COUR D'APPEL D'ORLÉANS
C H A M B R E C I V I L E
GROSSES + EXPÉDITIONS : le 27/02/2023
Me Estelle GARNIER
la SCP REFERENS
ARRÊT du : 27 FEVRIER 2023
N° : - : N° RG 20/01248 - N° Portalis DBVN-V-B7E-GFJJ
DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de BLOIS en date du 28 Mai 2020
PARTIES EN CAUSE
APPELANTE :- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265 1265256775048839
Madame [G] [Z] Veuve [K]
née le 23 Septembre 1943 à [Localité 10]
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Estelle GARNIER, avocat au barreau d'ORLEANS
D'UNE PART
INTIMÉ : - Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265 1265255304471609
Monsieur [L] [O]
né le 13 Novembre 1953 à [Localité 12]
[Adresse 5]
[Localité 6]
représenté par Me Laurent LALOUM de la SCP REFERENS, avocat au barreau de BLOIS
D'AUTRE PART
DÉCLARATION D'APPEL en date du :08 Juillet 2020
ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 08 novembre 2022
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats, du délibéré :
Madame Anne-Lise COLLOMP, Président de chambre,
Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller,
Madame Laure Aimée GRUA, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles.
Greffier :
Madame Fatima HAJBI, Greffier lors des débats et du prononcé.
DÉBATS :
A l'audience publique du 09 JANVIER 2023, à laquelle ont été entendus Madame Laure Aimée GRUA, Magistrat honoraire en son rapport et les avocats des parties en leurs plaidoiries.
ARRÊT :
Prononcé le 27 FEVRIER 2023 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte d'huissier délivré le 26 juillet 2018, Mme [G] [Z] veuve [K], propriétaire d'un immeuble situé [Adresse 1] à [Localité 10], cadastré section E n°[Cadastre 2], a assigné M. [L] [O], propriétaire de l'immeuble situé au n°7 de cette impasse, cadastré section E numéro [Cadastre 7], en suppression définitive, sous astreinte, du portail implanté à l'entrée de sa propriété, paiement de dommages-intérêts et d'une indemnité de procédure.
Elle soutenait que ce portail méconnaissait la servitude conventionnelle de passage dont elle était bénéficiaire.
Par jugement du 28 mai 2020, le tribunal judiciaire de Blois a :
- débouté Mme [G] [Z] veuve [K] de toutes ses demandes,
- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de Mme [Z] veuve [K],
- condamné Mme [G] [Z] veuve [K] à payer à M. [L] [O] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Mme [Z] veuve [K] aux dépens,
- accordé à Maître Laloum le droit prévu à l'article 699 du code de procédure civile.
Il retenait que le portail ne faisait pas obstacle au droit de passage, puisqu'il peut être ouvert de l'extérieur par toute personne se trouvant sur la propriété [K], l'appréciation de l'huissier selon laquelle l'ouverture du portail serait 'difficile' étant manifestement excessive, puisqu'il résulte de ses propres constatations que ce portail peut être ouvert par une personne utilisant ses deux mains et s'aidant de la poussée de son épaule.
Selon déclaration du 8 juillet 2020, Mme [G] [Z] a relevé appel de cette décision en critiquant expressément tous les chefs du dispositif.
Les parties ont conclu. L'ordonnance de clôture est intervenue le 8 novembre 2022.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Les dernières conclusions des parties, remises les 17 octobre 2022 par l'appelante, et 28 décembre 2020 par l'intimé, auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, peuvent se résumer ainsi qu'il suit.
Mme [G] [Z] veuve [K] demande de :
- déclarer son appel recevable et bien fondé,
- y faisant droit, réformer la décision et statuant à nouveau,
- enjoindre à M. [L] [O] de supprimer définitivement le portail implanté à l'entrée de sa propriété, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
- se réserver de connaître de la liquidation de l'astreinte,
- condamner M. [L] [O] à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts, en réparation de ses préjudices,
- déclarer M. [O] irrecevable en tous cas mal fondé, en toutes ses demandes, fins et conclusions, et l'en débouter,
- condamner M. [O] à lui payer la somme de 5 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel, et accorder à Maître Estelle Garnier le droit prévu à l'article 699 du code de procédure civile.
M. [L] [O] demande de :
- débouter Mme [Z] veuve [K] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- la débouter de son appel,
En conséquence,
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- condamner Mme [Z] veuve [K] à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [Z] veuve [K] aux entiers dépens dont distraction à Maître Laloum conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
L'appelante indique que le droit de passage dont bénéficie sa propriété se trouve dans le prolongement du chemin communal dit '[Adresse 11], traverse la propriété de M. [X] [Z], [Adresse 8], puis celle de M. [L] [O], [Adresse 9] et enfin celle de M. [P] [O] ; ce passage est le seul accès possible en voiture à sa propriété ; après avoir entrepris la construction de deux murs à l'entrée de sa propriété en 2008, M. [L] [O] y a fait poser, en 2017, un portail entravant le passage des véhicules.
Soulignant l'illégalité de la pose de ce portail, pour se situer entre des murs bahuts de 2 mètres, alors que le PLU de la commune prévoit que les clôtures doivent être constituées d'un mur bahut de 0,50 m à 0,80 m surmonté d'une grille et doublé ou non d'une haie, l'ensemble ne pouvant dépasser 2 mètres et pour n'avoir pas fait l'objet d'une déclaration de travaux, puisqu'il a été posé 9 ans après la construction des murs, en méconnaissance de l'article R. 424-17 du code de la construction selon lequel la décision de non opposition à une déclaration de travaux est périmée si le chantier est interrompu pendant plus d'un an, l'appelante fait plaider la difficulté d'ouvrir le portail, sans poignée de l'extérieur, mais disposant d'un loquet d'un seul côté, induisant en erreur toute personne se rendant à son domicile, notamment les véhicules d'assistance médicale ou de secours, l'ouverture des vantaux provoquant des ornières importantes au sol, les plots en béton destinés à la fixation de ces vantaux réduisant la largeur du passage à 4,23 mètres, l'obligeant à descendre de son véhicule, actionner le portail, le refermer ensuite, alors qu'elle est âgée de 79 ans et souffre d'arthrose lombaire et de douleurs aux épaules. Elle considère que la pose du portail rend l'exercice de la servitude de passage plus incommode.
M. [O] répond que l'appelante est particulièrement défaillante à rapporter la preuve que l'exercice de la servitude serait plus incommode de par la présence du portail ou que celui-ci en diminuerait l'usage, aucune largeur n'étant mentionnée dans l'acte dont elle se prévaut, le constat d'huissier auquel elle se réfère mentionnant, qu'une fois le portail ouvert, la largeur est de 4,23 mètres et que, compte tenu de la présence d'une haie, il est de 3,54 mètres, largeur qu'il estime suffisante au vu de l'article R. 312-10 du code de la route réglementant la largeur maximale des véhicules qui ne doivent pas dépasser 2,95 mètres. Il soutient que la présence du portail ne rend pas l'exercice de la servitude plus incommode, son ouverture se faisant classiquement comme pour tout portail manuel.
Il est constant que le fonds de M. [O] est débiteur d'une servitude de passage envers celui, enclavé, de Mme [K], le titre de propriété de celle-ci, acte de Maître [H], notaire, du 23 mars 1998, mentionnant un 'droit de passage à tous usages sur les parcelles... section E numéro [Cadastre 7] appartenant à Monsieur [L] [O].'
Les principes applicables à l'exercice de la servitude sont les suivants :
- Le propriétaire du fonds débiteur de la servitude ne peut rien faire qui tende à en diminuer l'usage, ou à le rendre plus incommode, selon l'article 701 du code civil,
- Tout propriétaire peut clore son héritage, sauf l'exception portée en l'article 682, selon l'article 647 du code civil.
Il est certain que si le propriétaire d'un fonds grevé d'une servitude de passage conserve le droit de se clore, il ne doit cependant rien entreprendre qui puisse diminuer l'usage de la servitude ou la rendre moins commode.
Si le passage, en sa largeur, apparaît suffisant pour permettre l'exercice d'un passage à tous usages, notamment celui d'un véhicule, dont bénéficie le fonds de Mme [K], les circonstances modificatives de l'usage du droit de passage ne peuvent être contestées :
- l'obligation, à chaque passage, de descendre de son véhicule pour actionner le loquet, remonter dans son véhicule pour le franchir, descendre de son véhicule pour le refermer et y remonter pour se rendre sur sa propriété ou à l'extérieur, alors qu'elle est âgée de près de 80 ans, pour être née le 23 septembre 1943, et que son médecin atteste, pièce n°21, qu'elle est atteinte d'arthrose et de douleurs aux épaules,
- l'obligation en venant de l'extérieur d'introduire le bras à travers le portail pour manoeuvrer le loquet et la targette en s'aidant de ses épaules pour en obtenir l'ouverture, ainsi que l'huissier [T], pièce n°13, l'a constaté le 13 mars 2018, l'ouverture du portail est difficile 'puisque le loquet d'ouverture est situé à l'intérieur de la propriété [de M. [O]]. Il convient à la fois de soulever le loquet de blocage et faire coulisser la targette. L'utilisation de mes deux mains est nécessaire, et je m'aide de l'épaule pour pousser le portail',
- l'impossibilité de recevoir des visites, en l'absence de poignet d'ouverture extérieure, comme l'impossibilité pour les artisans venant faire des travaux à son domicile d'y accéder et de bénéficier de toute aide extérieure comme celle des pompiers ou de l'assistance des services de secours.
Il faut considérer que ces circonstances constituent des limitations aux droits de Mme [K] d'user du passage pour se rendre sur sa propriété en ce qu'elles rendent particulièrement incommode son exercice quotidien, que ne peut justifier le droit de se clore opposé par M. [O] (Civ 3ème 1er juillet 2014 n°13-17.017). En conséquence, infirmant la décision, il sera enjoint à M. [O] de supprimer le portail, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification de la présente décision.
La demande de Mme [K] en paiement de dommages-intérêts, non discutée par M. [O], apparaît fondée au vu :
- des démarches amiables effectuées dès la pose du portail, à savoir, la dénonciation le 18 juillet 2017 du constat d'huissier dressé le 10 juin précédent, avec sommation de rétablir le droit de passage, le courrier de Maître Groussard, conseil de Mme [K], lui demandant le 18 octobre 2017 de rétablir le passage,
- des contraintes imposées au quotidien et des provocations et violences commises envers les professionnels se rendant à son domicile, M. [M], couvreur, attestant, pièce n°9, que le 23 octobre 2017, ses ouvriers qui effectuaient des travaux de rénovation de toiture sur le bâtiment de Mme [K], ont été violemment interpellés par M. [O] les menaçant de saisir leur matériel, s'étant rendu sur les lieux dans l'après-midi, il relate, 'Là j'ai été à mon tour agressé verbalement par M. [O] qui m'a injurié et m'a traité entre autre 'de petit entrepreneur de merde'. J'ai noté qu'il était très énervé, les yeux exorbités, et qu'il empestait l'alcool', et les intimidations et vexations dont elle a été l'objet, M. [O] frappant son véhicule et la menaçant de 'lui mettre la grille sur la gueule'.
Les agissements de M. [O], qui perdurent depuis des années, ayant causé préjudice à Mme [K] en lui provoquant un stress certain, il convient de le condamner à lui payer des dommages-intérêts d'un montant de 5 000 euros.
M. [O] succombant, il y a lieu de le condamner au paiement des entiers dépens de première instance et d'appel, avec distraction au profit de Maître Garnier avocat, au titre de l'article 699 du code de procédure civile, et d'une indemnité de procédure de 4 000 euros à Mme [K], au titre de l'article 700 de ce code.
PAR CES MOTIFS
Statuant contradictoirement, par mise à disposition au greffe ;
INFIRME le jugement, en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau ;
ENJOINT à M. [L] [O] de supprimer définitivement le portail apposé sur sa propriété, cadastrée section E n°[Cadastre 7], située [Adresse 9] à [Localité 10], sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification de la présente décision ;
LE CONDAMNE à payer à Mme [G] [Z] veuve [K] une somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts ;
CONDAMNE M. [L] [O] au paiement des entiers dépens de première instance et des entiers dépens d'appel, distraits à Maître Garnier, avocat, et d'une indemnité de procédure de 4 000 euros à [G] [Z] veuve [K].
Arrêt signé par Madame Anne-Lise COLLOMP, Président de Chambre et Madame Fatima HAJBI, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT