supérieurs, M. [F] n'évoquant d'ailleurs pas dans son attestation d'autres problèmes et l'avis google produit étant sans intérêt pour ne permettre aucunement d'en déduire une faute de Mme [C].
Enfin, il doit être relevé qu'il n'est pas évoqué dans le courrier d'avertissement la question d'une commande passée en mode classique alors qu'elle aurait dû l'être en mode accéléré, aussi, ce grief ne peut être retenu.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il a annulé l'avertissement délivré le 7 octobre 2020 à Mme [C] dont le préjudice sera cependant plus justement réparé par l'allocation d'une somme de 500 euros.
Sur la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral
Mme [C] explique, qu'alors qu'elle donnait entière satisfaction, M. [V] s'est soudainement plaint de son travail en octobre 2020 et lui a ainsi notifié l'avertissement du 7 octobre pour de prétendus problèmes de commandes de pièces, avant de la convoquer le 9 octobre en lui imputant la suppression d'un ordre de réparation concernant la clé du véhicule d'une ancienne salariée, Mme [B], allant même jusqu'à demander à sa collègue, Mme [G], de la dénoncer alors que cette dernière reconnaissait être à l'origine de la manipulation et de l'avoir fait de sa propre initiative.
Elle précise que, malgré les explications ainsi apportées par sa collègue, M. [V] s'en est pris à elle le 12 octobre et l'a même convoquée à un entretien préalable à licenciement alors qu'elle avait dû être placée en arrêt de travail suite à l'attitude du directeur à son égard, lequel a d'ailleurs été déclaré en accident du travail et s'est poursuivi jusqu'à la résiliation du contrat par le conseil de prud'hommes, la société JFC [Localité 6]-[Localité 5] n'ayant apporté aucune réponse satisfaisante à son courrier faisant état d'un harcèlement moral.
Enfin, elle indique avoir appris que certains de ses supérieurs faisaient tout pour l'isoler et faire en sorte qu'elle parte, n'hésitant pas à demander à Mme [G] de ne plus lui adresser la parole, sans que les attestations qu'elle produit puissent être utilement remises en cause au seul motif que M. [O] serait en litige avec la société JFC [Localité 6]-[Localité 5], cette dernière ayant effectivement voulu se séparer de lui à cette même période sur de faux motifs.
Ainsi, n'ayant jamais été sanctionnée avant le mois d'octobre 2020, n'ayant jamais commis aucune faute, l'employeur ayant tenté de manipuler une collègue afin qu'elle témoigne faussement contre elle et ayant fait interdiction au personnel de lui parler, elle considère qu'elle s'est trouvée isolée du fait de l'employeur, ce qui constitue des agissements répétés de harcèlement moral ayant entraîné son arrêt de travail et le fait qu'elle présente un syndrome anxio-dépressif.
En réponse, la société JFC [Localité 6]-[Localité 5] fait valoir qu'elle n'a fait qu'user de son pouvoir de direction en transmettant à Mme [C] un avertissement le 7 octobre, sachant qu'elle a appris le lendemain qu'un ordre de réparation avait été annulé par Mme [G], secrétaire du service après-vente, après que le véhicule d'une ancienne collègue ait été amené à l'atelier par Mme [C], laquelle avait en outre acheté la clé à son propre nom à un tarif salarié, pour ensuite réaliser un avoir sur la facture, évitant ainsi toute facturation à Mme [B].
Aussi, et alors qu'après l'entretien organisé par l'employeur le 9 octobre, Mme [C] a réglé le montant de la clé et a quitté l'entreprise, reconnaissant ainsi sa responsabilité, elle estime lui avoir légitimement transmis une convocation à entretien préalable le 12 octobre, sachant que ce n'est que le 13 octobre qu'elle a opportunément reçu l'arrêt de travail de Mme [C], lequel n'avait nullement été délivré pour une cause d'accident du travail dans un premier temps et n'a d'ailleurs pas été reconnu comme tel par la CPAM.
Au-delà de ces faits, elle note que Mme [C] ne s'est jamais plainte d'un quelconque harcèlement moral avant le 14 octobre et que les attestations produites ne sont pas probantes pour émaner d'un salarié en litige avec elle et qu'à supposer qu'il ait été dit à Mme [G] qu'elle risquait de perdre sa place si elle continuait à lui parler, ce n'était que pour la mettre en garde contre le trop grand nombre de conversations privées.
Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L'article L. 1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement et il incombe à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
A l'appui de sa demande, Mme [C] fait valoir que la direction a tenté de l'isoler et produit pour en justifier les attestations de M. [O] et Mme [G].
