COUR D'APPEL D'ORLÉANS
C H A M B R E C I V I L E
GROSSES + EXPÉDITIONS : le 12/09/2022
Me Emmeline PLETS DUGUET
la SCP REFERENS
ARRÊT du : 12 SEPTEMBRE 2022
N° : - : N° RG 19/03873 - N° Portalis DBVN-V-B7D-GCK2
DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du Tribunal de Grande Instance de TOURS en date du 11 Avril 2019
PARTIES EN CAUSE
APPELANTE :- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265 2494 7689 9595
LA SCEA LA VERNOISIERE, immatriculée au RCS de TOURS sous le numéro 324 697 663, prise en la personne de son représentant légal M. [G] [P] domicilié en cette qualité audit siège;
[Adresse 6]
[Localité 2]
ayant pour avocat postulant Me Emmeline PLETS DUGUET, du barreau d'ORLEANS et représentée par Me Sébastien NAUDIN de la SELARL NEDELEC & NAUDIN, avocat plaidant au barreau d'ANGERS,
D'UNE PART
INTIMÉ : - Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265 2469 4244 0721
Monsieur [F] [K]
né le [Date naissance 1] 1984 à [Localité 5] (37)
[Adresse 7]
[Localité 2]
représenté par Me CHABOISSON substituant Me Michel ARNOULT de la SCP REFERENS, avocat au barreau de TOURS
D'AUTRE PART
DÉCLARATION D'APPEL en date du :16 Décembre 2019
ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 31 Mai 2022
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats, du délibéré :
Madame Anne-Lise COLLOMP, Président de chambre,
Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller,
Madame Laure Aimée GRUA, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles.
Greffier :
Madame Fatima HAJBI, Greffier lors des débats et du prononcé.
DÉBATS :
A l'audience publique du 13 JUIN 2022, à laquelle ont été entendus Madame Laure-Aimée GRUA, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles en vertu de l'ordonnance N° 92/2020, en son rapport et les avocats des parties en leurs plaidoiries.
ARRÊT :
Prononcé le 12 SEPTEMBRE 2022 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
Aux termes d'un compromis de vente du 17 mars 2014, la SCEA La Vernoisière a acquis de Mme [Z] [N] née [B] deux parcelles situées commune de [Localité 8] lieu-dit 'La Tripière' cadastrées ZR [Cadastre 3] et [Cadastre 4] pour une superficie de 34 ha 63 a 56 ca, sous la condition suspensive d'obtenir avant le 30 septembre 2014 l'autorisation de les exploiter.
La société La Vernoisière a déposé une demande d'autorisation d'exploiter le 17 avril 2014 auprès de la direction départementale des territoires, DDT, d'Indre et Loire.
Le 3 juillet 2014, M. [F] [K] a déposé une demande concurrente.
Par arrêté préfectoral du 3 octobre 2014, l'autorisation d'exploiter les parcelles a été accordée à M. [K].
Renonçant à la condition suspensive liée à l'obtention de l'autorisation administrative d'exploiter les parcelles, la société La Vernoisière a réitéré la vente par acte authentique du 6 novembre 2014.
L'autorisation d'exploiter accordée à M. [K] est devenue caduque le 31 octobre 2015.
Le 4 novembre 2015, la société La Vernoisière a déposé une nouvelle demande d'autorisation d'exploiter, laquelle lui a été accordée et les droits à paiement permettant le versement des primes de la politique agricole commune, PAC, ont été actionnés pour l'année 2016.
Par acte d'huissier du 18 janvier 2017, la société La Vernoisière a fait assigner M. [K] en reconnaissance de responsabilité et réparation de son préjudice par le paiement des sommes de 32 227 euros au titre de son préjudice économique et de 5 000 euros au titre de son préjudice moral, outre une indemnité de procédure.
Elle lui reprochait de n'avoir pas mis les terres en valeur, ni activé les droits à paiement unique permettant le versement des primes PAC, ni accepté le bail rural proposé.
Par jugement du 11 avril 2019, le tribunal de grande instance de Tours a :
-Déclaré irrecevable la demande de nullité de l'assignation délivrée le 18 janvier 2017,
-Constaté que la SCEA La Vernoisière ne rapporte pas la preuve d'une faute de M. [F] [K],
-Débouté en conséquence la SCEA La Vernoisière de l'ensemble de ses demandes,
-Débouté M. [F] [K] de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive,
-Condamné la SCEA La Vernoisière aux entiers dépens,
-Condamné la même à verser à M. [F] [K] une somme globale de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
-Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
-Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Le premier juge a considéré que les pièces produites par la société La Vernoisière étaient insuffisantes à établir la faute de M. [K], aucune d'elles ne prouvant qu'un bail lui aurait été proposé et qu'il l'aurait refusé et que, n'étant titulaire d'aucun bail, il n'était pas habilité à déposer une demande de subventions.
Selon déclaration du 16 décembre 2019, la société La Vernoisière a relevé appel de tous les chefs de ce jugement sauf en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande de nullité de l'assignation délivrée le 18 janvier 2017 et dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Les parties ont conclu. L'ordonnance de clôture est intervenue le 31 mai 2022.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Les dernières conclusions, remises les 10 mai 2022 par l'appelante, 24 mai 2022 par l'intimé, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, peuvent se résumer ainsi qu'il suit.
La société La Vernoisière et M. [G] [P], associé gérant de la SCEA, demandent de :
-Dire et juger la SCEA La Vernoisière et ses représentants Messieurs [P] recevables et bien fondés en leur action,
-Réformer le jugement entrepris,
-Condamner M. [F] [K] au paiement de la somme de 32 227 euros au titre du préjudice économique subi,
-Condamner le même au paiement de la somme de 5 000 euros au titre du préjudice moral subi,
-Rejeter tous arguments, fins et conclusions de M. [K], et le débouter de sa demande reconventionnelle,
-Condamner M. [F] [K] au paiement de la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [F] [K] demande de :
-Confirmer le jugement en ce qu'il constate que la SCEA La Vernoisière ne rapporte pas la preuve d'une faute qui lui serait imputable et en ce qu'il la déboute de l'ensemble de ses demandes,
-Confirmer le jugement en ce qu'il condamne la SCEA La Vernoisière au paiement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-Prendre acte de ce qu'il abandonne son moyen de nullité de l'assignation sur le fondement de l'article 56 du code de procédure civile,
-Débouter la SCEA La Vernoisière de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions comme étant mal fondées,
-Infirmer le jugement du 11 avril 2019 en ce qu'il le déboute de sa demande reconventionnelle,
Statuant à nouveau,
-Condamner la SCEA La Vernoisière à lui verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
-Condamner la SCEA La Vernoisière à une amende civile sur le fondement de l'article 559 du code de procédure civile pour appel abusif,
En toute hypothèse,
-Condamner la SCEA La Vernoisière à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
-Condamner la même aux entiers dépens.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La société La Vernoisière et M. [P] font plaider l'abus de droit commis par M. [K], avec lequel M. [P], chasseur et président de chasse, entretenait de mauvaises relations en raison des dégâts occasionnés par le gibier sur ses terres, en soutenant qu'il n'a jamais eu le projet d'agrandir son exploitation agricole puisqu'il n'a pas profité de l'occasion d'acquérir plusieurs parcelles attenantes à son exploitation, ne s'est pas porté acquéreur auprès de la SAFER pour acquérir les terres de Mme [N], ne s'en est pas rapproché, comme il ne s'est pas rapproché de M. [U] [N], alors exploitant des terres, afin de solliciter un bail rural ; ayant appris l'identité de l'acquéreur des terres, M. [K] s'est empressé, pour leur nuire, de demander l'autorisation d'exploiter, sachant que sa demande serait prioritaire, les exploitations agricoles d'élevage étant prioritaires par rapport aux exploitations céréalières, et que la société ne pourrait percevoir les droits à paiement de base liés à l'exploitation des terres.
Ils prétendent que M. [K] n'a pas répondu à la proposition de bail rural faite par la société, son objectif étant d'empêcher quiconque d'exploiter les parcelles afin qu'elles perdent leur valeur au titre des droits PAC et considèrent qu'il a abusé de son droit. Ils ajoutent que M. [K] ayant été autorisé à exploiter les parcelles, il avait l'obligation de les exploiter mais n'a entrepris aucune diligence, sa négligence leur ayant causé un dommage.
M. [K] répond que suite à l'acquisition des terres par la société La Vernoisière, il s'en est rapproché afin de savoir si la régularisation d'un bail des terres acquises était possible ; les parties n'ont jamais pu parvenir à un quelconque accord, la propriétaire tentant de lui imposer le versement d'un pas de porte, prohibé par l'article L. 411-74 du code rural.
Il est certain que l'exercice d'un droit peut constituer une faute lorsque le titulaire de ce droit en fait, à dessein de nuire, un usage préjudiciable à autrui.
Il appartient donc aux appelants de prouver la faute qu'aurait commise M. [K], leur dommage et le lien de causalité entre cette faute et le dommage.
Devant la cour, reprenant ses moyens de première instance, la société La Vernoisière ne verse au débat aucun complément de pièces établissant qu'elle avait offert à M. [K] un bail rural conforme aux dispositions d'ordre public du code rural, alors que le premier juge avait retenu l'absence de cette proposition de bail pour la débouter de ses demandes.
Il sera rappelé que la conclusion d'un bail rural est un acte consensuel, exigeant donc le consentement des deux parties, acte totalement indépendant d'une autorisation d'exploiter, acte administratif.
M. [K] n'étant pas titulaire d'un bail sur les terres acquises par la société, laquelle ne justifie pas lui en avoir proposé un, il n'avait pas le droit d'y pénétrer pour s'y livrer à quelque exploitation que ce soit et il ne peut donc lui être reproché de ne pas les avoir exploitées.
Pour ce qui concerne le dommage prétendu, à savoir la perte des droits à paiement de base liés à l'exploitation des terres, selon les termes du compromis de vente, la réitération de la vente était soumise à la condition suspensive d'obtention de l'autorisation d'exploiter avant le 30 septembre 2014. La société La Vernoisière, qui pouvait renoncer à la vente, a choisi de la régulariser alors que cette autorisation lui avait été refusée. Ce faisant, si elle a subi le préjudice prétendu, elle en est à l'origine puisqu'elle savait, en sa qualité d'exploitante agricole, que sans cette autorisation, elle ne pourrait exploiter les terres et percevoir les aides PAC attachées à cette exploitation, étant rappelé que les aides PAC sont versées à l'agriculteur actif et non au propriétaire bailleur.
La faute de M. [K] n'étant pas prouvée, la décision qui la déboute de l'ensemble de ses demandes doit être confirmée.
Se portant reconventionnellement demandeur, M. [K] fait plaider l'abus du droit d'ester en justice commis par la société La Vernoisière en faisant valoir qu'en sa qualité d'exploitante agricole, elle était informée des règles régissant l'autorisation d'exploiter en cas de demandes concurrentes, tout comme de celles régissant l'attribution des aides PAC ; lors de l'acquisition des terres, elle avait acheté les droits à paiement de base de M. [U] [N], précédent exploitant intervenu lors de la vente, pour le prix de 1 euro, mais s'est prévalue d'un préjudice correspondant à la perte de primes sur 5 années, tout en indiquant avoir actionné les droits à paiement dès l'année 2016 et exploite les terres depuis plusieurs années. Il considère qu'en maintenant sa procédure devant la cour, la société La Vernoisière a agi dans l'objectif de lui nuire en l'obligeant à se défendre et à exposer des frais.
Cependant, la reconnaissance du caractère abusif de la procédure résulte de la preuve de l'intention de nuire ou d'une attitude malicieuse.
Si M. [K] tire l'intention de nuire de l'obligation dans laquelle il s'est trouvé d'exposer des frais pour sa défense, ces frais lui seront indemnisés dans le cadre de l'indemnité qui lui sera allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'attitude malicieuse n'est pas alléguée.
En conséquence, il convient de confirmer la décision le déboutant de sa demande de dommages-intérêts.
Par contre la société La Vernoisière sera condamnée au paiement des entiers dépens d'appel et à verser à M. [K] une indemnité de procédure de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant contradictoirement, par mise à disposition au greffe ;
CONFIRME la décision, en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant ;
Condamne la SCEA La Vernoisière au paiement des entiers dépens d'appel et d'une indemnité de procédure de 8 000 euros à M. [F] [K].
Arrêt signé par Madame Anne-Lise COLLOMP, Président de Chambre et Madame Fatima HAJBI, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT