COUR D'APPEL D'ORLÉANS
CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
GROSSES + EXPÉDITIONS : le 02/04/2020
la SCP LAVAL - FIRKOWSKI
Me Claudine MOLLET
ARRÊT du : 02 AVRIL 2020
No : 59 - 20
No RG 19/01417 - No Portalis
DBVN-V-B7D-F5KY
DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du Président du TGI de MONTARGIS en date du 14 Mars 2019
PARTIES EN CAUSE
APPELANTE :- Timbre fiscal dématérialisé No: [...]4
SAS PITEX
Prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège [...]
[...]
Ayant pour avocat postulant Me Olivier LAVAL, membre de la SCP LAVAL - FIRKOWSKI, avocat au barreau d'ORLEANS et pour avocat plaidant Me Charles ABECASSIS, avocat au barreau de NICE
D'UNE PART
INTIMÉ : - Timbre fiscal dématérialisé No: [...]
Monsieur A... F...
Exploitant sous l'enseigne Le Vestiaire
né le [...] à Villeneuve Saint Georges (94)
[...]
[...]
Ayant pour avocat postulant Me Claudine MOLLET, membre de la SELARL PIASTRA-MOLLET-PREVET, et pour avocat plaidant Me David BOUAZIZ, membre de la SCPA BOUAZIZ-SERRA-AYALA-BONLIEU, avocat au barreau de FONTAINEBLEAU
D'AUTRE PART
DÉCLARATION D'APPEL en date du : 17 Avril 2019
ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 19 décembre 2019
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats à l'audience publique du 13 FEVRIER 2020, à 14 heures, Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, en son rapport, et Madame Fanny CHENOT, Conseiller, ont entendu les avocats des parties en leurs plaidoiries, avec leur accord, par application de l'article 786 et 907 du code de procédure civile.
Après délibéré au cours duquel Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel D'ORLEANS, et Madame Fanny CHENOT, Conseiller, ont rendu compte à la collégialité des débats à la Cour composée de :
Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS,
Madame Fanny CHENOT, Conseiller,
Madame Nathalie MICHEL, Conseiller,
Greffier :
Madame Marie-Claude DONNAT, Greffier lors des débats et du prononcé,
ARRÊT :
Prononcé publiquement par arrêt contradictoire le 02 AVRIL 2020 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE :
Par acte notarié du 20 décembre 1995, Mme N... B... V... épouse Q..., a consenti à M. A... F... un bail commercial pour un local commercial situé en rez de chaussée [...] , moyennant un loyer de 10.677 francs (1627,70€) par an hors taxes et hors charges, pour une durée de neuf années à compter du 23 juin 1995 jusqu'au 22 juin 2004. M. F... y exerce sous l'enseigne Le Vestiaire l'activité de prêt-à-porter, bijoux fantaisie, cadeau, accessoires mode, maroquinerie.
Le bail a été renouvelé par acte sous seing privé du 14 février 2005 pour une durée de neuf ans à compter du 24 juin 2004 jusqu'au 23 juin 2013, le loyer principal étant fixé à 2.280 euros par an hors taxes et hors charges. La société Pitex a acquis le 31 mars 2010 l'immeuble dans lequel M. F... loue ses locaux et vient ainsi aux droits de Mme Q....
Par acte d'huissier du 15 janvier 2013, M. A... F... a sollicité le renouvellement de son bail commercial. En l'absence de réponse du bailleur, le bail s'est renouvelé pour une nouvelle durée de neuf années à compter du 24 juin 2013 jusqu'au 23 juin 2022.
Par acte d'huissier du 19 novembre 2013, la société Pitex a indiqué à son locataire qu'elle entendait voir fixer le loyer du nouveau bail à la somme annuelle de 18.000 euros charges et taxes en sus. M. F... s'y est opposé par courrier du 16 décembre 2013.
