COUR D'APPEL D'ORLÉANS
CHAMBRE SOCIALE
Prud'Hommes
GROSSES le 26 JUIN 2008 à
Me Véronique HERMELIN
la SCP MICHEL-FREY MICHEL-BAUER-BERNA
COPIES le 26 JUIN 2008 à
Jacques X...
S.A. MONSIEUR BRICOLAGE
ARRÊT du : 26 JUIN 2008
MINUTE No : - No RG : 07/01348
DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : CONSEIL DE PRUD'HOMMES D'ORLEANS en date du 27 Avril 2005 - Section : ENCADREMENT
ENTRE
APPELANT :
•Monsieur Jacques X..., demeurant ...
représenté par Me Véronique HERMELIN, avocat au barreau d'ORLEANS
ET
INTIMÉE :
•La Société Anonyme MONSIEUR BRICOLAGE, dont le siège social est 1 Rue Montaigne - 45380 LA CHAPELLE SAINT MESMIN, agissant poursuites et diligences de son Président Directeur Général domicilié en cette qualité audit siège.
représentée par la SCP MICHEL-FREY MICHEL-BAUER-BERNA, avocats au barreau de NANCY substituée par Me Camille Y..., avocat au barreau de PARIS
Après débats et audition des parties à l'audience publique du 29 Mai 2008
LA COUR COMPOSÉE DE :
•Monsieur Daniel VELLY, Président de Chambre
•Monsieur Pierre LEBRUN, Conseiller
•Madame Catherine PAFFENHOFF, Conseiller
Assistés lors des débats de Madame Geneviève JAMAIN, Greffier,
Puis ces mêmes magistrats en ont délibéré dans la même formation et à l'audience publique du 26 Juin 2008, Monsieur Daniel VELLY, Président de Chambre, assisté de Madame Geneviève JAMAIN, Greffier, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :
RÉSUMÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Monsieur Jacques X... a saisi le Conseil de Prud'hommes d'ORLEANS de diverses demandes à l'encontre de la SA MONSIEUR Z..., pour le détail desquelles il est renvoyé au jugement du 27 avril 2005, la Cour se référant également à cette décision pour l'exposé de la demande reconventionnelle et des moyens initiaux.
Il a été débouté et condamné à payer 100 euros en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Le jugement a été notifié le 17 mai 2005.
Il en a fait appel le 9 juin 2005.
DEMANDES ET MOYENS DES PARTIES
Il demande :
•66 550,08 euros de dommages et intérêts pour licenciement abusif ;
•12,80 euros de rappel de prime de fin d'année proratisée en 2003 ;
•188,44 euros de rappel de préavis ;
•18,84 euros de congés payés afférents ;
•un bulletin de salaire, un certificat de travail et une attestation ASSEDIC rectifiés sous astreinte de 50 euros par jour ;
•la nullité de la clause de non concurrence ;
•3 500 euros en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Il reprend, pour l'essentiel, son argumentation initiale, telle que résumée au jugement, et critique la motivation de celui-ci.
La Société demande que l'indemnisation de ses frais irrépétibles soit portée à 2 000 euros.
Elle reprend elle aussi, pour l'essentiel, son argumentation initiale, telle que résumée au jugement, et approuve la motivation de celui-ci.
La Cour a ordonné la réouverture des débats à l'audience du mardi 18 décembre 2007 à 14 heures pour que les parties présentent leurs éventuelles observations sur le moyen suivant, soulevé d'office.
Selon la jurisprudence de la Cour de Cassation (ex : arrêt du 18/01/2006), l'employeur qui se place sur le terrain disciplinaire ne peut ensuite licencier pour insuffisance professionnelle, celle-ci n'étant pas fautive.
En l'espèce :
- la convocation à l'entretien préalable indique que la Société envisage un licenciement "pour faute" et confirme la mise à pied conservatoire ;
- la lettre de licenciement semble motivée par une insuffisance professionnelle.
Le licenciement serait de ce fait infondé.
La Société estime que ce moyen ne peut être retenu et réclame 1.500 euros supplémentaires en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Elle expose que, par ses arrêts des 16 janvier et 30 octobre 2007, la Chambre Sociale a décidé exactement le contraire de ce qu'elle avait énoncé le 18 janvier 2006, et que désormais la mise à pied conservatoire est sans effet sur la nature disciplinaire du licenciement, seul le motif exposé dans la lettre de rupture devant être pris en compte.
Elle ajoute que l'employeur, qui a mis à pied pour des faits disciplinaires, peut invoquer dans la lettre de rupture des faits différents, et que la présente affaire se présente exactement dans les mêmes termes que celle ayant donné lieu à l'arrêt du 30 octobre 2007, puisque, dans la lettre de licenciement, elle a invoqué deux séries de faits :
- des faits fautifs : négligences et désintérêt pour ses tâches ;
- une non atteinte des objectifs.
Après avoir analysé l'évolution de la jurisprudence, Monsieur X... estime que la Société, après s'être placée sur un terrain disciplinaire, l'a licencié pour des faits qui ne sont pas distincts et qui constituent, selon la lettre de rupture, une insuffisance professionnelle.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Eu égard aux dates ci-dessus, l'appel est recevable.
Le licenciement
Lorsque le salarié est mis à pied à titre conservatoire en raison de la gravité des faits qui lui sont reprochés, l'employeur s'est nécessairement placé sur le terrain disciplinaire.
Toutefois, il peut invoquer, dans la lettre de licenciement, des motifs différents de rupture, dès lors qu'ils procèdent de faits distincts.
Il peut ainsi se fonder :
•sur des faits fautifs, ceux qui ont motivé la mise à pied conservatoire ;
•et sur une insuffisance professionnelle,
en étayant celle-ci par des faits objectifs distincts des faits fautifs.
En ce cas, il n'a pas quitté le terrain disciplinaire initialement choisi, se bornant à ajouter un deuxième motif non disciplinaire.
En revanche, il ne peut se borner à faire état d'une insuffisance professionnelle, qui n'a pas de caractère disciplinaire.
Comme son nom l'indique, l'activité de la Société est la vente d'articles de bricolage et de jardinage.
Elle a engagé Monsieur X..., le 2 mai 2001, comme Acheteur Décoration, statut Cadre.
Le 15 mars 2002, il est devenu Chef de produit outillage.
Le 9 janvier 2003, il est convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement « pour fautes ».
Il est précisé que « Compte tenu de la gravité des faits reprochés, nous vous confirmons par la présente lettre la mise à pied conservatoire notifiée verbalement ce jour 9 janvier 2003 à 16 heures pendant toute la durée de la procédure. »
Le 20 janvier 2003, il est licencié, dans les termes suivants :
« Dans les fonctions qui vous incombent de Chef de Produits, il vous appartenait de négocier à l'instar de vos collègues en charge des achats de produits pour les autres rayons, avec les fournisseurs attachés à votre activité, les remises et ristournes annuelles, et en l'occurrence, courant décembre, celles pour l'année 2003.
Force nous a été de constater que les objectifs de rentabilité qui vous avaient été fixés dans le cadre de ces négociations ont été négligés par vous, au point qu'il a fallu après avoir constaté les résultats de vos entrevues d'arrêter ceux-ci pour éviter que la dégradation des conditions négociées par vous avec les fournisseurs ne soit encore plus catastrophique.
En effet, pour 2003, l'état des négociations, avec 73 % des contrats signés par vos soins, arrêté au 9 janvier 2003 laissait apparaître une rentabilité, par rapport au chiffre des achats pour 2003 pour les achats à votre charge, situé au huitième et dernier rang, en dessous, de surcroît, des objectifs fixés.
Le rayon dont vous avez la charge se situait pourtant au troisième rang sur huit quant au taux de rentabilité par rapport au chiffre des achats pour l'année 2002.
Au demeurant, sur 32 contrats fournisseurs signés par vous sur les 44 affectés, la Direction Produits et Flux a été conduite à en rejeter 25 qui n'ont pu être validés pour résultats inférieurs aux objectifs qui vous étaient fixés et qui étaient pourtant de la même ampleur que ceux de vos collègues.
Nous avons également constaté et cela vous a été confirmé lors de l'entretien préalable qu'avec un fournisseur important en terme de chiffre d'achat et de rentabilité, vous avez négocié une ristourne de progression de CA de 0,75 % du CA en contrepartie de l'augmentation du CA pour 2003 par rapport à 2002 de 15 %.
Or nous observons que le chiffre d'achat annuel pour 2003 que vous avez validé avec ce même fournisseur laisse apparaître une hausse inférieure à 15 %, ce qui revient à dire que vous avez négocié une remise que la Société a toutes les chances de ne pas obtenir.
Au cours de l'entretien, vous nous avez indiqué que deux fournisseurs, pour lesquels la négociation n ‘était pas encore avancée, étaient susceptibles de modifier la tendance négative de rentabilité constatée.
En ce qui concerne nos négociations, après vérification, il s'avère que la prise en compte des achats effectifs avec ces fournisseurs, assortit d'un taux de rentabilité 2003 le plus favorable possible, entraîne en tout état de cause une non atteinte des objectifs minimum fixés.
Ces situations et vos positions dans la négociation avec les fournisseurs qui vous ont été confiées démontre pour le moins des insuffisances, des négligences et un désintérêt manifeste dans les tâches qui vous incombent et ne permet plus aujourd'hui de vous maintenir à votre poste et de poursuivre votre contrat de travail dans notre Société.»
Il s'agit donc d'une insuffisance professionnelle, les négociations avec les fournisseurs ne respectant pas les objectifs de rentabilité fixés.
Il n'est fait état d'aucun fait fautif ; les négligences et le désintérêt ne sont que des éléments destinés à étayer l'insuffisance des résultats. En tout état de cause, il ne s'agit pas de faits distincts.
En conclusion, la Société, après s'être placée sur le terrain disciplinaire en le mettant à pied à titre conservatoire en raison de la gravité des faits reprochés, ne pouvait le licencier en qualifiant ces faits d'insuffisance professionnelle, sans faire état de faits fautifs distincts.
De ce seul fait, et sans qu'il y ait lieu d'aborder le fond, le licenciement est abusif.
L'indemnisation est fonction du préjudice, Monsieur X... ayant moins de deux ans d'ancienneté.
Il justifie être resté au chômage, sans discontinuer, jusqu'au 31 mai 2004.
Son préjudice matériel et moral sera évalué à 32.000 euros.
Les autres demandes.
L'article 641 du Code de Procédure Civile, selon lequel le délai exprimé en mois expire le jour du dernier mois qui porte le même quantième que le jour de la notification qui fait courir le délai ne s'applique que « lorsqu'un acte ou une formalité doit être accompli avant l'expiration d'un délai », et est donc inapplicable au calcul du délai de préavis.
Le délai se calcule donc en nombre de jours calendaires, et, la lettre recommandée avec avis de réception de notification du licenciement ayant été présentée à Monsieur X... le 22 janvier 2003, son préavis de trois mois s'achevait le 21 avril 2003 à minuit.
Les demandes qui découlent d'une expiration le 22 avril 2003 sont infondées.
Le seul octroi de dommages et intérêts n'entraîne pas une rectification des documents.
Si la Société a levé la clause de non concurrence par courrier du 5 mars 2003, Monsieur X... garde un intérêt, au moins moral, à en obtenir l'annulation ; il convient de faire droit à cette demande, la clause n'étant pas assortie d'une contrepartie financière.
Il est inéquitable que Monsieur X..., dont la principale demande est bien fondée, supporte ses frais irrépétibles. Compte tenu d'une audience supplémentaire pour la réouverture des débats, il lui sera alloué 2.200 euros.
La Société supportera les dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,
DÉCLARE l'appel recevable ;
CONFIRME le jugement sur le rejet des rappels découlant d'une expiration du préavis le 22 avril 2003, et de la remise des documents en découlant ;
L'INFIRMANT pour le surplus, et STATUANT à nouveau,
CONDAMNE la SA MONSIEUR Z... à payer à Monsieur Jacques X... :
32.000 euros de dommages et intérêts pour licenciement abusif ;
2.200 euros en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
Y AJOUTANT, ANNULE la clause de non concurrence ;
CONDAMNE la SA MONSIEUR Z... aux dépens de première instance et d'appel.
Et le présent arrêt a été signé par le Président de Chambre et par le Greffier
Geneviève JAMAIN
Daniel VELLY