Ainsi, M. [O] indique avoir assisté sur la dernière année à plusieurs discussions lors desquelles MM. [V], [K] et [F] parlaient de Mme [C] en des termes péjoratifs, ainsi 'la pieuvre', et que lors de ces mêmes conversations, leur objectif était de tout faire pour l'isoler des autres collègues et faire en sorte qu'elle parte car cela faisait quelques années que M. [V] faisait tout pour la faire partir.
Mme [G] atteste quant à elle que, lorsqu'elle est arrivée chez JFC, six mois après son arrivée, elle a été convoquée par la direction afin de lui interdire de parler à Mme [C], tout en lui faisant savoir qu'elle risquait de perdre sa place si elle continuait de lui parler alors qu'elle parlait uniquement travail et qu'elles mangeaient ensemble avec les gars de l'atelier dans la pièce destinée à manger le midi.
Néanmoins, il doit être relevé que, s'agissant de l'attestation de M. [O], à l'exception du surnom prêté à Mme [C], dont on ne sait dans quel contexte il a été donné, les faits relatés sont imprécis, et surtout, ne sont pas circonstanciés, étant au surplus relevé qu'il indique que cela fait quelques années que M. [V] souhaite voir partir Mme [C] alors même qu'elle indique aux termes de ses conclusions que tout c'est toujours parfaitement bien passé jusqu'au mois d'octobre 2020, indiquant simplement qu'en réalité, cela faisait déjà plusieurs semaines que, pour des raisons obscures et nullement liées au travail, son employeur avait décidé de se séparer d'elle.
Au vu de ces imprécisions et contradictions, et alors que M. [O] est lui-même en litige avec son employeur et a saisi le conseil de prud'hommes à une date très proche de la saisine de Mme [C], qui a d'ailleurs attesté dans son propre dossier, il ne peut être accordé force probante à cette attestation.
Il ne peut davantage être considéré que cet isolement serait corroboré par l'attestation de Mme [G] alors même que la discussion évoquée avec ses supérieurs hiérarchiques qui se serait tenue six mois après son arrivée pour lui interdire de parler avec Mme [C] si elle ne voulait pas perdre sa place se situe en conséquence au mois de septembre 2019, soit près d'un an avant que Mme [C] n'évoque une dégradation de ses conditions de travail.
Aussi, et alors que Mme [G], contrairement à ce que soutient Mme [C], n'était plus salariée de la société lorsqu'elle a attesté en février 2022, il ne peut lui être donné une autre portée que celle rappelée par la société JFC [Localité 6]-[Localité 5], à savoir de cesser des discussions d'ordre privé.
Dès lors, il ne sera pas retenu que Mme [C] aurait fait l'objet d'une tentative d'isolement de la part de ses supérieurs hiérarchiques.
Il est au contraire établi qu'elle a été l'objet d'un avertissement injustifié le 7 octobre 2020 et qu'elle a reçu le 14 octobre une convocation à un entretien préalable à licenciement datée du 12 octobre, date à laquelle elle a été placée en arrêt de travail, arrêt qu'elle a déclaré en accident du travail quelques jours après.
En outre, afin de conforter le caractère illégitime de cette convocation, elle produit l'attestation de Mme [G], qui, outre les faits relatés précédemment, certifie avoir été convoquée par la direction en même temps que Mme [C] suite à un ordre de réparation qu'elle avait supprimé de sa propre initiative, précisant que Mme [B] avait pris rendez-vous à l'atelier par le biais de Mme [C] et avec l'accord de M. [P] pour une reprogrammation de clé, que Mme [C] lui avait donné les clés le jour du rendez-vous pour faire la réception du véhicule et que, sachant que c'était une ancienne de la maison et que la reprogrammation était très rapide (0,30 en main d'oeuvre), elle avait supprimé l'ordre de réparation pour faire cadeau de la main d'oeuvre sans en parler à ses supérieurs.
Elle précise que lors de la convocation par la direction, le directeur a voulu la voir ensuite sans Mme [C] afin qu'elle lui dise que cette suppression avait été demandée par Mme [C] et non de sa propre initiative, que si elle maintenait sa version, elle risquait de perdre sa place, qu'elle a reçu un avertissement suite à ces faits.
Compte tenu des deux faits ainsi établis, couplés à l'arrêt de travail délivré le 12 octobre 2020 et qui s'est prolongé jusqu'au prononcé de la résiliation judiciaire par le conseil de prud'hommes, il convient de dire que Mme [C] présente des éléments de nature à laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral et il appartient à la société JFC [Localité 6]-[Localité 5] de prouver que ces décisions reposaient sur des motifs étrangers à tout harcèlement moral.