Par mémoire du 15 octobre 2015, le bailleur a fait signifier à son preneur sa demande de voir fixer le prix du bail révisé à compter du 24 juin 2013 à la somme annuelle hors taxe et hors charge de 18.000 euros. M. F... s'y est opposé par mémoire du 8 mars 2016.
Par acte d'huissier du 10 mai 2016, la société Pitex a fait assigner M. F... devant le juge des loyers commerciaux de [...], en fixation du prix du bail renouvelé à la somme de 18000€ HT par an à compter du 24 juin 2013.
Par décision du 6 juillet 2017, le juge des loyers commerciaux de [...], a ordonné une expertise afin de donner son avis sur la valeur locative à la date du renouvellement du bail et a fixé le loyer prévisionnel à hauteur de la somme de 3.321,70 euros annuel.
Mme O..., expert, a déposé son rapport le 28 juillet 2018 en concluant à un déplafonnement du loyer, compte tenu de la modification notable des facteurs locaux de commercialité présentant un intérêt pour l'activité du commerce considéré, et en proposant la valeur locative à la somme de 6.900 euros hors taxes et hors charges.
Par jugement du 14 mars 2019, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de [...] a :
Constaté que le bail commercial dont bénéficie M. A... F... s'est trouvé reconduit à compter du 22 juin 2013 pour une durée de 9 années, et ce, aux clauses et conditions du bail d'origine ;
Débouté la Société Pitex de sa demande en fixation d'un loyer déplafonné et de ses demandes complémentaires et subsidiaires ;
Dit que le loyer du bail dont s'agit correspond au loyer de renouvellement, soit un montant de 3.321,77 €uros annuels hors taxes et hors charges ;
Condamné la Société Pitex à verser à M. A... F... la somme de 1.000 €uros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile et aux dépens.
Prononcé l'exécution provisoire de la décision.
La société Pitex a formé appel de la décision par déclaration du 17 avril 2019 en intimant M. F..., et en critiquant tous les chefs du jugement.
Dans ses dernières conclusions du 9 juillet 2019, la société Pitex demande à la cour de :
Vu les dispositions des articles 29-1 à 29-5 du Décret du 30 septembre 1953,
Vu les dispositions des articles L.145-1 et suivants du Code de Commerce, et notamment les
articles L. 145-9, L. 145-10, L. 145-11 et L. 145-33 du Code de Commerce,
Vu le bail commercial du 20 décembre 1995,
Vu l'avenant du 14 février 2005,
Vu la demande de renouvellement de bail du locataire du 15 janvier 2013,
Vu la demande de nouveau loyer en renouvellement de bail commercial après la demande de
renouvellement du 19 novembre 2013,
Vu le courrier du Conseil de M. F... du 16 décembre 2013,
Vu le rapport d'expertise de Mme O... du 28 juillet 2018,
Réformer purement et simplement la décision rendue par le Juge des loyers commerciaux
près le Tribunal de Grande Instance de [...] en date du 14 mars 2019.
Débouter purement et simplement M. F... de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
En conséquence,
Dire et juger que le bail liant les parties a été renouvelé au 24 juin 2013 pour une durée de 9
années ;
A titre principal,
Fixer le prix du bail renouvelé à la somme de 9.885 euros hors taxes et hors charges par an en principal, charges, impôts et taxes en sus ;
A titre subsidiaire,
Homologuer le rapport d'expertise déposé par Mme O... le 28 juillet 2018 ;
Fixer le prix du bail renouvelé entre les parties au 24 juin 2013 à la somme de 6.900 euros hors taxes et hors charges par an en principal, charges, impôts et taxes en sus ;
En tout état de cause,
Condamner M. F... au paiement des intérêts légaux sur les loyers arriérés, à compter de la date de demande de nouveau loyer, soit le 19 novembre 2013, conformément aux dispositions de l'article 1155 du Code Civil, les intérêts dus pour plus d'une année entière étant eux-mêmes capitalisés en application de l'article 1154 du même Code ;
Condamner M. F... à régler à la société Pitex une somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
Condamner M. F..., aux entiers dépens sur le fondement de l'article 699 du Code de Procédure Civile.
L'appelante fait valoir que le premier juge a dénaturé les conclusions de l'expert judiciaire relatives à l'évolution des facteurs locaux de commercialité et a retenu le mauvais entretien des locaux alors que le bailleur ne peut se voir opposer la faute du locataire dans l'entretien des locaux pour se voir refuser à ce titre un déplafonnement. Elle indique que les locaux sont situés dans la rue la plus fréquentée de la ville de [...] désormais piétonisée l'après midi, avec une surface de vitrine importante et une exposition optimum, que la population de la ville a augmenté de 0,6% par an entre 1999 et 2007, que le nombre de logements a augmenté de 4,7% sur cette même période et que surtout, la ville a connu un net regain d'attractivité, ce qui ressort notamment de l'arrivée d'enseignes nationales, après les travaux effectués [...] consistant dans l'aménagement de la chaussée avec trottoirs de bonne largeur et circulation limitée au matin et à sens unique. Elle en déduit que le déplafonnement du loyer s'impose et estime que la valeur locative doit être supérieure à celle retenue par l'expert. Elle l'évalue à 236,50€ le m2 soit 8987€ par an, et par suite, pour tenir compte de la large destination du bail autorisant quasiment tous commerces, 9885€ par an.
M. F... demande à la cour, par dernières conclusions du 30 septembre 2019 de:
Déclarer la Société Pitex SAS mal fondée en son appel,
L'en Débouter.
Confirmer purement et simplement le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance
de [...] le 14 mars 2019.
Y ajoutant,
Condamner la Société Pitex SAS au paiement d'une indemnité de 5.000 €uros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile en cause d'appel.
Condamner la Société Pitex SAS aux entiers dépens tant de première instance que d'appel et dont distraction est requise au profit de Maître Claudine Mollet, SELARL Plastra-Mollet-Prévert, Avocat postulant aux offres de droit, pour les frais dont elle aura déclaré avoir consenti l'avance sans provision préalable.
Il souligne que la destination des lieux n'a pas été modifiée en cours de bail, que comme l'a retenu le premier juge, la semi piétonisation des lieux ne peut constituer une modification notable des facteurs locaux de commercialité car elle a pour effet d'empêcher la circulation des véhicules, de supprimer des places de stationnement et qu'une étude de mars 2013 concernant [...] fait état de la vulnérabilité des commerces en centre ville concurrencés par l'attractivité des zones commerciales principalement situées au sud de la ville. Il ajoute que la population de [...] a baissé progressivement entre 1999 et 2014 et a notamment baissé de 11,4% entre 2006 et 2014.
Il est expressément référé aux écritures des parties pour plus ample exposé des faits ainsi que de leurs moyens et prétentions.
La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 19 décembre 2019.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Il est constant que le principe du renouvellement du bail à compter du 24 juin 2013 pour une durée de 9 ans est acquis et que seul le montant du loyer du bail renouvelé est en litige.
Sur le principe du déplafonnement
L'article L145-33 du code de commerce dispose :
"Le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative. A défaut d'accord, cette valeur est déterminée d'après :
1o les caractéristiques du local considéré,
2o la destination des lieux,
3o les obligations respectives des parties,
4o les facteurs locaux de commercialité,
5o les prix couramment pratiqués dans le voisinage.
Un décret en Conseil d'Etat précise la consistance de ces éléments" ;
Selon les dispositions de l'article L 145-34 du même code :
"A moins d'une modification notable des éléments mentionnés aux 1 à 4 de l'article L145-33, le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d'effet du bail à renouveler, si sa durée n'est pas supérieure à neuf ans, ne peut excéder la variation, intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré, de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l'article L 1122 du code monétaire et financier, publiés par l'Institut national de la statistique et des études économiques. (...)
En cas de modification notable des éléments mentionnés aux 1 à 4 de l'article L. 145-33 ou s'il est fait exception aux règles de plafonnement par suite d'une clause du contrat relative à la durée du bail, la variation de loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l'année précédente."
Il ressort de ces dispositions que lorsque la durée du bail n'est pas supérieure à 9 ans, ce qui est le cas en l'espèce au vu du bail renouvelé par acte du 14 février 2005, le loyer du bail renouvelé est normalement plafonné, à moins d'une modification notable des éléments suivants : les caractéristiques du local considéré, la destination des lieux, les obligations respectives des parties et les facteurs locaux de commercialité. La période à prendre en compte est la durée du bail renouvelé, soit ici du 24 juin 1995 au 23 juin 2004.
Aucune des parties n'invoque de modification notable concernant les obligations des parties.
Si la bailleresse évoque la destination des lieux dans ses écritures, le bail donnant au preneur le droit d'exercer presque tous commerces et de sous louer et céder librement le droit au bail, cette clause n'a pas été modifiée au cours du bail renouvelé, auquel elle préexistait. Elle ne peut donc être prise en compte qu'au stade de l'évaluation de la valeur locative mais n'est pas un motif de déplafonnement.
La bailleresse n'allègue pas non plus de modification notable dans les caractéristiques du local.
Le locataire y consacre plusieurs développements en pages 7 et 8 de ses écritures pour indiquer que les locaux ne comportent aucune réserve, que la climatisation installée dans la boutique a été réglée par lui et non la bailleresse, et que les bailleurs n'ont jamais effectué les moindres travaux dans les lieux. L'expert judiciaire a relevé que les aménagements intérieurs étaient sobres et qu'il n'y avait pas eu d'aménagements récent contrairement à d'autres boutiques voisines. Il ne sera donc pas retenu de modification notable au titre des caractéristiques du local.
S'agissant des facteurs locaux de commercialité, il est rappelé que le local loué par M. F... est au [...] au sujet de laquelle l'expert judiciaire indique, ce qui n'est pas contesté, qu'il s'agit de la rue la plus commerçante du centre ville de [...].
Il est établi qu'au cours du bail renouvelé, la commune a autorisé par délibération du 24 octobre 2008 la piétonisation de la rue Dorée du lundi au samedi de 13 h à 19h. La rue a été réaménagée avec de larges trottoirs pour faciliter le passage des piétons et la circulation des véhicules n'est autorisée que le matin, à sens unique. L'expert judiciaire relève que ces aménagements ont entraîné l'installations de nouvelles enseignes et franchises nationales qui ont remplacé des commerces indépendants et de bouche.
Le premier juge a estimé que la piétonisation de la [...] sur des demi-journées présentait indéniablement un facteur positif pour le magasin en raison de l'effet attractif de clientèle mais qu'en même temps, l'installation d'enseignes de prêt à porter nationales et la baisse de la population constituaient un facteur négatif et qu'au total, ces facteurs avaient des conséquences opposées pour le commerce Le Vestiaire, de sorte qu'il n'y avait pas lieu à déplafonnement.
L'expert judiciaire Mme O... estime pour sa part que ces changements dans l'aménagement de la [...] ont entraîné une modification des facteurs locaux de commercialité en renforçant le dynamisme commercial de cette rue et estime que cette modification est notable et présente un intérêt direct pour le local considéré, à son avis susceptible d'entraîner le déplafonnement du loyer.
Il indique ensuite que cette commercialité est à modérer, s'agissant de la valeur locative à retenir, depuis l'installation de nombreux commerces à l'extérieur de la ville, en précisant d'une part que plusieurs commerçants situés en centre ville, [...] ont fait état d'une baisse de leur chiffre d'affaires et qu'une étude de la région centre en mars 2013 a fait état de la vulnérabilité des commerces en centre ville à [...], concurrencés par l'attractivité des zones commerciales situées au sud, d'autre part que la population a baissé progressivement de 11,4% en 2014 (13.997 habitants) par rapport à 2006 (15.794 habitants).
Il maintient toutefois clairement, en réponse à un dire du preneur, que la modification des facteurs locaux de commercialité peut être qualifiée de notable et présente un intérêt direct pour le local considéré de nature à générer le déplafonnement du loyer, et retient les éléments modérateurs sus-rappelés dans le cadre de la fixation de la valeur locative.
La bailleresse produit en outre un rapport d'étude sur la valeur locative des lieux loués établi par M. T..., expert foncier le 12 novembre 2010. Ce rapport n'a pas été établi de manière contradictoire mais a été versé régulièrement aux débats. M. T... estime également que les facteurs locaux de commercialité ont évolué de manière notable. Il indique que les aménagements de la ville et de la [...] ont permis un net regain d'attractivité après les travaux de requalification de la rue ayant consisté en l'aménagement d'une chaussée revêtue de matériaux nobles (pavés de granit ou goudron selon les sections) avec trottoirs de bonne largeur de chaque côté recouvert de dalles de pierre reconstituée. Il ajoute que l'arrivée de grandes enseignes nationales susceptibles de capter une clientèle des plus larges représentant 48% des 77 boutiques situées dans la rue, et que la densité d'enseignes nationales observée est la caractéristique profonde d'un bon degré de commercialité pour toutes les activité liées à l'équipement de la personne, de la maison ou des loisirs.
Le preneur produit quant à lui des articles de presse établis en mai 2014 et juillet 2005 faisant état de fermetures de commerces en centre ville et de l'existence de nombreuses cellules commerciales à [...] mais dont environ une sur 10 est vacante.
Au regard de l'ensemble de ces éléments et des avis concordants de l'expert judiciaire et de l'expert amiable, il doit être retenu que les aménagements de la rue Doré ont eu au cours du bail renouvelé, un réel effet attractif pour la clientèle, particulièrement pour le type d'activité exercée par M. F... (prêt-à-porter, accessoires mode, maroquinerie). Certes la piétonisation a pour corrolaire la difficulté de circulation et de stationnement et donc d'accès au centre ville. Cet effet négatif est toutefois atténué par la circonstance que la circulation est possible le matin et que la [...] est, selon l'expert judiciaire, bien desservie par les transports en commun et se trouve à proximité immédiate de parkings publics (page 13 de son rapport).
Ainsi que le relève M. T... et Mme O..., l'installation d'enseignes nationales est la caractéristique profonde d'un bon degré de commercialité et génère un commerce plus dynamique en augmentant les flux de piétons et les consommateurs potentiels, et ce même s'il en résulte inévitablement une concurrence accrue. Le magasin de M. F... est par ailleurs implanté depuis de très nombreuses années et est sans aucun doute bien repéré par la population locale. La cour observe au surplus que l'intéressé n'a pas évoqué de baisse de son chiffre d'affaires dans ses écritures.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, il convient de relever que les aménagements concrets ci-dessus décrits qui présentent un intérêt direct pour le local considéré ont entraîné une évolution notable des facteurs locaux de commercialité qui n'est pas annulée par les facteurs moins favorables liés à une baisse de la population sur l'ensemble de la commune et à une concurrence accrue et qui justifie un déplafonnement du loyer actuellement fixé à 3321,70€ soit 276,80€ par mois. Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur la valeur locative des locaux commerciaux
La valeur locative doit être fixée en fonction des cinq éléments prévus par l'article R145-33 du code de commerce précité.
S'agissant des caractéristiques du local, le bail porte sur un local commercial en rez de chaussée comportant deux vitrines et une porte d'accès centrale, avec dans la cour WC commun avec les autres locataires de l'immeuble. La surface totale des lieux loués a été évaluée à 38 m2 selon le plan établi par le Cabinet Souesme géomètre expert dressé en juillet 2010 (pièce 15 produite par l'appelante) et l'expert judiciaire a évalué la surface utile de vente à 36,15 m2, en précisant que s'agissant d'une petite surface commerciale il n'y a pas lieu de la pondérer. Les parties ne s'opposent pas à cet avis qui sera suivi.
Il ressort du rapport d'expertise judiciaire que le local s'inscrit dans un immeuble ancien de type bourgeois datant du début du 19ème siècle, comporte une distance linéaire de vitrine sur rue de 8 mètres, avec des aménagements intérieurs sobres et fonctionnels (parquet en pin ancien au sol et murs peints). Il n'est pas noté d'aménagements très récents, les locaux ne comportent pas de réserve reliée à la boutique et les toilettes sont communes et éloignées du local. La devanture sur rue est de présentation moderne et actuelle.
En ce qui concerne la destination des lieux, le bail a été consenti pour une activité de tous commerces, hors ceux déjà exercés dans l'immeuble de Mme Q... et hors commerces malodorants ou insalubres et notamment laverie automatique et pressing. L'expert relève que le bail procure au preneur la faculté d'exercer presque tous commerces et de sous-louer et céder librement le droit au bail, clause qui justifie une majoration de la valeur locative de 10%.
Le bail stipule toutefois que le locataire reste "garant et répondant solidaire de ses sous-locataires ou cessionnaires pour le bailleur des loyers et l'exécution des conditions du bail". Cet élément est de nature à freiner la liberté du preneur de sous louer et céder librement le droit au bail et la majoration de la valeur locative résultant de cette clause sera limitée à 5%.
S'agissant des obligations des parties, il est relevé que le bail ne met pas à la charge du preneur les grosses réparations prévues par l'article 606 du Code civil, ni le paiement de la taxe foncière.
Au sujet des facteurs locaux de commercialité, ainsi qu'il a déjà été indiqué, il sera tenu compte d'une bonne commercialité notamment depuis l'aménagement du centre ville autorisé en octobre 2000 avec toutefois les facteurs de modération retenus par l'expert judiciaire en page 15 de son rapprot (baisse du chiffre d'affaires depuis 10 ans de certaines boutiques adjacentes à la [...] et baisse de la population de la ville).
Concernant les prix couramment pratiqués dans le voisinage, l'expert judiciaire Mme O... cite six exemples de magasins situés également [...] , dont les loyers varient entre 132 et 200€ du m2. La bailleresse cite d'autres références avec un loyer plus élevé notamment le magasin Caroll (266€ du m2) et dans le même immeuble que la boutique de M. F..., un loyer de 245,45€, pour le bail Maison Ericlor dont l'activité est toutefois totalement différente. Il convient en conséquence de prendre en compte les références citées par l'expert judiciaire.
L'expert estime en page 17 de son rapport que la valeur locative unitaire du magasin concerné ne peut dépasser 175 € le m2 et en page 18, en réponse à un dire du preneur, que la valeur locative peut être fixée au niveau de la moyenne des deux valeurs précitées (132 et 200m2) soit 165€ du m2.
Parmi les six références retenues par l'expert, 2 sont des magasins exerçant une activité relativement comparable à de celle de M. F... (au 88 et 97 de la rue), et leurs loyers vont de 132€ à 158€ du m2.
Au regard de l'ensemble des éléments étudié, il convient de retenir au moment du renouvellement du bail, une valeur au m2 de 150€ soit une valeur locative de 5700€ pour une surface de 38m2 (150 x 38) et, après application de la majoration du loyer de 5 %, un loyer annuel de 5985€ par an hors charges et hors taxes.
S'agissant du point de départ du nouveau loyer, l'article L145-11 du Code de commerce qui est cité par la bailleresse dans le dispositif de ses écritures et est donc dans les débats, dispose que le bailleur qui, sans être opposé au principe du renouvellement, désire obtenir une modification du prix du bail doit, dans le congé prévu à l'article L145-9 ou dans la réponse à la demande de renouvellement prévue à l'article L145-10, faire connaître le loyer qu'il propose, faute de quoi le nouveau prix n'est dû qu'à compter de la demande qui en est faite ultérieurement suivant des modalités définies par décret en conseil d'Etat.
En l'espèce, M. F..., locataire, a sollicité le renouvellement du bail conformément à l'article L145-10 du Code de commerce par acte d'huissier du 15 janvier 2013.
La société Pitex bailleresse n'a pas répondu dans le délai de trois mois et c'est seulement par acte d'huissier du 19 novembre 2013 qu'elle a indiqué à son locataire qu'elle entendait voir fixer le loyer du nouveau bail à la somme annuelle de 18.000 euros.
Le bail s'est donc renouvelé automatiquement à compter du 24 juin 2013 mais le nouveau loyer de 5985€ par an ne peut être appliqué qu'à compter du 19 novembre 2013 et non dès le 24 juin 2013 comme le demande l'appelante, le loyer dû entre le 24 juin 2013 et le 18 novembre 2013 restant fixé à la somme de 3.321,70 euros annuel hors taxes et hors charges.
Sur les autres demandes
La société Pitex demande à la cour de condamner M. F... au paiement des intérêts légaux sur les loyers arriérés, à compter de la date de demande de nouveau loyer, soit le 19 novembre 2013.
Néanmoins, en l'absence de convention contraire relative aux intérêts, les intérêts dus sur la différence entre le nouveau loyer du bail renouvelé et le loyer provisonnel courent à compter de la délivrance de l'assignation introductive d'instance en fixation du prix lorsque le bailleur est à l'origine de la procédure (cf pour exemple, Cour de cassation Civ 3, 18 juin 2014 pourvoi no 13-14715). Les intérêts au taux légal dus sur la différence entre le nouveau loyer du bail renouvelé et le loyer provisonnel courent donc à compter du 10 mai 2016, date de l'assignation.
En application de l'article 1154 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016 et applicable à la cause compte tenu de la date de l'assignation, les intérêts échus produisent intérêts, dès lors qu'ils sont dus au moins pour une année entière, s'il en est fait judiciairement la demande.
Les intérêts dus pour une année entière seront capitalisés annuellement, en application de l'article 1154 ancien précité, à compter du 10 mai 2016, date de l'assignation comprenant la demande de capitalisation de la SARL Pitex.
L'appelante obtient gain de cause dans le principe de son action concernant le déplafonnement du loyer. Les dépens de première instance et d'appel seront en conséquence mis à la charge du preneur à l'exception toutefois des frais d'expertise qui seront partagés par moitié entre les parties. L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, - Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
- Dit que le bail liant les parties a été renouvelé au 24 juin 2013 pour une durée de 9 années ;
- Fixe le prix du bail renouvelé à la somme de 5985€ par an hors taxes et hors charges à compter du 19 novembre 2013, le montant du loyer dû entre le 24 juin 2013 et le 18 novembre 2013 restant fixé à la somme de 3.321,70 euros annuel hors taxes et hors charges ;
- Dit que les intérêts au taux légal dus sur la différence entre le nouveau loyer du bail renouvelé et le loyer provisonnel courent à compter du 10 mai 2016 ;
- Ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière en application de l'article 1154 (ancien) du Code civil, à compter du 10 mai 2016 ;
- Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
- Rejette le surplus des demandes ;
- Condamne M. A... F... aux dépens de première instance et d'appel à l'exception des frais de l'expertise judiciaire qui seront partagés par moitié entre les parties.
Arrêt signé par Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, présidant la collégialité et Madame Marie-Claude DONNAT , Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT