COUR D'APPEL D'ORLÉANS
CHAMBRE DES URGENCES
COPIES EXECUTOIRES + EXPÉDITIONS :
Me Alexis DEVAUCHELLE
Me Quentin ROUSSEL
ARRÊT du 1er MARS 2023
n° : 71/23 RG 22/01671
n° Portalis DBVN-V-B7G-GTQ6
DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : Ordonnance de référé, Juge départiteur, Conseil de Prud'hommes, départage référé, d'ORLEANS en date du 8 juillet 2022, RG R 22/00019, n° Portalis DCWC-X-B7G-BC2S, minute n° 22/427 ;
PARTIES EN CAUSE
APPELANTE : timbre fiscal dématérialisé n°: exonération
SAS JOHN DEERE, agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
représentée par Me Damien CHENU, avocat plaidant, SELAS BARTHELEMY AVOCATS du barreau de TOURS en présence de Me Alexis DEVAUCHELLE, avocat postulant du barreau d'ORLÉANS
INTIMÉ : timbre fiscal dématérialisé n°: exonération
Monsieur [C] [X]
[Adresse 1]
représenté par Me Quentin ROUSSEL, avocat au barreau d'ORLÉANS
' Déclaration d'appel en date du 8 juillet 2022
' Ordonnance de clôture du 13 décembre 2022
Lors des débats, à l'audience publique du 11 janvier 2023, Monsieur Michel Louis BLANC, Président de Chambre, a entendu les avocats des parties, avec leur accord, par application des articles 786 et 910 du code de procédure civile ;
Lors du délibéré :
Monsieur Michel BLANC, président de chambre,
Monsieur Yannick GRESSOT, conseiller,
Madame Laure Aimée GRUA, conseiller,
Greffier : Madame Mireille LAVRUT, faisant fonction de greffier lors des débats et du prononcé par mise à disposition au greffe ;
Arrêt : prononcé le 1er mars 2023 par mise à la disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
La société John Deere procèdait au licenciement de [C] [X] au motif que ce dernier, le 15 novembre 2021, à la fin d'une réunion hebdomadaire de service tenue dans le cadre de l'élaboration des événements et activités de « team building » de la société, par [Z] [B], ayant sollicité les avis des personnes présentes sur les événements souhaités, lui aurait répondu « une partouze avec [E] ».
Par un jugement en date du 8 juillet 2022, la formation de référé du conseil de prud'hommes d'Orléans ordonnait la réintégration de [C] [X] au poste d'auditeur démontage, niveau III échelon 3 coefficient 240, disait n'y avoir lieu à astreinte, fixait la rémunération mensuelle brute de référence de [C] [X] à la somme de 3361,05 €, et condamnait la SAS John Deere à lui verser l'intégralité des salaires dus entre son éviction et sa réintégration.
Par une déclaration déposée au greffe le 8 juillet 2022, la SAS John Deere interjetait appel de cette décision.
Par ses dernières conclusions, elle en sollicite l'annulation, demandant à la cour de débouter [C] [X] de sa demande en reconnaissance d'un trouble manifestement illicite tenant en la violation de sa liberté d'expression, de le débouter de l'ensemble de ses demandes et de le condamner à lui payer la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ses dernières conclusions, [C] [X] demande à la cour d'ordonner la radiation du rôle de l'affaire jusqu'à parfaite exécution de la décision attaquée, et de confirmer la décision entreprise sauf en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à astreinte, demandant à la cour, statuant à nouveau sur ce point, d'assortir la réintégration d'une astreinte de 250 € par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir dans la limite de 180 jours. Il réclame l'allocation de la somme de 3000 € en application de l'article 700 du code procédure civile.
L'ordonnance de clôture était rendue le 13 décembre 2022.
SUR QUOI :
Attendu qu'il est constant que [C] [X] a perçu sa rémunération, la société ayant repris l'exécution de son contrat ;
Que l'appel ne peut donc être déclaré irrecevable pour défaut d'exécution de la décision querellée ;
Attendu que pour statuer comme ils l'ont fait, les premiers juges, rappelant les dispositions de l'article R.1455'6 du code du travail, ont considéré que les propos incriminés ont été tenus à l'issue d'une réunion de travail en date du 15 novembre 2021, soit plus de 20 ans après le début de la relation de travail, alors qu'était évoqué un projet d'activité de 'team building', sans adhésion particulière de l'ensemble des personnes présentes sur ce projet, dont le caractère convivial est constant même s'il
intervient dans un but professionnel, et qu'il était constant que les propos tenus par [C] [X] n'ont entraîné aucune réaction immédiate de la part de l'ensemble des participants et en particulier de la part du membre de la hiérarchie du salarié concerné présent, lequel n'a évoqué les faits que 14 jours après lors d'une réunion avec sa direction, et après avoir les avoirs évoqués deux jours après la réunion avec d'anciens collègues, [C] [X] produisant des attestations selon lesquelles des propos similaires seraient déjà survenus de façon habituelle de la part de salariés de tous niveaux hiérarchiques sans suite apportée ;
Qu'ils ont considéré qu'aucun abus dans l'usage de la liberté d'expression du salarié demandeur n'était caractérisé, la liberté d'expression étant constitutive d'une liberté fondamentale, dès lors qu'aucun abus évident de cette liberté n'est établi et caractérisé, alors qu'il est en revanche caractérisé une atteinte évidente à une liberté fondamentale dont les conséquences, à savoir le licenciement, ne sont pas proportionnées et constituent un trouble manifestement illicite ;
Attendu que la société John Deere, après avoir fait état d'un comportement inadapté de [C] [X] au cours de l'exécution de son contrat de travail, ce salarié ayant déjà été destinataire d'un avertissement et d'un rappel à l'ordre, alors en outre que son manque d'investissement lui avait été reproché au cours d'un entretien annuel d'évaluation, invoque l'absence de trouble manifestement illicite, l'absence de violation de la liberté d'expression du salarié, déclarant que cette liberté n'est pas absolue ;
Qu'il est exact que la liberté d'expression n'est pas absolue, qu'elle doit connaître des limites et ne doit pas dégénérer en abus ;
Attendu que [C] [X] conteste avoir utilisé l'expression « partouze avec [E] », prétendant que la société John Deere ne ferait état que du témoignage de [Z] [B], manager à l'origine de la procédure, dont il considère qu'il avait tout intérêt à dissimuler la réalité des propos tenus, sans par ailleurs préciser quel serait l'intérêt personnel de ce témoin, expliquant que le seul fait qui lui est imputable est d'avoir prononcé le mot « partouze » sur le ton de l'humour, ce terme ne visant selon lui ni personne ni identité de genre en particulier ;
Qu'il estime que l'emploi de ce terme ne caractérise pas à lui seul un abus de l'usage de la liberté d'expression, ajoutant que les propos corrélés n'auraient eu aucune publicité autre que celle des salariés présents à la réunion, qu'il ne s'agissait que d'hommes, et qu'aucun d'entre eux n'atteste avoir été particulièrement choqué ;
Qu'elle prétend que ce type de propos serait tenu fréquemment dans l'entreprise, et en invoque la portée humoristique ;
Attendu que la partie appelante verse à la procédure le témoignage d'[F] [Y], lequel, s'il reconnaît qu'il n'a pas été directement témoin des faits, atteste qu'il a eu deux remontées d'informations spontanées ayant le même contenu, et par deux canaux différents, immédiatement après les faits, ce qui l'a convaincu de la réalité ;
Que ce témoignage vient à l'appui de celui de [Z] [B], qui déclare que, à la question posée par lui-même « quels genres d'événements vous auriez préféré dans le cadre de 'team building' » [C] [X] a répondu « une partouze avec [E] », ce à quoi il a répondu qu'il ne pouvait pas entendre ces propos et qu'il a immédiatement mis fin à la réunion ;
Attendu que [L] [W] confirme pourtant que [C] [X] a bien prononcé le nom d'[E] ;
Attendu que [C] [X] verse à la procédure différents témoignages de personnes qui déclarent n'avoir jamais eu de problème avec lui, certains mentionnant en substance que ce genre de propos, tenus sur le ton de l'humour, est fréquent dans l'entreprise et d'une manière générale dans le monde ouvrier ;
Attendu par ailleurs que [E] [G], visée par les propos litigieux, indique que leur violence est très inhabituelle et qu'elle considère qu'il s'agit d'une atteinte à son intégrité ;
Que c'est à juste titre que l'employeur observe que leur auteur a tenté de les minimiser et de les placer au rang d'une blague sans conséquence, avec à l'appui le témoignage de certains de ses collègues ;
Attendu qu'il doit d'ailleurs être observé que l'appelant adopte différentes positions, puisqu'il nie et minimise tour à tour les propos qui lui sont imputés, tout en expliquant que de tels propos sont tenus fréquemment dans son milieu, sans choquer personne ;
Attendu qu'il ne peut être considéré, la liberté d'expression n'autorisant pas l'abus que constitue l'usage de termes particulièrement obscènes et injurieux envers une personne dénommée, connue de l'ensemble des personnes présentes, que le licenciement d'un salarié ayant tenu de tels propos constituerait un trouble manifestement illicite ;
Que le caractère illicite se heurte de toute façon à une contestation plus que sérieuse entraînée par la teneur des propos incriminés elle-même ;
Attendu que la formation de référé a excédé ses pouvoirs en prononçant comme elle l'a fait ;
Attendu qu'il y a lieu d'infirmer la décision entreprise ;
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société John Deere l'intégralité des sommes qu'elle a dû exposer du fait de la présente procédure ;
Qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de lui allouer à ce titre la somme de 1500 € ;
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Déclare la SAS John Deere recevable en son appel,
Dit n'y avoir lieu de prononcer la radiation de l'appel faute d'exécution de la décision querellée,
Infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance du 8 juillet 2022,
Statuant à nouveau,
Dit n'y avoir lieu à référé en la cause et renvoie les parties à mieux se pourvoir,
Condamne [C] [X] à payer à la société John Deere la somme de 1500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne [C] [X] aux dépens.
Arrêt signé par Monsieur Michel Louis BLANC, président de chambre, et Madame Mireille LAVRUT, faisant fonction de greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire ;
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,