ARRÊT No 41
No RG : 12/ 05648
Décision déférée : absence de décision du conseil de discipline dans la procédure disciplinaire engagée à l'encontre de Me X... le 13 février 2012 par le bâtonnier
LE BÂTONNIER DE L'ORDRE DES AVOCATS
C/
X...
APPELANT
Monsieur le Bâtonnier de l'ordre des avocats à la cour d'appel de TOULOUSE 13 rue des Fleurs 31000 TOULOUSE
représenté par Me Robert RIVES de la SCP RIVES PODESTA, avocat au barreau de TOULOUSE,
INTIME
Maître Nicole X...... 31000 TOULOUSE
représentée par Me Simon COHEN, avocat au barreau de TOULOUSE
EN PRÉSENCE DU MINISTÈRE PUBLIC
représenté lors des débats par M. Jean-Louis BEC, avocat général
COMPOSITION DE LA COUR
Après audition du rapport, l'affaire a été débattue le 26 février 2014 en audience publique, devant la cour composée de :
Président : Guy de FRANCLIEU, premier président Assesseurs : A. MILHET, président de chambre J. BENSUSSAN, président de chambre P. CRABOL, conseiller J. M. BAÏSSUS, conseiller qui en ont délibéré.
Greffier : G. GAMBA
ARRÊT :
- contradictoire-prononcé par mise à disposition après avis aux parties-signé par Guy de FRANCLIEU, premier président, et par G. GAMBA, greffier.
I-FAITS, PROCÉDURE, DEMANDES ET MOYENS DES PARTIES
Par acte du 13 février 2012, le bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Toulouse a saisi le conseil de discipline à l'égard de maître Nicole X..., en précisant notamment :- que par courrier en date du 15 mars 2010, monsieur Thierry Y... a dénoncé au procureur de la République près du tribunal de grande instance de Toulouse des faits de violation du secret professionnel et d'escroquerie à jugement commis par maîtres Jérôme E.. et Brigitte Z...,- que cette plainte a été signifiée, par exploit d'huissier du 16 mars 2010, au bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Toulouse,- qu'un rapport d'enquête déontologique déposé le 28 décembre 2011 a mis en cause le comportement professionnel de trois avocats inscrits au barreau de Toulouse, à savoir maîtres Jérôme E..., Nicole X... et Martine A...,- que monsieur Thierry Y..., promoteur immobilier, avait pour habitude de confier ses intérêts à maître Nicole X... qui exerçait au cabinet B... ET ASSOCIES, que maître Nicole X... traitait la plupart des dossiers de monsieur Thierry Y... mais qu'il était constant que ce dernier soit également conseillé par maîtres Bernard B... et Jérôme E..., avocats associés du-dit cabinet,- que monsieur Thierry Y..., gérant de la SCI CAP TM est propriétaire d'un immeuble au sein duquel la SARL LE BIBENT exploitait un fonds de commerce,- que le 8 novembre 2004, sur conseil de maître Nicole X..., deux actes d'huissier ont été signifiés à la SARL LE BIBENT, à savoir : un commandement visant la clause résolutoire eu égard aux manquements du locataire, un congé avec refus de renouvellement avec proposition d'une indemnité d'éviction pour l'échéance du 30 mai 2005,- que la SARL LE BIBENT a été placée en procédure de redressement judiciaire par décision du tribunal de commerce de Toulouse en date du 10 novembre 2004, qui a nommé maître Christian C... en tant qu'administrateur judiciaire et maître F..., en celle de représentant des créanciers,- que le 3 décembre 2004, le cabinet B... ET ASSOCIES, sous la signature de maître Jérôme E..., indiquait à maître C... qu'il lui apparaissait nécessaire qu'il se constitue dans son intérêt et dans celui de maître F..., es qualité,- que le conflit apparaissait évident entre les intérêts des organes de la procédure collective du locataire que maître Jérôme E... se disait désireux de représenter, et ceux de la société bailleresse que son cabinet défendait déjà par l'intermédiaire de maître Nicole X...,
- que le 30 novembre 2004 sur les conseils de maître Nicole X..., monsieur Thierry Y... a fait réitérer auprès de maître Christian C... la signification des deux actes d'huissier préalablement signifiés,- que le 7 décembre 2004, la SARL LE BIBENT, dont maître Jérôme E... représentait les organes de procédure collective, a fait délivrer à la SCI CAP TM une assignation devant le tribunal de grande instance de Toulouse avec opposition à commandement,- que ce conflit d'intérêts n'a pas échappé à maître Jérôme E... qui, par note en date du 14 février 2005, a recommandé à maître Nicole X... de faire constituer un confrère " qui saura rester honnête " quant à l'affaire concernant maître C... et maître