COUR D'APPEL D'ORLÉANS
CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
GROSSES + EXPÉDITIONS : le 04/11/2021
la SCP GUILLAUMA PESME
la SCP LE METAYER ET ASSOCIES
ARRÊT du : 04 NOVEMBRE 2021
No : 212 - 21
No RG 20/00513
No Portalis DBVN-V-B7E-GDWU
DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du Tribunal d'Instance d'ORLEANS en date du 31 Décembre 2019
PARTIES EN CAUSE
APPELANTE :- Timbre fiscal dématérialisé No: 1265245336467981
SA LA BANQUE POSTALE FINANCEMENT
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité
[Adresse 1]
[Localité 6]
Ayant pour avocat Me Christophe PESME, membre de la SCP GUILLAUMA PESME AVOCAT, avocat au barreau d'ORLEANS
D'UNE PART
INTIMÉES : - Timbre fiscal dématérialisé No: 1265246279669985
Madame [D] [W] divorcée [F]
née le [Date naissance 2] 1966 à [Localité 10]
[Adresse 5]
[Localité 4] / FRANCE
Madame [V] [F]
née le [Date naissance 3] 1996 à [Localité 9]
[Adresse 5]
[Localité 4] / FRANCE
Ayant toutes deux pour avocat Me Bruno CESAREO, membre de la SCP LE METAYER ET ASSOCIES, avocat au barreau d'ORLEANS
D'AUTRE PART
DÉCLARATION D'APPEL en date du : 24 Février 2020
ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 26 Août 2021
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats, affaire plaidée sans opposition des avocats à l'audience publique du JEUDI 23 SEPTEMBRE 2021, à 9 heures 30, devant Madame Fanny CHENOT, Conseiller Rapporteur, par application de l'article 786 du code de procédure civile.
Lors du délibéré :
Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS,
Madame Fanny CHENOT, Conseiller,
Madame Nathalie MICHEL, Conseiller,
Greffier :
Madame Marie-Claude DONNAT , Greffier lors des débats et du prononcé.
ARRÊT :
Prononcé publiquement par arrêt contradictoire le JEUDI 04 NOVEMBRE 2021 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
EXPOSE DU LITIGE :
Selon offre préalable acceptée le 30 septembre 2014, Mme [V] [F] a souscrit auprès de la société La Banque postale financement (la Banque postale) un prêt étudiant d'un montant de 25 000 euros, stipulé garanti par le cautionnement de ses parents, M. [U] [F] et Mme [D] [W].
Exposant que M. [F], qui les a quittées sans plus leur donner aucune nouvelle en juillet 2016, avait contraint sa fille [V] à contracter l'emprunt étudiant dont s'agit puis imité l'écriture et la signature de son épouse sur l'acte de cautionnement, Mme [D] [W] et Mme [V] [F] ont fait assigner la Banque postale devant le tribunal d'instance d'Orléans par acte du 20 février 2018 aux fins d'entendre, à titre principal, annuler le crédit en date du 30 septembre 2014 et condamner l'établissement de crédit à leur payer la somme de 10 000 euros à chacune en réparation du préjudice moral qu'elles estiment avoir subi à raison de la faute commise par la banque.
Par jugement du 31 décembre 2019, le tribunal a :
-déclaré recevables les demandes de Mme [V] [F] et de Mme [D] [W]
-prononcé la nullité du contrat de prêt personnel du 30 septembre 2014
-débouté Mme [F] et Mme [W] de leurs demandes de dommages et intérêts
-constaté que la suppression de Mme [F] du FICP sera consécutive à l'annulation du contrat du 30 septembre 2014
-dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande relative au FICP
-débouté les parties du surplus de leurs prétentions
-condamné la Banque postale à payer à Mme [F] et Mme [W] la somme de 600 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
-laissé les dépens à la charge de la Banque postale
Pour statuer comme il l'a fait, le premier juge a commencé par indiquer que Mme [V] [F] était majeure depuis le 19 avril 2014 lors de la souscription, le 30 septembre 2014, du prêt litigieux, et qu'elle n'apportait la preuve d'aucune contrainte ni d'aucun vice de son consentement lors de son acceptation de l'offre de crédit au cause.
Il a ensuite retenu que le prêt étudiant en cause n'avait été consenti à Mme [F] qu'en considération des engagements de caution de ses parents, et qu'il pouvait en conséquence être annulé « en cas de vice du consentement ou manquement du prêteur à ses obligations relativement aux engagements de caution solidaire ».
Relevant que la Banque postale n'avait pas procédé à la vérification usuelle de la solvabilité des cautions, ni exigé la présence physique de Mme [W] pour la signature du contrat, ce qui lui aurait permis de déceler que de faux bulletins de salaire concernant cette dernière lui avaient été remis, que l'examen des actes de cautionnement révélait que les mentions manuscrites attribuées à chacune des cautions avaient été écrites par la même personne, puis que l'examen des autres documents contractuels et pré-contractuels montrait que les signatures qui, quant à elles, auraient dû être similaires, ne l'étaient pas, la premier juge a conclu que le contrat de prêt devait être annulé.
La Banque postale a relevé appel de cette décision par déclaration en date du 24 février 2020, en ce qu'elle a prononcé la nullité du contrat de prêt et en ce qu'elle l'a déboutée de sa demande reconventionnelle tendant à la condamnation de Mme [V] [F] et de Mme [D] [W] à lui payer la somme principale de 30 301,49 euros au titre du prêt et celle de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 26 mars 2020, la Banque postale demande à la cour de :
-la recevoir en son appel
-le déclarer bien fondé
Y faisant droit :
-infirmer le jugement rendu par le tribunal d'instance d'Orléans le 31 décembre 2019
Statuant à nouveau :
-débouter Mademoiselle [V] [F] et Madame [D] [W] épouse [F] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions
-condamner solidairement Mademoiselle [V] [F] et Madame [D] [W] épouse [F] à lui verser les sommes suivantes :
-échéances de crédit impayées ......................................................................... 493,03 €
-capital restant dû ........................................................................................ 27 593,08 €
-intérêts ................................................................................................................. 7,94 €
-pénalité légale................................................................................................ 2 207,44 €
Total ............................................................................................................. 30 301,49 €
outre les intérêts au taux contractuel de 3,44 %.
-subsidiairement, prononcer la déchéance du terme du contrat souscrit par Mademoiselle [V] [F] et Madame [D] [W] épouse [F] et les condamner solidairement au paiement desdites sommes
-[encore plus] subsidiairement, dans l'hypothèse où la cour confirmerait le principe de la nullité du contrat de prêt, dire et juger que Mademoiselle [V] [F] devra restituer au prêteur la somme empruntée et versée sur son compte soit 25 000 €
-condamner solidairement Mademoiselle [V] [F] et Madame [D] [W] épouse [F] au paiement d'une somme de 1 200 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
-les condamner solidairement aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Guillauma et Pesme
Dans leurs dernières conclusions notifiées le 17 juin 2020, Mme [D] [W] et Mme [V] [F] demandent à la cour, au visa des articles 1109, 1116 et 1147 et suivants anciens du code civil, 1130, 1137 et 1231-1 "nouveaux" du code civil, de :
-dire et juger la Banque postale financement mal fondée en son appel
-l'en débouter
En conséquence,
-confirmer le jugement rendu le 31 décembre 2019 par le tribunal d'instance d'Orléans en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il les a déboutées de leurs demandes de dommages et intérêts
Y ajoutant,
-condamner la Banque postale à verser à Madame [W] et Mademoiselle [F] la somme de 10 000 € chacune au titre de leur préjudice moral
-condamner la Banque postale à leur verser la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
-la condamner aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Le Métayer et associés pour ceux dont elle aurait fait l'avance
Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs dernières conclusions récapitulatives.
L'instruction a été clôturée par ordonnance du 26 août 2021, pour l'affaire être plaidée le 23 septembre suivant et mise en délibéré à ce jour.
SUR CE, LA COUR :
Sur la demande principale en nullité du prêt du 30 octobre 2014
Au soutien de leur demande en nullité du prêt, les intimées font valoir que la Banque postale a commis une série de fautes en ne vérifiant pas l'écriture et la signature de Mme [W] sur l'acte de cautionnement, dont il est selon elles démontré qu'elles ont été imitées par M. [F] puisque Mme [W] ne s'est elle-même pas déplacée pour signer l'acte, en ne vérifiant pas auprès de la société Siefcam que Mme [W] était effectivement sa salariée, comme le laissaient croire les faux bulletins de salaire produits par M. [F], à une époque où elles indiquent que Mme [W] était demandeuse d'emploi, en ne répondant pas, enfin, à leurs nombreuses correspondances, adoptant ainsi une attitude de fuite qui, selon leurs propres termes, « semble induire a minima une reconnaissance de responsabilité ».
Ajoutant que M. [F] a commis à l'égard de sa fille une escroquerie en « se reversant » les 25 000 euros que la Banque postale avait débloqués sur le compte de cette dernière, et que si l'appelante n'est pas « à proprement parler » responsable de la malversation commise par M. [F], elle a néanmoins, par son manque d'attention, favorisé la commission du délit, et s'en trouve civilement responsable, Mme [W] et Mme [F] en déduisent que le contrat de prêt « ne pourra dès lors qu'être annulé, tant en raison du défaut de consentement de Mme [F], que celui de Mme [W] ».
Elles ajoutent qu'il ne saurait être sérieusement contesté que le prêt de 25 000 euros n'a été accordé à Mme [F], alors étudiante sans emploi, qu'en raison de la caution de ses parents, puis que l'annulation de l'engagement de caution emporte nécessairement celle du contrat de prêt.
La Banque postale rétorque que Mme [F], qui n'a jamais dénié sa signature sur l'offre de prêt, qui ne conteste pas non plus que la somme prêtée a bien été versée sur son propre compte bancaire, et qui n'établit nullement que les fonds prêtés auraient ensuite été reversés sur le compte de son père au moyen d'une procuration, ne démontre d'aucune manière que son consentement à l'acte de prêt aurait été vicié.
L'appelante ajoute que dans l'hypothèse où l'acte de cautionnement devrait être annulé, cette annulation n'aurait aucun effet sur le validité du contrat de prêt, qui est le contrat principal dont le cautionnement est l'accessoire, et non le contraire.
La cour observe à titre liminaire que les intimées ne sollicitent pas l'annulation de l'engagement de caution de Mme [W], mais uniquement celle du contrat de prêt.
Selon l'article 1109 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016, il n'y a point de consentement valable si le consentement n'a été donné que par erreur, ou s'il a extorqué par violence ou surpris par le dol.
Selon l'article 1114 du même code, la crainte révérencielle envers le père, la mère ou autre ascendant, sans qu'il y ait eu de violence exercée, ne suffit pas pour annuler le contrat.
En l'espèce, les intimées, qui soutiennent devant la cour comme devant le premier juge que Mme [F], qui ne conteste pas avoir accepté l'offre de prêt de la Banque postale, aurait été contrainte par son père de contracter ce prêt, ne fournissent pas le moindre élément de preuve en ce sens.
Le contrat de prêt ne peut donc être annulé à raison du défaut de consentement de Mme [F] ; il ne saurait davantage l'être à raison du défaut de consentement de Mme [W], qui n'avait pas à consentir à un prêt contracté par sa fille majeure.
La nullité sanctionne un défaut dans les conditions de formation du contrat qui, seules, affectent sa validité. La mauvaise exécution du contrat est quant à elle sanctionnée par l'exécution forcée du contrat, en nature ou par équivalent, c'est-à -dire sous forme de dommages et intérêts, voire par la résolution du contrat, laquelle ne saurait être assimilée à son annulation.
A les supposer avérées, les fautes dans l'octroi du prêt et le recueil des garanties, que les intimées reprochent à l'appelante, ne peuvent être analysées que comme des manquements de nature à engager la responsabilité contractuelle de la Banque postale, et ne peuvent donc fonder une action en annulation du contrat de prêt.
La faute de nature délictuelle que les intimées reprochent également à la Banque postale, qu'elles accusent d'avoir favorisé la commission d'un délit qu'elles indiquent avoir été commis par M. [F], ne saurait davantage justifier l'annulation du prêt litigieux.
S'il est possible, enfin, que la Banque postale n'ait pas accordé à Mme [F] un prêt étudiant de 25 000 euros sans la moindre garantie, il n'est nullement établi pour autant que le prêt en cause n'aurait pas été consenti à Mme [F] sans le cautionnement de ses deux parents.
En toute hypothèse, la nullité du contrat de cautionnement, qui au demeurant n'est pas demandée, ne saurait en soi entraîner la nullité du contrat de prêt, alors que le contrat de prêt ne constitue pas l'accessoire de l'engagement de cautionnement, mais que c'est à l'inverse l'engagement de caution qui est l'accessoire du contrat de prêt.
Par infirmation du jugement entrepris, la demande de nullité du contrat de prêt du 30 septembre 2014 ne peut donc qu'être rejetée.
Sur la demande de dommages et intérêts des intimées
Mme [W] et Mme [F], qui n'ont subi aucun préjudice d'affection, ni aucune atteinte à leur honneur ou à leur réputation, ne justifient non plus d'aucun trouble psychologique.
Dès lors, par confirmation du jugement entrepris, et sans même qu'il y ait lieu d'examiner les fautes reprochées à l'appelante, les intimées seront déboutées de leurs demandes de dommages et intérêts.
Sur les demandes reconventionnelles en paiement de la Banque Postale
Selon l'article 1315 du code civil, pris dans son ancienne rédaction applicable à la cause, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.
En l'espèce, alors qu'il lui incombe d'établir, non pas seulement l'existence, mais le montant de sa créance, la Banque postale, qui procède dans ses écritures à un décompte dépourvu de toute indication temporelle, assurément erroné puisqu'il fait référence à un capital restant dû supérieur au montant du capital prêté, ne produit ni le tableau d'amortissement du prêt, ni aucun décompte détaillé ou autre élément de nature à justifier du montant de sa créance.
La Banque postale ne peut dès lors qu'être déboutée de sa demande reconventionnelle en paiement.
Sur les demandes accessoires
Les parties, qui succombent respectivement au sens de l'article 696 du code de procédure civile, conserveront chacune la charges des dépens dont elles ont fait l'avance.
Compte tenu du partage des dépens, il n'y a pas lieu à indemnité de procédure sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
CONFIRME la décision entreprise uniquement en ce qu'elle a débouté Mme [V] [F] et Mme [D] [W] de leurs demandes de dommages et intérêts,
L'INFIRME pour le surplus de ses dispositions critiquées,
STATUANT À NOUVEAU sur les chefs infirmés et y ajoutant :
REJETTE la demande de nullité du contrat de prêt du 30 septembre 2014,
REJETTE la demande reconventionnelle en paiement de la SA La Banque postale financement,
REJETTE les demande formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
LAISSE à chacune des parties la charge des dépens de première instance et d'appel dont elle a fait l'avance,
DIT n'y avoir lieu d'accorder aux avocats de la cause le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, présidant la collégialité et Madame Marie-Claude DONNAT , Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT