COUR D'APPEL D'ORLÉANS
CHAMBRE DES AFFAIRES DE SÉCURITÉ SOCIALE
GROSSE à :
Me Julien TSOUDEROS
CPAM D'[Localité 5]
EXPÉDITION à :
SA [6]
MINISTRE CHARGÉ DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Pôle social du Tribunal judiciaire de TOURS
ARRÊT DU : 06 DECEMBRE 2022
Minute n°547/2022
N° RG 21/00983 - N° Portalis DBVN-V-B7F-GKWV
Décision de première instance : Pôle social du Tribunal judiciaire de TOURS en date du 22 Février 2021
ENTRE
APPELANTE :
SA [6]
[Adresse 3]
[Localité 8]
Représentée par Me Julien TSOUDEROS, avocat au barreau de PARIS
D'UNE PART,
ET
INTIMÉE :
CPAM D'[Localité 5]
[Adresse 4]
[Localité 8]
Représentée par Mme [V] [C], en vertu d'un pouvoir spécial
PARTIE AVISÉE :
MONSIEUR LE MINISTRE CHARGÉ DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Non comparant, ni représenté
D'AUTRE PART,
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats :
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 OCTOBRE 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Anabelle BRASSAT-LAPEYRIERE, Conseiller, chargé du rapport.
Lors du délibéré :
Madame Carole CHEGARAY, Président de chambre,
Madame Anabelle BRASSAT-LAPEYRIERE, Conseiller
Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller
Greffier :
Monsieur Alexis DOUET, Greffier lors des débats et du prononcé de l'arrêt.
DÉBATS :
A l'audience publique le 04 OCTOBRE 2022.
ARRÊT :
- Contradictoire, en dernier ressort
- Prononcé le 06 DECEMBRE 2022 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- Signé par Madame Carole CHEGARAY, Président de chambre et Monsieur Alexis DOUET, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le Magistrat signataire.
* * * * *
Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 3 février 2020, la SA [6] (ci-après [6]) a saisi le Pôle social du tribunal judiciaire de Tours d'un recours à l'encontre de la décision implicite de rejet rendue par la commission de recours amiable de la caisse primaire d'assurance maladie d'[Localité 5] (ci-après CPAM d'[Localité 5]) rejetant sa demande tendant à lui voir déclarer inopposable la décision de prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels de l'accident dont a été victime un de ses salariés, M. [R] [E], le 31 mai 2019.
La commission de recours amiable s'est finalement prononcée le 25 août 2020 dans les mêmes termes de sorte que par lettre recommandée avec avis de réception en date du 11 septembre 2020, la SA [6] a de nouveau saisi le Pôle social du tribunal judiciaire de Tours d'un recours à l'encontre de cette décision de rejet de sa demande tendant à lui voir déclarer inopposable la décision de prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels de l'accident précité.
Par jugement du 22 février 2021, le Pôle social du tribunal judiciaire de Tours a:
- ordonné la jonction des deux procédures,
- déclaré le recours de la société [6] recevable mais mal fondé,
- validé la décision rendue le 25 août 2020 par la commission de recours amiable de la CPAM d'[Localité 5],
- déclaré opposable à la société [6] la décision de prendre en charge au titre de la législation sur les risques professionnels l'accident dont a été victime M. [R] [E] le 31 mai 2019,
- condamné la société [6] aux entiers dépens de l'instance.
Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 22 mars 2021, la société [6] a relevé appel de ce jugement.
L'affaire a été appelée à l'audience du 4 octobre 2022.
Aux termes d'écritures visées par le greffe le 4 octobre 2022 et soutenues oralement à l'audience du même jour, la société [6] demande à la Cour de :
Vu les articles L. 411-1 et suivants, L. 441-1 et suivants, L. 443-2 et suivants, R. 142-1 et R. 441-1 et suivants du Code de la sécurité sociale,
- recevoir la concluante en les présentes et la déclarer bien fondée ;
- infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Tours du 22 février 2021 ;
A titre principal :
- déclarer que la prise en charge de l'accident du travail du 31 mai 2019 de M. [E] est inopposable à la société [6] ;
En conséquence :
- annuler la décision implicite de la commission de recours amiable de la CPAM d'[Localité 5] ;
A titre subsidiaire :
- ordonner, avant dire droit, la mise en oeuvre d'une expertise judiciaire médicale confiée à tel expert qu'il plaira au tribunal de nommer en lui confiant la mission de :
1°) prendre connaissance de l'entier dossier médical de M. [E] établi par la Caisse ; indiquer les pièces communiquées par la caisse ;
2°) convoquer les parties par lettre recommandée avec accusé de réception à une réunion d'expertise, leurs conseils par lettre simple ;
3°) déterminer exactement les lésions initiales provoquées par accident ;
4°) déterminer si la lésion initiale est l'accident vasculaire cérébral ischémique ;
- ordonner la transmission des pièces au Dr [R] [D] ([Adresse 2]).
Aux termes d'écritures visées par le greffe le 4 octobre 2022 et soutenues oralement à l'audience, la CPAM d'[Localité 5] demande à la Cour de :
- confirmer le jugement du 22 février 2021 en toutes ses dispositions ;
- confirmer la décision de la caisse concernant la prise en charge, au titre de la législation sur les risques professionnels, de l'accident dont a été victime M. [E] le 31 mai 2019 ;
- dire et juger opposable à la société [6] la décision de prise en charge par la CPAM d'[Localité 5], au titre de la législation professionnelle, de l'accident du travail dont a été victime M. [E] le 31 mai 2019, ainsi que toutes ses conséquences ;
- rejeter en conséquence l'ensemble des demandes et prétentions de la société [6] ;
- condamner la société [6] aux dépens ;
- condamner la société [6] à payer à la CPAM d'[Localité 5] la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
En application de l'article 455 du Code de procédure civile, il est renvoyé, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs écritures respectives.
SUR CE
L'article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale dispose qu'est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.
Cette définition a été précisée par la jurisprudence, en ce que l'accident du travail est un événement ou une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle quelle que soit la date d'apparition de celle-ci.
Il en résulte que l'accident survenu au temps et au lieu du travail est présumé être un accident du travail, sauf à établir que la lésion a une cause totalement étrangère au travail (Civ. 2ème, 11 juillet 2019, n° 18-19.160).
Dans les rapports caisse-assuré, c'est à l'assuré qui se dit victime d'un accident du travail d'apporter la preuve de la matérialité de l'accident et de la survenance de l'accident en lien avec le travail. Cette preuve peut être apportée par tous moyens, tous faits permettant de retenir des présomptions graves, précises et concordantes en ce sens pouvant être invoqués.
Si la victime d'un accident du travail doit en informer l'employeur dans la journée où l'accident s'est produit ou au plus tard dans les 24 heures (L. 441-1, L. 441-6 et R. 441-2 du Code de la sécurité sociale), le non-respect de ce délai ne lui fait pas perdre nécessairement le bénéfice de la présomption d'imputabilité au travail.
C'est ensuite à celui qui conteste que la lésion survenue soudainement au temps et au lieu du travail constitue un accident du travail d'apporter la preuve que cette lésion a une origine totalement étrangère au travail.
En l'espèce, l'employeur fait valoir que le travail d'infographiste de l'assuré est insusceptible d'avoir engendré une ischémie cérébrale à l'origine de l'AVC ayant causé l'épilepsie, la fracture-luxation, puis l'hémiparésie et les troubles cognitifs. Il rappelle à cet égard que par arrêt du 26 juin 2020, le service médical de la caisse a indiqué que l'AVC n'était pas d'origine professionnelle. Il déduit du fait qu'après son admission au CHRU de [Localité 8], l'assuré a été transféré au centre de réadaptation fonctionnelle du clos [Localité 7] - UGECAM du Centre - spécialisée dans des domaines sans lien avec le fait accidentel, pour soutenir qu'il souffrait d'un état pathologique antérieur. Il reproche à la caisse de ne pas avoir recherché la cause du malaise, qui en l'espèce n'est que la conséquence d'une lésion inconnue. Il affirme également que la caisse se devait d'ouvrir une instruction relative au malaise de M. [E] et l'a ainsi privé de la possibilité de rapporter la preuve d'une cause totalement étrangère au travail. À titre subsidiaire, il considère qu'il existe un litige d'ordre médical sur l'identification de la lésion initiale et qu'il convient d'ordonner une expertise médicale.
De son côté, la CPAM d'[Localité 5] rappelle que les éléments constitutifs de la notion d'accident du travail sont réunis, l'employeur n'a émis aucune réserve sur la déclaration de l'accident et que par conséquent la présomption d'imputabilité au travail trouve à s'appliquer outre le fait qu'elle n'avait pas l'obligation de procéder à une instruction. Dans ces conditions, elle soutient qu'il appartient à la société employeur de rapporter la preuve d'une cause totalement étrangère au travail. Elle indique encore que par ses constatations, l'imputabilité des arrêts à l' accident du travail est médicalement vérifiée, de sorte qu'il incombe à l'employeur, lequel conteste la relation entre l'accident et les arrêts de travail, de combattre la présomption d'imputabilité en produisant aux débats des éléments objectifs vérifiables, ce qu'une supposée longueur excessive des arrêts travail prescrits ne permet pas.
Il s'avère, que M. [E], né en 1962, employé en qualité de graphiste par la société [6], a été victime le 31 mai 2019 d'un accident dans les circonstances suivantes, selon la déclaration du 19 juillet 2019, 'M. [E] assis devant son ordinateur a fait des convulsions, il est tombé au sol se frappant le visage avec son stylo'. Le certificat médical initial du même jour mentionne : ' fractures luxations des deux épaules - crise épilepsie'.
Il s'évince donc de ces éléments que le 31 mai 2019, M. [E] a été victime au temps et au lieu de son travail d'un événement, en l'occurrence des convulsions, dont il est résulté des lésions. La matérialité de l'accident du travail litigieux étant clairement démontrée, la présomption légale d'imputabilité au travail trouve à s'appliquer et ne peut être utilement combattue par l'employeur de M. [E] qu'en apportant la preuve d'une cause totalement étrangère au travail.
A cet égard, l'employeur argue d'une 'fiche AT n°1" intitulée 'malaise, suivi ou non de décès survenu au temps et au lieu du travail' qui définit le malaise et rappelle les étapes de la décision médico-administrative ; toutefois, ainsi que le fait valoir pertinemment la CPAM, cette charte est ancienne au vu des jurisprudences jointes, et sa valeur demeure purement indicative. Au surplus, il sera observé qu'elle n'apporte aucun renseignement s'agissant du cas de M. [E] et qu'il n'incombe pas, à ce stade, à la caisse de rechercher la cause du malaise.
L'employeur rappelle également que les conditions de travail du salarié étaient tout à fait normales le jour de l'accident, ce qui n'est pas contesté mais est insuffisant à établir la cause étrangère requise pour renverser la présomption querellée.
Il évoque encore à l'appui de sa démonstration la décision de refus de la CPAM du 24 juillet 2020 de prendre en charge de nouvelles lésions au titre de la législation professionnelle. Il doit cependant être précisé que le médecin conseil a indiqué le 26 juin à réception d'un certificat médical du 29 mai 2020 'les lésions décrites sur le certificat médical et mentionnées dans le commentaire de la décision ci-dessous ne sont pas imputables à l'AT/MP...AVC différent de l'AT. Poursuite de l'arrêt justifié en AT pour les séquelles de l'épilepsie (fracture épaule gauche).' Or, l'employeur n'apporte aucun élément médical contraire susceptible d'expliquer la cause de l'épilepsie, se contentant d'affirmer sans fondement 'l'ischémie est donc la cause originelle de l'AVC, ayant causé l'épilepsie, la fracture-luxation, puis l'hémiparésie et les troubles cognitifs'.
L'employeur se prévaut par ailleurs du transfert de l'assuré à l'UGECAM du Centre pour en déduire qu'il souffrait d'un état pathologique antérieur sans lien avec le travail, moyen qui n'est corroboré par aucun autre élément et ne saurait donc prospérer utilement.
Enfin, s'agissant de l'absence d'instruction de la CPAM, c'est avec pertinence que celle-ci relève qu'elle n'en avait pas l'obligation dans la mesure où l'employeur n'a émis aucune réserve consécutivement à la déclaration d'accident, qui au surplus n'est intervenue que le 19 juillet 2019, soit près d'un mois et demi après les faits.
La décision déférée sera donc confirmée en ce qu'elle a considéré que la société [6] ne rapportait pas la preuve que les lésions subies le 31 mai 2019 par M. [E] avaient une cause totalement étrangère à son activité professionnelle ou étaient dues à un état pathologique existant et a, en conséquence, déclaré que la décision de la commission de recours amiable de la CPAM d'[Localité 5] de prendre en charge au titre de la législation sur les risques professionnels l'accident querellé, lui était opposable.
- Sur les autres demandes, les dépens et les frais irrépétibles
Le jugement querellé est confirmé en ses dispositions relatives aux dépens.
Partie succombante, la société [6] sera condamnée aux dépens d'appel.
L'équité commande de ne pas faire application de l'article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS:
Confirme le jugement rendu le 22 février 2021 par le Pôle social du tribunal judiciaire de Tours en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne la SA [6] aux dépens d'appel ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,