COUR D'APPEL D'ORLÉANS
CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
GROSSES + EXPÉDITIONS : le 29/10/2020
Me Sandra SILVA
la SCP PACREAU COURCELLES
ARRÊT du : 29 OCTOBRE 2020
No : 194 - 20
No RG 19/02524
No Portalis DBVN-V-B7D-F7UZ
DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du Tribunal de Grande Instance d'ORLEANS en date du 24 Avril 2019
PARTIES EN CAUSE
APPELANTE :- Timbre fiscal dématérialisé No: 1265240539913332
La SA AMERICAN EXPRESS CARTE FRANCE
Prise en la personne de son représentant légal
[...]
[...]
Ayant pour avocat postulant Me Sandra SILVA, avocat au barreau d'ORLEANS et pour avocat plaidant Me Christine BEZARD FALGAS, avocat au barreau de PARIS
D'UNE PART
INTIMÉE : - Timbre fiscal dématérialisé No: -/-
Madame U... T... veuve E...,
Venant aux droits de son défunt mari, feu P... E..., de nationalité française, né le [...] à ORLEANS (45000), décédé le [...] à VOUZON (41), de nationalité française, demeurant en son vivant [...].
née le [...] à Champigny sur Marne (94500)
Demeurant [...]
[...]
Ayant pour avocat Me Michel-Louis COURCELLES, avocat au barreau d'ORLEANS,
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2019/006169 du 16/09/2019 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de ORLEANS)
D'AUTRE PART
DÉCLARATION D'APPEL en date du : 11 Juillet 2019
ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 11 Juin 2020
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats, affaire plaidée sans opposition des avocats à l'audience publique du 10 SEPTEMBRE 2020, à 9 heures 30, devant Madame Fanny CHENOT, Conseiller Rapporteur, par application de l'article 786 du code de procédure civile.
Lors du délibéré :
Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS,
Madame Fanny CHENOT, Conseiller,
Madame Nathalie MICHEL, Conseiller,
Greffier :
Madame Marie-Lyne EL BOUDALI, Greffier lors des débats
Madame Marie-Claude DONNAT , Greffier lors du prononcé.
ARRÊT :
Prononcé publiquement par arrêt contradictoire le 29 OCTOBRE 2020 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
EXPOSE DU LITIGE :
Suivant acte sous seing privé du 19 septembre 2011, M. P... E..., qui a déclaré à cette occasion percevoir un revenu annuel brut d'un montant de 200 000 euros en qualité de directeur de société, a sollicité auprès de la société American Express Carte France (American Express) la délivrance d'une carte accréditive (carte de paiement à débit différé) « platinium American Express ».
Le 1er février 2012, M. E... a demandé la délivrance de deux cartes supplémentaires gratuites, au profit de son épouse, Mme U... E..., et de son fils, M. W... E....
Le prélèvement des dépenses engagées au moyen des trois cartes le 29 août 2013 a été rejeté par la banque de M. E... le 8 septembre suivant, pour absence de provision.
Faisant valoir que le compte de M. E... a alors été « annulé » et que, alors qu'il avait reconnu lui devoir la somme de 119 390,57 euros et s'était engagé à régler sa dette en quinze mensualités de 8 000 euros du 16 décembre 2013 au 29 janvier 2015, M. E... a cessé d'honorer ses engagements en mai 2014, la société American Express a mis en demeure M. E... de lui régler la somme de 97 445,57 euros par courrier recommandé du 17 novembre 2014, réceptionné le 20 novembre suivant, puis l'a fait assigner en paiement devant le tribunal de grande instance d'Orléans par acte du 9 juin 2015.
M. E... est décédé en cours d'instance et sa veuve, Mme U... E..., est intervenue volontairement en cours d'instance en qualité d'héritière.
