COUR D'APPEL DE VERSAILLES
Code nac : 30C
12ème chambre section 1
AC
ARRET No
CONTRADICTOIRE
DU 11 JANVIER 2007
R. G. No 06/ 03813
AFFAIRE :
S. A. S. OIL FRANCE
C/
S. A. GECINA venant aux droits de la société FONCIERE VENDOME elle-même aux droits de la société FONCINA S. A. S. SOCIETE DES PETROLES SHELL
Expertise
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 25 Mai 2005 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE No chambre : 07 No Section : B No RG : 04/ 13399
Expéditions exécutoires Expéditions Copies délivrées le : à : SCP GAS Me TREYNET SCP FIEVET-LAFON
LE DIX-HUIT JANVIER DEUX MILLE SEPT, La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S. A. S. OIL FRANCE, dont le siège est : 5 place de la Pyramide-Tour Ariane-92088 PARIS LA DEFENSE CEDEX, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.
Concluant par la SCP GAS, avoués-N du dossier 20050533 Plaidant par Me Valérie PANEPINTO, avocat au barreau de PARIS, membre du cabinet de Maître André GUILLEMAIN
APPELANTE ****************
1. S. A. GECINA venant aux droits de la société FONCIERE VENDOME elle-même aux droits de la société FONCINA, dont le siège est : 14 rue des Capucines-75002 PARIS, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.
Concluant par Me Jean-Michel TREYNET, avoué-N du dossier 17380 Plaidant par Me Fabienne MOUREAU, avocat au barreau de PARIS
2. SOCIETE DES PETROLES SHELL S. A. S., dont le siège est : 307 rue d'Estienne d'Orves-Portes de la Défense-92708 COLOMBES CEDEX, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.
Concluant par la SCP FIEVET-LAFON, avoués-N du dossier 251191 Plaidant par Me Sophie SOUSTRE, avocat au barreau de BORDEAUX, membre du cabinet de Maître Daniel LASSERRE
INTIMEES ****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 07 Novembre 2006 devant la cour composée de :
Madame Sylvie MANDEL, président, Monsieur André CHAPELLE, conseiller, Madame Marie-José VALANTIN, conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Sabine MAREVILLE
Le 17 janvier 1966, la société Foncina, aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la société Gecina, a loué à la Compagnie française des produits pétrolifères des locaux à usage de station service dépendant d'un immeuble situé 175 à 177 Boulevard de la République à Saint Cloud.
Le 5 septembre 1969, le locataire, devenu la société Elf Distribution, a cédé son fonds de commerce à la société des Pétroles Shell.
Le bail a été renouvelé le 4 janvier 1984, puis le 15 avril 1997 pour une durée de dix ans à compter rétroactivement du 1er janvier 1994, le loyer annuel en principal s'élevant à 39. 461, 40 €.
Les 18 et 22 juillet 2003, la société Gecina a délivré un congé avec offre de renouvellement du bail à compter du 1er avril 2004, moyennant un loyer par an en principal de 90. 000 €, offre qui a été déclinée par la société Pétroles Shell, laquelle a estimé la valeur locative à 30. 000 € en principal.
Le 8 novembre 2004, la société Pétroles Shell a cédé le fonds de commerce exploité à Saint Cloud, y compris le droit au bail, à la société Oil France, étant précisé à l'acte que le cédant resterait caution solidaire du cessionnaire pour la parfaite exécution des clauses du bail.
C'est dans ces conditions que la société Gecina, qui avait fait assigner, par actes des 12 et 14 septembre 2004, la société Pétroles Shell devant le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Nanterre, a fait assigner en intervention forcée la société Oil France, pour l'audience du 15 novembre 2004, aux fins de voir fixé le loyer du bail renouvelé à la somme de 90. 000 € par an en principal.
Le 13 décembre 2004, la société Oil France a déposé un mémoire d'irrecevabilité et d'incompétence.
Par mémoire du 31 mars 2005, la société Pétroles Shell a demandé sa mise hors de cause.
Devant le juge des loyers commerciaux, elle a conclu au débouté de la société Gecina, a soutenu que le loyer ne pouvait être déplafonné et à titre subsidiaire, elle a sollicité une mesure d'expertise.
Par jugement du 25 mai 2005, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Nanterre a tout d'abord rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société Oil France, laquelle, invoquant la nullité du congé, faisait valoir que seul le tribunal de grande instance était compétent pour statuer sur ce point.
Le juge des loyers commerciaux a déclaré recevable la demande formée contre la société Oil France et a rejeté la demande de mise hors de cause présentée par la société des Pétroles Shell.
Sur la fixation des loyers, le juge des loyers commerciaux a dit que les locaux litigieux avaient un caractère monovalent, au sens de l'article 23-8 du décret du 30 septembre 1953, et que la fixation du loyer échappait donc à la règle du déplafonnement.
Constatant que le rapport amiable émanant de Monsieur X... dont faisait état le bailleur n'était pas sérieusement contesté par les défenderesses, le juge des loyers commerciaux a fixé à 83. 000 € le loyer annuel HC et HT dû par la société des Pétroles Shell, puis par la société Oil France, à compter du 1er avril 2004, pour un bail renouvelé pour 9 ans, à défaut d'accord entre les parties pour un renouvellement sur 10 ans. Il a en outre ordonné l'exécution provisoire et a condamné solidairement aux dépens les sociétés des Pétroles Shell et Oil France.
* Appelante, la société Oil France demande tout d'abord à la cour, à titre principal, de se déclarer incompétente pour se prononcer sur la demande en nullité du congé et de renvoyer la présente procédure à la connaissance du tribunal de grande instance de Nanterre, et à titre subsidiaire, de prononcer la nullité du congé délivré par la société Gecina et de dire que le bail se poursuit par tacite reconduction.
A titre plus subsidiaire, la société Oil France conclut à l'irrecevabilité de la demande en fixation du loyer faute de saisine par voie d'assignation de la juridiction des loyers commerciaux postérieurement à la notification à la société Oil France du mémoire du 10 février 2005, et, en tant que de besoin, de dire nul l'exploit introductif d'instance qui lui a été délivré le 26 novembre 2004.
A titre infiniment subsidiaire, la société Oil France fait valoir que la preuve du caractère monovalent des locaux n'est pas rapportée, et demande que le loyer du bail renouvelé à compter du 1er avril 2004 soit fixé en fonction de l'évolution des indices du coût de la construction.
A titre encore plus subsidiaire, la société Oil France, se fondant sur l'article 6. 1 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, fait valoir que l'avis de Monsieur X... ne peut fonder une quelconque décision en l'absence de tout débat contradictoire. Elle demande que soit ordonnée une expertise et que le loyer provisionnel soit fixé au montant du loyer contractuel.
En tout état de cause, elle sollicite une indemnité de 8. 000 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
* Intimée, la société des Pétroles Shell conclut à l'infirmation de la décision entreprise et au débouté de la société Gecina de toutes ses demandes.
A titre principal, elle demande sa mise hors de cause du fait de la clause de non recours et, à défaut, de condamner la société Oil France à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre.
A titre subsidiaire, la société des Pétroles Shell conclut à l'irrecevabilité de la demande en fixation des loyers. Elle conteste le caractère monovalent des locaux et considère qu'il n'existe aucun motif de déplafonnement.
A titre infiniment subsidiaire, elle sollicite une expertise et demande que la société Gecina soit condamnée à lui verser une indemnité de 2. 000 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
* Intimée, la société Gecina conclut tout d'abord à la nécessité de maintenir dans la cause la société des Pétroles Shell, celle-ci restant contractuellement caution solidaire à l'égard du bailleur de la parfaite exécution des clauses du bail.
La société Gecina conclut ensuite au rejet de l'exception d'incompétence du juge des loyers commerciaux pour statuer sur la validité du congé avec offre de renouvellement délivré les 18 et 23 juillet 2003.
Elle conclut également à la recevabilité de la procédure introduite à l'encontre de la société Oil France, le mémoire régulièrement signifié à la société des Pétroles Shell suffisant à valider la procédure engagée, et ceci sans qu'une cession de bail intervenue en cours de procédure de renouvellement de bail soit de nature à remettre en cause la validité de cette procédure.
La société Gecina conclut en conséquence à la confirmation du jugement entrepris et à la fixation du loyer annuel en principal à la somme de 83. 000 € pour un bail renouvelé à compter du 1er avril 2004, pour une durée de 9 ans, les autres clauses et conditions du bail restant inchangées.
Elle sollicite enfin une indemnité de 2. 000 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
SUR QUOI :
1) Sur l'exception d'incompétence :
Considérant qu'après échange de mémoires, les 18 et 22 juillet 2003 pour la société Gecina, et le 19 mars 2004 pour la société des Pétroles Shell, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Nanterre a été régulièrement saisi par la société Gecina, qui a assigné la société des Pétroles Shell par actes des 12 et 14 septembre 2004, aux fins de fixation du loyer du bail renouvelé, rétroactivement à compter du 1er avril 2004.
Considérant que postérieurement à cette assignation, la société des Pétroles Shell a cédé son fonds de commerce, y compris son droit au bail, à la société Oil France.
Considérant que c'est dans ces conditions que la société Oil France a été assignée en intervention forcée par la société Gecina le 26 novembre 2004.
Considérant qu'au soutien de leur exception d'incompétence, les sociétés Oil France et Pétroles Shell se prévalent de la nullité du congé délivré les 18 et 22 juillet 2003 à la société des Pétroles Shell et demandent le renvoi de l'affaire pour le tout devant le tribunal de grande instance de Nanterre, statuant au fond.
Mais considérant qu'il ne suffit pas au défendeur à une procédure en fixation du loyer d'un bail renouvelé de se prévaloir de la nullité du congé pour rendre incompétent le juge des loyers commerciaux pour l'ensemble de la procédure, dès lors que celui-ci a été régulièrement saisi, ce qui est le cas en l'espèce.
Considérant qu'à supposer nul le congé délivré à la société des Pétroles Shell, le juge des loyers commerciaux ne pourrait que surseoir à statuer jusqu'à ce que le tribunal de grande instance, statuant au fond, ait pris position sur la régularité du congé.
Considérant qu'en l'espèce, aucun des griefs articulés par les sociétés des Pétroles Shell et Oil France, et tenant à la durée du bail renouvelé, n'est de nature à fonder sérieusement et de manière pertinente la nullité du congé délivré initialement par la société Gecina à la société des Pétroles Shell.
Considérant que ni la société des Pétroles Shell, ni la société Oil France n'ont d'ailleurs saisi au fond le tribunal pour qu'il statue sur la validité de ce congé.
Considérant qu'en l'état de ces éléments, il convient de rejeter l'exception d'incompétence soulevée, non sans intention dilatoire, par les sociétés des Pétroles Shell et Oil France.
2) Sur la nullité du congé :
Considérant qu'aucune cause de nullité sérieuse et pertinente n'étant soulevée par les sociétés locataires, il n'y a lieu d'examiner cette demande, ce que ne peut d'ailleurs faire la cour saisie d'un appel dirigé contre un jugement du juge des loyers commerciaux, la cour ne pouvant, ainsi qu'il vient d'être dit, que surseoir à statuer sur une telle demande, si le caractère sérieux de celle-ci le justifiait, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
3) Sur la demande de mise hors de cause de la société des Pétroles Shell :
Considérant que la société Gecina observe à juste titre qu'il était prévu expressément à l'acte de cession du fonds de commerce de la société des Pétroles Shell à la société Oil France que le cédant, c'est à dire la société des Pétroles Shell, resterait caution solidaire à l'égard du bailleur de la parfaite exécution des clauses du bail.
Considérant que pour ce motif, il convient de maintenir dans la cause la société des Pétroles Shell, quels que soient, par ailleurs, les engagements réciproques des sociétés Oil France et Pétroles Shell.
4) Sur la recevabilité de la demande formée à l'encontre de la société Oil France :
Considérant qu'après la cession de son fonds de commerce par la société des Pétroles Shell à la société Oil France, intervenue le 8 novembre 2004, la société Gecina a assigné en intervention forcée la société Oil France, par acte du 26 novembre 2004.
Considérant que le mémoire initialement délivré les 18 et 22 juillet 2003 à la société des Pétroles Shell a été notifié à la société Oil France le 10 février 2005.
Considérant que la société Oil France était alors déjà assignée en intervention forcée et avait, dans l'acte de cession du 8 novembre 2004, expressément déclaré " être parfaitement informée et vouloir faire son affaire personnelle de cette situation et de la procédure en cours. "
Considérant dès lors qu'après la notification du 10 février 2005, il n'était pas nécessaire de procéder à une nouvelle assignation de la société Oil France, à l'expiration d'un délai d'un mois après cette notification, prévu par l'article 29-2 du décret du 30 septembre 1953, seule la notification du mémoire initial à la société des Pétroles Shell et l'assignation de cette société dans le délai prévu par la loi, justifiant la régularité de la saisine du juge des loyers commerciaux et la poursuite de la procédure à l'encontre de la société Oil France, cessionnaire du fonds de commerce et expressément informée de la procédure en cours.
Considérant que la société Gecina souligne pertinemment qu'en décider autrement conduirait à permettre, à l'occasion d'une cession de bail en cours de procédure en fixation du loyer d'un bail renouvelé, de remettre en cause la validité de cette procédure antérieurement et régulièrement engagée, et à la paralyser ainsi dans le dessein manifeste d'en retarder l'issue, ceci d'autant plus qu'en l'espèce, la société Oil France a notifié un mémoire en défense le 13 décembre 2004 et a pu faire valoir utilement ses droits.
Considérant que la demande de la société Gecina contre la société Oil France doit donc être déclarée recevable.
5) Sur le montant du loyer :
Considérant que les lieux loués sont des locaux à usage de station service.
Considérant néanmoins que le caractère monovalent de ces locaux est discuté par les sociétés locataires, et notamment l'ampleur des travaux de transformations et d'éventuelle dépollution qui s'avéreraient nécessaires en cas d'un changement de destination, étant observé que les lieux peuvent être contractuellement cédés ou sous loués " à usage de tous commerces ".
Considérant que le rapport de Monsieur X... dont fait état la société Gecina n'a pas été établi contradictoirement et ne peut donc être admis qu'à titre de simple renseignement.
Qu'il convient donc d'ordonner une mesure d'expertise, comme indiqué ci-après au dispositif, à la charge de la société Gecina, à laquelle incombe la charge de la preuve, contrairement à ce qu'elle prétend.
Considérant que dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise, le loyer dû provisionnellement sera fixé à un montant annuel de 65. 000 € hors charges et hors taxes.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
Statuant publiquement et contradictoirement,
- CONSTATE que les sociétés Pétroles Shell et Oil France n'articulent aucun grief sérieux et pertinent de nature à fonder la nullité du congé délivré par la société Gecina à la société des Pétroles Shell.
- CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les sociétés Pétroles Shell et Oil France de leur exception d'incompétence, en ce qu'il a rejeté la demande de mise hors de cause formée par la société des Pétroles Shell et en ce qu'il a déclaré recevable la demande en fixation du loyer du bail renouvelé formée par la société Gecina contre la société Oil France, aux droits de la société des Pétroles Shell.
Avant dire droit sur les autres demandes,
- ORDONNE une mesure d'expertise,
- DÉSIGNE pour y procéder :
Monsieur Alain D..., Expert judiciaire près la cour d'appel de Versailles, ...95290 L'Isle Adam Tel : ...
avec pour mission, après avoir réuni les parties, les avoir entendues en leur explications, et s'être fait remettre toutes pièces utiles, de rassembler tous éléments, y compris son avis, permettant à la cour de déterminer la nature des lieux loués au regard des dispositions de l'article 23-8 du décret du 30 septembre 1953, ainsi que le montant de loyer du bail renouvelé à compter du 1er avril 2004.
- DIT que l'expertise sera effectuée aux frais avancés de la société Gecina qui devra consigner au greffe de la cour de ce siège, avant le 12 mars 2007, une provision de 4. 000 € (quate mille euros) à valoir sur la rémunération de l'expert.
- RAPPELLE qu'à défaut de consignation dans le délai, la désignation de l'expert sera caduque.
- DIT que l'expert dressera un rapport écrit, qu'il déposera au greffe de la cour dans les quatre mois qui suivront la notification du versement de la provision, et qu'en cas d'empêchement ou de refus, il sera procédé à son remplacement par ordonnance du conseiller chargé du contrôle des expertises, rendue sur requête.
- RENVOIE l'affaire à la conférence de mise en état du mardi 13 mars 2007, 14 heures 15, pour faire le point sur la consignation et l'évolution des opérations d'expertise.
- FIXE à 65. 000 € (soixante-cinq mille euros) le montant provisionnel du loyer annuel, hors charges et hors taxes,
- RÉSERVE l'application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ainsi que les dépens.
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.
- signé par Sylvie MANDEL, président et par Sabine MAREVILLE, greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,