Pour ce faire, la société JFC [Localité 6]-[Localité 5] justifie que Mme [C] a facturé le 6 août 2020 une clé à son nom, au tarif salarié, qu'elle a passée en avoir le lendemain, de même qu'il est justifié qu'elle l'a réglée le 9 octobre, soit le jour de l'entretien avec la direction pour évoquer la suppression de l'ordre de réparation de Mme [B].
Il est également produit l'attestation de M. [P], réceptionnaire, qui atteste avoir constaté le 8 octobre 2020 la suppression de l'ordre de réparation de la Getz de Mme [B] lors de son pointage d'ordre de réparation journalier et l'avoir aussitôt signalé à M. [V].
Il ressort encore de l'attestation même de Mme [G] que Mme [B] avait pris rendez-vous à l'atelier par le biais de Mme [C] et que c'est cette dernière qui lui avait remis les clés.
Aussi, et alors qu'il ressort du registre unique du personnel que Mme [B], embauchée de juin 2008 à août 2018, n'a jamais travaillé avec Mme [G], engagée en mars 2019, il ne saurait être reproché à la société JFC [Localité 6]-[Localité 5] d'avoir souhaité entendre cette dernière pour s'assurer qu'elle était effectivement à l'initiative de l'annulation de l'ordre de réparation de Mme [B] dès lors que tous les indices en sa possession tendaient à incriminer Mme [C].
Aussi, et sans remettre en cause les propos qu'elle relate dans son attestation, à savoir qu'elle a été mise en garde sur ce qu'elle risquait si elle maintenait sa position, il ne saurait en être fait grief à la société JFC [Localité 6]-[Localité 5] qui se devait de rechercher la vérité sur la situation, sachant que, prenant acte des déclarations de Mme [G], celle-ci a été sanctionnée par un avertissement.
Enfin, ayant en sa possession d'autres éléments incriminant Mme [C] pour sa participation à des remises indues à une ancienne collègue, c'est pour une raison objective qu'elle l'a convoquée à un entretien préalable à licenciement, étant précisé qu'il n'est pas établi qu'un entretien se serait déroulé entre Mme [C] et M. [V] dans des conditions anormales le 12 octobre 2020, le seul fait que Mme [C] ait quitté son lieu de travail pour se rendre chez son médecin afin d'être placée en arrêt de travail étant insuffisant à caractériser ce fait, étant d'ailleurs noté que la CPAM n'a pas retenu l'existence d'un accident du travail et qu'aucune pièce du dossier ne permet de le conforter.
Au vu de ces éléments, le seul fait injustifié reste l'avertissement du 7 octobre 2020 et il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [C] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral, lequel implique l'existence d'agissements répétés.
Sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice de santé
Mme [C] considère que les pièces qu'elle verse aux débats, à savoir, arrêts de travail, prescriptions médicales et les différents suivis médicaux permettent de s'assurer du préjudice de santé qu'elle a subi.
En réponse, la société JFC [Localité 6]-[Localité 5] fait valoir que non seulement l'accident du travail n'a pas été reconnu, la procédure étant pendante devant le tribunal judiciaire de Rouen, mais qu'en outre il n'est pas rapporté la preuve que ses arrêts de travail seraient liés à ses conditions de travail, pas plus qu'il n'est justifié d'un suivi psychologique.
A l'appui de cette demande, Mme [C] ne produit que l'arrêt de travail du 12 au 25 octobre 2020, puis celui du 24 octobre au 8 novembre 2020, lesquels mentionnent l'existence d'un syndrome dépressif réactionnel, sans cependant produire les arrêts de travail postérieurs, ce qui ne permet aucunement d'en connaître la raison.
En outre, contrairement à ce qu'elle indique, hormis un certificat de son médecin indiquant qu'elle ne pouvait se rendre à la convocation à entretien préalable prévue le 23 octobre, il n'est pas justifié de la moindre prescription médicale, ni de quelconques autres suivis médicaux, les pièces invoquées étant des courriers écrits par son avocat.
Aussi, et alors que l'arrêt de travail fait immédiatement suite à la découverte par son employeur d'un comportement fautif de sa part, il convient de la débouter de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice de santé.
Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail
Compte tenu des différents manquements développés préalablement, Mme [C] estime qu'elle est bien fondée à solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail.
La résiliation judiciaire du contrat de travail peut être prononcée si les manquements reprochés à l'employeur sont d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail et la juridiction qui a caractérisé des manquements de l'employeur antérieur à l'introduction de l'instance, peut tenir compte de leur persistance jusqu'au jour du licenciement pour en apprécier la gravité.
En l'espèce, le seul manquement de l'employeur consiste en un avertissement injustifié le 7 octobre 2020, aussi, et bien qu'il ait été suivi peu de temps après d'un arrêt de travail de longue durée, outre qu'il ressort des pièces du dossier que celui-ci fait en réalité suite à la découverte d'un fait fautif établi de sa part, il ne saurait être considéré qu'il s'agit d'un manquement suffisamment grave pour prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [C].
Il convient en conséquence d'infirmer le jugement et de débouter Mme [C] de sa demande tendant à voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail, ainsi que de l'ensemble des demandes afférentes à la rupture, à savoir indemnité de licenciement, indemnité compensatrice de préavis, congés payés afférents et dommages et intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse.
Sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice lié à l'absence de représentation du personnel
Mme [C] fait valoir qu'il n'a pas été organisé d'élections professionnelles et qu'ainsi, n'ayant pu bénéficier de leur représentation, elle est bien fondée à solliciter réparation de son préjudice, peu important qu'elle n'ait pas interpellé son employeur pour qu'il organise ces élections.
En réponse, la société JFC [Localité 6]-[Localité 5] soutient que l'organisation des élections professionnelles a été retardée en raison de l'épidémie de Covid 19 et du placement de nombreux salariés en activité partielle, aussi, et constatant que malgré la possibilité offerte à Mme [C] de demander à son employeur la tenue d'élections conformément aux articles L. 1234-8 et L. 2411-6 du code du travail, celle-ci ne l'a pas fait et ne justifie en outre d'aucun préjudice, elle conclut à son débouté.
L'employeur qui n'a pas accompli, bien qu'il y soit légalement tenu, les diligences nécessaires à la mise en place d'institutions représentatives du personnel, sans qu'un procès-verbal de carence ait été établi, commet une faute qui cause un préjudice aux salariés, privés ainsi d'une possibilité de représentation et de défense de leurs intérêts.
Aussi, et bien que Mme [C] n'ait pas sollicité, conformément à l'article L. 1234-8 du code du travail, la mise en place de ces institutions, cela ne la prive pas de son droit à réparation du préjudice, lequel a été justement apprécié à la somme de 500 euros par les premiers juges, étant précisé que la société JFC [Localité 6]-[Localité 5] n'apporte aucune pièce de nature à justifier cette carence.
Sur les intérêts
Les sommes à caractère indemnitaire porteront intérêt à compter du jugement de première instance pour les dispositions confirmées et du présent arrêt pour les dispositions prononcées.
Sur la remise de documents
Compte tenu de la solution du litige, il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il a ordonné la remise de documents de fin de contrat et de bulletins de salaire rectifiés sous astreinte et de débouter Mme [C] de cette demande.
Sur les dépens et frais irrépétibles
En qualité de partie partiellement succombante, il y a lieu de condamner la société JFC [Localité 6]-[Localité 5] aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à Mme [C] la somme de 1 500 euros sur ce même fondement, en plus de la somme allouée en première instance.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant contradictoirement et publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe,
Infirme le jugement sauf en ce qu'il a annulé l'avertissement du 7 octobre 2020, a débouté Mme [C] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral et a condamné la société JFC [Localité 6]-[Localité 5] à payer à Mme [C] la somme de 500 euros au titre du préjudice lié à l'absence de représentation du personnel, outre celle de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Déboute Mme [E] [C] de sa demande tendant à voir prononcée la résiliation judiciaire de son contrat de travail ainsi que de l'ensemble des demandes y afférent, à savoir, indemnité de licenciement, indemnité compensatrice de préavis, congés payés afférents et dommages et intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse ;
Déboute Mme [E] [C] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice de santé ;
Condamne la SAS JFC [Localité 6]-[Localité 5] à payer à Mme [E] [C] la somme de 500 euros en réparation du préjudice subi du fait de l'avertissement injustifié du 7 octobre 2020 ;
Dit n'y avoir lieu à la remise de bulletins de salaire et documents de fin de contrat rectifiés ;
Y ajoutant,
Dit que les sommes à caractère indemnitaire porteront intérêt à compter du jugement de première instance pour les dispositions confirmées et du présent arrêt pour les dispositions prononcées ;
Condamne la SAS JFC [Localité 6]-[Localité 5] aux entiers dépens ;
Condamne la SAS JFC [Localité 6]-[Localité 5] à payer à Mme [E] [C] la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute la SAS JFC [Localité 6]-[Localité 5] de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière La présidente