COUR D'APPEL D'ORLÉANS
CHAMBRE COMMERCIALE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE GROSSES + EXPÉDITIONS
SCP LAVAL-LUEGER
Me GARNIER
ARRÊT du : 11 OCTOBRE 2007
No RG : 07/01782
DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : Tribunal de Commerce de TOURS en date du 01 Juin 2007
PARTIES EN CAUSE
APPELANTE :
SA NEUF CEGETEL venant aux droits de la Société NEUF TELECOM agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège, 40-42 Quai du Point du Jour - 92100 BOULOGNE BILLANCOURT
représentée par Me Estelle GARNIER, avoué à la Cour
ayant pour avocat Me Stéphane COULAUX CMG & Associés, du barreau de PARIS
D'UNE PART
INTIMÉES :
SA VP INVESTISSEMENTS prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, Château de Mirandol - 37360 BEAUMONT LA RONCE
représentée par la SCP LAVAL-LUEGER, avoués à la Cour
ayant pour avocat la SCP ARCOLE - NAIL CHAS & ASSOCIES du barreau de TOURS
SAS CLINIQUE DU TROMEUR dite CLINIQUE DE L'IROISE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, "Le Tromeur" - 29820 BOHARS
représentée par la SCP LAVAL-LUEGER, avoués à la Cour
ayant pour avocat la SCP ARCOLE - NAIL CHAS & ASSOCIES du barreau de TOURS
SAS CLINIQUE SAINT DIDIER prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, 13 avenue du Commandant Mesnard - 49240 AVRILLE
représentée par la SCP LAVAL-LUEGER, avoués à la Cour
ayant pour avocat la SCP ARCOLE - NAIL CHAS & ASSOCIES du barreau de TOURS
SAS CLINIQUE DU GOLFE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, 22 rue de Limur - 56860 SENE
représentée par la SCP LAVAL-LUEGER, avoués à la Cour
ayant pour avocat la SCP ARCOLE - NAIL CHAS & ASSOCIES du barreau de TOURS
D'AUTRE PART
DÉCLARATION D'APPEL EN DATE DU 11 Juillet 2007
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats et du délibéré :
Monsieur Jean-Pierre REMERY, Président de Chambre,
Madame Odile MAGDELEINE, Conseiller,
Monsieur Alain GARNIER, Conseiller.
Greffier :
Madame Nadia FERNANDEZ, lors des débats et du prononcé de l'arrêt.
DÉBATS :
A l'audience publique du 27 Septembre 2007, à laquelle, sur rapport de Monsieur RÉMERY, Magistrat de la Mise en Etat, les avocats des parties ont été entendus en leurs plaidoiries.
ARRÊT :
Lecture de l'arrêt à l'audience publique du 11 Octobre 2007 par Monsieur le Président REMERY, en application des dispositions de l'article 452 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La Société VP INVESTISSEMENTS, maison-mère d'un groupe de cliniques, a conclu le 24 mars 2005 avec la Société NEUF TELECOM, aux droits de laquelle vient la Société NEUF CEGETEL, un contrat intitulé « 9 IPNET » consistant en la fourniture par le prestataire d'un service de transmission de données entre les différents sites du client connectés en permanence au réseau NEUF TELECOM. Invoquant les dysfonctionnements du système, la Société VP INVESTISSEMENTS a obtenu du juge des référés la désignation d'un expert, Monsieur A.... Au vu des constatations de l'expert, la Société VP INVESTISSEMENTS et ses trois filiales reliées au réseau, les sociétés Clinique du Tromeur, Clinique Saint Didier et Clinique du Golfe, ont assigné en référé la Société NEUF CEGETEL aux fins de la voir condamner à remettre en état de fonctionnement l'installation et à verser à chacune une provision de 20.000 Euros à valoir sur la réparation de leur préjudice. La Société NEUF CEGETEL a opposé l'incompétence territoriale de la juridiction saisie ainsi que l'irrecevabilité de l'action engagée par les trois cliniques.
Par ordonnance de référé du 1er juin 2007, le délégué du président du Tribunal de commerce de TOURS a rejeté l'exception d'incompétence et la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir des filiales, a ordonné sous astreinte à la Société NEUF CEGETEL de fiabiliser par tout moyen approprié le réseau installé et a condamné cette société à verser à la Société VP INVESTISSEMENTS et à ses trois filiales une provision de 20.000 Euros chacune outre une indemnité de procédure de 1.500 Euros.
La Société NEUF CEGETEL a relevé appel et demande à la Cour de se déclarer incompétente au profit de la Cour d'appel de VERSAILLES, eu égard à la clause contractuelle d'attribution de compétence, de juger irrecevable l'action engagée par les cliniques, tiers au contrat, et en toute hypothèse, de rejeter les demandes en raison de l'absence d'urgence et de dommage imminent et de l'existence d'une contestation sérieuse sur les obligations contractuelles alléguées et l'ampleur des préjudices.
De leur côté, les sociétés VP INVESTISSEMENTS, Clinique du Tromeur, Clinique Saint Didier et Clinique du Golfe concluent à la confirmation de l'ordonnance en toutes ses dispositions.
Pour l'exposé complet des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, qui seront analysés en même temps que leur discussion dans les motifs qui suivent, il est expressément renvoyé à la décision entreprise et aux dernières conclusions signifiées les 18 septembre 2007 (Société NEUF CEGETEL) et 21 septembre 2007 (sociétés VP INVESTISSEMENTS, Clinique du Tromeur, Clinique Saint Didier et Clinique du Golfe).
Par note conjointe du président et du greffier adressée la veille de la date du présent arrêt, les avoués des parties ont été également avisés que le prononcé de l'arrêt était avancé à cette date.
SUR QUOI
Sur la compétence du Tribunal de commerce de TOURS et la recevabilité de l'action des cliniques
Attendu que la Société NEUF CEGETEL se réfère à l'article 13 des conditions générales du contrat, intitulé « Droit applicable-règlement des litiges », selon lequel « en cas de différend entre les parties, né à l'occasion de l'interprétation ou de l'exécution d'un contrat de service, compétence exclusive sera attribuée au Tribunal de commerce de Nanterre, même en cas de référé, d'appel en garantie ou de pluralité de défendeurs » ;
Que, toutefois, en vertu de l'article 48 du Nouveau Code de Procédure Civile, toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu'elle n'ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu'elle n'ait été spécifiée de façon très apparente dans l'engagement de la partie à qui elle est opposée ; qu'en l'espèce, comme l'a relevé à juste titre le premier juge, l'article 13 du contrat est rédigé en caractères minuscules, voire peu lisibles comme l'ensemble des conditions générales et « noyé dans une page » sans élément distinctif permettant d'attirer l'attention du lecteur ; que la clause attributive de juridiction sera donc jugée non conforme aux exigences de l'article 48 précité ;
Qu'en outre, en application de l'article 46 du Nouveau Code de Procédure Civile, le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, la juridiction du lieu de l'exécution de la prestation de service ; qu'une partie de la prestation a été nécessairement effectuée au siège de la Société VP INVESTISSEMENTS à TOURS où se trouvent le centre de ses activités ainsi qu'une « prise premium 512 SDSL zône A » fournie par NEUF TELECOM, lui permettant de recevoir les données de ses filiales, de sorte que la société intimée avait la faculté d'assigner le prestataire devant le Tribunal de commerce de TOURS, cette juridiction étant celle du lieu de la prestation de services au sens du texte susvisé ;
Que, s'agissant des trois cliniques affiliées à la Société VP INVESTISSEMENTS, il sera d'abord observé que la société appelante ne pouvait ignorer leur existence puisqu'elles sont mentionnées comme « sites » dans le bulletin de souscription, peu important leur qualité de simples établissements ou de sociétés autonomes ; qu'au surplus, même si ces trois sociétés ne sont pas signataires de la convention conclue avec NEUF TELECOM, un tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage (Cass. Ass. Plén., 6 octobre 2006, Bull. Ass. Plén. No 9) ; que le dommage allégué s'est révélé, même partiellement, dans le ressort du tribunal de TOURS, puisque lors des désagréments constatés, les sites décentralisés ne peuvent plus communiquer ni échanger d'informations avec le serveur de la Société VP INVESTISSEMENTS situé à TOURS et, qu'en tout état de cause, par analogie avec les articles 42 et 101 du Nouveau Code de Procédure Civile, il était de l'intérêt d'une bonne justice de faire juger les affaires ensemble ; que le Tribunal de commerce de TOURS a donc retenu avec pertinence sa compétence ;
Sur les dysfonctionnements allégués
Attendu que l'expert, Monsieur A..., a conclu que la Société NEUF TELECOM était seule responsable des dysfonctionnements ; que la lecture attentive du rapport permet cependant de constater que l'expert, tout en ne cessant de polémiquer avec le Conseil de la Société NEUF CEGETEL, s'est obnubilé sur les routeurs, décrits par le prestataire comme de « simples matériels de communication de réseau informatique, équipements d'interconnexion de réseaux, permettant d'assurer le routage des informations, scindées en paquets, pour atteindre leur destination finale » ; que, comme l'indique le Conseil de la Société NEUF CEGETEL dans un dire à l'expert, l'objet des routeurs n'est pas d'assurer un contrôle, ceux-ci n'enregistrant pas les causes des dysfonctionnements, mais conservant en mémoire les volumes transmis et les mentions d'interruption avec l'arrêt puis la reprise de la connexion ; que l'expert incrimine le fait que les routeurs n'étaient pas tous de la même marque, qu'un technicien du prestataire lui a fourni une attestation erronée sur ces marques, que le journal électronique des routeurs a en partie été effacé et qu'on ne lui a pas communiqué les codes de ces routeurs, ce dont il déduit un manquement aux règles de l'art ; que ces éléments sont en réalité indifférents et la Cour retiendra que l'expert n'a lui même constaté aucun désordre, dans la mesure où il s'est abstenu, sous prétexte du protocole d'expertise défini par lui, et du souci de limiter les coûts, de se rendre sur au moins l'un des sites pour examiner les équipements de la clinique et apprécier la nature et le volume des données transférées et les éventuelles difficultés rencontrées par les opérateurs ;
Que selon une étude de la revue QUE CHOISIR produite par l'appelante, les problèmes de connexion Internet peuvent provenir du fournisseur d'accès, du propriétaire du réseau (France TELECOM), du matériel de communication, mais aussi des systèmes du client tant au niveau matériels que logiciels et systèmes d'exploitation ; que force est de relever que malgré l'ampleur du rapport (50 pages plus 236 pages d'annexes), l'expert n'a livré aucun diagnostic sérieux permettant à la juridiction de déterminer réellement les responsabilités encourues, et que ses préconisations se bornent à conseiller de recourir aux services d'un concurrent ou à « mener en parallèle deux protocoles de gestion », termes pour le moins sibyllins, de sorte que le rapport est pratiquement inexploitable ;
Attendu, en revanche, que les multiples lettres de réclamation adressées par les cliniques à la Société NEUF CEGETEL mettent en évidence les problèmes de coupure, et d'impossibilité de connexion rencontrés depuis 2005 et qui se sont poursuivis, après le changement de routeurs consécutif à l'ordonnance de référé, de juillet à septembre 2007, même si les sociétés intimées ont noté une très nette amélioration du fonctionnement des installations ;
Attendu, par ailleurs, que le contrat souscrit garantit un taux de disponibilité annuelle de 99,8 %, et que le manquement du débiteur à une obligation essentielle du contrat est de nature à faire échec à l'application de la clause limitative de réparation stipulée dans celui-ci et invoquée par la société appelante ;
Qu'il ressort d'un compte-rendu d'intervention effectuée le 28 juin 2007 par un technicien de NEUF CEGETEL auprès des cliniques du Golfe et Saint Didier que les clients font régulièrement des transferts de fichiers volumineux et qu'une « solution durable serait d'augmenter le débit des sites distants et aussi du site central, voire passer les sites distants en sdsl » ( c'est à dire « ligne d'abonné à débit symétrique » permettant l'échange de données à haut débit entre sites distants d'une même entreprise) ; que l'obligation du prestataire d'un service informatique complexe n'est pleinement exécutée qu'une fois réalisée la mise au point effective de la prestation et ce prestataire est tenu d'une obligation de renseignement et de conseil envers un client dépourvu de toute compétence en la matière ; que cette obligation s'étend à la préconisation du type d'abonnement adapté à la nature et au volume des données à échanger, même au prix d'un effort financier supplémentaire du client ; qu'à cet égard, il sera observé que les cliniques n'ont pas opté pour la « meilleure » solution, contrairement aux affirmations de l'expert qui s'est mépris sur le sens du terme anglais « upgrade » qui signifie nouvelle version d'un niveau supérieur, puisque par avenant du 4 avril 2005, elles sont simplement passées de la formule « prise Eco 512 » à la « prise standard 512 ADSL », alors qu'il existe également une formule « premium » et des « LS » (lignes spécialisées), outre le système « sdsl » précité ;
Qu'il résulte de ce qui précède que le président du tribunal de commerce était compétent, au titre de l'article 873 du Nouveau Code de Procédure Civile, pour prescrire les mesures de remise en état qui s'imposaient pour faire cesser le trouble subi par les sociétés intimées, sauf à réduire l'astreinte à 1.000 Euros par jour de retard, 30 jours après la signification du présent arrêt ;
Qu'en ce qui concerne la provision à valoir sur la réparation du préjudice souffert, l'expert a retenu que les ralentissements contrariaient les pauses du personnel et les réunions de synthèse, et engendraient des protestations du personnel et l'hostilité des directeurs des cliniques à toute fusion ; que de telles énumérations ne sont pas de nature à justifier la provision de 20.000 Euros allouée à chacune des quatre sociétés intimées ; que la Cour dispose des éléments suffisants pour ramener à 5.000 Euros la somme qui sera attribuée à chacune ;
Attendu que la Société NEUF CEGETEL supportera les dépens d'appel et versera, en outre, une indemnité de 2.000 Euros à chacune des intimées sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu en matière de référé et en dernier ressort ;
CONFIRME l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a ordonné à la Société NEUF CEGETEL de fiabiliser par tout moyen approprié le réseau installé dans le groupe de la Société VP INVESTISSEMENTS,
L'INFIRME quant à l'astreinte et dit que celle-ci ne courra qu'à compter du 31ème jour après la signification du présent arrêt et pour un montant de 1.000 euros par jour de retard;
L'INFIRME également quant au montant des provisions allouées ;
Et statuant à nouveau ;
CONDAMNE la Société NEUF CEGETEL à payer par provision la somme de 5.000 Euros à chacune des sociétés VP INVESTISSEMENTS, Clinique du Tromeur, Clinique Saint Didier et Clinique du Golfe ;
CONDAMNE la Société NEUF CEGETEL aux dépens d'appel et à verser la somme de 2.000 Euros à chacune des sociétés VP INVESTISSEMENTS, Clinique du Tromeur, Clinique Saint Didier et Clinique du Golfe au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Accorde à la SCP LAVAL-LUEGER, titulaire d'un Office d'Avoué, le droit reconnu par l'article 699 du même code ;
Et le présent arrêt a été signé par Monsieur REMERY, Président, et Madame FERNANDEZ, Greffier présent lors du prononcé.