F...,- que maître Nicole X... a demandé à maître Martine A... de se constituer dans l'intérêt de la SCI CAP TM,- qu'il apparaît que la conduite du dossier est tout de même restée sous la responsabilité de maître Nicole X..., cette dernière établissant les actes dans l'intérêt de la SCI CAP TM avant de les adresser à maître Martine A... en vue de leur régularisation devant le tribunal,- qu'il apparaît que madame Nicole X... rendait compte à monsieur Thierry Y... des renseignements qui lui étaient donnés par maître Martine A...,- qu'il est étonnant d'observer que monsieur Thierry Y... n'a pas réagi à la réception de l'assignation mentionnant le cabinet B... ET ASSOCIES comme avocat des organes de procédure collective de la SARL LE BIBENT,- qu'une enquête disciplinaire devra apprécier les responsabilités de chacun, démontrer si monsieur Thierry Y... connaissait l'existence du conflit d'intérêts, si maître Jérôme E... savait quel était le rôle occulte qu'a joué maître Nicole X..., bien que les notes du 5 septembre 2008 et 6 octobre 2008 laissent présumer que tel était bien le cas,- qu'il est reproché à maître Nicole X... d'avoir manqué aux principes essentiels de la profession d'avocat tels que prévus par l'article 1. 3 du RIN et, en particulier, l'obligation d'exercer ses fonctions avec indépendance et probité en respectant les principes d'honneur et de loyauté, en faisant preuve à l'égard des clients de dévouement,- que maître Nicole X... a manqué à ses obligations en continuant à défendre les intérêts de la société bailleresse dans le cadre de la même affaire pour laquelle le cabinet dont elle dépendait avait fait délivrer une assignation à la demande du preneur qui visait à annihiler les effets des actes signifiés pour le compte du bailleur,- que ce comportement est contraire aux règles régissant le conflit d'intérêts prévu par l'article 4 du RIN,- que la connaissance possible par monsieur Thierry Y... de la situation ne saurait rien retirer aux manquements déontologiques susvisés.
Par délibération en date du 27 février 2012, le conseil de l'ordre des avocats du barreau de Toulouse a désigné monsieur Jean-Marc D..., membre du conseil de l'ordre, en qualité de rapporteur disciplinaire.
Un rapport disciplinaire a été rendu le 21 août 2012, après que maître Jérôme E..., maître Nicole X... et maître Martine A... aient été entendus.
Il précise notamment :- que maître Jérôme E... a indiqué au cours de son audition du 8 juin 2012 avoir appris en janvier 2005 que la SCI CAP TAM était gérée par monsieur Thierry Y... dont le conseil était maître Nicole X... qui avait dissimulé son intervention à son cabinet,- qu'il est établi qu'au moins à compter de janvier 2005, ni maître Jérôme E..., ni maître Nicole X... n'ignorait le conflit d'intérêts ; et que ces derniers ont continué à agir dans l'intérêt de leurs clients respectifs,- que par la note du 14 février 2005, il apparaît que maître Jérôme E... ne demandait pas à maître Nicole X... de se déconstituer, ni de se dessaisir, mais simplement de ne pas apparaître,- que postérieurement à ces faits, maître Nicole X... a continué à conseiller et recevoir monsieur Thierry Y...,- qu'il apparaît qu'il a été décidé que le plan de reprise préparé par maître Nicole X... pour le compte de monsieur Thierry Y... serait présenté par un autre conseil ; et que maître Nicole X... a choisi maître Martine A... pour représenter officiellement son client devant le tribunal de grande instance de Toulouse,- qu'en décidant de faire appel à un avocat jouant un rôle factice devant le tribunal, c'est de façon parfaitement consciente et même délibérée que maître Nicole X... a fait le choix de laisser son cabinet représenter des parties ayant des intérêts clairement opposés,- qu'il apparaît que bien que maître Jérôme E... ait été le conseil des organes de la procédure, maître Nicole X... a continué de défendre pendant plusieurs années les intérêts de la SCI CAP TM gérée par monsieur Y... dans le cadre de l'affaire dans laquelle elle avait fait signifier pour son compte des actes contre lesquels le cabinet B... ET ASSOCIES, à la demande de ces organes, avait fait délivrer une assignation visant à annihiler leurs effets,- que le fait que monsieur Thierry Y... ait eu connaissance de la situation et cherché en particulier en 2005 à en tirer avantage ne retire rien aux manquements déontologiques rapportés.
Par conclusions en date du 10 octobre 2012, maître Nicole X... avait demandé au conseil de discipline :- de dire qu'elle se trouvait, de fait, dans un lien de subordination,- de dire qu'elle n'a trompé ni Thierry Y..., ni Christian C... et qu'elle n'a pas manqué aux principes d'honneur, de loyauté, de probité et de prudence-de dire qu'elle n'a pas violé le secret professionnel,- de la renvoyer des fins de la poursuite.
Par courrier du 12 septembre 2012, maître Jérôme E..., maître Nicole X... et maître Martine A... ont été convoqués à l'audience du 10 octobre 2012.
Par acte en date du 13 novembre 2012, monsieur le bâtonnier de l'ordre des avocats à la cour de Toulouse a relevé que l'instance disciplinaire n'avait pas statué dans le délai de huit mois prévu à l'article 196 du décret du 27 novembre 1991 régissant la profession d'avocat. Il a alors saisi la cour d'appel de Toulouse conformément aux articles 195 et 197 du décret précité.
Par courrier en date du 17 février 2014 et reçu ce même jour, monsieur le bâtonnier de l'ordre des avocats à la cour de Toulouse a fait savoir qu'il n'entendait pas déposer de nouvelles conclusions et s'en rapportait exclusivement à l'acte de poursuite initié le 13 février 2012.
Dans ses conclusions reçues le 21 février 2014, maître Nicole X... demande notamment :- de déclarer irrecevable l'appel formé au nom du bâtonnier,- de dire que cet appel est en toute hypothèse sans objet parce que la demande formée devant le conseil de discipline ne peut être considérée comme " réputée rejetée ",- à titre subsidiaire, de dire n'y avoir lieu à sanction à l'encontre de Nicole X... et la renvoyer des fins de la poursuite.
L'affaire a été appelée à l'audience du 26 février 2014 et la juridiction a proposé aux parties de fournir leurs observations sur la recevabilité de la saisine de la cour d'appel lors de l'audience du 26 février 2014. Dans le cadre d'une procédure orale, les parties ont accepté de conclure oralement sur la recevabilité de la saisine de la cour d'appel.
Monsieur le bâtonnier de l'ordre des avocats à la cour de Toulouse s'en rapporte sur la recevabilité de l'appel.
Dans des conclusions déposées le 21 février 2014 et à l'audience du 26 février 2014, maître Nicole X... précise notamment :- que l'appel est irrecevable parce qu'il a été formé non pas par le bâtonnier lui-même ou son délégataire comme le requiert les dispositions de l'article 195 alinéa 1 du décret du 27 novembre 1991, mais par un avoué,- que l'appel est irrecevable car il a été formé non pas par lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée au secrétariat-greffe de la cour d'appel ou remis contre récépissé au greffier en chef comme le requiert l'article 16 du décret du 27 novembre 1991, et mais par simple déclaration,
- que l'affaire a été examinée le 10 octobre 2012, mise en délibéré fin octobre 2012 et que par lettre du 29 octobre 2012, le vice-président du conseil de discipline a informé les parties que le conseil avait " décidé de proroger son délibéré au lundi 26 novembre ",- que le conseil de discipline a effectivement statué dans les délais requis, le 10 octobre 2012 décidant de rendre son délibéré fin octobre 2012 et qu'il a une nouvelle fois statué le 29 octobre en informant les parties du prolongement de son délibéré au 26 novembre 2012,- que l'alinéa 2 de l'article 195 du décret permet au conseil de proroger, dans la limite de quatre mois, le délai de huit mois,- que la demande formée par le bâtonnier, dans l'acte de saisine, ne peut être réputée rejetée et que l'appel est irrecevable et/ ou sans objet.
Le ministère public considère que la cour d'appel n'est pas valablement saisie et que les dispositions de l'article 16 du décret du 27 novembre 1991 n'ont pas été respectées.
II-MOTIFS DE LA DÉCISION
Il y a lieu de rappeler que l'article 195 du décret no 91-1197 du 27 novembre 1991 dispose :- que " si dans les huit mois de la saisine de l'instance disciplinaire celle-ci n'a pas statué au fond ou par décision avant dire droit, la demande est réputée rejetée et l'autorité qui a engagé l'action disciplinaire peut saisir la cour d'appel ".- que " lorsque l'affaire n'est pas en état d'être jugée ou lorsqu'elle prononce un renvoi à la demande de l'une des parties, l'instance disciplinaire peut décider de proroger ce délai dans la limite de quatre mois. La demande de renvoi, écrite, motivée et accompagnée de tout justificatif, est adressée au président de l'instance disciplinaire ou, à Paris, au président de la formation disciplinaire du conseil de l'ordre ".- que la cour d'appel est saisie et statue dans les conditions prévues à l'article 197 du présent décret.
Les dispositions de l'article 197 du décret du 27 novembre 1991 exposent que le procureur général et le bâtonnier de l'ordre des avocats peuvent former un recours contre une décision en matière disciplinaire dont a fait l'objet un avocat. Elles ajoutent que la cour d'appel doit être saisie dans les conditions prévues à l'article 16 du décret du 27 novembre 1991, à savoir par un recours formé dans le délai d'un mois, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée au secrétariat-greffe de la cour d'appel ou remis contre récépissé au greffier en chef.
Compte tenu des pièces du dossier et des précisions fournies à l'audience par les parties, il apparaît :- que le conseil de discipline a été saisi le 13 février 2012 par le bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Toulouse d'une action à l'encontre de maître Nicole X...,
- qu'en application des dispositions de l'article 195 du décret du 27 novembre 1991, le conseil aurait dû rendre sa décision dans les huit mois de sa saisine, soit le 13 octobre 2012,- que malgré la convocation des parties en vue d'une audience fixée le 10 octobre, aucune décision n'a été rendue par le conseil de discipline,- que le conseil n'a pas statué dans le délai de huit mois imparti par l'article 195 du décret du décret du 27 novembre 1991 et qu'il est ainsi réputé avoir rejeté la demande initialement formulée par le bâtonnier,- que ne peut être considéré comme ayant statué le juge qui a prorogé son délibéré,- que l'affaire, en l'espèce, était bien en l'état d'être jugé, puisque seul le délibéré était en attente et n'avait fait l'objet d'aucune demande de renvoi de la part des parties,- que la situation d'espèce ne permettait pas à l'instance disciplinaire de proroger le délai de huit mois initié par l'article 195 du décret du 27 novembre 1991,- que le délai de huit mois à compter de la saisine du conseil de discipline s'est éteint le 13 octobre 2012,- qu'en application des dispositions de l'article 16 du décret du décret du 27 novembre 1991, le bâtonnier dispose d'un délai d'un mois à compter de la notification implicite du rejet de la demande par le conseil pour saisir la cour d'appel,- que l'article 196 du décret du décret du 27 novembre 1991 précise que toute décision prise en matière disciplinaire est notifiée à l'avocat poursuivi, au procureur général et au bâtonnier dans les huit jours de son prononcé par lettre recommandée avec demande d'avis de réception,- que la demande doit être considérée comme rejetée par le conseil huit mois après sa saisine, soit le 13 octobre 2012 ; que la notification implicite de ce rejet doit être estimée à huit jours après son prononcé, soit au 21 octobre 2012 ; et qu'en conséquence, le bâtonnier disposait d'un délai d'un mois pour saisir la cour d'appel, soit jusqu'à la date du 21 novembre 2012,- qu'en l'espèce, le bâtonnier a saisi la cour d'appel par acte du 13 novembre 2012,- que la cour d'appel a, conformément aux dispositions de l'article 195 du décret du 27 novembre 1991, été saisie par l'autorité qui a engagé l'action disciplinaire, à savoir par la SCP Robert RIVES et Véronique PODESTA, agissant pour le compte du bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Toulouse,- que la déclaration d'appel a fait l'objet d'une simple remise au secrétariat-greffe, et non par lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée au secrétariat-greffe de la cour d'appel ou remis contre récépissé au greffier en chef,- que les dispositions de l'article 16 du décret du 27 novembre 1991 n'ont pas été respectées,- que la saisine de la cour d'appel faite sous une autre forme que celle prévue expressément par les dispositions de l'article 16 du décret du 27 novembre 1991 constitue une fin de non-recevoir qui entraîne l'irrecevabilité de la saisine de la cour d'appel sans qu'il soit nécessaire de justifier d'un grief.
Dans ces conditions, il convient de déclarer irrecevable la saisine de la cour d'appel de Toulouse faite le 13 novembre 2012 par le bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Toulouse, sans qu'il soit nécessaire de statuer au fond.
PAR CES MOTIFS Statuant publiquement et contradictoirement,
Déclare irrecevable la saisine de la cour d'appel de Toulouse faite le 13 novembre 2012 par le bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Toulouse.
Condamne le bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Toulouse aux dépens.