T R I B U N A L D E GRANDE I N S T A N C E D E P A R I S 3ème chambre 3ème section No RG : 06/00329 No MINUTE : Assignation du : 02 Janvier 2006 Expéditions exécutoires délivrées le : JUGEMENT rendu le 13 Décembre 2006
DEMANDERESSE Société MODLING 14370 MOULT représentée par Me Alain CLERY, de la SCP CLERY ET DE LA A... MROY, avocat au barreau de PARIS, vestiaire P.324 DÉFENDERESSE Société PAPETERIES SILL Rue du Moulin 62570 WIZERNES représentée par Me Jean CASTELAIN, de la SCP GRANRUT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire P.14 COMPOSITION DU TRIBUNAL Elisabeth X..., Vice-Président, signataire de la décision Agnès B..., Vice-Président Pascal MATHIS, Juge assistée de Marie-Aline PIGNOLET, Greffier, signataire de la décision DEBATS A l'audience du 30 Octobre 2006 tenue publiquement JUGEMENT Prononcé publiquement Contradictoire en premier ressort
FAITS ET PRETENTIONS DES PARTIES:
Société MODLING est titulaire d'un brevet français no 9410611 déposé le 5 septembre 1994, délivré le 20 février 1998, ayant pour objet "un conditionnement pour protège-cahiers, élément individuel et élément groupeur en faisant partie." Ce brevet concerne un conditionnement pour protège-cahier, réalisé en matière rigide et pliable, telle que du carton, destiné, dans sa partie supérieure, à être enfilé ou accroché, sur la broche d'un présentoir, sa partie inférieure devant coopérer avec les replis du protège-cahier, de façon à pouvoir présenter ledit protège-cahier de façon verticale et suspendue, et non plus en vrac ou à plat.
En février 2005, la société MODLING a découvert que la société PAPETERIES SILL offrait en vente, sous l'appellation "FORCE 8-KOVER" des protège-cahiers munis d'un élément individuel de conditionnement lui paraissant contrefaisant. Après mise en demeure la société PAPETERIE SILL a déclaré retirer cet objet qui n'avait selon elle
jamais été commercialisé.
En juillet 2005, la société MODLING a découvert que la société PAPETERIES SILL commercialisait un autre conditionnement de protège-cahier lui apparaissant également contrefaisant.
La société MODLING a fait procéder le 3 octobre 2005 à un constat d'huissier au sein de l'hypermarché AUCHAN à Plaisir..
Par acte d'huissier de justice en date du 2 janvier 2006, la société MODLING a fait assigner la société PAPETERIES SILL en contrefaçon de brevet, interdiction et indemnisation.
Aux termes des dernières conclusions du 9 octobre 2006, la société MODLING demande au tribunal :
dire et juger que le conditionnement en carton utilisé par la défenderesse pour présenter ses protège-cahiers sous la marque "FORCE 8- KOVER" et faisant notamment l'objet du procès verbal de constat de Maître Z..., huissier de justice à Versailles, du 3 octobre 2005 et encore de Maître Y... du 6 septembre 2006, constitue la contrefaçon, notamment au sens de l'article L615-1 du code de propriété intellectuelle, des revendications 1, 2, 3, 4, 6 et 17 du brevet no9410611 dont elle est titulaire,
dire et juger qu'en fabriquant, faisant fabriquer et/ou en important de tels conditionnements et qu'en commercialisant des protège-cahiers munis desdits conditionnements, la société défenderesse s'est rendue coupable de contrefaçon de brevet, à son préjudice,
dire et juger qu'en adoptant, dans la partie supérieure de son conditionnement, un moyen d'accrochage reproduisant celui utilisé par elle, d'une part, et en commercialisant ses protège-cahiers munis du conditionnement pré-conditionnés sur un présentoir global, d'autre part, la société défenderesse s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale connexes à son préjudice,
en conséquence,
lui faire interdiction de poursuivre la fabrication, directe ou par sous-traitance, et/ou l'importation du conditionnement litigieux, ainsi que la commercialisation de protège-cahiers munis du conditionnement litigieux, sous astreinte de 5 euros par infraction commise à compter de la signification du jugement à intervenir,
la condamner à lui payer la somme de 50.000 euros, sauf à parfaire, à titre de dommages-intérêts et en réparation de son préjudice consécutif à la contrefaçon du brevet incriminée,
la condamner à lui payer la somme de 50.000 euros, sauf à parfaire, à titre de dommages-intérêts et en réparation de son préjudice consécutif à la concurrence déloyale,
ordonner la publication du jugement dans 5 journaux dans la limite de 6000 euros par insertion,
ordonner l'exécution provisoire,
