N° 3857
Conflit sur renvoi du Conseil d'Etat
Ministre de la Défense c/ M. X...
Séance du 11 juin 2012 Lecture du 9 juillet 2012
LE TRIBUNAL DES CONFLITS
Vu l'expédition de la décision du 9 novembre 2011 par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi de la requête du ministre de la défense tendant à l'annulation de l'arrêt du 15 juillet 2009 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a, au motif qu'elle n'était pas recevable, rejeté sa demande tendant à ce que soit reconnue la qualité d'archives publiques à certains documents provenant de la succession du général d'Empire François Charles Louis X..., et détenus par M. X..., et à ce que ceux-ci soient restitués à l'Etat, a sursis à statuer et a renvoyé au Tribunal, par application de l'article 35 du décret du 26 ctobre 1849 modifié, le soin de décider sur la compétence ;
Vu les observations présentées par le ministre de la défense tendant à ce que soit reconnue la compétence du juge administratif au motif que ce dernier étant seul compétent pour délimiter le domaine public, il lui appartient de se prononcer sur la qualification d'archives publiques qui emporte automatiquement propriété de l'Etat sans que le juge judiciaire ait à statuer au préalable sur cette propriété ;
Vu les observations présentées, pour M. X..., par la SCP Piwnica-Molinié tendant à ce que soit reconnue la compétence du juge judiciaire au motif que l'action en revendication d'archives n'est pas destinée à délimiter le domaine public mobilier mais a pour objet de faire trancher la question de la propriété d'un bien meuble détenu par une personne privée ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Vu le décret du 26 octobre 1849 modifié ;
Vu l'article 2279 du code civil, devenu l'article 2276 du même code ;
Vu le code du patrimoine ;
Vu le code général de la propriété des personnes publiques ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Marc Béraud, membre du Tribunal,- les observations de la SCP Piwnica-Molinié, pour M. X...,- les conclusions de M. Pierre Collin, commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 211-1 du code du patrimoine : " Les archives sont l'ensemble des documents, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé dans l'exercice de leur activité " ; que l'article L. 211-4 du même code dispose que " Les archives publiques sont : a) Les documents qui procèdent de l'activité, dans le cadre de leur mission de service public, de l'Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics et des autres personnes morales de droit public ou des personnes de droit privé chargées d'une telle mission (...) " ; que l'article L. 212-1 prévoit : " Les archives publiques sont imprescriptibles. Nul ne peut détenir sans droit ni titre des archives publiques. Le propriétaire du document, l'administration des archives ou tout service public d'archives compétent peut engager une action en revendication d'archives publiques, une action en nullité de tout acte intervenu en méconnaissance du deuxième alinéa ou une action en restitution (…) " ; que, selon l'article L. 2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques, " Sans préjudice des dispositions applicables en matière de protection des biens culturels, font partie du domaine public mobilier de la personne publique propriétaire les biens présentant un intérêt public du point de vue de l'histoire, de l'art, de l'archéologie, de la science ou de la technique, notamment : (…) 2° Les archives publiques au sens de l'article L. 211-4 du code du patrimoine ; (...) " ;
Considérant que le général François Charles Louis X... a commandé le corps du génie durant plusieurs campagnes napoléoniennes ; que des cartes, plans, dessins et autres types de documents ont été produits sous ses ordres en préalable à l'édification d'installations nécessaires à la progression des armées de l'Empire ; que si, en quittant ses fonctions militaires en 1813, il a transmis certains documents au service des archives du ministère de la défense, l'inventaire prévu par l'arrêté du 13 nivôse an X n'a pas été réalisé à son décès en 1833 ; que les documents restés en sa possession, ainsi que des copies des originaux transmis à l'Etat, conservés au sein de sa famille, ont été mis en vente à l'hôtel des ventes de La Rochelle en juin 2003 par M. X... ; que le ministre de la défense, après s'être opposé à cette vente et fait nommer des experts, a saisi le tribunal administratif pour faire qualifier certains des documents d'archives publiques et en obtenir la restitution au profit de l'Etat ;
Considérant que si les archives publiques appartiennent au domaine public et sont régies par les principes d'inaliénabilité et d'imprescriptibilité, reconnus antérieurement par une jurisprudence établie, et désormais consacrés par les dispositions ci-dessus rappelées, l'action en revendication de telles archives, introduite par une personne de droit public à l'encontre d'une personne de droit privé en possession de laquelle se trouvent ces documents, relève de la compétence du juge judiciaire, sous réserve d'une éventuelle question préjudicielle posée au juge administratif en cas de difficulté sérieuse portant sur la détermination du caractère public desdites archives ; que, dès lors, l'action par laquelle le ministre de la défense revendique la restitution à l'Etat d'une partie des documents détenus par M. X... au motif qu'ils constitueraient des archives publiques ressortit à la compétence du juge judiciaire ;
D E C I D E :
Article 1er : Les tribunaux judiciaires sont compétents pour connaître du litige opposant M. X... au ministre de la défense.
Article 2 : La présente décision sera notifiée au garde des sceaux, ministre de la justice, qui est chargé d'en assurer l'exécution.