COUR D'APPEL D'ORLÉANS
CHAMBRE des URGENCES et des PROCÉDURES d'EXÉCUTION
ARRÊT du : 30 AVRIL 2008
No RG : 07 / 03027
DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : Jugement du Tribunal Paritaire des Baux Ruraux de MONTARGIS en date du 22 Mai 2007
PARTIES EN CAUSE
APPELANTES :
Madame Micheline X... épouse Y... ...45220 CHATEAURENARD
Non comparante.
Représentée par la S. C. P. BERTRAND- RADISSON- BROSSAS avocats au barreau d'ORLÉANS
Madame Jeanne Y... épouse Z... ... 45140 ORMES
Comparante.
Assistée de la S. C. P. BERTRAND- RADISSON- BROSSAS avocats au barreau d'ORLÉANS
D'UNE PART
INTIMÉ :
Monsieur Alain A... ...45120 CORQUILLEROY
Non comparant.
Représenté par Maître Michel BARON avocat au barreau de MONTARGIS
D'AUTRE PART
DÉCLARATION D'APPEL EN DATE DU 6 Juin 2007
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats, à l'audience publique du 4 MARS 2008, Madame Marie- Brigitte NOLLET, Conseiller, a entendu les avocats des parties, avec leur accord, par application des articles 786 et 910 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
Lors du délibéré :
Monsieur Alain RAFFEJEAUD, Président de Chambre,
Madame Odile MAGDELEINE, Conseiller
Madame Marie- Brigitte NOLLET, Conseiller, Rapporteur, qui en a rendu compte à la collégialité.
Greffier :
Mademoiselle Nathalie MAGNIER faisant fonction de Greffier.
ARRÊT :
Prononcé publiquement le 30 AVRIL 2008 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
Suivant acte notarié du 6 décembre 1989, Micheline Y... a donné à bail à Alain A... un ensemble de terres sises à CEPOY et CORQUILLEROY (45), d'une superficie totale de 43 ha 82 a 6 ca, pour une durée de 18 ans expirant le 31 octobre 2007.
Par acte d'huissier du 21 avril 2006, Micheline Y..., agissant en qualité d'usufruitière, et Jeanne Z... née Y..., sa fille, agissant en qualité de nue- propriétaire, ont délivré à Alain A... un congé aux fins de reprise de ces terres au profit de Michel Z... et de Jeanne Y..., son épouse.
Alain A... a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de MONTARGIS d'une demande d'annulation de ce congé et de renouvellement du bail à son profit.
Par jugement du 22 mai 2007, le tribunal, faisant droit à sa demande, a annulé le congé litigieux, a condamné Micheline Y... et Jeanne Z... à payer à Alain A... une indemnité de procédure de 400 € et a condamné les intéressées aux dépens.
Micheline Y... et Jeanne Z... ont interjeté appel de ce jugement. Les parties ont été régulièrement convoquées devant la cour pour l'audience du 4 mars 2008, à laquelle elles ont comparu par leurs conseils respectifs.
A cette audience, les appelantes ont soutenu oralement leurs conclusions écrites déposées le 3 mars 2008, aux termes desquelles elles poursuivent l'infirmation du jugement entrepris et demandent à la cour, statuant à nouveau, de :- valider le congé,- débouter Alain A... de ses demandes,- le condamner au paiement d'une indemnité de procédure de 1. 500 euros,- le condamner aux dépens.
Elles font valoir que le congé a été valablement délivré, au regard des dispositions de l'article L. 411-58 du code rural, par Micheline Y..., usufruitière, et par Jeanne Z..., nue-propriétaire, aux fins de reprise par cette dernière pour exploiter elle- même et pour faire exploiter son conjoint, et que, même s'il était considéré que, seule, l'usufruitière avait qualité pour délivrer congé, il doit être constaté que Jeanne Z... était désignée comme bénéficiaire de la reprise, qualité à laquelle elle pouvait indiscutablement prétendre en vertu des dispositions légales, de sorte que la mention du nom de son époux comme premier bénéficiaire constituait tout au plus une inexactitude, insusceptible d'induire en erreur le locataire.
Micheline Y... et Jeanne Z... allèguent que, compte tenu de l'évolution des conditions d'exercice de l'activité agricole, la circonstance que les terres litigieuses soient situées à plus de 85 km du domicile des époux Z... ne constitue pas un obstacle à la reprise, étant au surplus souligné qu'ils sont en train de faire édifier une maison d'habitation à proximité desdites terres, que les superficies respectives des exploitations d'Alain A... et des époux Z... / Y... démontrent que, par emploi plein temps, le premier dispose d'une surface de 136 ha 77 a, tandis que les seconds ne disposent que de 114 ha 10 a, que l'exploitation de ces derniers va subir prochainement plusieurs expropriations qui vont amputer sa surface et que la reprise permettra de pérenniser cette exploitation, qui pourra alors intégrer un troisième associé, sans pour autant compromettre l'exploitation de l'intimé.
Elles soutiennent qu'à la date du congé (1er novembre 2007), date à laquelle doivent s'apprécier les conditions d'aptitude à la reprise par le bénéficiaire, la mise en valeur des terres dont s'agit par les époux Z... / Y... n'était plus soumise à autorisation d'exploiter, mais à simple déclaration préalable, s'agissant en l'occurrence d'un bien agricole reçu par donation d'un parent, visé par l'article 14 de la loi d'orientation agricole du 5 janvier 2006, dont les conditions d'application se trouvent réunies.
Par conclusions écrites déposées le 22 janvier 2008, soutenues oralement à l'audience, Alain A... demande à la cour de rejeter l'appel de Micheline Y... et Jeanne Z..., de condamner ces dernières à lui verser une somme de 2. 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et de les condamner aux dépens.
Il allègue que, lorsque la propriété est démembrée, la qualité de bailleur appartient au seul usufruitier, qui, seul, peut exercer le droit de reprise, que l'intervention du nu- propriétaire au congé est sans conséquence et sans portée, celui- ci ne disposant d'aucun droit de reprise, qu'en l'espèce, le congé n'a donc été valablement délivré que par madame Micheline Y..., que Michel Z..., gendre de cette dernière, désigné comme premier bénéficiaire du congé, n'avait aucune qualité pour bénéficier de la reprise, ce qui suffit à entraîner la nullité du congé, que, contrairement à ce que soutiennent aujourd'hui les appelantes, la désignation de l'intéressé ne procède pas d'une simple inexactitude et que, en tout état de cause, à supposer que cela fût le cas, elle aurait été de nature à induire en erreur le locataire sur les conditions réelles de la reprise, ce qui justifierait également l'annulation du congé.
Alain A... fait valoir que l'éloignement du domicile des bénéficiaires est incompatible avec l'obligation qui leur est faite d'habiter sur place ou à proximité, que les indications fournies par les appelantes quant aux conditions d'exercice de la reprise (exploitation des terres par L'EARL " Ferme d'Ormes ", intégration d'une 3e associée) démontrent qu'elles entendent modifier les modalités de reprise annoncées dans le congé, ce qui nécessiterait la délivrance d'un nouveau congé et ne peut servir de fondement à la validation du congé litigieux.
L'intimé soutient que l'opération en cause est soumise à autorisation préalable d'exploiter, que la demande d'autorisation déposée par les époux Z... au nom de L'EARL " Ferme d'Ormes " été rejetée par arrêté préfectoral du 5 juillet 2006, que, dès lors que les intéressés entendent exploiter dans le cadre de cette société, ce qui est acquis aux débats, ils ne peuvent se prévaloir des dispositions de la loi du 5 janvier 2006 relatives aux opérations portant sur les biens de famille et que ces dispositions ne s'appliquent, en tout état de cause, qu'aux biens libres de toute location, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, puisque, tant que le congé n'est pas validé, le bien n'est pas libre d'occupation.
SUR CE, LA COUR :
Attendu qu'en vertu des dispositions de l'article L. 411-58 du code rural, le bailleur peut refuser le renouvellement du bail, s'il veut reprendre le bien loué pour lui- même, ou au profit du conjoint, d'un descendant majeur ou mineur émancipé ;
Attendu que le titulaire de ce droit de reprise est le bailleur, lequel, en principe, est le propriétaire du fonds ; Que, en cas, comme en l'espèce, de démembrement de la propriété, le droit de reprise appartient au seul usufruitier, qui l'exerce soit pour lui- même ou son conjoint, soit pour l'un de ses descendants ; Que ce droit n'appartient pas au nu- propriétaire, dont l'intervention au congé n'est pas exigée et se trouve dépourvue de toute portée juridique si elle est réalisée ; Que, en l'espèce, seule Micheline Y... avait donc qualité pour donner congé, à l'exclusion de Jeanne Z... ;
Attendu que la reprise " au profit du conjoint " vise exclusivement le conjoint du bailleur, et non le conjoint de l'un des bénéficiaires ;
Attendu qu'il résulte de ce qui précède que Michel Z... n'avait aucun droit à bénéficier de la reprise, ni du fait de Micheline Y..., dont il n'était que le gendre, ni du fait de son épouse, laquelle n'avait pas, à titre personnel, pouvoir pour exercer le droit de reprise au profit de son conjoint ;
Attendu que, tel qu'il a été délivré, le congé l'a été au profit de deux bénéficiaires désignés comme devant exploiter conjointement les terres, alors que l'un d'entre eux ne pouvait bénéficier de la reprise et que le congé ne pouvait valablement être délivré qu'au profit du second ; Que l'article L. 411-48 du code rural interdit, sauf cas de force majeure, de substituer aucun bénéficiaire à celui ou ceux désignés au congé ; Que, dès lors, le congé délivré au profit des époux Z... / Y..., présentés comme devant exploiter conjointement les biens repris, ne peut être validé au profit d'un seul d'entre eux ;
Attendu, au surplus, qu'en cas de congé pour reprise, l'acte doit, conformément aux dispositions de l'article L. 411-47 du code rural, mentionner, notamment, les nom, prénom, âge, domicile et profession du bénéficiaire, ce à peine de nullité sauf si l'omission ou l'inexactitude constatée ne sont pas de nature à induire le preneur en erreur ;
Que la désignation, sans aucune ambiguïté, au congé, de Michel Z... comme premier bénéficiaire de la reprise, alors même que ce dernier était sans aucun droit à obtenir un tel bénéfice, était de nature à induire Alain A... en erreur sur l'identité et la qualité du véritable bénéficiaire de la reprise ;
Attendu que c'est, en conséquence, à bon droit que le premier juge a prononcé la nullité du congé litigieux ; Que le jugement mérite d'être confirmé ;
Attendu que les appelantes, qui succombent, supporteront les dépens, ainsi que le paiement d'une indemnité de procédure de 1. 500 € ;
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
Y AJOUTANT,
CONDAMNE Micheline Y... et Jeanne Z... à payer à Alain A... la somme de MILLE CINQ CENTS EUROS (1. 500 €), sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
CONDAMNE Micheline Y... et Jeanne Z... aux dépens.
Arrêt signé par Monsieur Alain RAFFEJEAUD, président, et Mademoiselle Nathalie MAGNIER, faisant fonction de greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.