COUR D'APPELDE VERSAILLES
12ème chambre section 1
ARRET No
CONTRADICTOIRE
DU 02 DECEMBRE 2010
R.G. No 09/06503
AFFAIRE :
Société de droit belge TONICKX
C/Société ELVINA...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 26 Juin 2009 par le Tribunal de Commerce de NANTERRENo Chambre : 4No Section : No RG : 2008F1312
LE DEUX DECEMBRE DEUX MILLE DIX,La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Société de droit belge TONICKXayant son siège Kortrijkseweg 49, 8791 Beveren-Leie Waregem 08670 BELGIQUE agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
concluant par Me Claire RICARD - avoués - No du dossier 290472Plaidant par Me Charlotte GALICHET, collaboratrice de Me Corinne CHAMPAGNER KATZ - avocat au barreau de PARIS
APPELANTE****************
Société ELVINAayant son siège 119 bis rue de Colombes 92600 ASNIERES SUR SEINE agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Concluant par la SCP FIEVET-LAFON - avoués - No du dossier 290892Plaidant par Me Jacques SELLIER-SCP LEBLAN-ARNOUX-SELLIER-MICHEL- LEQUINT- HAUGER LEG avocats au barreau de LILLE
Société PHILDARayant son siège 15 avenue André Diligent 59061 ROUBAIX agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Concluant par la SCP FIEVET-LAFON - No du dossier 290892Plaidant par Me Jacques SELLIER-SCP LEBLAN-ARNOUX-SELLIER-MICHEL- LEQUINT- HAUGER (LEG (avocats au barreau de LILLE)
INTIMEES****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 28 Octobre 2010 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Mme Dominique ROSENTHAL, Présidente chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Dominique ROSENTHAL, présidente,Madame Marie-Hélène POINSEAUX, conseiller,Monsieur Claude TESTUT, conseiller,
Greffier, lors des débats :Mademoiselle Stéphanie MIRA,
Vu l'appel interjeté le 28 juillet 2009, par la société Tonickx d'un jugement rendu le 26 juin 2009 par le tribunal de commerce de Nanterre qui a:* débouté les sociétés Phildar et Elvina de leur demande tendant à l'annulation de la saisie contrefaçon du 24 janvier 2008,* dit que les sociétés Phildar et Elvina ont commis des actes de contrefaçon en faisant fabriquer et en commercialisant un vêtement reproduisant les caractéristiques du modèle référencé TA 2229, appartenant à la société Tonickx,* ordonné aux sociétés défenderesses ainsi qu'à l'ensemble de leurs filiales, établissements secondaires, succursales, usines, sous traitants, grossistes, détaillants et autre contrefaisant de cesser de toute fabrication et toute commercialisation des produits contrefaisant le modèle référencé TA 2229 et ce, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée à compter de la signification du jugement, le tribunal se réservant le droit de liquider l'astreinte,* ordonné la destruction de l'ensemble des produits litigieux par un huissier au choix de la société Tonickx, à ses frais avancés qui lui seront remboursés solidairement par les sociétés Phildar et Elvina sur simple présentation des factures justificatives et ce, tant au siège social des sociétés Phildar et Elvina qu'au sein de leurs filiales, établissements secondaires, succursales, usines, sous traitants, grossistes, détaillants et autres revendeurs,* condamné les sociétés Phildar et Elvina à payer à la société Tonickx la somme de 8.250 euros au titre du manque à gagner,* dit que les sociétés Phildar et Elvina n'ont pas commis d'actes de concurrence déloyale et parasitaire,* débouté les sociétés Phildar et Elvina de leur demande reconventionnelle au titre de la procédure abusive,* dit n'y avoir lieu à publication,* dit n'y avoir lieu à exécution provisoire, * condamné solidairement le sociétés Phildar et Elvina à payer à la société Tonickx la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ainsi qu'au remboursement des frais de saisie contrefaçon;
Vu les dernières écritures en date du 7 juin 2010, par lesquelles la société Tonickx demande à la cour de:• confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a:* reconnu les sociétés Phildar et Elvina coupables d'actes de contrefaçon,* condamné les sociétés Phildar et Elvina à diverses mesures de confiscation, de destruction, d'interdiction,* condamné les sociétés Phildar et Elvina au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et au remboursement des frais de saisie contrefaçon,• y ajoutant,* condamner la société Phildar au versement de la somme de 32.658,96 euros au titre du bénéfice réalisé du fait des actes de contrefaçon,* condamner la société Elvina au versement de la somme de 1.167,26 euros au titre du bénéfice réalisé du fait des actes de contrefaçon,* condamner solidairement les sociétés Phildar et Elvina au versement de la somme de 53.445 euros au titre de l'atteinte à ses investissements,* condamner solidairement les sociétés Phildar et Elvina au versement de la somme de 100.000 euros au titre de son préjudice moral, de l'avilissement du modèle TA 2229 et de l'atteinte à son image de marque,* dire que la société Phildar s'est rendue coupable de concurrence déloyale et parasitaire,* condamner la société Phildar au versement de la somme de 200.000 euros au titre du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaires,* ordonner la publication du jugement à intervenir dans son intégralité ou par extraits dans 10 journaux ou publication professionnels (y compris électronique), de son choix et aux frais avancés et solidaires des sociétés Phildar et Elvina, sans que le coût de chaque insertion ne puisse excéder la somme de 5.000 euros HT, soit la somme globale de 50.000 euros HT, ainsi que sur la page d'accueil du site internet www.phildar.fr pendant une durée de six mois à compter de l'arrêt à intervenir,* condamner solidairement les sociétés Phildar et Elvina au versement de la somme supplémentaire de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens;
Vu les dernières écritures en date du 2 mars 2010, aux termes desquelles la société Phildar et la société Elvina, formant appel incident, prient la cour de:* infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit qu'elles s'étaient rendues coupables d'actes de contrefaçon,* débouter la société Tonickx de ses demandes,* condamner la société Tonickx à verser, à chacune d'elles, la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,* condamner la société Tonickx à verser à la société Phildar la somme de 1.692,23 euros à titre de dommages et intérêts pour compenser le préjudice résultant de la perte de chance de procéder à la vente régulière des 148 tuniques News qui lui ont été retournées,* condamner la société Tonickx au versement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel;
SUR CE, LA COUR,
Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties; qu'il convient de rappeler que :* la société Tonickx a pour activité la création, la fabrication et la commercialisation de vêtements de prêt à porter,* elle revendique des droits d'auteur sur un modèle de tunique référencé TA 2229, créé par sa salariée, Ingrid E... le 6 avril 2007, commercialisé pour la saison automne/hiver 2007-2008,* le 13 juillet 2007, cette styliste a fait horodater un document reproduisant le modèle permettant d'en établir la date certaine, * la société Phildar a échantillonné ce modèle selon bordereau d'envoi du 27 avril 2007,* ayant découvert l'offre à la vente par la société Phildar d'une tunique référencée News, reproduisant, selon elle, les caractéristiques de son modèle, la société Tonickx, dûment autorisée par ordonnance présidentielle, a fait procéder le 24 janvier 2008, à des opérations de saisie contrefaçon dans les locaux de la société Phildar,* ces opérations ont révélé que la tunique litigieuse avait été commercialisée pour la saison automne/hiver 2007-2008, commandée en 3.088 exemplaires auprès de la société Elvina, dont 2.573 avaient été vendus,* c'est dans ces circonstances que la société Tonickx a assigné la société Phildar et la société Elvina devant le tribunal de commerce de Nanterre pour répondre d'actes de contrefaçon et de concurrence déloyale et parasitaire;
considérant que ne sont pas remises en cause devant la cour les dispositions dujugement entrepris qui ont validé les opérations de saisie contrefaçon;
Sur la protection au titre du droit d'auteur:
Considérant en droit, que l'article L.111-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre du seul fait de sa création du droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous, comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial;
qu'il se déduit de ces dispositions le principe de la protection d'une oeuvre sans formalité et du seul fait de la création d'une oeuvre originale;
considérant qu'il n'est pas discuté que le modèle de tunique référencé TA 2229, objet d'un dépôt Fidealis le 13 juillet 2007, a été créé le 6 avril 2007, par Ingrid E..., salariée de la société Tonickx;
considérant que, pour s'opposer au grief de contrefaçon, les sociétés Phildar et Elvina dénient au modèle, qui , selon elles, reprendrait le style "baby doll" propre aux années 1960 et procéderait d'une inspiration commune relevant du domaine public, la protection par le droit d'auteur;
considérant qu'il importe de se livrer à la recherche nécessaire de l'originalité de ce modèle, l'action en contrefaçon étant subordonnée à la condition que la création soit originale pour constituer une oeuvre de l'esprit;
considérant que la société Tonickx caractérise son modèle de tunique par la combinaison des éléments suivants:- une tunique sans manche présentant un col rabattu,- une surpiqûre soulignant la poitrine, la tunique s'élargissant à partir de cette surpiqûre pour créer un effet de robe-housse,- au centre, trois plis en accordéon dans la continuité des trois coutures,- deux poches apposées en biais de chaque côté de la tunique;
considérant que pour prétendre à la banalité de ce modèle, qu'elle qualifient de style "baby doll", les sociétés Phildar et Elvina opposent des modèles commercialisés à la même époque par d'autres enseignes:- une robe tunique sans manche à col rabattu, comportant des surpiqûres et deux plis, diffusée dans un catalogue de la société Comptoir des cotonniers,- un tee-shirt de la société Promod reprenant l'idée d'une coupe évasée par le bas et comportant deux poches,- une tunique représentée dans un catalogue de la société Auchan , à effet de robe-housse, comportant des plis en accordéon, deux poches apposées en biais munies de gros boutons,- un tee-shirt vendu par la société Top Shop,- un modèle de long tee-shirt tunique publié dans deux catalogues Somewhere;
qu'elles font également valoir que dès la fin de l'année 2006, la société Phildar avait conçu, pour sa collection été 2007, une tunique sans manche dénommée Danube, présentant un col arrondi, une forme trapèze, des plis en accordéon au centre;
qu'elle ajoutent qu'au cours des mois de décembre 2006 et janvier 2007, la société Magfield International Ltd, située à Hong Kong, a créé pour le compte de la société Phildar un modèle de tunique référencé Noguerra comportant un col rabattu, des surpiqûres, un effet de housse, des plis accordéon et des poches;
mais considérant qu'il résulte de l'examen, auquel la cour s'est livrée, des modèles invoqués, que si les éléments qui composent le modèle sont effectivement connus et que pris séparément ils appartiennent au fonds commun de l'univers du vêtement féminin, en revanche leur combinaison, telle que revendiquée, dès lors que l'appréciation portée par la cour doit s'effectuer de manière globale, en fonction de l'aspect d'ensemble produit par la combinaison des différents éléments propres à ce modèle et non par l'examen de chacun de ces éléments pris individuellement, confère au modèle litigieux une physionomie propre distincte des autres modèles du même genre traduisant en effort créatif et un parti pris esthétique qui porte l'empreinte de la personnalité de son auteur;
que la décision déférée, qui a jugé le modèle éligible à la protection par le droit d'auteur, sera confirmée;
Sur la contrefaçon:
considérant que force est de constater au terme de l'examen comparatif des modèles en présence, auquel la cour a procédé, que le modèle de robe-tunique commercialisé par la société Phildar et fabriqué par la société Elvina, reprend dans une combinaison identique l'ensemble des éléments caractéristiques du modèle de la société Tonickx;
que par voie de conséquence, les actes de contrefaçon sont caractérisés, de sorte que le jugement entrepris sera également confirmé sur ce point;
Sur la concurrence déloyale:
considérant que la société Tonickx reproche également à la société Phildar des actes distincts de concurrence déloyale consistant à avoir échantillonné le modèle de tunique référencé TA 2229 pour en faire fabriquer une copie servile, dans un tissu et un coloris identiques;
que la société Phildar réplique que ces griefs ne sont pas distincts des actes de contrefaçon reprochés et qu'elle n'a aucunement cherché à créer la confusion auprès de la clientèle;
considérant que si le grief de copie servile, susceptible d'aggraver le préjudice résultant de la contrefaçon, laquelle se définit comme la reproduction intégrale ou partielle de l'oeuvre sans l'autorisation de son auteur, ne constitue pas un fait distinct de concurrence déloyale de nature à caractériser une faute au sens de l'article 2382 du code civil, il n'en demeure pas moins qu'en faisant fabriquer par la société Elvina une copie servile du modèle, dans le même coloris et un tissu identique, alors qu'elle ne pouvait méconnaître les droits détenus par la société Tonickx, qui lui avait remis un échantillon le 27 avril 2007, la société Phildar a manqué à l'obligation de loyauté qui doit présider aux relations commerciales, peu important que la société Tonickx ne s'adresse pas à un consommateur final mais à des enseignes;
que réformant la décision déférée, est caractérisé un comportement fautif attentatoire à un exercice paisible du commerce, imputable à la société Phildar, engageant, sur le fondement des dispositions de l'article 1382 du Code civil, sa responsabilité;
Sur la réparation des préjudices:
Considérant que les mesures d'interdiction, de confiscation et de destruction prononcées par le tribunal, pour mettre fin aux agissements illicites, doivent être confirmées,
considérant que les opérations de saisie contrefaçon ont révélé que la société Phildar avait fait fabriquer 3.088 tuniques et que 2.573 exemplaires avaient été vendus au prix de 25 euros hors taxes dans les magasins succursales et de 14,62 euros aux magasins franchisés; que la société Phildar expose que sa marge brute s'est élevée à la somme de 32.658,96 euros, la société Elvina faisant valoir que sa propre marge brute a été de 1.167,26 euros;
que le modèle original a été vendu au prix moyen de 10 euros, la marge brute s'élevant à 4,50 euros par exemplaire; que la société Tonickx ne démontre aucun investissement propre au modèle en cause;
considérant que la mise sur le marché des articles contrefaisants est de nature à banaliser le modèle original et à porter atteinte à sa valeur patrimoniale; que par surcroît, le caractère servile des copies réalisées contribue nécessairement à avilir ce modèle et à inciter la clientèle à s'en détourner;
que compte tenu en outre des marges réalisées sur le produit contrefaisant et du gain manqué sur le produit original, la société Tonickx est fondée à demander réparation de son préjudice à concurrence de la somme de 50.000 euros mise à la charge in solidum des sociétés Phildar et Elvina;
considérant que les actes fautifs de concurrence déloyale ont nécessairement occasionné à la société Tonickx un trouble commercial qui sera réparé par l'allocation de la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts mise à la charge de la société Phildar;
considérant que, la société Phildar ayant cessé de commercialiser la tunique litigieuse, la mesure de publication sollicitée n'est pas nécessaire;
Sur les autres demandes:
Considérant que la solution du litige commande de rejeter tant la demande reconventionnelle en dommages et intérêts formée par les sociétés Phildar et Elvina pour procédure abusive que celle de la société Phildar tendant à l'octroi d'une indemnité réparant la perte de chance de procéder à la vente de 148 tuniques;
considérant qu'il résulte du sens de l'arrêt que les sociétés Phildar et Elvina ne sauraient bénéficier des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile; qu'en revanche, l'équité commande de les condamner in solidum, sur ce même fondement, à verser à la société Tonickx une indemnité complémentaire de 10.000 euros;
PAR CES MOTIFS
Statuant par décision contradictoire,
CONFIRME le jugement déféré sauf en ses dispositions relatives à la concurrence déloyale et à la réparation du préjudice,
LE RÉFORMANT sur ces points et statuant à nouveau,
CONDAMNE in solidum la société Phildar et la société Elvina à payer à la société Tonickx la somme de 50.000 euros en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon,
CONDAMNE la société Phildar à payer à la société Tonickx la somme de 20.000 euros en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale,
Y ajoutant,
CONDAMNE in solidum la société Phildar et la société Elvina à payer à la société Tonickx la somme complémentaire de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,
REJETTE toutes autres demandes contraires à la motivation,
CONDAMNE in solidum la société Phildar et la société Elvina aux dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
PRONONCÉ par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
SIGNÉ par Mme Dominique ROSENTHAL, Président et par Monsieur GAVACHE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.