COUR D'APPEL D'ORLÉANS
CHAMBRE CIVILE - TRIBUNAL PARITAIRE DES BAUX RURAUX
EXPÉDITIONS le : 27/02/2023
COPIES aux PARTIES
[H] [F], [W] [F], [A] [T] épouse [F], S.A.R.L. [F] ET FILS
S.C.E.A. DE NOIRE, [Y] [L], [I] [L]
la SELARL GAYA
la SCP REFERENS
ARRÊT du : 27 FEVRIER 2023
N° : - N° RG :22/00558 - N° Portalis DBVN-V-B7G-GRDO
DÉCISION ENTREPRISE : Jugement Tribunal paritaire des baux ruraux de TOURS en date du 24 Janvier 2022
PARTIES EN CAUSE
APPELANTS
Monsieur [H] [F]
[Adresse 10]
[Localité 3]
Monsieur [W] [F]
'[Localité 7]'
[Localité 13]
Madame [A] [T] épouse [F]
'[Localité 7]'
[Localité 13]
S.A.R.L. [F] ET FILS immatriculée au RCS de TOURS sous le n° 509 464 939, prise en la personne de son représentant légal domicilié audit siège
'[Adresse 10]'
[Localité 3]
représentés par Me Jean-Charles LOISEAU de la SCP LOISEAU ET ASSOCIES, avocat au barreau D'ANGERS
D'UNE PART
INTIMÉS :
S.C.E.A. DE NOIRE immatriculée au RCS de TOURS sous le n° 429 350 069, prise en la personne de son gérant Monsieur [Y] [L]
'[Adresse 12]'
[Localité 2]
Monsieur [Y] [L]
[Adresse 4]
[Localité 1]
Madame [I] [L] venant aux droits de Madame [B] [D] veuve [L], née le 1e mars 1943 à [Localité 5] (49), demeurant de son vivant '[Adresse 8]' à [Localité 11], décédée le 14 janvier 2020
'[Adresse 9]'
[Localité 2]
représentés par Me Michel ARNOULT de la SCP REFERENS, avocat au barreau de TOURS
D'AUTRE PART
DÉCLARATION D'APPEL en date du 02 Mars 2022
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats, du délibéré :
Madame Anne-Lise COLLOMP,,
Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller,
Madame Laure Aimée GRUA, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles.
Greffier :
Madame Fatima HAJBI, Greffier lors des débats et du prononcé.
DÉBATS :
A l'audience publique du 09 JANVIER 2023, à laquelle ont été entendus Madame Laure-Aimée GRUA, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles en vertu de l'ordonnance N° 92/2020, en son rapport et les avocats des parties en leurs plaidoiries.
ARRÊT :
Prononcé le 27 FEVRIER 2023 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
Suivant acte authentique du 16 mai 1997, M. [O] [L] a consenti un bail rural, à effet au 1er novembre 1996, à M. [W] [F] et Mme [A] [T] épouse [F], portant sur diverses parcelles de terre situées à [Localité 13] et [Localité 3] (37), d'une superficie totale de 70ha 70a 53ca.
M. [O] [L] est décédé le 17 juin 2007, laissant pour seule usufruitière de cet ensemble de parcelles Mme [B] [D], son épouse.
Par acte d'huissier du 13 décembre 2012, Mme [D] a fait délivrer à M. et Mme [F] un congé aux fins de reprise, au bénéfice de son fils, M. [Y] [L], à effet au 31 octobre 2014.
M. et Mme [F] ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Tours d'une contestation de ce congé et d'une demande d'autorisation de céder le bail à leur fils, [H] [F].
Par arrêt rendu le 30 mars 2015, la cour d'appel d'Orléans a réformé le jugement du tribunal paritaire des baux ruraux de Tours du 13 mai 2014 et statuant à nouveau, elle a :
- dit que M. [Y] [L] remplit les conditions requises pour bénéficier de la reprise,
- débouté les consorts [F] de leur demande de nullité du congé délivré le 13 décembre 2012,
- ordonné la prorogation du bail jusqu'au 31 octobre 2016 au profit de M. et Mme [F],
- débouté ces derniers de leur demande d'autorisation de céder le bail à leur fils, [H] [F],
- dit qu'il appartiendra à Mme [B] [D] de faire délivrer un nouveau congé au preneur pour la fin de la période de prorogation de bail.
Un nouveau congé a été délivré à M. et Mme [F] le 22 avril 2015 à effet au 31 octobre 2016. Ils ont quitté définitivement les parcelles à compter de cette date.
Ayant constaté que l'épouse de M. [Y] [L] s'était installée à compter du 1er novembre 2016 en qualité d'exploitant agricole avec une dénomination qui correspondait au lieu-dit des parcelles faisant l'objet de la reprise, M. et Mme [F] et leur fils, [H] [F], ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Tours par lettre recommandée avec accusé de réception du 25 mars 2019 d'une demande de réintégration et d'indemnisation.
Le 14 janvier 2020, Mme [B] [D] épouse [L] est décédée. Mme [I] [L], désormais propriétaire des parcelles objet de la contestation, est intervenue volontairement à l'instance.
La SARL [F] père et fils est intervenue volontairement à l'instance.
Par jugement du 16 novembre 2021, le tribunal paritaire des baux ruraux a :
- déclaré irrecevables les demandes de la SARL [F] père et fils pour défaut de qualité à agir,
- rejeté les demandes de M. [W] [F], Mme [A] [T] épouse [F] et M. [H] [F],
- condamné les mêmes aux entiers dépens et à verser à Mme [I] [L], M. [Y] [L] et la SCEA de Noire une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelé que l'exécution provisoire du présent jugement est de droit.
Pour rejeter les demandes des consorts [F], il retenait qu'au 22 avril 2015, date de délivrance du congé, la loi du 13 octobre 2014 était applicable mais le schéma directeur régional des exploitations agricoles n'est entré en vigueur que le 27 juin 2016 et considérait qu'il ne peut être reproché au bailleur la mauvaise foi, ajoutant qu'il ne pouvait être reproché à M. [Y] [L], qui remplissait toutes les conditions le 22 avril 2015 pour reprendre l'exploitation, de ne plus les remplir au jour effectif de la reprise le 31 octobre 2016. Il précisait que s'il est avéré qu'il n'exploite pas personnellement les terres litigieuses et qu'il a procédé à l'installation de son épouse, Mme [S] épouse [L], M. [Y] [L] ne peut être tenu responsable du changement de réglementation et de la fixation du seuil de surface de déclenchement du contrôle des structures ; au 31 octobre 2016, il était tenu soit de se mettre en infraction à la réglementation relative au contrôle des structures soit en infraction à l'obligation d'exploiter personnellement les terres, injonction contradictoire qui ne permet pas aux demandeurs de se prévaloir des dispositions de l'article L. 411-66 du code rural et de la pêche.
Par déclaration du 4 mars 2022, M. [H] [F], M. [W] [F], Mme [A] [T] épouse [F] et la SARL [F] et fils ont relevé appel de tous les chefs de ce jugement sauf en ce qu'il a rappelé que l'exécution provisoire était de droit.
Les parties ont été convoquées à l'audience du 9 janvier 2023 par des lettres recommandées dont elles ont accusé réception le 13 juillet 2022, à l'exception de M. [Y] [L] qui n'a pas réclamé son courrier, mais qui est représenté par son avocat.
Les parties ont déposé des conclusions écrites.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
M. [H] [F], M. [W] [F], Mme [A] [T] épouse [F] et la SARL [F] et fils demandent de :
- infirmer le jugement en ce qu'il a :
$gt; déclaré irrecevable les demandes de la SARL [F] père et fils pour défaut de qualité à agir,
$gt; rejeté les demandes de M. [W] [F], Mme [A] [F] et M. [H] [F], étant précisé qu'ils formalisaient devant le tribunal paritaire des baux ruraux les demandes suivantes :
«constater que M. et Mme [W] [F] peuvent se prévaloir des dispositions de l'article L.411-66 du code rural et de la pêche maritime,
- ordonner la cession du bail rural de M. et Mme [W] [F] à leurs fils, M. [H] [F],
En conséquence,
A titre principal,
- ordonner la réintégration immédiate de M. [H] [F] au sein des parcelles cadastrées suivantes,
Commune de [Localité 13] section [Cadastre 14] superficie 10ha 92a 32 ca, n°3 superficie 20 ha 46a 93 ca, n°9 superficie 7ha 22a 98ca, n°10 superficie 5ha 44a 48ca,
Commune d'[Localité 3], section [Cadastre 15] superficie 11ha 52a 46 ca, n° 34 superficie 4ha 73a 57ca,
total 60 ha 32a 74ca,
- condamner les consorts [L] à l'indemnisation du préjudice économique subi par M. [H] [F] courant du 1er novembre 2016 à la date effective de réintégration de M. [H] [F] au sein des parcelles susvisées, soit un montant annuel de 49 092,34 € (pour mémoire) qu'ils devront verser à la SARL [F] et à M. [H] [F],
A titre subsidiaire,
- condamner les consorts [L] à l'indemnisation du préjudice économique subi par M. [H] [F] pour une période de neuf ans, soit un montant de 441 831 euros,
- débouter les consorts [L] de l'intégralité de leurs demandes,
- condamner les consorts [L] et la SCEA de Noire à verser aux consorts [F] la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner les mêmes aux entiers dépens,»
$gt; condamné M. [W] [F], Mme [A] [F] et M. [H] [F] aux entiers dépens ;
$gt; condamné M. [W] [F], Mme [A] [F] et M. [H] [F] à verser la somme de 1 500 euros à Mme [I] [L], M. [Y] [L] et la SCEA de Noire sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
En conséquence, statuer à nouveau,
- constater que M. et Mme [W] [F] peuvent se prévaloir des dispositions de l'article L.411-66 du code rural et de la pêche maritime,
- ordonner la cession du bail rural de M. et Mme [W] [F] à leur fils, M. [H] [F],
En conséquence,
A titre principal,
- ordonner la réintégration immédiate de M. [H] [F] au sein des parcelles cadastrées suivantes :
Commune de [Localité 13] section [Cadastre 14] superficie 10ha 92a 32 ca, n°3 superficie 20 ha 46a 93 ca, n°9 superficie 7ha 22a 98ca, n°10 superficie 5ha 44a 48 ca,
Commune d'[Localité 3], section [Cadastre 15] superficie 11ha 52a 46 ca, n° 34 superficie 4ha 73a 57ca
total 60 ha 32a 74ca,
- en conséquence, ordonner l'expulsion immédiate de tout occupant du chef des intimés avec expulsion au besoin recours à la force publique,
- assortir l'expulsion d'une astreinte de 150 euros par jour de retard,
- condamner les consorts [L] à l'indemnisation du préjudice économique subi par M. [H] [F] courant du 1er novembre 2016 à la date effective de réintégration de M. [H] [F] au sein des parcelles susvisées, soit un montant annuel de 49 092,34 euros(pour mémoire) qu'ils devront verser à la SARL [F] et à M. [H] [F],
A titre subsidiaire,
- condamner les consorts [L] à l'indemnisation du préjudice économique subi par M. [H] [F] pour une période de neuf ans, soit un montant de 441 831 euros,
- condamner les consorts [L] et la SCEA de Noire à verser aux consorts [F] la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner les mêmes aux entiers dépens.
Mme [I] [L], M. [Y] [L] et la SCEA de Noire demandent de :
- confirmer le jugement,
Y ajouter,
- débouter M. [W] [F], Mme [A] [T] épouse [F], M. [H] [F] et la SARL [F] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
- condamner la SARL [F] à payer à Mme [I] [L], M. [Y] [L] et la SCEA de Noire une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile et une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- condamner M. [W] [F], Mme [A] [T] épouse [F] et M. [H] [F] à payer à Mme [I] [L], M. [Y] [L] et la SCEA de Noire une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- condamner la SARL [F] à payer à Mme [I] [L], M. [Y] [L] et la SCEA de Noire une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [W] [F], Mme [A] [T] épouse [F] et M. [H] [F] à payer à Mme [I] [L], M. [Y] [L] et la SCEA de Noire une somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'intervention de la SARL [F] et fils
M. [W] [F], Mme [A] [F] et M. [H] [F] font valoir qu'à l'époque où les premiers exploitaient les parcelles litigieuses, ils avaient mis leur bail à disposition de la SARL [F] et fils sur le fondement de l'article L. 411-37 du code rural et envisageaient la reprise des parcelles par le biais de cette même mise à disposition.
Cependant, actuellement, et suite au congé délivré le 22 avril 2015, M. [W] [F], Mme [A] [F], preneurs, ont libéré les parcelles le 31 octobre 2016. La présente instance, relative à leur réintégration dans leur exploitation avec cession de leur bail à leur fils, est sans lien avec la mise à disposition passée, qui s'est terminée avec leur libération des parcelles.
C'est donc à raison que le premier juge a déclaré la SARL [F] irrecevable en son intervention, faute d'intérêt à agir, la mise à disposition projetée étant sans lien avec la l'instance.
Sur le manquement du bailleur à ses obligations
A l'énoncé de l'article L. 411-66 du code rural et de la pêche maritime,
Au cas où il serait établi que le bénéficiaire de la reprise ne remplit pas les conditions prévues aux articles L. 411-58 à L. 411-63 et L. 411-67 ou que le propriétaire n'a exercé la reprise que dans le but de faire fraude aux droits du preneur, notamment s'il vend le bien, le donne à ferme, ou pratique habituellement la vente de la récolte sur pied d'herbe ou de foin, le preneur a droit, soit au maintien dans les lieux si la décision validant le congé n'a pas encore été exécutée, soit à la réintégration dans le fonds ou à la reprise en jouissance des parcelles avec ou sans dommages-intérêts, soit à des dommages-intérêts.
La réintégration prévue à l'alinéa précédent ne peut être prononcée si elle a pour résultat, compte tenu des biens que le preneur exploite par ailleurs, de lui permettre de mettre en valeur une exploitation excédant le seuil de superficie défini en application du I (1°) de l'article L. 331-2 du code rural et de la pêche maritime.
Les appelants soutiennent que M. [Y] [L] a manqué à ses obligations en n'exploitant pas personnellement les parcelles, puisqu'il a procédé à l'installation de Mme [S] épouse [L], son épouse. Ils s'estiment fondés à obtenir la cession du bail à leur fils, [H] [F].
Pour s'opposer à la réintégration des consorts [F], les intimés font valoir que si la cour, par arrêt rendu le 30 mars 2015, a dit que M. [Y] [L] remplit les conditions requises pour bénéficier de la reprise, ordonné la prorogation du bail jusqu'au 31 octobre 2016 au profit de M. et Mme [F] et débouté ces derniers de leur demande d'autorisation de céder le bail à leur fils, [H] [F], entre-temps, le schéma directeur régional pour la région Centre Val de Loire est intervenu le 27 juin 2016 et a fixé à 110 ha le seuil de surface portant déclenchement du contrôle de structure, seuil visé à la 4ème condition de l'article L. 331-2, II, en deçà duquel la reprise qui constituerait une consolidation d'exploitation reste soumise au régime de la déclaration préalable ; ne pouvant remplir la 4ème condition, leur exploitation au travers la SCEA de Noire portant déjà sur plus de 174 ha, M. [Y] [L] a été contraint d'en tirer les conséquences et c'est ainsi que le bail rural régularisé le 22 décembre 2016 a été consenti à lui-même et à son épouse, avec autorisation de mise à disposition à cette dernière, configuration permettant de conserver le bénéfice du régime de déclaration préalable, dès lors que l'installation ne portait que sur les parcelles reprises, soit un peu plus de 60 ha.
Ils soutiennent que ces éléments leur étant tous étrangers, M. [Y] [L] est fondé à se prévaloir de la force majeure pour considérer qu'il n'a pas commis de violation de l'article L. 411-66 du code rural et de la pêche maritime.
Il faut préciser que c'est suite à l'arrêt précité du 30 mars 2015, qui a statué sur le congé délivré le 13 décembre 2012, qu'un nouveau congé à fin de reprise, au bénéfice de M. [Y] [L], a été délivré par Mme [B] [D] veuve [L] à M. et Mme [F] le 22 avril 2015 à effet au 31 octobre 2016. A cette date, M. et Mme [F] ont libéré les parcelles.
Il est donc certain, que l'arrêt précité ne statue pas sur les conditions de reprise de ce second congé du 22 avril 2015, lequel n'a pas été contesté par les preneurs.
Le contrôle a priori n'ayant pas été exercé, il s'agit d'exercer le contrôle a posteriori.
Les conditions à remplir par le candidat à la reprise sont énumérées par les articles L. 411-58 (al. 4) et L. 411-59 du Code rural et de la pêche maritime, à savoir que, L'intéressé doit être en règle avec la législation relative au contrôle des structures des exploitations agricoles : il doit justifier de certaines conditions de capacité ou d'expérience professionnelle ou être titulaire d'une autorisation administrative d'exploiter ; il doit en outre mettre en valeur personnellement le bien repris pendant au moins 9 ans et avoir les capitaux nécessaires ; il est tenu d'habiter les bâtiments du fonds repris ou à proximité de celui-ci.
Les intimés ne contestent pas que M. [Y] [L] n'a pas mis personnellement le bien repris en valeur, le faisant exploiter par son épouse. Il a de ce fait manqué à ses obligations.
Si la force majeure, qu'il invoque, peut justifier un manquement du reprenant à ses obligations, il convient que l'empêchement invoqué présente un caractère imprévisible et irrésistible.
Il soutient que c'est la détermination du seuil de surface de déclenchement du contrôle des structures intervenue le 27 juin 2016, événement irrésistible et imprévisible, qui a conduit à l'incapacité d'exploiter personnellement les parcelles, ce seuil étant d'un niveau inférieur à la surface qu'il exploitait déjà dans le SCEA de Noire.
Cependant, à l'énoncé de l'article L. 331-2 du code rural et de la pêche maritime,
II.-Les opérations soumises à autorisation en application du I sont, par dérogation à ce même I, soumises à déclaration préalable lorsque le bien agricole à mettre en valeur est reçu par donation, location, vente ou succession d'un parent ou allié jusqu'au troisième degré inclus et que les conditions suivantes sont remplies :
4° Les biens sont destinés à l'installation d'un nouvel agriculteur ou à la consolidation de l'exploitation du déclarant, dès lors que la surface totale de celle-ci après consolidation n'excède pas le seuil de surface fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles en application du II de l'article L. 312-1.
Le 4° de la loi est issu de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 entrée en vigueur le 15 octobre 2014.
Le schéma directeur régional des exploitations agricoles de la région Centre Val de Loire, intervenu le 27 juin 2016, a fixé à 110 ha le seuil de surface déclenchant le contrôle des structures et par conséquent le seuil de surface visé au 4° de l'article précité en deçà duquel la reprise qui constituerait une consolidation de l'exploitation du déclarant reste soumise au régime de la déclaration préalable.
Il apparaît donc que dès la fin du mois de juin 2016, les intimés savaient qu'ils ne remplissaient pas, pour bénéficier du régime de la déclaration, la condition relative au seuil de surface. Ayant donné congé à M. et Mme [F] pour le 31 octobre 2016, ils avaient quatre mois pour déposer une demande d'autorisation d'exploiter, demande, prévue par l'article L. 331-2 du code civil qui dispose que :
I.-Sont soumises à autorisation préalable les opérations suivantes :
1° Les installations, les agrandissements ou les réunions d'exploitations agricoles au bénéfice d'une exploitation agricole mise en valeur par une ou plusieurs personnes physiques ou morales, lorsque la surface totale qu'il est envisagé de mettre en valeur excède le seuil fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles. La constitution d'une société n'est toutefois pas soumise à autorisation préalable lorsqu'elle résulte de la transformation, sans autre modification, d'une exploitation individuelle détenue par une personne physique qui en devient l'unique associé exploitant ou lorsqu'elle résulte de l'apport d'exploitations individuelles détenues par deux époux ou deux personnes liées par un pacte civil de solidarité qui en deviennent les seuls associés exploitants.
La détermination du seuil de surface de déclenchement du contrôle des structures ne peut donc constituer l'événement imprévisible et irrésistible entraînant pour M. [Y] [L] l'obligation de faire exploiter les parcelles par un tiers, son épouse, alors qu'il lui était loisible de solliciter une autorisation d'exploiter. La force majeure ne peut donc être retenue.
En cas de refus d'autorisation, les intimés avaient aussi le loisir de renoncer à la reprise.
En conséquence, il convient d'appliquer la sanction prévue à l'article L. 411-66 en ordonnant la réintégration de M. et Mme [F].
Sur la réintégration des preneurs et la cession du bail à leur descendant
Les intimés soutiennent que la réintégration ne peut avoir lieu que pour les titulaires du bail auquel il a été mis fin par la reprise, M. et Mme [F] ne sont pas fondés à demander la réintégration de leur fils, puisque, depuis la reprise, ils ont pris leur retraite et ont cessé d'exploiter. Sur la cession du bail à [H] [F], ils se prévalent de l'autorité de chose jugée par l'arrêt rendu par notre cour le 30 mars 2015 déboutant M. et Mme [F] de leur demande de cession.
Il faut cependant rappeler que c'est postérieurement à cette décision qu'un nouveau congé à fin de reprise a été délivré par Mme [B] [D] veuve [L] à M. et Mme [F] au bénéfice de M. [Y] [L] le 22 avril 2015 à effet au 31 octobre 2016. La décision qui a statué sur un congé à fin de reprise, délivré par le bailleur le 13 décembre 2012, ne peut avoir aucune incidence sur la présente instance relative à ce nouveau congé du 22 avril 2015.
Il est, par ailleurs, de jurisprudence ancienne que le fait que les preneurs ' deux époux ' aient atteint l'âge de la retraite ne saurait les priver de l'action prévue par l'article L. 411-66 du Code rural et de la pêche maritime, les intéressés pouvant demander leur réintégration avec cession de leurs droits à leur fils (Cass. 3e civ., 16 nov. 1976 : Bull. civ. 1976, III, n° 404, ' Cass. 3e civ., 7 oct. 1987 : JCP N 1988, II, p. 100, n° 11).
Les intimés prétendent que les preneurs ne peuvent cumuler prorogation du bail et cession de celui-ci à un descendant.
Cependant il faut encore rappeler que la précédente instance ayant abouti à l'arrêt précité n'a rien à voir avec la présente instance. Actuellement, la période de prorogation du bail est terminée. Les preneurs ont libéré les parcelles et ont mis en oeuvre le contrôle a posteriori de l'exécution de la reprise suite au second congé délivré le 22 avril 2015. Il n'y a donc pas cumul dans la même instance d'une demande de prorogation du bail, qui n'est pas faite, et d'une demande d'autorisation de cession à un descendant, qui est faite.
Les intimés soutiennent que M. [H] [F] ne justifie pas que son exploitation ne dépassera pas le seuil de déclenchement du contrôle des structures et que, par ailleurs, s'il est produit copie du diplôme du cessionnaire, il n'est pas justifié des autres conditions prévues à l'article L. 411-35, étant rappelé que la SARL [F] exploite une activité de prestations de services sur près de 600 ha, le cessionnaire, seul gérant, ne pouvant se consacrer à l'exploitation des parcelles, même si selon procès-verbal d'assemblée générale extraordinaire du 31 mars 2020, l'objet social de la société a été reformulé, l'activité agricole devenant activité secondaire. Ils ajoutent que s'il est prétendu que M. [H] [F] aurait une activité agricole à titre individuel, cela n'est pas démontré ; ils ont eu connaissance de la constitution d'une nouvelle société au 1er janvier 2021, la SCEA Les Bordes, constituée entre celui-ci et M. [P] [U] dans le département 86, à [Localité 6], dont on ignore la surface exploitée ; s'il est prétendu que M. [H] [F] aurait cédé des baux à son épouse dans le cadre de l'installation de celle-ci, sur les différents sites d'information, il n'apparaît pas que Mme [N] [X] épouse [F], telle que désignée dans les statuts de la SCEA, exerce une quelconque activité agricole.
M. [H] [F] justifie de l'exercice d'une activité agricole à titre individuel en incluant dans ses conclusions la fiche mentionnant son numéro SIRENE et précisant que son inscription à ce répertoire date du mois de novembre 2017 ; par ailleurs, dans la SCEA Les Bordes, étant associé non exploitant, la surface exploitée par cette société n'entre pas dans la détermination du seuil de déclenchement du contrôle des structures, article L. 331-1-1 ; son habitation apparaît sur la fiche précitée, [Adresse 10].
Rien ne s'y opposant, il convient d'autoriser M. et Mme [F], dont la réintégration a été ordonnée, à céder leur bail à leur fils, [H] [F].
Le renouvellement du bail de M. et Mme [F] prend effet à compter de la date d'expiration du précédent bail, prorogé jusqu'au 31 octobre 2016.
Le préjudice économique subi par M. [H] [F] durant les années d'éviction doit être réparé par l'allocation de dommages-intérêts.
Sur l'indemnisation du préjudice
Il est certain que M. et Mme [F] ne peuvent se prévaloir d'aucun préjudice, pour avoir pris leur retraite à la fin du bail après période de prorogation.
Par contre, M. [H] [F] peut se prévaloir de la perte d'une chance d'exploiter, puisque, eu égard à ce qui a été dit, le bail de ses parents aurait pu lui être cédé à compter du 1er novembre 2016.
Cependant, l'estimation de la perte de rentabilité faite par la CECOFIAC ne peut, hors son caractère non contradictoire, être admise, ainsi que le soutiennent les intimés, étant rappelé que les parcelles litigieuses sont d'une superficie de 60 ha 32 a 74 ca, pour avoir été réalisée à partir de l'activité de la SARL [F] et fils dont l'activité exclusive consistait en des prestations de service et non dans l'exploitation de parcelles agricoles.
La perte de chance d'exploiter de M. [H] [F] étant, cependant, non seulement directe et certaine mais également importante, elle sera évaluée à 90%. Sur la base du revenu moyen de l'agriculteur en France, en agriculture céréalière, il convient de lui allouer des dommages-intérêts de 90% d'un montant de 9 000 euros l'an, soit 8 100 euros à compter du 1er novembre 2016 et jusqu'à la libération des parcelles par M. [Y] [L].
Sur les demandes annexes
Mme [I] [L], M. [Y] [L] et la SCEA de Noire ne prouvant pas la faute commise par la SARL [F] père et fils, il convient de les débouter de leur demande de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile.
De même, ils seront déboutés de leur demande d'indemnité de procédure présentée contre cette société.
Mme [I] [L], M. [Y] [L] et la SCEA de Noire qui succombent, seront condamnés in solidum au paiement des entiers dépens de première instance et d'appel et d'une indemnité de procédure de 3 000 euros à M. [H] [F], M. [W] [F], Mme [A] [T] épouse [F], au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant contradictoirement, par mise à disposition au greffe ;
CONFIRME la décision, uniquement en ce qu'elle déclare irrecevable les demandes de la SARL [F] père et Fils ;
L'INFIRME pour le surplus ;
Statuant à nouveau ;
DÉBOUTE Mme [I] [L], M. [Y] [L] et la SCEA de Noire de l'intégralité de leurs demandes, y compris celles présentées contre la SARL [F] père et fils ;
DIT que M. [Y] [L] a manqué à son obligation d'exploiter personnellement les parcelles reprises ;
DIT que M. [H] [F] remplit les conditions requises pour bénéficier de la cession du bail par M. et Mme [W] [F] à son profit ;
ORDONNE en conséquence la réintégration de M. [W] [F] et de Mme [A] [T] épouse [F] dans l'exploitation des parcelles litigieuses à compter du 1er novembre 2016, avec cession de leurs droits à leur fils [H] [F] sur les parcelles suivantes, d'un total 60 ha 32a 74ca :
- commune de [Localité 13] section [Cadastre 14] superficie 10ha 92a 32 ca, n°3 superficie 20 ha 46a 93 ca, n°9 superficie 7ha 22a 98ca, n°10 superficie 5ha 44a 48ca,
- commune d'[Localité 3], section [Cadastre 15] superficie 11ha 52a 46 ca, n° 34 superficie 4ha 73a 57ca ;
DIT que Mme [I] [L], M. [Y] [L] et la SCEA de Noire doivent réparer le préjudice économique subi par M. [H] [F] ;
LES CONDAMNE, in solidum, à lui payer des dommages et intérêts d'un montant annuel de 8 100 euros, à compter du 1er novembre 2016 et jusqu'à la date de libération effective des parcelles ;
CONDAMNE Mme [I] [L], M. [Y] [L] et la SCEA de Noire, in solidum, au paiement des entiers dépens de première instance et d'appel et d'une indemnité de procédure de 3 000 euros à M. [W] [F], Mme [A] [T] épouse [F] et M. [H] [F].
Arrêt signé par Madame Anne-Lise COLLOMP, Président de Chambre et Madame Fatima HAJBI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT