COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 59E
Chambre commerciale 3-1
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 11 JUILLET 2024
N° RG 20/01502 - N° Portalis DBV3-V-B7E-TZQU
AFFAIRE :
SNC YACK ENERGIE
C/
XL INSURANCE COMPANY SE
...
Ministère de l'Economie des Finances et de la Souveraineté Industrielle et Numérique
Décision déférée à la cour : ordonnance rendue par le conseiller de la mise en état de la chambre commerciale 3-1 le 25 janvier 2024
(N° RG 20/01502)
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Claire RICARD
Me Christophe DEBRAY
Me Oriane DONTOT
Me Martine DUPUIS
Me Magali ROCHEFORT
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE ONZE JUILLET DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
SNC YACK ENERGIE
RCS Toulon n° 513 533 042
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentée par Me Claire RICARD, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 622 et Me Christian BREUIL & Me Jean-Paul HORDIES, Plaidants, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : B0075
APPELANTE / DEMANDERESSE AU DEFERE
****************
XL INSURANCE COMPANY SE venant aux droits de la société AXA Corporate Solutions Assurance par suite d'une fusion absorption emportant transfert de portefeuille, agissant par l'intermédiaire de sa succursale française domiciliée [Adresse 3]
[Adresse 5]
IRLANDE
Représentée par Me Christophe DEBRAY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 et Me Laure-Anne MONTIGNY& Me Olivier LOIZON de l'AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL, Plaidants, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : T03
S.A. ENEDIS
RCS Nanterre n° 444 608 442
[Adresse 2]
[Localité 7]
Représentée par Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 et Me COULANGE & Me Michel GUÉNAIRE du cabinet Michel GUENAIRE, Plaidants, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : G0777
Société ALLIANZ GLOBAL CORPORATE & SPECIALTY SE
[Adresse 10]
[Localité 8]
Représentée par Me Martine DUPUIS de la SELARL LX PARIS- VERSAILLES-REIMS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 et Me Alexandra COHEN-JONATHAN de la SELARL TAMARIS AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de Paris
INTIMEES / DEFENDERESSESAU DEFERE
****************
Ministère de l'Economie des Finances et de la Souveraineté Industrielle et Numérique
[Adresse 9]
[Adresse 9]
[Localité 4]
Représentée par Me Magali ROCHEFORT, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 566
PARTIE INTERVENANTE / DEFENDERESSE AU DEFERE
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 11 Juin 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente,
Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseillère,
Monsieur Patrice DUSAUSOY, Magistrat honoraire juridictionel,
Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT assisté de [O] [E], greffière stagiaire,
Invoquant un retard fautif de la société Enedis dans l'instruction de sa demande de raccordement au réseau de distribution électrique aux fins d'exploitation d'une centrale photovoltaïque qui l'aurait empêchée d'exploiter cette centrale et de vendre l'électricité produite à EDF au tarif fixé par l'arrêté du 10 juillet 2006, la société Yack énergie a, par acte du 3 décembre 2013, assigné la société Enedis en réparation de son préjudice. En dernier lieu, la société Yack énergie a reproché à la société Enedis une faute consistant en la proposition d'un contrat illicite et sollicité l'indemnisation de ses préjudices constitués des dépenses réalisées en pure perte et de l'action contentieuse introduite par une société Air à son encontre.
Par jugement du 16 janvier 2020, le tribunal de commerce de Nanterre a débouté la société Yack énergie de l'ensemble de ses demandes.
Par déclaration du 6 mars 2020, la société Yack énergie a fait appel de ce jugement et, par acte du 3 janvier 2023, elle a assigné en intervention forcée l'Etat français aux fins d'engager sa responsabilité à raison de son abstention de notifier les mesures d'aide prévues par la loi du 10 février 2000 et les décrets subséquents et de le condamner in solidum avec la société Enedis et ses assureurs.
Après échanges de conclusions, la clôture de l'instruction a été prononcée le 1er juin 2023.
Par ordonnance du 21 septembre 2023, le conseiller de la mise en état a soulevé d'office une exception d'incompétence tirée de l'incompétence du juge judiciaire pour statuer sur l'action en responsabilité exercée par la société Yack énergie à l'encontre du ministère de l'économie, des finances, de la souveraineté industrielle et numérique, pris en la personne de l'Agent judiciaire de l'Etat, au regard du principe de séparation des pouvoirs issu de la loi des 16 et 24 août 1790, révoqué la clôture et sollicité l'avis des parties.
Par ordonnance du 25 janvier 2024, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevables les conclusions notifiées par le ministère les 29 novembre et 13 décembre 2023, déclaré les juridictions de l'ordre judiciaire et donc la cour d'appel de Versailles incompétentes pour connaître de l'action en responsabilité dirigée par la société Yack énergie à l'encontre du ministère par assignation du 3 janvier 2023, ordonné la disjonction de l'instance engagée par la société Yack énergie à l'encontre du Ministère de l'économie, des finances, de la souveraineté industrielle et numérique par assignation du 3 janvier2023, renvoyé la société Yack énergie à mieux se pourvoir, s'est déclaré incompétent pour statuer sur les autres demandes, a condamné la société Yack énergie aux dépens de l'incident et à payer à la société Enedis la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par requête remise au greffe et notifiée par RPVA le 8 février 2024, la société Yack énergie a déféré cette ordonnance à la cour. Elle demande à la cour de réformer l'ordonnance entreprise, de se déclarer compétente pour constater l'illégalité de l'aide d'Etat constituée par l'arrêté du 12 janvier 2010 instituant un mécanisme d'obligation d'achat par la société EDF de l'électricité d'origine photovoltaïque à un prix supérieur à celui du marché et pour constater que cette illégalité est entièrement le résultat d'une faute procédurale de l'Etat qui n'a pas notifié ce mécanisme en violation de l'article 108, § 3, du Traité de fonctionnement de l'Union européenne, de juger au fond qu'elle a donc compétence pour statuer sur toutes les conséquences de ces constatations et pour déterminer le préjudice subi du fait de l'aide d'Etat non notifiée, ordonner la réparation intégrale du préjudice subi du fait de la faute de l'Etat outre les dommages et intérêts qui pourront être sollicités, le cas échéant ordonner la récupération de cette aide.
La société Yack énergie soutient que le conseiller de la mise en état a refusé d'appliquer de manière concrète le principe d'effectivité du droit de l'Union qui impose de ne pas rendre l'exercice des droits concernés excessivement difficile, que le renvoi au juge administratif rend excessivement difficiles la sauvegarde des droits des justiciables dont relève la plainte pour défaut de notification d'une aide d'Etat et le droit d'obtenir réparation intégrale du préjudice causé par un défaut de notification d'une aide d'Etat et que ce renvoi au juge administratif constitue un obstacle non nécessaire, compte tenu de la décision du Tribunal des conflits SCEA du Chéneau du 17 octobre 2011.
Elle fait valoir que la jurisprudence est bien établie en matière d'aide d'Etat non notifiée, que la difficulté dont est saisie la cour n'est pas sérieuse et ne justifie pas un renvoi au juge administratif et que le défaut de notification d'une aide d'Etat relève pour le juge national, en l'espèce pour la cour d'appel de Versailles, de la sauvegarde des droits des justiciables, toutes les conséquences de la violation de l'obligation de notification devant être tirées.
La société Yack énergie considère que les conditions d'engagement de la responsabilité de l'Etat pour des dommages causés aux particuliers par des violations du droit de l'Union qui lui sont imputables paraissent satisfaites tant à l'aune du principe d'effectivité qu'à l'aune des règles relatives à la notification des aides d'Etat, que le préjudice subi découle non d'une perte de chance mais de la faute de l'Etat qui n'a pas notifié l'arrêté du 12 janvier 2010 à la Commission européenne ni associé celle-ci à la promulgation de cet arrêté, que ce préjudice est constitué des dépenses engagées.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 30 mai 2024, la société Enedis demande à la cour de confirmer l'ordonnance d'incident et de condamner la société Yack énergie à lui verser la somme de 150.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'instance.
La société Enedis soutient que la décision du Tribunal des conflits du 17 octobre 2011 invoquée par la société Yack énergie n'est pas applicable dès lors qu'elle ne se prononce pas sur la compétence du juge judiciaire pour statuer sur une action en responsabilité dirigée contre l'Etat, qu'en l'espèce l'exception d'incompétence porte sur la compétence du juge judiciaire pour statuer non sur la légalité d'un acte administratif mais sur une action en responsabilité de l'Etat, qu'en outre la possibilité pour le juge national de statuer sur une demande d'indemnisation du dommage causé en raison de l'illégalité de l'aide d'Etat ne préjuge pas de la compétence du juge judiciaire pour statuer sur une telle demande formée contre l'Etat, que le juge judiciaire ne s'est ainsi jamais prononcé sur la responsabilité de l'Etat en raison de l'illégalité d'une aide d'Etat, que le juge administratif est seul compétent pour statuer sur une action en responsabilité de l'Etat sauf exception prévue par la loi, ce qui n'est pas le cas de l'action en responsabilité pour défaut de notification des aides d'Etat à la Commission européenne.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 24 mai 2024, la société Allianz global corporate & speciality (« société Allianz ») demande à la cour de confirmer l'ordonnance du conseiller de la mise en état, de confirmer que le juge judiciaire n'est pas compétent pour statuer sur la responsabilité de l'Etat français, de constater que l'affaire aurait dû être portée devant le tribunal administratif de Paris, en conséquence de déclarer la cour d'appel de Versailles incompétente pour statuer sur le litige et de débouter toutes demandes contraires au présent dispositif, en tout état de cause de condamner la société Yack énergie à lui régler la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
La société Allianz observe qu'il n'existe aucune jurisprudence « bien établie » ayant statué sur la responsabilité de l'Etat pour défaut de notification des arrêtés tarifaires litigieux à la Commission européenne et fait siennes les conclusions des sociétés Enedis et XL insurance company régularisées devant le conseiller de la mise en état.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 30 mai 2024, la société XL insurance company demande à la cour de confirmer l'ordonnance du conseiller de la mise en état en ce qu'elle a déclaré la juridiction judiciaire incompétente pour statuer sur l'action en responsabilité dirigée par la société Yack énergie contre le ministère au profit de la juridiction administrative, de rejeter les demandes de la société Yack énergie et de la condamner à lui verser la somme de 5.000 euros ainsi qu'aux dépens.
La société XL insurance company soutient qu'il découle du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires que le juge administratif est seul compétent pour statuer sur les actions en responsabilité dirigées à l'encontre de l'Etat, qu'en l'espèce, la société Yack énergie entend engager la responsabilité de l'Etat aux motifs qu'il aurait commis une faute en omettant de notifier les arrêtés tarifaires à la Commission européenne conformément aux articles 107 et 108 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et que ce litige relève de la compétence des juridictions administratives.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 9 juin 2024, l'Agent judiciaire de l'Etat demande à la cour d'infirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a déclaré irrecevables ses conclusions notifiées les 29 novembre et 13 décembre 2023, statuant à nouveau de ce seul chef de déclarer irrecevable l'assignation en intervention forcée délivrée par la société Yack énergie le 3 janvier 2023, et pour le surplus de confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a déclaré les juridictions judiciaires et donc la cour d'appel de Versailles incompétentes pour connaître de l'action en responsabilité dirigée contre lui par la société Yack énergie, en conséquence de débouter la société Yack énergie de l'intégralité de ses demandes dont elle a saisi la cour par la voie du déféré et de condamner la société Yack énergie aux dépens.
Il soutient que les juridictions administratives sont exclusivement compétentes pour connaître de l'action engagée par la société Yack énergie contre l'Etat, que c'est à tort que le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevables ses conclusions qui lui étaient spécialement adressées dès lors que l'article 910-1 du code de procédure civile s'applique aux seules conclusions adressées à la cour et qui déterminent l'objet du litige, qu'aucune disposition ne prévoit que les conclusions spécialement adressées au conseiller de la mise en état doivent être déposées dans un délai déterminé, sauf celles soulevant une exception de procédure, que le litige n'ayant pas connu d'évolution depuis le jugement dont appel et la situation respective des parties n'ayant pas été modifiée son intervention forcée en appel n'est pas recevable.
Compte tenu de la notification des conclusions de l'Etat, un jour ouvré avant les débats, les autres parties ont été autorisées à produire, avant le 2 juillet 2024, une note en délibéré afin de faire part de leurs observations sur ces conclusions.
La société Yack énergie a déposé une note par RPVA le 1er juillet 2024 aux termes de laquelle elle considère comme tardives, donc irrecevables, les conclusions de l'Etat du 9 juin 2024, et mal fondées ces mêmes conclusions, concluant ainsi à l'irrecevabilité des conclusions d'incident de l'Etat déposées les 23 novembre et 13 décembre 2023, en ce que l'Etat n'ayant pas conclu à l'irrégularité de l'assignation en intervention forcée, le dépôt de toutes conclusions après l'expiration du délai pour conclure lui était interdit et que ni l'article 123 ni l'article 555 ni l'article 789 du code de procédure civile n'ont vocation à s'appliquer en l'espèce.
SUR CE,
Sur les conclusions de l'Etat du 9 juin 2024 :
L'Etat a déposé et notifié ses conclusions propres au présent recours par RPVA le dimanche 9 juin 2024 en vue de l'audience prévue le 11 juin 2024. Les parties adverses ayant disposé d'un jour ouvré pour y répliquer et ayant été autorisées à produire une note en délibéré, il n'y a pas lieu de les écarter en raison de leur tardivité.
La cour relève que ces conclusions de l'Etat notifiées en réponse à la requête en déféré de la société Yack énergie sont par ailleurs recevables dès lors que les dispositions de l'article 910-1 du code de procédure civile ne leur sont pas applicables et qu'elles ne tendent pas seulement à voir statuer sur l'irrecevabilité de l'assignation en intervention forcée soulevée par l'Etat devant le conseiller de la mise en état puis la cour mais également à contester l'ordonnance du conseiller de la mise en état, déférée à la cour par l'appelante, ayant statué sur l'irrecevabilité de ses conclusions du 13 décembre 2023, soulevée d'office par le conseiller de la mise en état, et à la voir confirmée en ce qu'elle a statué sur l'exception d'incompétence, également soulevée d'office par le conseiller de la mise en état.
Mais l'Etat demande l'infirmation de l'ordonnance du conseiller de la mise en état en ce qu'elle a déclaré irrecevables ses conclusions notifiées les 29 novembre et 13 décembre 2023 alors que la société Yack énergie n'a pas déféré à la cour ce chef du dispositif de l'ordonnance dans sa requête du 8 février 2024 et que l'Etat n'a pas non plus déféré, dans les conditions prévues par l'article 916 du code de procédure civile, ladite ordonnance qui a statué sur une fin de non-recevoir, en déclarant irrecevables ses conclusions notifiées les 29 novembre et 13 décembre 2023, c'est-à-dire par requête remise au greffe dans les quinze jours de la date de l'ordonnance critiquée.
Il s'ensuit que la demande d'infirmation de l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 25 janvier 2024 formée par l'Etat par voie de conclusions notifiées le 9 juin 2024 n'est en toute hypothèse pas recevable.
Par suite, sa demande de voir déclarer irrecevable l'assignation en intervention forcée délivrée par la société Yack énergie est également irrecevable.
L'Etat demande par ailleurs la confirmation de l'ordonnance déférée en ce qu'elle a déclaré les juridictions judiciaires et donc la cour d'appel de Versailles incompétentes pour connaître de l'action en responsabilité dirigée contre lui par la société Yack énergie, le rejet des demandes de la société Yack énergie et sa condamnation aux dépens. Ces demandes tendant à voir statuer sur une exception d'incompétence qui n'a pas été soulevée par l'Etat mais d'office par le conseiller de la mise en état sont recevables.
Sur l'exception d'incompétence :
La société Yack énergie demande la condamnation in solidum de l'Etat et de la société Enedis en réparation de ses préjudices résultant, pour le premier, de son abstention de notifier les mesures d'aide prévues par la loi du 10 février 2000, en particulier des arrêtés du 10 juillet 2006 et du 12 janvier 2010 fixant le tarif de revente à la société EDF de l'électricité produite, et, pour la seconde, de la proposition d'un contrat illicite, de la participation à la mise en place de ce contrat et de la gestion du contrat, l'illicéité invoquée étant constituée de l'absence de notification à la Commission européenne de l'arrêté du 10 juillet 2006 fixant des tarifs d'achat de l'électricité à des montants tels qu'ils étaient susceptibles d'être qualifiés d'aide d'Etat au sens de l'article 107 du Traité de fonctionnement de l'Union européenne.
Si le Tribunal des conflits a admis que le juge judiciaire peut, dans certaines conditions, apprécier la légalité d'un acte administratif, tel que les arrêtés du 10 juillet 2006 et du 12 janvier 2010, et si le droit de l'Union impose au juge national de tirer toutes les conséquences de l'illicéité d'une aide d'Etat, ni le Tribunal des conflits ni le droit de l'Union ne permettent au juge judiciaire ou ne lui imposent de statuer sur la responsabilité de l'Etat et ce, même à raison de manquements à ses obligations prévues par le droit de l'Union et même si le préjudice dont l'indemnisation est demandée résulte de la mise en 'uvre d'un dispositif d'aide d'Etat illicite.
La séparation des ordres de juridiction ' en vertu de laquelle le juge administratif est seul compétent pour statuer sur une action en responsabilité de l'Etat, sauf dispositions légales désignant le juge judiciaire à cette fin, inexistantes en l'espèce, ou voie de fait, non invoquée devant le conseiller de la mise en état et la cour statuant à sa suite ' ne fait pas obstacle à l'effectivité du droit de l'Union, comme le soutient vainement la société Yack énergie, dès lors que les voies de recours au juge administratif et juridictions d'appel et de cassation sont ouvertes sans restriction et indépendamment d'une action en responsabilité engagée à l'encontre d'une autre personne relevant de la compétence du juge judiciaire, comme en l'espèce, et ce, quand bien même ce principe conduit le justiciable à saisir deux juridictions distinctes susceptibles de surcroît de porter une appréciation différente sur tout ou partie des faits qui leur sont soumis.
C'est donc à juste titre que le conseiller de la mise en état a considéré que si le juge judiciaire a le pouvoir d'apprécier la légalité des actes administratifs sans renvoi au juge administratif dès lors qu'il est saisi du litige au principal et en l'absence de contestation sérieuse, il ne dispose pas de la compétence pour statuer sur la responsabilité de l'Etat, sauf dans le cadre d'exceptions strictement encadrées par la loi et qui ne visent pas le cas du défaut de notification de l'aide d'Etat à la Commission européenne, qu'en application du principe d'effectivité, la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne et celle de la Cour de cassation imposent effectivement aux juridictions nationales d'appliquer le droit de l'Union, au besoin en laissant inappliquée toute disposition contraire, et ainsi de garantir aux justiciables qui sont en mesure de se prévaloir de la méconnaissance de l'obligation de notification de l'aide d'Etat, que toutes les conséquences en soient tirées sur le plan de la réparation du préjudice, et que toutefois cette action indemnitaire doit être menée conformément au droit national, soit en France devant le juge administratif.
Il s'ensuit que l'ordonnance critiquée sera confirmée en toutes ses dispositions déférées à la cour, sauf en ce qu'elle a ordonné la disjonction de l'instance engagée par la société Yack énergie à l'encontre du ministère de l'économie, des finances, de la souveraineté industrielle et numérique par assignation du 3 janvier 2023, cette instance étant éteinte par la déclaration d'incompétence.
La société Yack énergie succombant en sa requête sera condamnée aux dépens de l'incident et du déféré. L'ordonnance sera également confirmée en ce qu'elle l'a condamnée à payer la somme de 3.000 euros à la société Enedis au titre de l'article 700 du code de procédure civile. La cour déboutera toutes les parties de leur demande fondée sur ces mêmes dispositions au titre du déféré.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant dans les limites du déféré,
Déclare recevables les conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA par l'Etat le 9 juin 2024 ;
Déclare irrecevables la demande de l'Etat tendant à l'infirmation de l'ordonnance déférée en ce qu'elle a déclaré irrecevables ses conclusions notifiées les 29 novembre et 13 décembre 2023 et, subséquemment, sa demande de voir déclarer irrecevable l'assignation en intervention forcée délivrée par la société Yack énergie ;
Confirme l'ordonnance du 25 janvier 2024 en ses dispositions déférées à la cour, comprenant la condamnation de la société Yack énergie aux dépens de l'incident et au paiement de la somme de 3.000 euros à la société Enedis au titre de l'article 700 du code de procédure civile, sauf celle ordonnant la disjonction de l'instance engagée par la société Yack énergie à l'encontre du Ministère de l'économie, des finances, de la souveraineté industrielle et numérique par assignation du 3 janvier 2023 ;
Infirme par voie de retranchement la disposition de l'ordonnance du 25 janvier 2024 ordonnant la disjonction de l'instance engagée par la société Yack énergie à l'encontre du Ministère de l'économie, des finances, de la souveraineté industrielle et numérique par assignation du 3 janvier 2023 ;
Y ajoutant,
Condamne la société Yack énergie aux dépens du déféré ;
Déboute toutes les parties de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile au titre du déféré.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente, et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier La Présidente,