condamner la défenderesse à lui payer la somme de 15.000 euros en application de l'article 7OO du nouveau code de procédure civile,
la condamner aux entiers dépens avec distraction au profit de la SCP CLERY et de la A... MORY en application de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
Selon ses dernières conclusions déposées le 16 octobre 2006,la société PAPETERIES SILL demande de :
débouter la demanderesse,
dire et juger nul le brevet de la société MODLING no9410611 pour insuffisance de description et à tout le moins des revendications 1 et 6,
dire et juger nulle pour absence de nouveauté pour partie et d'activité inventive pour le reste la revendication 1,
dire et juger nulles pour absence d'activité inventive les revendications 2, 3 , 4, 6 et 17,
dire et juger qu'elle n'a pas contrefait les revendication 1, 2, 3, 4, 6 et 17 du brevet enregistré sous le no9410611,
dire et juger qu'elle n'a commis aucun acte de concurrence déloyale, condamner la société MODLING :
-aux entiers dépens,
-au versement d'une somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. MOTIFS DE LA DECISION
Sur la portée du brevet
Il convient de rappeler que l'invention a trait aux conditionnements de protège-cahier. Elle vise à éviter la présentation en vrac des protèges-cahier en libre service. Elle propose un conditionnement adapté à un présentoir de magasin libre service, caractérisé en ce qu'il comporte pour chaque protège-cahier un élément individuel de conditionnement fait dans une feuille de matière rigide et pliable telle que du carton, conformé avec une partie inférieure adaptée à s'engager comme une couverture de cahier au moins dans le haut des replis du protège-cahier, et avec une partie supérieure munie d'un moyen d'accrochage à une broche de suspension dudit présentoir, ce moyen d'accrochage étant disposé de sorte qu'il se trouve centré au-dessus du protège-cahier lorsque celui-ci est replié à l'état fermé avec l'élément de conditionnement qui y est mis en place. Chaque protège cahier est ainsi suspendu par le haut et maintenu en forme individuellement, ceci permet d'éviter qu'il se froisse ou se déforme comme cela existait parfois avec le conditionnement antérieur qui consistait en des sachets remplis de trois protège-cahiers ou davantage déposés en vrac..
Le demandeur oppose les revendications 1, 2, 3, 4, 5, 6 et 17 de son brevet ainsi libellées :
Selon la revendication ,o1, il s'agit : d'un "conditionnement pour protège-cahiers, adapté à un présentoir de magasin libre-service, caractérisé en ce qu'il comporte pour chaque protège cahier un élément individuel de conditionnement (1) fait dans une feuille de matière rigide et pliable telle que du carton, conformé avec une partie inférieure (3) adaptée à s'engager comme une couverture de cahier au moins dans le haut des replis (14) du protège-cahier (13), et avec une partie supérieure (2) munie d'un moyen d'accrochage (11) à une broche de suspension (16) dudit présentoir, ce moyen d'accrochage (11) étant disposé de sorte qu'il se trouve centré au-dessus du protège-cahier (13) lorsque celui-ci est replié à l'état fermé avec l'élément de conditionnement (1) qui y est mis en place.
Selon la revendication no2, il s'agit d'un "conditionnement selon la revendication 1, caractérisé en ce que ledit élément individuel de conditionnement (1) comporte deux moyens d'accrochage (11) disposés symétriquement de part et d'autre d'un pli central vertical (5) et co'ncidant avec celui(15) du protège cahier lorsque l'élément individuel (1) y est mis en place.
Selon la revendication no3 il s'agit : d'un "conditionnement selon l'une quelconque des revendication 1 ou 2, caractérisé en ce que ledit élément individuel de conditionnement (1) comporte un volet (6) adapté à être positionné en regard d'une face externe du protège-cahier (13).
Selon la revendication no4 il s'agit : d'un "conditionnement selon la revendication 3, caractérisé en ce que ledit volet (6) est obtenu par une découpe (7-10) pratiquée au moins en majeure partie dans ladite partie inférieure (3) de l'élément individuel (1).
Selon la revendication no6 il s'agit : d'un "Conditionnement selon l'une quelconque des revendications 1 à 5, caractérisé en ce que lesdites parties inférieure et supérieure (2, 3) ont chacune une
forme globalement rectangulaire avec le côté inférieur de la partie supérieure (2) et le côté supérieur de la partie inférieure(3) qui sont adjacents.
Selon la revendication no17 il s'agit d'un "Elément individuel de conditionnement de protège-cahier ayant les caractéristiques figurant dans l'une quelconque des revendications 1 à 9." Sur la validité du brevet -sur l'insuffisance de description L'article L613-25b) du code de propriété intellectuelle dispose que le brevet est déclaré nul par décision de justice s'il n'expose pas l'invention de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter. La société défenderesse soutient que la page 1 ligne 23 à page 2 ligne 1 étant ainsi rédigé "grâce à l'élément de conditionnement dont il estLa société défenderesse soutient que la page 1 ligne 23 à page 2 ligne 1 étant ainsi rédigé "grâce à l'élément de conditionnement dont il est équipé, chaque protège-cahier est suspendu individuellement par le haut et maintenu en forme individuellement, ce qui permet d'éviter qu'il ne se déforme ou se froisse," et la revendication 6 souffrirait d'une insuffisance de description puisqu'il n'est pas indiqué comment le protège-cahier ne se froisserait ou déformerait pas alors qu'il n'est maintenu que dans sa partie supérieure. C'est à juste titre que la demanderesse fait observer que la phrase litigieuse qui se trouve dans la description du brevet est tronquée par la défense puisqu'elle se poursuit par "comme cela se produisait avec le conditionnement antérieur précité " qui renvoie donc au "sachet en vrac " (p1lignes 4 à 6) et alors à l'état de la technique. Il n'est donc pas affirmé que le maintien en forme du protège-cahier s'appliquerait sur l'intégralité de sa surface ou de sa longueur mais seulement que ce maintien est amélioré par rapport à l'absence total de maintien existant auparavant pour les protège-cahiers présentés à plat dans
des sachets en contenant plusieurs. La défenderesse soutient également que la revendication 6 serait nulle pour insuffisance de description, la notion de "globalement rectangulaire " étant imprécise d'autant que le brevet ne spécifie pas où se trouve la ligne de séparation entre la partie supérieure et la partie inférieure. Le tribunal observe que l'homme du métier que se reportera aux figures du brevet pourra aisément comprendre la caractéristique de forme de la revendication 6; Dès lors, l'insuffisance de description n'est pas démontrée. -sur le défaut de nouveauté Il est constant en application de l'article L611-11 du code de propriété intellectuelle que la nouveauté d'une invention ne peut être ruinée que par une antériorité de toutes pièces qui doit être prise telle quelle sans avoir besoin d'être complétée. Pour être comprises dans l'état de la technique et privée de nouveauté, l'invention doit se trouver toute entière et dans une seule antériorité au caractère certain avec les éléments qui la constituent, dans la même forme, avec le même agencement et le même fonctionnement en vue du même résultat technique. La société défenderesse oppose, en ce qui concerne la partie supérieure de l'élément individuel de conditionnement de la revendication 1, le brevet US no5328065 déposé le 12 juillet 1994pour des cintres à chaussettes qui décrit une partie supérieure munie d'un moyen d accrochage à une broche de suspension de présentoir, qui peut être disposé de telle sorte qu'il se trouve centré au dessus de l'objet à suspendre. C'est à juste titre que la société demanderesse observe que le brevet US porte sur un cintre à chaussette en matière plastique (donc différente de la matière rigide pliable telle que du carton), qui ne possède pas de partie inférieure "adaptée à s'engager comme une couverture de cahier Au moins dans le haut des replis du protège-cahier" et a une partie supérieure munie du moyen
d'accrochage se présentant de façon centrée au dessus de la partie inférieure, elle-même plane et non pas "au dessus du protège-cahier lorsque celui-ci est replié à l'état fermé avec l'élément de conditionnement qui y est mis en place." La société défenderesse, en ce qui concerne l'élément inférieur de l'élément individuel de conditionnement de la revendication 1 , oppose le brevet US no5328 065 déposé le 12 juillet 1994 qui décrit une partie supérieure munie d'un moyen d'accrochage centrée au dessus de la partie inférieure et le brevet français FR 2438 992 qui comporte une partie supérieure avec moyen d accrochage à une broche de suspension d'un présentoir dont la partie supérieure est disposée de sorte qu'elle se trouve centrée au dessus de la partie accrochée. La société défenderesse remarque elle-même que la différence entre ces brevets et le brevet litigieux est que les brevets qu'elle oppose sont réalisés en matière plastique et non pas dans une matière "rigide et pliable telle que du carton"; Dès lors, il n'existe pas d'antériorité de toute pièce détruisant la nouveauté du brevet dont s'agit le défendeur lui-même opposant plusieurs antériorités pour détruire la nouveauté de la revendication no1.. -sur l'activité inventive L'article L 611-14 du code de propriété intellectuelle dispose qu'une " invention est considérée comme impliquant une activité inventive, si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d'une manière évidente de l'état de la technique." La société défenderesse soutient que la revendication 1 est nulle pour défaut d'activité inventive. Le tribunal observe que l'état de la technique n'envisageait pas de conditionnement unique coopérant avec l'objet à suspendre, en épousant sa forme générale et se repliant avec lui, permettant ainsi au consommateur de la manipuler et d'en voir l'intérieur sans le retirer du conditionnement tout en permettant également un système d'accrochage Il n'est pas possible d'utiliser les brevets opposés comme supports de
protège-cahier. Le tribunal considère que l'homme du métier, en l'espèce un spécialiste du conditionnement connaissant les matériaux en feuille ne pouvait pas à partir de l'état de la technique changer de matière (carton et non plastique), adopter une forme changeante, pouvant être ouverte ou fermée et non pas une forme fixe plane, et concevoir un produit épousant la forme globale du produit à suspendre pour pouvoir coopérer avec lui et non pas une simple tige sur laquelle la chaussette est repliée sans activité inventive. La revendication 1 étant valable, l'ensemble des revendications 2, 3,4,6 et 17 qui sont dépendantes de la revendication 1 sont également valables sans qu'il soit besoin de les discuter individuellement. Sur la contrefaçon Le tribunal observe que chacun des produits argués de contrefaçon de la société défenderesse ne comporte aucune partie engagée dans le haut des replis du protège-cahier mais que ce sont au contraire les parties de la couverture du protège-cahier qui sont engagées chacune dans deux fentes de l'élément de conditionnement de façon à être enserrées par celui-ci suivant toute leur longueur. Dès lors, les conditionnements de la défenderesse sont nettement différents des revendications du brevet en ce que leur partie inférieure du dit conditionnement n'est pas adaptée à s'engager comme une couverture de cahier dans le haut des replis du protège cahier. Dès lors, il n'y a pas de contrefaçon à l'identique. Il n'y a pas davantage de contrefaçon par équivalence, en effet celle-ci suppose trois conditions cumulatives : le moyen doit avoir une forme différente, remplir une même fonction et les résultats doivent être semblables En l'espèce, les résultats recherchés pour les deux emballages sont les mêmes : il s'agit d'obtenir un seul conditionnement qui permette à la fois l'accrochage des protège-cahiers et la rigidification de ceux-ci pour éviter qu'ils ne se froissent. Cependant le défendeur a proposé successivement deux
modèles. Le premier ne permettait pas une présentation suffisamment rigide des protège-cahiers, notamment les extrémités droite et gauche étant laissées libres avaient tendance à se froisser. Le deuxième modèle du défendeur pour y parvenir utilise deux morceaux de cartons indépendants qui sont glissés dans les replis droite et gauche du protège-cahier. Dès lors, ce modèle est différent du brevet puisqu'on arrive au résultat recherché de la rigidification du protège-cahier par l'utilisation non pas d'une pièce en carton unique, mais de trois morceaux de cartons, alors que l'activité inventive du brevet réside dans le fait que les deux résultats recherchés de l'accrochage et de la rigidité sont obtenus avec une seule pièce de carton. Dès lors il n'y a pas de contrefaçon par équivalence Sur la concurrence déloyale La société demanderesse soutient que ses protège-cahiers sont commercialisés au moyen d'un conditionnement qui s'il reprend les éléments techniques brevetés, présente la particularité de comporter un moyen d accrochage central dans sa partie supérieure en forme de crochet, et non plus en forme de boucle comme dessinée dans le brevet, or, que c'est très précisément ce même type d'accrochage en forme de crochet que la société défenderesse a reproduit, dans la même orientation gauche/droite, de sorte que ses produits sont substituables aux siens. Le tribunal observe que l'existence de formes en crochet permettant un accrochage facile sur des présentoirs en forme de tube fixe étaient déjà dans l'état de la technique. Dès lors, l'adoption de ce moyen du domaine public ne peut constituer pris isolément un acte de concurrence déloyale Il convient de débouter, en conséquence, la demanderesse sur ce point. Sur l'article 700 du nouveau code de procédure civile Il parait inéquitable de laisser à la charge de la société demanderesse les frais irrépétibles et non compris dans les dépens. Il convient d'allouer à ce titre à la société défenderesse une indemnité de 15000 Euros. Sur l'exécution
provisoire Il parait nécessaire en l'espèce et compatible avec la nature de l'affaire d'ordonner l'exécution provisoire de la présente décision. PAR CES MOTIFS Le tribunal statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort, Déclare valable le brevet français no9410611 Déboute la société MODLING de l'ensemble de ses demandes, Condamne la société MODLING à payer à la société PAPETERIES SILL la somme de 15000 euros (QUINZE MILLE EUROS) en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, Condamne la société MODLING aux entiers dépens. Fait et jugé à Paris le 13 Décembre 2006 Le Greffier Le Président