COUR D'APPEL D'ORLÉANS
CHAMBRE DES AFFAIRES DE SÉCURITÉ SOCIALE
GROSSE à :
AARPI MLP AVOCATS
CPAM DE LA VIENNE
EXPÉDITION à :
SAS [14]
MINISTRE CHARGÉ DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Pôle social du Tribunal judiciaire d'ORLEANS
ARRÊT DU : 06 DECEMBRE 2022
Minute n°544/2022
N° RG 21/00840 - N° Portalis DBVN-V-B7F-GKMK
Décision de première instance : Pôle social du Tribunal judiciaire d'ORLEANS en date du 25 Février 2021
ENTRE
APPELANTE :
SAS [14]
Service AT
[Adresse 7]
[Localité 8]
Représentée par Me Bertrand PATRIGEON de l'AARPI MLP AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, substitué par Me Thibault MERCIER-MAUDUIT, avocat au barreau de PARIS
D'UNE PART,
ET
INTIMÉE :
CPAM DE LA VIENNE
[Adresse 5]
[Localité 10]
Représentée par Mme [D] [J], en vertu d'un pouvoir spécial
PARTIE AVISÉE :
MONSIEUR LE MINISTRE CHARGÉ DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
[Adresse 4]
[Localité 9]
Non comparant, ni représenté
D'AUTRE PART,
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats :
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 OCTOBRE 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Anabelle BRASSAT-LAPEYRIERE, Conseiller, chargé du rapport.
Lors du délibéré :
Madame Carole CHEGARAY, Président de chambre,
Madame Anabelle BRASSAT-LAPEYRIERE, Conseiller
Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller
Greffier :
Monsieur Alexis DOUET, Greffier lors des débats et du prononcé de l'arrêt.
DÉBATS :
A l'audience publique le 04 OCTOBRE 2022.
ARRÊT :
- Contradictoire, en dernier ressort
- Prononcé le 06 DECEMBRE 2022 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- Signé par Madame Carole CHEGARAY, Président de chambre et Monsieur Alexis DOUET, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le Magistrat signataire.
* * * * *
Par requête en date du 23 mai 2019, la SAS [14] a saisi le Pôle social du tribunal de grande instance d'Orléans d'un recours à l'encontre de la décision rendue le 14 mars 2019 par la commission de recours amiable de la caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne, ci-après CPAM de la Vienne, rejetant sa demande tendant à lui voir déclarer inopposable les arrêts de travail prescrits à M. [T] [O] à la suite de l'accident survenu le 13 septembre 2018, pris en charge au titre de la législation sur les risques professionnels.
Le tribunal de grande instance est devenu le tribunal judiciaire le 1er janvier 2020 par l'effet de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019.
Selon jugement du 22 février 2021, le Pôle social du tribunal judiciaire d'Orléans a :
- débouté la société [14],
- dit n'y avoir lieu à expertise,
- confirmé l'opposabilité à la société [14] des arrêts de travail consécutifs à l'accident du travail du 13 septembre 2018 de M. [O].
- condamné la société [14] aux dépens.
Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 12 mars 2021, la SAS [14] a relevé appel de ce jugement en toutes ses dispositions.
L'affaire a été appelée à l'audience du 4 octobre 2022.
Aux termes de ses écritures visées par le greffe le 4 octobre 2022 et soutenues oralement à l'audience, la SAS [14] demande à la Cour de:
- infirmer le jugement rendu le 25 février 2021 par le Pôle social du tribunal judiciaire d'Orléans,
Statuant et jugeant à nouveau,
- dire et juger que la durée de l'ensemble des arrêts de travail octroyés à M. [O] au titre de l'accident du travail du 13 septembre 2018 est manifestement disproportionnée et donc injustifiée,
En conséquence,
- déclarer inopposables à la société [14] les arrêts de travail délivrés à M. [O], qui ne sont pas en relation directe et unique avec l'accident du travail du 13 septembre 2018,
A cette fin et avant dire droit :
- ordonner la mise en oeuvre d'une expertise médicale judiciaire sur pièces et nommer un expert aux fins de :
° faire remettre à l'expert l'entier dossier médical de M. [O],
° identifier les lésions de M. [O] imputables à l'accident du travail du 13 septembre 2018 et retracer l'évolution de ces lésions,
° dire si l'ensemble des arrêts de travail de M. [O] est ou non en relation directe et unique avec l'accident du travail du 13 septembre 2018 et les lésions résultant de l'accident du travail du 13 septembre 2018,
° déterminer les seuls arrêts de travail directement et uniquement imputables à l'accident du travail du 13 septembre 2018 et la lésion initiale de l'assuré,
° le cas échéant, fixer une date de consolidation des seules lésions imputables à l'accident du travail du 13 septembre 2018,
Dans ce cadre,
- demander au médecin conseil de la CPAM de transmettre les éléments médicaux ayant contribué à la prise en charge des arrêts de travail de M. [O], au médecin expert que la cour désignera et au médecin conseil de la société [14],
- dire que l'expert convoquera les parties à une réunion contradictoire afin de recueillir leurs éventuelles observations sur les documents médicux soumis à son examen,
- dire que l'expert devra transmettre aux parties un pré-rapport et solliciter de ces dernières la communication d'éventuels dires, préalablement à la rédaction du rapport définitif,
- enjoidre la CPAM de la Vienne de communiquer l'ensemble des pièces médicales en sa possession,
En tout état de cause,
- condamner la CPAM de la Vienne aux entiers dépens.
La société [14] fait valoir que l'accident du travail déclaré par M. [O] a entraîné l'impact de 378 jours d'arrêt de travail sur son compte employeur, cette durée étant manifestement disproportionnée au regard des circonstances de l'accident et de la lésion initiale de l'assuré, à savoir un traumatisme du genou gauche après que le salarié ait heurté la broche d'un chariot. Elle se prévaut de l'analyse du Dr [G], son médecin conseil, lequel relève que la lésion initiale est un traumatisme ou une contusion du genou gauche et que le fait accidentel n'a pu entrainer ni lésion du ménisque ni lésion ligamentaire aigüe, qui ressortent d'un état pathologique, indépendant. Le cas échéant, elle sollicite une expertise médicale.
Aux termes de conclusions du 5 août 2022 reçues au greffe le 8 août 2022, soutenues oralement à l'audience, la CPAM de la Vienne demande à la Cour de:
- déclarer le recours formé par la société [14] recevable mais mal fondé,
- déclarer les écritures de la CPAM recevables et bien fondées,
- juger que la CPAM était fondée à prendre en charge les arrêts de travail de M. [O] au titre de son accident du travail survenu le 13 septembre 2018,
- juger opposable l'ensemble des arrêts de travail du 1er octobre 2018 au 13 octobre 2019 à la société [14],
- débouter la société [14] de sa demande d'expertise médicale judiciaire,
- confirmer le jugement du tribunal judiciaire d'Orléans du 25 février 2021,
- débouter purement et simplement la société [14] de son recours.
La CPAM de la Vienne oppose à l'employeur la présomption d'imputabilité et prétend que la société [14] n'apporte aucun élément susceptible de la renverser. Elle indqiue que la disproportion de la longueur des arrêts au regard de la lésion initiale et de l'arrêt prescrit ne peut suffire à combattre la dite présomption. Elle ajoute que le médecin conseil s'est prononcé à deux reprises sur la prolongation de l'arrêt de travail et a considéré qu'elle était justifiée. Elle observe encore que l'employeur ne conteste pas l'accident du travail mais seulement les arrêts de travail consécutifs.
En application de l'article 455 du Code de procédure civile, il est renvoyé, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs écritures respectives.
SUR CE
Aux termes des dispositions de l'article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale, est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs.
Il résulte des articles 1353 du Code civil et L. 411-1 du Code de la sécurité sociale que la présomption d'imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, dès lors qu'un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial d'accident du travail est assorti d'un arrêt de travail, s'étend pendant toute la durée d'incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l'état de la victime, et qu'il appartient à l'employeur qui conteste cette présomption d'apporter la preuve contraire (Civ. 2ème, 9 juillet 2020, n° 19-17.626 ; 25 novembre 2021, n° 20-17.609).
En l'espèce, M. [O], né en 1974, a été embauché par la SAS [14] et mis à la disposition de la société [11] en qualité de soudeur. Le 27 septembre 2018, il a été procédé à une déclaration d'accident du travail survenu le 13 septembre précédent dans les circonstances suivantes : "alors que M. [O] était à son poste de soudeur, il aurait heurté la broche du chariot en faisant le tour et se serait heurté le genou gauche". Le certificat médical initial date du 1er octobre 2018, le Dr [K], médecin généraliste, expliquant par ailleurs que le lendemain de l'accident, soit le 14 septembre 2018, M. [O] a été vu par sa remplaçante qui n'a pas fait de déclaration d'accident du travail mais qu'il convient de déclencher les démarches en ce sens, le patient souffrant de plus en plus de sa gonalgie gauche, qu'il décrit le 20 octobre 2018 avec lésions méniscales et ligamentaires.
Le 5 décembre 2018, en dépit des réserves émises par l'employeur, la CPAM de la Vienne a reconnu le caractère professionnel de l'accident de M. [O] après instruction contradictoire menée par ses soins, considérant que "les éléments recueillis permettent d'établir que l'accident est survenu par le fait ou à l'occasion du travail."
M. [O] a ensuite vu ses arrêts de travail régulièrement prolongés jusqu'au13 octobre 2019 sans interruption.
La société [14] ne conteste pas le caractère professionnel de l'accident dont a été victime M. [O], mais seulement l'imputabilité des arrêts et soins postérieurs, soutenant que les 378 jours d'arrêt de travail qui ont suivi ne sont pas justifiés au regard de l'accident survenu.
Il apparaît que le certificat médical initial établi le 1er octobre 2018 mentionne "traumatisme genou gauche" et que l'arrêt de travail initial a été prescrit jusqu'au 19 octobre 2018. Les arrêts de travail subséquents "pour traumatisme genou gauche" ou "suite traumatisme genou gauche" sans plus de précision versés aux débats, tous établis par le même docteur [K], médecin généraliste à [Localité 12], avec autorisation de sortie, ont duré jusqu'au 14 octobre 2019, date de reprise de travail à temps complet avec des soins.
Aucun autre élément médical relatif à l'état de santé de M. [O] n'est produit, notamment en ce qui concerne un éventuel suivi spécialisé ou traitement spécifique (kinésithérapie, infiltration, chirurgie) au cours de cette période d'arrêt de travail de plus d'une année.
La société [14] verse aux débats un avis médico-légal, établi à sa demande par le docteur [Y] [G], le 17 octobre 2020, selon lequel "le 13 septembre 2018, le mécanisme de l'accident du travail est banal. En termes biomécaniques, ce mécanisme ne peut pas conduire à une lésion méniscale ni ligamentaire aigüe. Il se pose la question d'un état antérieur dégénératif qui interfère avec les conséquences cliniques de cet accident du travail. Le médecin traitant n'apporte pas de preuve médicale radio-clinique précise et documentée pour justifier les prolongations régulières de l'arrêt de travail. Ce dossier nous pose un problème d'imputabilité des lésions. Nous ne pouvons pas accepter la durée de l'arrêt de travail imputable en totalité. En conséquence, une expertise médicale judiciaire sur pièces (dossier médical du médecin traitant, compte rendu d'imagerie médicale) s'impose."
Cet élément versé par l'employeur établit une difficulté d'ordre médical de nature à rendre plausible l'existence d'une cause des lésions étrangère au travail. Il y a lieu d'ordonner, avant dire droit, une expertise médicale judiciaire sur pièces afin de déterminer si les arrêts de travail de M. [O] jusqu'au 13 octobre 2019 sont imputables à l'accident du travail dont il a été victime le 13 septembre 2018 et de réserver le surplus des demandes.
PAR CES MOTIFS;
Infirme le jugement du 25 février 2021 du Pôle social du tribunal judiciaire d'Orléans en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à expertise ;
Avant dire droit, sur la contestation de l'imputabilité des soins et arrêts de travail postérieurs au 13 septembre 2018,
Ordonne une expertise médicale et désigne pour y procéder sur pièces :
le docteur [B] [E] [U], [N]
[Adresse 3]
[Localité 6]
Tél : [XXXXXXXX01] Fax : [XXXXXXXX02]
Mèl : [Courriel 13]
avec mission, à laquelle il procédera dans le respect du principe contradictoire, de :
- convoquer les parties et leurs conseils, et se faire remettre le dossier médical de M. [T] [O] ainsi que toutes pièces utiles, médicales ou autres,
- décrire les lésions subies par M. [O] du fait de l'accident du travail dont il a été victime le 13 septembre 2018,
- dire s'il présentait une pathologie antérieure qui a pu entrer en relation avec ces lésions, en précisant, dans l'affirmative, si l'accident a joué à ce titre un rôle déclencheur, révélateur ou aggravant,
- indiquer, de façon motivée, si les soins et arrêts de travail prescrits à partir du 13 septembre 2018 et jusqu'au 13 octobre 2019 sont imputables dans leur intégralité à l'accident et à ses suites ; dans la négative, dire lesquels lui paraissent imputables audit accident du travail ;
Rappelle que la caisse doit communiquer l'intégralité du dossier médical à l'expert ;
Dit que la société [14] devra consigner au greffe de la Cour la somme de 1 200 euros dans le délai de 30 jours de la notification du présent arrêt, à valoir sur la rémunération de l'expert ;
Dit que l'expert déposera son rapport en trois exemplaires au greffe de la chambre des affaires de sécurité sociale de la Cour d'appel d'Orléans dans les trois mois du jour où il aura été saisi de sa mission ;
Désigne le président de la chambre des affaires de sécurité sociale de la Cour d'appel d'Orléans pour surveiller le déroulement de l'expertise et connaître de toute difficulté éventuelle qui surviendrait pendant son déroulement ;
Sursoit à statuer sur le surplus des demandes dans l'attente du rapport de l'expert ;
Renvoie l'affaire à l'audience rapporteur de la chambre de la sécurité sociale de la Cour d'appel d'Orléans du mardi 6 juin 2023 à 14 heures, la notification de la présente décision valant convocation des parties à cette audience ;
Réserve les dépens.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,