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10/07/2023 | FRANCE | N°20/01357

France | France, Cour d'appel d'Orléans, Chambre civile, 10 juillet 2023, 20/01357


COUR D'APPEL D'ORLÉANS

C H A M B R E C I V I L E



GROSSES + EXPÉDITIONS : le 10/07/2023

la SELARL HUGO AVOCATS

la SELARL WALTER & GARANCE AVOCATS



ARRÊT du : 10 JUILLET 2023



N° : - N° RG : 20/01357 - N° Portalis DBVN-V-B7E-GFRW



DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du Tribunal de Grande Instance de Tours en date du 05 Décembre 2019



PARTIES EN CAUSE



APPELANTE :- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265256758098768



S.A.S.U. ENTREPRISE SPECIALISEE EN ACTIVITES FERROVIAIRES<

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( ESAF), immatriculée au R.C.S. de Salon-de-Provence sous le n°431 253 608, prise en la personne de son représentant légal, en exercice, domicilié es qualtié au...

COUR D'APPEL D'ORLÉANS

C H A M B R E C I V I L E

GROSSES + EXPÉDITIONS : le 10/07/2023

la SELARL HUGO AVOCATS

la SELARL WALTER & GARANCE AVOCATS

ARRÊT du : 10 JUILLET 2023

N° : - N° RG : 20/01357 - N° Portalis DBVN-V-B7E-GFRW

DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du Tribunal de Grande Instance de Tours en date du 05 Décembre 2019

PARTIES EN CAUSE

APPELANTE :- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265256758098768

S.A.S.U. ENTREPRISE SPECIALISEE EN ACTIVITES FERROVIAIRES

( ESAF), immatriculée au R.C.S. de Salon-de-Provence sous le n°431 253 608, prise en la personne de son représentant légal, en exercice, domicilié es qualtié audit siège.

[Adresse 8]

[Localité 1]

ayant pour avocat postulant Me David ATHENOUR de la SELARL HUGO AVOCATS, avocat au barreau de TOURS et pour avocat plaidant Me Gwanaël MAZINGUE de la SELARL MAZINGUE AVOCAT, avocat au barreau de TOULON

D'UNE PART

INTIMÉS : - Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265254013435947

S.A.S.U. COLAS RAIL, venant aux droits de la société R. VECCHIETTI (« VECCHIETTI »), Société par actions simplifiée, immatriculée au R.C.S. de Bobigny sous le n°632 049 128, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.

[Adresse 3]

[Localité 6]

ayant pour avocat postulant Me Alexis LEPAGE de la SELARL WALTER & GARANCE AVOCATS, avocat au barreau de TOURS et représentée par Me Thomas HUMBERT de la SELAS BRL AVOCATS, avocat plaidant au barreau de PARIS

Compagnie d'assurance SMABTP, en sa qualité d'assureur de la société COLAS RAIL, venant aux droits de la société VECCHIETTI, immatriculée au R.C.S. de Paris sous le n°479 048 860, prise en la personne de son représentant légal.

[Adresse 7]

[Localité 5]

ayant pour avocat postulant Me Alexis LEPAGE de la SELARL WALTER & GARANCE AVOCATS, avocat au barreau de TOURS et représentée par Me Thomas HUMBERT de la SELAS BRL AVOCATS, avocat plaidant au barreau de PARIS

Monsieur [K] [H]

[Adresse 2]

[Localité 4]

n'ayant pas constitué avocat

D'AUTRE PART

DÉCLARATION D'APPEL en date du : 18 Juillet 2020.

ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 20 mars 2023

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats, affaire plaidée sans opposition des avocats à l'audience publique du 23 Mai 2023, à 14 heures, devant Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller, Magistrat Rapporteur, par application de l'article 786 et 910 alinéa 1 du Code de Procédure Civile.

Lors du délibéré :

Madame Anne-Lise COLLOMP, Président de chambre,

Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller

Madame Laure Aimée GRUA, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

ARRÊT :

L'arrêt devait initialement être prononcé le 03 juillet 2023, à cette date le délibéré a été prorogé au 10 juillet 2023,

Greffier :

Madame Fatima HAJBI, Greffier lors des débats et du prononcé.

Prononcé le 10 JUILLET 2023 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE

La société Vecchietti, a été chargée par la SNCF de la réfection de voies ferrées, et a recours à des sous-traitants, notamment à la société Entreprise spécialisée en activités ferroviaires (Esaf), qui employait notamment M. [H] en qualité de conducteur de pelle.

Le 30 juillet 2008, M. [M], employé de la société Vecchietti, a été mortellement blessé sur le chantier, à la suite d'une chute d'une traverse en béton insuffisamment serrée par la pince de la pelle.

Par jugement du 2 février 2012, le tribunal correctionnel d'Aurillac a':

- déclaré les sociétés Esaf et Vecchietti, coupables des faits d'homicide involontaire par personne morale par la violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité ou de prudence dans le cadre du travail';

- déclaré M. [H], coupable des faits d'homicide involontaire dans le cadre du travail.

Saisi par l'ayant droit de la victime, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Tours a, par jugement du 24 octobre 2016, reconnu la faute inexcusable de la société Vecchietti devenue la société Colas Rail dans l'accident du travail dont M. [M] a été victime.

La société Colas Rail a réglé les sommes avancées par la caisse primaire d'assurance maladie aux ayants droit de M. [M] et a formé un appel en garantie à l'encontre de la société Esaf et de M. [H], pour lequel le tribunal s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de Tours.

Par jugement du 5 décembre 2019, le tribunal de grande instance de Tours a':

- dit que les parts de responsabilité dans l'accident survenu le 30 juillet 2008 et dont a été victime M. [M] s'établissent comme suit':

50'% pour la société Esaf

20'% pour M. [H]

30'% pour la société Vecchietti aux droits de laquelle vient la société Colas Rail';

- dit en conséquence que la société Colas Rail venant aux droits de la société Vecchietti et son assureur la SMABTP sont fondés à être garantis de l'ensemble des condamnations mises à leur charge par jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale du Tours du 24 octobre 2016, à hauteur de 50'% par la société Esaf et de 20'% par M. [H]';

- constaté que la société Colas Rail venant aux droits de la société Vecchietti a supporté la franchise contractuelle d'un montant de 31'094'€ et son assureur, la SMABTP a versé à la caisse primaire d°assurance-maladie d'Indre et Loire la somme de 167'101'€';

- condamné solidairement la société Esaf et M. [H] à verser d'une part à la société Colas Rail venant aux droits de la société Vecchietti et d'autre part à son assureur la SMABTP une indemnité de 1'500€ en application de l'article 700 du code de procédure civile';

- dit que les dépens seront supportés par chacune des parties à hauteur de leur part de responsabilité soit 50'% à la charge de la société Esaf, 20'% par M. [H] et 30'% par la société Colas Rail venant aux droits de la société Vecchietti et son assureur la SMABTP.

Par déclaration du 18 juillet 2020, la société Esaf a interjeté appel de tous les chefs du jugement.

Le 17 septembre 2020, l'appelante a fait signifier la déclaration d'appel à M. [H], par acte délivré à domicile. Celui-ci n'ayant pas constitué avocat, l'arrêt sera prononcé par défaut.

Suivant conclusions récapitulatives notifiées à la société Colas Rail et à la SMABTP par voie électronique le 14 octobre 2020, et signifiées à M. [H] par acte du 13 novembre 2020, la société Esaf demande de':

A titre principal':

- déclarer recevable son appel';

- dire et juger qu'elle n'a commis aucun manquement à l'origine de l'accident';

- dire et juger qu'elle a pris les dispositions nécessaires de telle manière qu'elle n'aurait pu, en tout état de cause, éviter la survenance de l'accident';

Par conséquent':

- réformer le jugement en ce qu'il a': dit et jugé que les parts de responsabilité dans l'accident survenu le 30 juillet 2008 et dont a été victime [G] [M] s'établissent comme suit': 50'% pour la société Esaf, 20'% pour M. [H], 30'% pour la société Colas Rail'; dit en conséquence que la société Colas Rail venant aux droits de la société Vecchietti et son assureur SMABTP sont fondés à être garantis de l'ensemble des condamnations mises à leur charge par jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Tours du 24 octobre 2016, à hauteur de 50'% par la société Esaf et de 20'% par M. [H]'; constaté que la société Colas Rail a supporté la franchise contractuelle d'un montant de 31'094 euros et son assureur, la SMABTP a versé à la caisse primaire d'assurance maladie d'Indre et Loire la somme de 167'101 euros'; condamné solidairement la société Esaf et M. [H] à verser d'une part à la société Colas Rail et d'autre part à son assureur la SMABTP une indemnité de 1'500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile'; dit que les dépens seront supportés par chacune des parties à hauteur de leur part de responsabilité soit 50'% à la charge de la société Esaf, 20'% par M. [H] et 30'% par la société Colas Rail et son assureur la SMABTP';

- fixer à nouveau les parts de responsabilité de la manière suivante':

50'% pour la société Colas Rail';

30'% pour M. [H]';

20'% pour la société Esaf';

Par conséquent':

- condamner solidairement la société Colas Rail et M. [H] à lui payer la somme de 3'000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile';

- condamner solidairement la société Colas Rail et M. [H] aux entiers dépens et admettre la SELARL Mazingue Avocat au bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.

Suivant conclusions récapitulatives notifiées à l'appelante par voie électronique le 13 janvier 2021, la société Colas Rail et la SMABTP demandent de':

- prononcer la jonction avec l'affaire enregistrée sous le n° 20/01358';

- constater que la société Esaf et M. [H], son salarié, ont été condamnés pour homicide involontaire sur la personne de M. [M]';

- constater que la société Esaf et M. [H], son salarié, ont commis des manquements dans l'organisation du travail et dans la mise en place des règles de sécurité';

- constater que la société Esaf et M. [H], son salarié, ont commis des manquements dans l'organisation du travail et dans la mise en place des règles de sécurité et sont dès lors responsables de l'accident dont est décédé M. [M]';

En conséquence,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris';

- condamner la société Esaf à leur verser la somme de 2'000'€ à chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs dernières conclusions récapitulatives.

MOTIFS

Sur la jonction d'instance

L'article 367 du code de procédure civile dispose que le juge peut, à la demande des parties ou d'office, ordonner la jonction de plusieurs instances pendantes devant lui s'il existe entre les litiges un lien tel qu'il soit de l'intérêt d'une bonne justice de les faire instruire ou juger ensemble.

En l'espèce, les intimées sollicitent seuls la jonction de la présente instance avec l'affaire enrôlée sous le numéro 20-1358. La cour relève toutefois que les parties ont fait instruire et juger ces deux affaires séparément sans avoir sollicité leur jonction.

Les deux affaires ayant été fixées à la même audience devant la même composition de jugement, la jonction ne présente aucune utilité de sorte qu'elle ne sera pas prononcée.

Sur la fixation des parts de responsabilité

Moyens des parties

L'appelante soutient que le tribunal n'a pas tiré les conséquences, en matière de responsabilité, des manquements qu'il a pourtant relevés et qui sont directement à l'origine de l'accident survenu'; que la présence de M. [M] sur une zone de danger est imputable à la société Colas Rail, qui aurait dû matérialiser une telle zone, qui n'a pas suffisamment informé son salarié, et qui n'a pas pris les mesures de sécurité nécessaires, alors qu'elle était pourtant consciente des risques que son salarié prenait dans l'exécution de son travail'; que les analyses effectuées sur la victime ont révélé une consommation récente de cannabis et une alcoolémie de 0,53'g par litre de sang'; que la faute commise par la victime doit être prise en compte dans la répartition du quantum des responsabilités'; que M. [H] a manqué de prudence, et se trouvait sous l'emprise de cannabis alors qu'il man'uvrait un engin lourdement chargé'; que la faute commise par M. [H], qui aurait dû être d'autant plus respectueux des normes de sécurité que sa mission était à risques, doit donc être prise en compte à de plus justes proportions dans la détermination du quantum des responsabilités'; que dans le cadre de son contrat de sous-traitance, elle a fourni du matériel conforme aux opérations de manutention et le nombre de traverses manutentionnées était adapté et sécuritaire'; que le défaut de communication du plan particulier de sécurité et de protection de la santé (PPSPS) ne saurait constituer un manquement à l'origine de l'accident'; qu'il conviendra donc de fixer les parts de responsabilité proportionnellement aux manquements à l'origine de l'accident, soit 50'% pour la société Colas Rail, 30'% pour M. [H] et 20'% à sa charge.

La société Colas Rail et la SMABTP répliquent que l'appelante ne peut soutenir qu'elle n'a commis aucun manquement à l'origine de l'accident au regard des condamnations déjà intervenues et du fait qu'elle ne sollicite que la modification de la répartition de la dette entre des co-responsables'; que l'absence de PPSPS de la société Esaf ou son défaut de communication constituent une cause manifeste de l'accident dès lors que, en son absence ou à défaut de communication, le mode opératoire qui a été choisi pour la manutention des traverses était dangereux, ce que ne pouvait ignorer la société Esaf'; que le simple fait que M. [H] aurait dû avoir conscience de la conduite à tenir si une personne s'aventurait dans la zone d'évolution de sa pelle ne saurait exonérer la société Esaf de ses obligations dont l'intérêt est, précisément, de palier les éventuelles inattentions ou erreurs de ses salariés'; que l'existence d'un mode opératoire sécurisé aurait permis d'éviter l'accident, peu importe le comportement de M. [H]'; que la société Vecchietti avait, de son côté, bien rédigé son PPSPS et l'avait remis au coordonnateur'; que la pince à traverses ou pince forestière utilisée n'a pas rempli son office, puisque l'une des quatre traverses chargées a glissé au cours de la man'uvre effectuée par M. [H] et est tombée sur M. [M], le blessant mortellement'; que la société Esaf et M. [H] étaient parfaitement conscients des dangers liés à l'utilisation de cette pince'; que la société Esaf a bien commis un manquement important directement à l'origine de l'accident de M. [M], d'autant plus important qu'un accident similaire était survenu antérieurement et aurait donc dû l'alerter sur la nécessité d'édicter des consignes de sécurité particulières'; que l'absence d'encadrement a généré des confusions dans l'esprit des opérateurs qui n'ont pas pu prendre les décisions adaptées à la situation'; que la société Vecchietti n'entend pas contester avoir une responsabilité dans la survenance de l'accident de M. [M], mais simplement rappeler que le chantier en cause était un chantier mobile de sorte qu'une signalisation était, en pratique, compliquée à mettre en place et qu'une signalisation générale aurait pu, tout au mieux, prévenir les tiers de l'existence de ce chantier.

Réponse de la cour

En cas de partage de responsabilité d'un accident du travail avec un tiers, l'employeur, auteur d'une faute inexcusable ou son assureur, est en droit d'obtenir le remboursement par ce tiers de la fraction, correspondant à sa part de responsabilité, de la cotisation complémentaire d'accident du travail visée à l'article L. 452-2, alinéa 6, du code de la sécurité sociale (1re Civ., 11 janvier 2000, pourvoi n° 97-16.605, Bull. 2000, I, n° 7'; Soc., 18 janvier 1996, pourvoi n° 93-15.675, Bull. 1996 V N° 18).

L'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil s'attache à ce qui a été définitivement, nécessairement et certainement décidé par le juge pénal sur l'existence du fait qui forme la base commune de l'action civile et de l'action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité de celui à qui le fait est imputé, (1re Civ., 24'octobre 2012, pourvoi n°'11-20.442, Bull. civ. I, n°'209'; 2e Civ., 4'juin 2009, pourvoi n°'08-11.163, Bull. 2009, II, n° 140). La constatation emportant autorité de chose jugée doit être le soutien nécessaire ou indispensable de la décision (Crim., 1er juin 2016, pourvoi n°'15-80.721).

En l'espèce, les sociétés Esaf et Vecchietti et M. [H] ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel d'Aurillac pour les faits d'homicide involontaire dont les préventions étaient ainsi libellées, nonobstant l'erreur sur le prénom de la victime pour les deux premières':

- société Esaf': «'Elle est prévenue d'avoir à [Localité 9], le 30 juillet 2008, ['] dans le cadre d'une relation de travail, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, en l'espèce en mettant à la disposition de ses employés et notamment de Monsieur [H] un engin de levage inadapté à la tâche accomplie, la griffe de l'équipement ne permettant pas une préhension sûre des éléments et la pelle étant pourvue d'une articulation favorisant le basculement de la charge, et imposant le recours à une technique de chargement contraire aux règles de l'élinguage, involontairement causé la mort de Monsieur [N] [M]'»';

- société Vecchietti': «'Elle est prévenue d'avoir à [Localité 9], le 30 juillet 2008, [...] dans le cadre d'une relation de travail, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, en l'espèce en ne signalant pas et en ne matérialisant pas la zone de danger et en ne prenant aucune mesure d'organisation pour éviter que Monsieur [M] ne se trouve dans la zone d'évolution de l'appareil de levage ou, si la présence de ce dernier était néanmoins requise pour la bonne exécution du travail, pour éviter qu'il ne soit blessé par cet équipement involontairement causé la mort de Monsieur [N] [M]'»';

- M. [H]': «'Il est prévenu d'avoir à [Localité 9], le 30 juillet 2008, ['] dans le cadre d'une relation de travail, par maladresse, imprudence, inattention, négligence, ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, en l'espèce en poursuivant la manoeuvre de chargement qu'il avait entamée alors même que Monsieur [G] [M] se trouvait dans la zone de levage, involontairement causé la mort de Monsieur [M] [G]'».

Ces trois personnes ont été condamnées par le tribunal correctionnel d'Aurillac, par jugement du 2 février 2012, dont la motivation était la suivante':

«'M. [K] [H], employé de la société ESAF, conduisait une pelle hydraulique munie d'une griffe forestière et chargeait des traverses en béton stockées le long de la voie ferrée sur un wagon avec cet engin.

M. [G] [M], employé de la SAS Vecchjetti, dont le rôle était de récupérer les liteaux de bois sur lesquels étaient entreposées les traverses pour les remettre un troisième ouvrier afin qu'il procède à leur installation sur le wagon, avait voulu ramasser un liteau tombé à terre alors que la pelle hydraulique chargeait des traverses sur le wagon.

L'une des traverses avait alors chuté sur lui, lui occasionnant de très importantes blessures qui devaient entraîner son décès.

Les analyses effectuées sur la victime révélaient une consommation récente de cannabis et une alcoolémie de 0,53 g par litre de sang.

Celles réalisées sur M. [H] observaient qu'il avait consommé récemment du cannabis, ce que celui-ci confirmait en indiquant l'avoir fait quelques jours avant l'accident.

M. [H] expliquait un court moment de l'accident, il avait chargé quatre traverses à l'aide de sa griffe forestière et que l'une d'elles avait glissé au cours de sa man'uvre de rotation. Il affirmait ne s'être à aucun moment rendu compte de la présence de M. [M] sous le bras articulé de l'engin; il ajoutait que ce type de chute était très fréquente et avait amené la société Esaf qui l'employait à donner pour consigne de limiter les chargements à trois traverses après l'accident mortel de M. [M].

Il avérait en effet que lorsque que la griffe prenait quatre traverses, ses pinces ne se chevauchaient pas et que le maintien de la charge n'était ainsi assuré que par la seule pression du bras, pouvant entraîner la chute d'une traverse, alors que ce problème ne se posait plus dès lors que les chargements étaient limités à trois traverses et que les pinces de la griffe se chevauchaient.

Le conducteur de travaux de la société MTF qui intervenait également sur place confirmait qu'il était beaucoup plus sûr de manipuler les traverses 3 par 3 que 4 par 4.

Le contrôleur de sécurité de la CRAM d'Auvergne observait lui aussi que la griffe forestière ne permettait pas une prévention sur des éléments, que l'articulation de la pelle favorisait le basculement de la charge dès lors que la prise n'était pas réalisée au centre des traverses et que la technique utilisée était contraire à l'une des règles de l'élingage qui impose de rendre la charge monolithique.

L'inspection du travail relevé pour sa part qu'aucune mesure n'avait été prise pour empêcher la chute des pièces soulevées'; que les traverses avaient été portées au-dessus de la victime en violation des dispositions de l'article R. 4323-36 du code du travail'; qu'aucune mesure d'organisation n'avait été prise pour éviter que M. [M] ne se trouve dans la zone d'évolution de l'appareil de levage ou tout au moins pour éviter si cela été nécessaire, qu'il ne soit blessé par cet équipement'; que la zone de danger n'avait été ni signalée, ni matérialisée.

L'enquête devait révéler en outre que si aucune consigne n'avait été donnée par les sociétés Esaf et Vecchietti avant l'accident, une note avait été diffusée après celui-ci pour indiquer qu'il fallait limiter à trois le nombre de traverses chargées à l'aide des griffes forestières.

Par ailleurs, la SNCF avait postérieurement à l'accident interdit à ses sous-traitants de recourir ã ce type d'engin et imposé l'utilisation de chariots élévateurs ou de palonniers hydrauliques.

Procédant à des constatations et à des observations sur un autre chantier, les services enquêteurs constataient la survenance d'un incident identique à celui ayant causé la mort de M. [M] à l'occasion du chargement de traverses au moyen d'une pelle hydraulique munie d'une griffe forestière, en observant la chute de l'un des éléments chargés.

L'ensemble de ces éléments suffit à démontrer la part de responsabilité de la société Esaf dans la survenance de l'accident, les employeurs étant légalement tenus de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de leurs employés et protéger leur santé physique, d'éviter les risques et d'évaluer ceux ne pouvant être évités, ce qui n'a pas été le cas pour cet employeur dès lors qu'il a mis à la disposition de ses employés un engin de levage inadapté pour la tâche à laquelle il était affecté, dès lors, notamment, que la griffe ne permettait pas une prévention sûre des éléments et que l'articulation de la pelle favorisait le basculement de la charge.

Il n'est pas contesté que la zone de danger n'était pas signalée, ce que la SAS Vecchietti explique par le fait qu'il s'agissait d'un chantier mobile. Cet élément ne saurait pour autant exempter cette entreprise de sa responsabilité en termes de sécurité sur ce point, une matérialisation mobile de cette zone de danger étant notamment tout à fait possible dans ces circonstances. Il convient, en conséquence, de retenir également la responsabilité pénale de la SAS Vecchietti qui paraît suffisamment établie par cet élément.

La responsabilité de M. [H] apparaît également démontrée dès lors que celui-ci a commis une faute caractérisée ou, à tout le moins, manqué à l'obligation particulière de prudence ou de sécurité et exposé autrui à un risque d'une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer en poursuivant une man'uvre de chargement alors qu'un ouvrier se trouvait dans la zone de levage. Le fait qu'il reconnaisse en outre qu'il était fréquent que des traverses ainsi chargées glissent et chutent à l'occasion de leur chargement sur les wagons constitue un élément supplémentaire de nature à retenir sa responsabilité pénale, dès lors qu'il avait parfaitement conscience du risque lié à la man'uvre qu'il opérait et donc des précautions à prendre vis-à-vis de ses collègues qui se situaient à proximité'».

La société Esaf a seule interjeté appel de ce jugement, de sorte que celui-ci est devenu irrévocable à l'égard de la société Vecchietti et de M. [H].

Statuant par arrêt du 12 septembre 2012, la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Riom a, de manière définitive, confirmé le jugement en ses dispositions pénales concernant la société Esaf pour les motifs suivants':

«'Le rapport de l'Apave rendu le 18/12/2008 sur saisine de la prévenue (') formulait page 7 plusieurs conclusions en lien avec l'accident retenu';

L'Apave concluait dans un rapport sibyllin à la nécessité d'établir des consignes de sécurité spécifiques et d'utilisation de cet équipement, celles-ci devant notamment s'exprimer sur le nombre de traverses à manutentionner suivant leurs types, sur l'absence de personne dans l'aire d''évolution';

De plus l'Apave estimait qu'il y avait lieu d'établir des consignes de sécurité spécifiques, de mise au 'uvre et d'utilisation de cet équipement sur un wagon SNCF';

Tout en se prévalant de ce rapport, la SAS Esaf ne fournissait aucune des consignes de sécurité qu'elle aurait dû établir et fournir à ses salariés pour le maniement de l'équipement ou sur le nombre de traverses à manutentionner selon l'Apave';

Ainsi ce rapport démontre que si ce genre d'équipement peut être adapté pour le maniement de traverses, il n'en demeure pas moins qu'au-delà d'un certain nombre de traverses, il existe une nécessité de consignes de sécurité et de maniement';

Dès lors ce rapport, loin d'être favorable à la prévenue, vient au contraire démontrer les manquements de celle-ci dans l'organisation du travail et dans la mise en place de règles de sécurité. De plus ce rapport vient renforcer les conclusions de M. [S] contrôleur sécurité de la CPAM d'Auvergne et de l'inspection du travail et les constatations empiriques de M. [H], M. [I] ou des gendarmes';

En conséquence au vu des éléments exposés ci-dessus, il convient de retenir la SAS Esaf dans las liens de la prévention'»

Il résulte de ces deux décisions pénales que les fautes suivantes ont été retenues à l'encontre des responsables de l'accident, au titre des motifs qui en sont le soutien nécessaire':

- société Esaf': absence de consignes de sécurité établies et communiquées aux salariés, compte tenu de l'engin de levage des traverses mis à disposition afin d'éviter la chute des pièces soulevées';

- société Vecchietti': absence de matérialisation et de signalisation de la zone de danger';

- M. [H]': poursuite de la man'uvre de levage des traverses alors qu'un autre salarié se trouvait dans la zone de danger.

Les parties ne peuvent remettre en cause les fautes ainsi retenues par les décisions pénales précitées qui ont autorité de chose jugée sur le civil.

Il est établi que la société Esaf n'a pas remis de plan particulier de sécurité et de santé au coordonnateur. Toutefois, la communication de ce plan au coordonnateur du chantier n'était pas de nature à modifier le risque existant sur le chantier résultant de l'absence de consignes de sécurité délivrées par la société Esaf à ses salariés concernant la manipulation de l'engin de levage.

La société Esaf, employeur de M. [H], est en effet à l'origine de l'utilisation d'un engin de levage présentant un risque élevé de chute de pièces lourdes, dès lors qu'il était transporté plus de trois traverses. Sa faute est d'autant plus caractérisée qu'elle avait conscience de l'existence de ce danger qui était déjà survenu sur un autre chantier et qui aurait dû la conduire à édicter des règles de sécurité strictes quant à l'utilisation de l'engin ou de procéder au remplacement de celui-ci.

L'existence d'un engin de levage ne garantissant pas l'absence de chute de traverses constitue le principal fait générateur de l'accident dont M. [M] a été victime, qui ne serait pas survenu si l'engin utilisé pouvait garantir la chute d'objets lourds et ce même en présence d'un salarié dans la zone de danger. Celle-ci n'étant pas délimitée, ni signalée, aux salariés intervenants sur le chantier, la faute secondaire de la société Vecchietti a également contribué à la survenance de l'accident. Enfin, M. [H], par manque de vigilance, a commis une faute dans la poursuite de la man'uvre de levage alors que M. [M] était engagé dans la zone de danger.

Au regard de ces éléments, le tribunal a justement fixé la part de responsabilité, au regard de la gravité des fautes commises, à hauteur de 50'% pour la société Esaf, 30'% pour la société Vecchietti aux droits de laquelle vient la société Colas Rail, et de 20'% pour M. [H].

En conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Sur les dispositions accessoires

La société Esaf sera condamnée aux dépens d'appel sans qu'il y ait lieu de faire application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. Il convient également de la condamner à payer la somme de 1'000 euros à chacune des deux sociétés intimées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement, par défaut et en dernier ressort,

DIT n'y avoir lieu de jonction de l'affaire avec celle enregistrée sous le numéro 20-1358';

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions';

Y AJOUTANT':

CONDAMNE la société la société Entreprise spécialisée en activités ferroviaires à payer à la société Colas Rail la somme de 1'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile';

CONDAMNE la société la société Entreprise spécialisée en activités ferroviaires à payer à la SMABTP la somme de 1'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile';

CONDAMNE la société la société Entreprise spécialisée en activités ferroviaires aux entiers dépens d'appel.

Arrêt signé par Madame Anne-Lise COLLOMP, Président à la Cour d'Appel d'ORLEANS et Madame Fatima HAJBI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Orléans
Formation : Chambre civile
Numéro d'arrêt : 20/01357
Date de la décision : 10/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-07-10;20.01357 ?
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