Vu, enregistrée à son secrétariat le 9 mars 2005, la requête présentée pour Mme Solange MOYSON veuve MASSON, demeurant « Lopuen » à Locarn (22340), Mme Jacqueline MASSON, demeurant rue de la Ville Raye à Tregeux (22950), M. Pascal MASSON, demeurant à La Raviere, Alexain (53240), M. Thierry MASSON, demeurant « Lezourles » à Locarn (22340) et M. Jean-Claude MASSON, demeurant « Lopuen » à Locarn (22340), tendant à ce que le Tribunal, saisi par application de l'article 1er de la loi du 20 avril 1932 :
1° annule les arrêts du 13 juin 1997 et du 12 novembre 2004 par lesquels la cour d'appel de Rennes et la cour administrative d'appel de Nantes ont rejeté leurs conclusions tendant à l'indemnisation de préjudices résultant de la privation et de la destruction d'un hangar, d'un préjudice d'exploitation et d'un préjudice moral ;
2° condamne la commune de Locarn à leur verser les sommes de 116 608,16 euros pour préjudice d'exploitation, 4 573,47 euros pour privation d'un hangar, 8 979,09 euros pour destruction d'un hangar et 15 224,90 euros pour préjudice moral, augmentées des intérêts au taux légal à compter du 3 octobre 2002 ;
3° condamne la commune de Locarn à leur verser la somme de 3000 euros au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
ils soutiennent que les arrêts de la cour d'appel de Rennes et de la cour administrative d'appel de Nantes sont entachés de contradictions conduisant à un déni de justice ;
Vu les arrêts attaqués ;
Vu, enregistré le 30 août 2005, le mémoire présenté pour la commune de Locarn, tendant au rejet de la requête et à ce que les requérants soient solidairement condamnés à lui verser la somme de 3000 euros au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ; elle soutient que c'est dans un arrêt avant dire droit du 14 juin 1996, et non dans l'arrêt du 13 juin 1997, que la cour d'appel de Rennes a statué sur les indemnités demandées au titre du déplacement du hangar ; que les arrêts de la cour d'appel de Rennes et de la cour administrative d'appel de Nantes ne sont pas entachés de contrariété, ni de déni de justice ; qu'il n'y a pas non plus de conflit négatif de compétence ; que les demandes indemnitaires ne sont pas fondées ;
Vu, enregistré le 27 septembre 2005, le nouveau mémoire présenté pour les consorts MASSON, qui reprennent les conclusions de leur requête et le même moyen ; ils soutiennent en outre que la requête en contrariété est valablement dirigée contre l'arrêt du 13 juin 1997 de la cour d'appel de Rennes qui a statué sur leurs demandes après un arrêt avant dire droit ; que leurs demandes indemnitaires sont fondées ; qu'à titre subsidiaire, il appartiendra au Tribunal des conflits de régler la question de compétence au titre d'un conflit négatif ;
Vu, enregistré le 7 décembre 2005, le nouveau mémoire présenté pour les consorts MASSON, qui reprennent les conclusions de leurs précédents mémoires et les mêmes moyens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Vu la loi du 20 avril 1932 ;
Vu le décret du 26 octobre 1849 modifié ;
Vu la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Philippe Martin , membre du Tribunal,
- les observations de la SCP Le Bret-Desaché, avocat des consorts MASSON et de la SCP Parmentier-Didier, avocat de la commune de Locarn,
- les conclusions de M. Jacques Duplat, Commissaire du gouvernement ;
Sur les conclusions principales tendant à l'application de la loi du 20 avril 1932 :
Considérant qu'il résulte de l'article 1er de la loi du 20 avril 1932 que les décisions définitives des tribunaux administratifs et des tribunaux judiciaires ne peuvent être déférées au Tribunal des conflits que si elles portent sur le même objet et présentent une contrariété conduisant à un déni de justice ;
Considérant que la cour d'appel de Rennes, par un arrêt du 13 juin 1997 faisant suite à un arrêt avant dire droit du 14 juin 1996, a statué sur les indemnités devant être versées par la commune de Locarn (Côtes d'Armor) à M. et Mme MASSON à la suite de l'expropriation pour cause d'utilité publique d'une parcelle leur appartenant afin de permettre la rectification du tracé d'une voie communale ; que par l'arrêt du 14 juin 1996, la cour d'appel a écarté la demande indemnitaire concernant le déplacement par la commune d'un hangar au motif que ce hangar n'était pas situé sur la parcelle expropriée et que le préjudice était par suite étranger à l'expropriation ; que par l'arrêt du 13 juin 1997, la cour d'appel a écarté comme non fondée la demande indemnitaire concernant un préjudice d'exploitation résultant de la présence de la route entre plusieurs bâtiments agricoles, en relevant que cette demande, qui n'avait pas été présentée devant le juge du premier degré, n'était étayée par aucune pièce permettant de constater que la nouvelle voie avait entraîné des pertes de production ou des sujétions nouvelles et qu'en outre, ce préjudice éventuel aurait pour origine des travaux publics impliquant la compétence de la juridiction administrative ;
Considérant que, par son arrêt du 12 novembre 2004, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté plusieurs demandes indemnitaires présentées par les consorts MASSON, M. MASSON étant décédé ; qu'elle a ainsi décliné la compétence de la juridiction administrative pour statuer sur le préjudice résultant du déplacement du hangar, au motif que cette demande d'indemnité trouvait sa cause juridique dans une emprise irrégulière ; que la cour a également décliné la compétence de la juridiction administrative pour connaître des demandes indemnitaires relatives au préjudice d'exploitation et au préjudice moral, au motif que les préjudices ainsi allégués résultent directement de l'expropriation et ne peuvent être invoqués qu'au titre du calcul de l'indemnité d'expropriation ;
Considérant que, s'agissant des préjudices résultant du déplacement du hangar, le motif retenu par la cour d'appel de Rennes, tiré de l'absence de lien avec l'expropriation, ne comporte pas de contrariété avec l'incompétence opposée par la cour administrative d'appel de Nantes au titre d'une emprise irrégulière ; qu'il n'y a pas non plus de contrariété entre le rejet par la cour de Rennes, comme non fondée, de la demande relative au préjudice d'exploitation et l'incompétence opposée par la cour de Nantes aux demandes relatives à ce préjudice et au préjudice moral ; qu'à supposer même que la cour de Rennes ait opposé pour le préjudice d'exploitation l'incompétence de la juridiction judiciaire, la double déclaration d'incompétence qui en résulterait relèverait du conflit négatif régi par l'article 17 du décret du 26 octobre 1849, et non de la loi du 20 avril 1932 ; qu'ainsi les conclusions fondées sur cette loi ne sont pas recevables ;
Sur les conclusions subsidiaires tendant au règlement de la compétence :
Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 17 du décret du 26 octobre 1849 : « Lorsque l'autorité administrative et l'autorité judiciaire se sont respectivement déclarées incompétentes sur la même question, le recours devant le Tribunal des conflits, pour faire régler la compétence, est exercé directement par les parties intéressées » ;
Considérant que, s'agissant du déplacement du hangar, la cour d'appel de Rennes n'a pas décliné la compétence de la juridiction judiciaire ; que si, après avoir jugé non fondée la demande indemnitaire relative au préjudice d'exploitation, cette cour a indiqué qu'en outre, le préjudice éventuel relèverait de la compétence de la juridiction administrative, cette mention surabondante n'est pas le support nécessaire du dispositif de l'arrêt ; qu'ainsi il ne résulte pas des arrêts en cause un conflit négatif d'attributions ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que la commune de Locarn, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamnée à payer aux consorts MASSON la somme qu'ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner les consorts MASSON à payer à la commune de Locarn la somme qu'elle demande au titre des mêmes dispositions ;
D E C I D E :
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Article 1er : La requête des consorts MASSON est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la commune de Locarn tendant à l'application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au garde des sceaux, ministre de la justice, qui est chargé d'en assurer l'exécution.