DOSSIER N 07 / 00804
ARRÊT DU 30 JUIN 2008
YR- No 2008 / 00
COUR D'APPEL D'ORLEANS
Prononcé publiquement le LUNDI 30 JUIN 2008, par la 6ème Chambre des Appels Correctionnels, section 1.
Sur appel d'un jugement du Tribunal correctionnel de BLOIS du 17 OCTOBRE 2007.
PARTIES EN CAUSE DEVANT LA COUR :
X... Marie- Anne Madeleine
née le 29 Mars 1961 à ROMORANTIN, LOIR ET CHER (041)
Fille de X... ROGER et de Z... Nicole
Professeur
Mariée
De nationalité française
Jamais condamnée
Demeurant ...
Prévenue, appelante, intimée
Comparante
Assistée de Maître DUPLANTIER Gaëlle, avocat au barreau d'ORLEANS de la Selarl DUPLANTIER, JEVTIC, MALLET- GIRY, ROUICHI
Y... Zakeia Elsa
née le 24 Novembre 1945 à BLOIS, LOIR ET CHER (041)
Fille de Y... Ahmad et de C... Jacqueline
Retraitée
De nationalité française
Jamais condamnée
Demeurant ...
Prévenue, appelante, intimée
Comparante
Assistée de Maître DUPLANTIER Gaëlle, avocat au barreau d'ORLEANS
de la Selarl DUPLANTIER, JEVTIC, MALLET- GIRY, ROUICHI
LE MINISTERE PUBLIC
Appelant,
D... Christine, demeurant ...
Partie civile, intimée
Non comparante
Représentée par Maître MIZZI, avocat au barreau de BLOIS, substituant Maître CHEVALLIER Frédéric, avocat au barreau de BLOIS
COMPOSITION DE LA COUR,
lors des débats, du délibéré et au prononcé de l'arrêt,
Président : Monsieur ROUSSEL, Conseiller faisant fonction de Président de Chambre
Conseillers : Madame PAUCOT- BILGER,
Madame RAIMBAUD- WINTHERLIG,
GREFFIER :
lors des débats et au prononcé de l'arrêt Madame Evelyne PEIGNE
MINISTÈRE PUBLIC :
représenté aux débats et au prononcé de l'arrêt par Madame GAYET, Avocat Général
RAPPEL DE LA PROCÉDURE :
LE JUGEMENT :
Le Tribunal correctionnel de BLOIS, par jugement contradictoire
SUR L'ACTION PUBLIQUE :
- a déclaré X... Marie- Anne Madeleine
coupable d'OUTRAGE A UNE PERSONNE DEPOSITAIRE DE L'AUTORITE PUBLIQUE, le 04 / 04 / 2006, à BLOIS 41, NATINF 007886, infraction prévue par l'article 433- 5 AL. 1, AL. 2 du Code pénal et réprimée par les articles 433- 5 AL. 2, 433- 22 du Code pénal
- a déclaré Y... Zakeia Elsa
coupable d'OUTRAGE A UNE PERSONNE DEPOSITAIRE DE L'AUTORITE PUBLIQUE, le 04 / 04 / 2006, à BLOIS 41, NATINF 007886, infraction prévue par l'article 433- 5 AL. 1, AL. 2 du Code pénal et réprimée par les articles 433- 5 AL. 2, 433- 22 du Code pénal
et, en application de ces articles, a condamné
X... Marie- Anne Madeleine à la peine de 400 euros avec sursis ;
Y... Zakeia Elsa à la peine de 400 euros avec sursis ;
SUR L'ACTION CIVILE :
a reçu Madame D... Christine en sa constitution de partie civile ;
a déclaré Mesdames X... Marie- Anne et Y... Zakeia solidairement responsables du préjudice subi par Madame D... Christine ;
a condamné Mesdames X... Marie- Anne et Y... Zakeia à payer à Madame D... Christine la somme de 1 euro à titre de dommages- intérêts ;
a condamné les prévenues au coût de l'action civile.
LES APPELS :
Appel a été interjeté par :
Madame X... Marie- Anne, le 18 Octobre 2007, son appel portant tant sur les dispositions pénales que civiles
Madame Y... Zakeia, le 18 Octobre 2007, son appel portant tant sur les dispositions pénales que civiles
M. le Procureur de la République, le 18 Octobre 2007 contre Madame X... Marie- Anne, Madame Y... Zakeia
DÉROULEMENT DES DÉBATS :
A l'audience publique du 21 AVRIL 2008
Ont été entendus :
Madame PAUCOT- BILGER en son rapport.
X... Marie- Anne et Y... Zakeia en leurs explications.
Maître MIZZI, substituant Maître CHEVALLIER Frédéric, Avocat de la partie civile en sa plaidoirie,
Le Ministère Public en ses réquisitions.
Maître DUPLANTIER Gaëlle, Avocat des prévenues en sa plaidoirie
X... Marie- Anne et Y... Zakeia à nouveau ont eu la parole en dernier.
Le Président a ensuite déclaré que l'arrêt serait prononcé le 2JUIN 2008, à cette date, le délibéré a été prorogé au 30 juin 2008.
DÉCISION :
Mme Christine D..., fonctionnaire de police affectée au service des Renseignements généraux à Blois a déposé plainte pour outrage le 4 avril 2006, les faits s'étant produits au cours d'une manifestation de lycéens.
Elle a été exposé qu'elle se trouvait sur la place de la mairie à Blois et qu'elle interrogeait un lycéen sur les intentions ultérieures des manifestants lorsque Mme Marie- Anne X... et Mme Elsa Y... sont intervenues.
Elle a ainsi décrit la scène : « (elles lui ont signalé) qu'il ne fallait pas communiquer avec moi « police politique ». Elles lui précisaient que c'était grâce à des gens comme moi que la rafle du Vel'd'Hiv'avait été possible et que sans nos fichiers de Juifs, l'occupation allemande n'aurait pas eu les mêmes conséquences. Je précise que ces deux personnes ne se sont pas jamais adressées à moi directement mais qu'elles ont parlé suffisamment fort pour que je les entende. J'ajoute que ces personnes connaissent ma profession. Je les connais également comme membres de la Ligue Communiste Révolutionnaire du Loir- et- Cher. J'ai protesté et elles m'ont indiqué toutes les deux qu'elles n'étaient pas dupes et que rien n'avait changé dans l'état d'esprit de la « police politique ».
Devant la cour les prévenues font valoir qu'elles sont au contact des lycéens en raison de leur fonction d'enseignante ; que leur intention n'était nullement d'outrager la plaignante mais de faire valoir auprès du lycéen qui se trouvait à côté de cette dernière que celle- ci avait une activité dans la « police politique » ce qui est factuellement vrai ; que cette affirmation a débouché ultérieurement sur des explications données au lycéen sur le rôle de la police sous le régime de Vichy, pendant l'occupation, et en particulier sur la responsabilité du service de police des Renseignements généraux qui avait constitué un fichier de juifs, ce qui a facilité les rafles et la déportation.
Elles considèrent qu'il s'est seulement agi pour elles de prendre position dans un contexte pédagogique sur une question de nature historique, alors qu'il est un fait incontestable que les services de police ont été placés sous la coupe du régime de collaboration du maréchal Pétain et ont aidé à la rafle du Vel'd'Hiv'.
Cité en qualité de témoin en raison de sa qualité d'historien, M. Maurice K... a confirmé qu'il en avait bien été ainsi que l'affirmaient les prévenues quant au rôle joué par le service des Renseignements généraux dont les fichiers ont permis la rafle et la déportation de juifs vers les camps d'extermination.
Le conseil de la partie civile fait valoir que les propos incriminés n'ont pas été tenus dans un cadre pédagogique, s'agissant d'une manifestation de lycéens contre une décision du gouvernement concernant la création d'un contrat de travail dit de première embauche et que Mme D... sans remettre en cause les responsabilités des uns ou des autres dans les tragédies de l'histoire est néanmoins fondée à exiger le respect pour sa personne et pour sa fonction.
Elle sollicite, symboliquement, la somme d'un euro à titre de dommages- intérêts.
Considérant qu'il s'est agi pour les prévenues de faire un parallèle indu entre l'action licite du fonctionnaire de police et la rafle du Vel'd'Hiv'et que les propos tenus en public par deux éducateurs ont eu un caractère manifestement outrageant, le ministère public requiert la confirmation du jugement entrepris.
Pour les deux prévenues, leur conseil insiste sur le caractère historiquement vrai de la collaboration policière dans la déportation des juifs, sur le fait que ceci a été reconnu il y a quelques années par le président de la République et sur le fait que les intéressés ne doivent pas être sanctionnées pénalement pour avoir manifesté leur avis sur la question.
SUR CE, LA COUR,
Régulièrement formés les appels sont recevables.
Les paroles adressées à une personne dépositaire de l'autorité publique, dans l'exercice de sa mission et de nature à porter atteinte à sa dignité ou au respect du à la fonction dont elle est investie constituent un outrage.
En l'espèce, les paroles concernées ont été prononcées à l'égard d'une fonctionnaire de police agissant dans l'exercice de ses fonctions, mais celles- ci n'ont pas été directement adressées par les prévenues à la plaignante, alors même que celle- ci les a entendues.
Il est vrai cependant que les outrages indirects sont punis par la loi, mais encore faut- il qu'il résulte des circonstances la preuve formelle que l'auteur de l'outrage a eu la volonté d'en faire parvenir la teneur à la personne concernée.
Or, en l'espèce cette preuve fait défaut dès lors que les propos considérés ont été prononcés dans le contexte tumultueux d'une manifestation par essence bruyante et alors que les prévenues cherchaient à empêcher la communication entre la fonctionnaire de police enquêtant sur les intentions futures des manifestants et le lycéen interrogé, ceci en raison d'un positionnement politique personnel dont elles ne doivent aucun compte pénalement.
Il ne peut donc se déduire de la manière dont le jeune homme a été apostrophé par les prévenues que celles- ci avaient la volonté d'atteindre la plaignante dans sa dignité, même si les paroles, reprises dans la prévention initiale et que les prévenues ne contestent pas avoir prononcées, ont été ressenties comme parfaitement vexatoires par celle- ci, dès lors qu'elle a eu le sentiment que son action était injustement comparée à celle de l'agent d'un régime totalitaire.
D'autre part, la loi pénale réprime les atteintes au respect et à la dignité des dépositaires de l'autorité publique pour que ne soit pas entravée leur action, mais, d'interprétation stricte, elle n'a pas pour objet d'étendre la répression à des propos, qui même tenus publiquement devant eux ne constituent que l'expression de l'opinion personnelle de leur auteur, relativement à des faits historiques.
Tel est bien le cas en l'espèce où, considérant le rôle des Renseignements généraux à la lumière de ce que leur avait enseigné leurs connaissances quant aux événements qui se sont produits sous le régime de la collaboration, les prévenues, qui ont la qualité d'enseignante, ont fait part de leur sentiment propre à un lycéen qui les interrogeait et ont répondu plus tard à la fonctionnaire de police, dans le cadre d'un dialogue initié par celle- ci, qui protestait contre leur opinion, qu'elles « n'étaient pas dupes et que rien n'avait changé dans l'état d'esprit de la police politique ».
C'est donc à tort que le premier juge a statué ainsi qu'il l'a fait.
Il convient dans cette mesure d'infirmer le jugement entrepris, de renvoyer les prévenues des fins de la poursuite et de rejeter les demandes civiles.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
STATUANT publiquement et contradictoirement,
INFIRMANT le jugement entrepris,
RENVOIE les prévenues des fins de la poursuite,
REJETTE les demandes civiles.