Par jugement du 24 avril 2019, le tribunal :
-a constaté l'intervention volontaire de Mme U... E... venant aux droits de son mari défunt
-a requalifié le découvert accordé par la société American Express en contrat de crédit à la consommation
-s'est déclaré incompétent au profit du tribunal d'instance d'Orléans
-a condamné la société American expresse aux dépens, dont distraction au profit de la SCP Pacreau-Courcelles
-a rejeté les demandes d'indemnité de procédure
La société American Express a relevé appel de cette décision par déclaration en date du 11 juillet 2019, en critiquant expressément tous les chefs du jugement en cause.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 2 juin 2020, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses moyens, la société American express à la cour, au visa des articles 89 du code de procédure civile, 1134 et 1147 [anciens] du code civil, de :
-la recevoir en son appel, le déclarer bien fondé et faisant droit à ses conclusions,
-infirmer le jugement entrepris en ce que le tribunal a requalifié le contrat en contrat de crédit
et s'est déclaré incompétent au profit du tribunal d'instance d'Orléans.
Statuant à nouveau, condamner Madame U... E... à lui payer la somme de 97 445,57 € avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 17 novembre 2014
-condamner Madame U... E... à lui payer la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile
-dire et juger Madame U... E... tant irrecevable que mal fondée en ses conclusions,
-la débouter de l'ensemble de ses prétentions et demandes, tant principales que subsidiaires,
-la condamner en tous les dépens tant de première instance que d'appel dont distraction au profit de Me Sandra Silva, avocat, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile
L'appelante soutient en substance que la carte qu'elle a délivrée à M. E... n'est pas une carte de crédit, mais une carte accréditive, c'est-à-dire une simple une carte de paiement à débit différé, qui ne relève donc pas des dispositions du crédit à la consommation et que, contrairement à ce que retenu le premier juge, elle n'a tacitement consenti à M. E... aucun découvert d'une durée supérieure à trois mois qui puisse justifier l'application des règles impératives du crédit à la consommation, dès lors qu'après le rejet du prélèvement du 29 août 2013, la carte n'a plus été utilisée, que le dernier débit est du 6 septembre et que le compte a été annulé le 25 novembre 2013, moins de trois mois après l'impayé du 8 septembre.
En réplique aux demandes subsidiaires de l'intimée, la société American Express fait valoir qu'elle n'a aucun droit d'ingérence dans les affaires de ses clients, qu'il n'y avait rien d'anormal dans les dépenses de M. E... qui ait pu justifier la moindre intervention de sa part, ajoutant que l'intéressé n'a jamais contesté ces dépenses et avait même pris à son égard des engagements de paiement.
L'appelante s'oppose enfin à tous délais de paiement en faisant valoir que Mme E... a déjà bénéficié, de fait, de très larges délais, et ne fournit aucun justificatif de sa situation financière et patrimoniale.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 9 décembre 2019, auxquelles il est pareillement renvoyé pour l'exposé détaillé de ses moyens, Mme E... demande à la cour, au visa des articles L. 311 et suivants du code de la consommation (dans leur version en vigueur au jour de la souscription de la carte American Express Platinium), l'article L. 121-1 du code de commerce, les articles 1134 et suivants, 1244-1 [anciens] du code civil, et l'article 92 du code de procédure civile, de :
-dire et juger mal fondée en son appel la société American Express
-confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré
Subsidiairement, pour le cas où ledit jugement serait infirmé :
-dire et juger que la société American Express a manqué à son devoir d'information, de vigilance et de conseil au détriment de Madame U... E... venant aux droits de son défunt mari
-dire et juger que la société American Express sera déchue de tous droits à intérêts, remboursement de frais et pénalités contractuelles
-condamner la société American Express à l'indemniser à hauteur de la somme de 97 445 € avec compensation entre créances réciproques
-débouter la société American Express de toutes prétentions, fins et conclusions contraires.
A titre plus subsidiaire,
-lui octroyer les plus larges délais de paiement,
En tout état de cause,
-débouter la société American Express de toutes demandes ou prétentions contraires.
-condamner la société American Express aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Pacreau et Courcelles, avocat, par application de l'article 699 du code de procédure civile
Mme E..., qui ne conteste pas que la carte litigieuse était une carte de paiement dite accréditive, et non une carte de crédit, soutient que le contrat doit néanmoins être requalifié de contrat de crédit et être soumis aux règles d'ordre public du code de la consommation dès lors que le solde du compte de son défunt mari a été à découvert selon elle plus de trois mois, du 29 juillet au 3 novembre 2013, et que ce n'est qu'à cette date que le solde débiteur qui représentait 109 791,33 euros au 30 octobre 2013 a été rejeté.
Subsidiairement, l'intimée reproche à la société American Expres d'avoir failli à son devoir de vigilance, de mise en garde et de conseil en délivrant à son défunt mari, sans procéder à aucune vérification des revenus qu'il avait annoncés, une carte accréditive sans plafond de dépenses, en l'incitant à solliciter, sans aucun contrôle là encore, une carte gratuite pour elle-même et son fils, en manquant d'attirer son attention sur les conséquences que pouvaient engendrer les prélèvements qui étaient systématiquement rejetés et en réactivant la carte de son époux, qui avait été bloquée en juillet 2013, sur un simple appel téléphonique de ce dernier.
Encore plus subsidiairement, Mme E... sollicite les plus larges délais de paiement en expliquant qu'ensuite du décès brutal de son époux et de la liquidation judiciaire de la société dont ils étaient tous les deux co-gérants, elle n'a plus pour revenu que le seul RSA.
L'instruction a été clôturée par ordonnance du 11 juin 2020, pour l'affaire être plaidée le 10 septembre suivant et mise en délibéré à ce jour.
SUR CE, LA COUR :
Sur la demande principale en paiement de la société American express
Il résulte des articles L. 311-1 et L. 311-3 du code de la consommation, pris dans leur rédaction issue de la loi no 2010-737 du 1er juillet 2010 et antérieure à celle no issue de la loi no 2014-344 du 17 mars 2014, que les cartes de paiement proposant un débit différé n'excédant pas quarante jours et n'occasionnant aucuns autres frais que la cotisation liée au bénéfice de ce moyen de paiement ne constituent pas des opérations de crédit soumises aux règles d'ordre public du crédit à la consommation, mais que lorsqu'un établissement financier consent à son client des avances de fonds de plus de trois mois ou un découvert en compte de plus d'un mois assorti d'intérêts ou assorti de frais d'un montant non négligeable, cet octroi tacite de crédit est soumis aux règles d'ordre public du crédit à la consommation.
Il est acquis aux débats, en l'espèce, que la société American express a délivré à M. E..., non pas une carte de crédit, mais une carte de paiement à débit différé.
L'article 3 des conditions générales d'utilisation de la carte délivrée à M. E..., intitulé « facturation-paiement » stipule : « vous recevez un relevé mensuel de votre compte-carte qui fait apparaître vos débits ainsi que ceux relatifs à toute toute carte supplémentaire émise sur votre demande. Le solde de votre relevé mensuel est débité par prélèvement automatique sur votre compte bancaire trois jours après l'arrêté de compte ».
L'article 5 des mêmes conditions générales, intitulé « retard de paiement », précise : « si American express n'a pas reçu 30 jours après chaque émission du relevé de compte le règlement correspondant, nous nous réservons le droit d'appliquer des frais de tenue de compte de 4,5 % du montant dû, ou un minimum de 12,5 €. Ces frais seront à la charge du titulaire de la carte principale. Tout rejet de chèque ou tout rejet de prélèvement mensuel sur votre compte bancaire donnera lieu à un débit sur votre compte-carte de 18,5 € ».
En l'espèce, il résulte des pièces produites aux débats que :
-le 25 juin 2013, le relevé du compte-carte de M. E... faisait apparaître des débits représentant un solde mensuel de 98 328,71 euros, qui a été prélevé le 1er juillet suivant sur son compte bancaire
-le 25 juillet 2013, le compte carte American express de M. E... présentait un solde débiteur de 42 771,04 euros, qui a été prélevé son son compte bancaire le 29 juillet suivant
-le 25 août 2013, le compte carte de M. E... présentait un solde débiteur de 68 103,44 euros, qui n'a pu être prélevé sur son compte puisque le prélèvement effectué le 29 août 2013 par la société American express a été rejeté le 8 septembre suivant par la banque
-le 25 septembre 2013, le compte carte de M. E... faisait apparaître un solde débiteur de 114 481,18 euros, dont le prélèvement sur le compte bancaire de M. E... le 30 septembre 2013 a lui aussi été rejeté 6 octobre suivant
-le 26 octobre 2013, le compte carte de M. E..., sur lequel aucune opération de paiement ou de retrait d'espèces n'avait été enregistrée depuis le précédent relevé du 25 septembre, présentait un solde débiteur de 109 791,33 euros compte tenu du règlement de 10 000 euros effectué par le titulaire du compte et des frais prélevés par la société American express. Le prélèvement effectué le 30 octobre 2013 par la société American express a lui aussi été rejeté par la banque de M. E..., le 3 novembre suivant
-le 25 novembre 2013, le relevé du compte carte de M. E... sur lequel aucune opération de paiement ou de retrait d'espèces n'avait non plus été enregistrée durant le mois, faisait apparaître un solde débiteur porté à 114 750,44 euros à raison des frais prélevés par la société American express. Cette dernière informait M. E..., sur ce relevé, que son compte était « annulé et mis en recouvrement spécial », et l'invitait à lui régler par retour ce solde de 114 750,44 euros
-le relevé du 25 décembre 2013 montre qu'aucune opération n'a été enregistrée au débit du compte-carte depuis son « annulation » le 25 novembre précédent, notamment aucun prélèvement de frais
Il résulte de ces éléments que le compte litigieux est resté débiteur du 29 août 2013, date du premier prélèvement resté impayé, au 25 novembre 2013, date de clôture du compte-carte de M. E..., soit un peu moins de trois mois contrairement à ce qu'a retenu le premier juge.
Il apparaît en revanche que sur la période de plus d'un mois durant laquelle le compte-carte de M. E... est resté débiteur, la société American express a prélevé des frais de rejet de prélèvement et des frais de retard de paiement qui représentant un montant total de 12 758,53 euros, qui ne peut être considéré comme négligeable au sens de l'article L. 311-3 précité.
Il en résulte que si, de manière inexacte, le premier juge a requalifié la convention liant la société American express à l'auteur de Mme E... en contrat de crédit à la consommation au motif que l'appelante avait consenti à M. E... une autorisation tacite de découvert de plus de trois mois, la requalification s'impose néanmoins dans la mesure où la société American express a tacitement octroyé à M. E... un crédit qui, certes, n'a pas dépassé la durée de trois mois, mais qui a duré plus d'un mois et a été assorti de frais dont le montant ne peut être considéré comme négligeable au sens de l'article L. 311-3,4o ancien du code de la consommation.
Le jugement entrepris sera donc confirmé, sauf à préciser qu'en application de l'article L. 213-4-5 du code de l'organisation judiciaire et de l'article R. 321-35 du code de la consommation, pris dans sa nouvelle rédaction issue du décret no 2019-966 du 18 septembre 2019 portant substitution du tribunal judiciaire au tribunal de grande instance et au tribunal d'instance, l'affaire sera renvoyée, non pas devant le tribunal d'instance d'Orléans, mais devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire du même siège.
La société American express, qui succombe au sens de l'article 696 du code de procédure civile, devra supporter les dépens de l'instance, lesquels seront recouvrés conformément à la loi relative à l'aide juridictionnelle.
PAR CES MOTIFS
CONFIRME la décision entreprise en tous ses chefs critiqués, sauf à préciser que l'affaire sera renvoyée, non pas devant le tribunal d'instance d'Orléans, mais devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire du même siège,
Y AJOUTANT,
CONDAMNE la SA American express carte France aux dépens de l'instance, lesquels seront recouvrés conformément à la loi relative à l'aide juridictionnelle.
Arrêt signé par Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, présidant la collégialité et Madame Marie-Claude DONNAT , Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT