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30/05/2024 | FRANCE | N°23/01132

France | France, Tribunal judiciaire de Bobigny, Serv. contentieux social, 30 mai 2024, 23/01132


Tribunal judiciaire de Bobigny
Service du contentieux social
Affaire : N° RG 23/01132 - N° Portalis DB3S-W-B7H-X5AV
Jugement du 30 MAI 2024

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BOBIGNY



JUGEMENT CONTENTIEUX DU 30 MAI 2024


Serv. contentieux social
Affaire : N° RG 23/01132 - N° Portalis DB3S-W-B7H-X5AV
N° de MINUTE : 24/01223

DEMANDEUR

S.A.S. [6]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Cédric PUTANIER, avocat au barreau de LYON, vestiaire : T2051



DEFENDEUR

*CPAM DE SEINE-SAINT-DENIS
[Adresse 2]

[Localité 3]
représentée par Monsieur [T] [U], audiencier


COMPOSITION DU TRIBUNAL

DÉBATS

Audience publique du 20 Mars 2024.

Madame Sandra MIT...

Tribunal judiciaire de Bobigny
Service du contentieux social
Affaire : N° RG 23/01132 - N° Portalis DB3S-W-B7H-X5AV
Jugement du 30 MAI 2024

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BOBIGNY

JUGEMENT CONTENTIEUX DU 30 MAI 2024

Serv. contentieux social
Affaire : N° RG 23/01132 - N° Portalis DB3S-W-B7H-X5AV
N° de MINUTE : 24/01223

DEMANDEUR

S.A.S. [6]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Cédric PUTANIER, avocat au barreau de LYON, vestiaire : T2051

DEFENDEUR

*CPAM DE SEINE-SAINT-DENIS
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Monsieur [T] [U], audiencier

COMPOSITION DU TRIBUNAL

DÉBATS

Audience publique du 20 Mars 2024.

Madame Sandra MITTERRAND, Présidente, assistée de Monsieur Ali AIT TABET et Monsieur Sylvain DELFOSSE, assesseurs, et de Monsieur Denis TCHISSAMBOU, Greffier.

Lors du délibéré :

Présidente : Sandra MITTERRAND, Juge
Assesseur : Ali AIT TABET, Assesseur salarié
Assesseur : Sylvain DELFOSSE, Assesseur employeur

JUGEMENT

Prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort, par Sandra MITTERRAND, Juge, assistée de Denis TCHISSAMBOU, Greffier.

Transmis par RPVA à : Me Cédric PUTANIER

FAITS ET PROCÉDURE

Monsieur [G] [D], salarié de la société par actions simplifiée (SAS) [6], a été victime d’un malaise mortel le 5 octobre 2022 sur son lieu de travail.

Une déclaration d’accident du travail a été établie par son employeur le 7 octobre 2022 et transmise à la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de la Seine-Saint-Denis (ci-après “la Caisse”).

Par lettre du 19 janvier 2023, la caisse primaire d’assurance maladie de la Seine-Saint-Denis a notifié à la société [6] la prise en charge de l’accident mortel survenu à Monsieur [D] au titre de la législation sur les risques professionnels.

Le 15 mars 2023, la société [6] a saisi la commission de recours amiable de la Caisse, qui a accusé réception de son recours par courrier du 27 mars 2023, puis n’a pas répondu.

Par lettre recommandée reçue le 14 juin 2023 au greffe, la société [6] a saisi le service du contentieux social du tribunal judiciaire de Bobigny aux fins de se voir déclarer inopposable la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle du décès de Monsieur [D].

A défaut de conciliation possible, l’affaire a été appelée et retenue, après un renvoi, à l’audience du 20 mars 2024, date à laquelle les parties, présentes ou représentées, ont été entendues en leurs observations.

Par conclusions déposées et soutenues oralement à l’audience, la société [6], représentée par son conseil, demande au tribunal de déclarer inopposable à son égard la décision de la Caisse de prendre en charge au titre de la législation professionnelle l’accident mortel dont a été victime Monsieur [D] le 5 octobre 2022.

Elle fait valoir que malgré les réserves qu’elle a formulé, la CPAM n’a effectué aucune investigation sur les causes du décès, n’a pas interrogé le médecin conseil sur l’utilité d’une mesure d’autopsie et sur l’existence d’un état pathologique antérieur, ni les ayants droit du salarié sur son état de santé

Par conclusions en défense, la caisse primaire d’assurance maladie de la Seine-Saint-Denis, régulièrement représentée, demande au tribunal de déclarer bien fondée et opposable à la société [6] la décision du 19 janvier 2023 de prise en charge du malaise mortel de Monsieur [D], de condamner la société [6] à lui verser la somme de 2.000 euros au titre l’article 700 du code de procédure civile et de débouter la société [6] de toutes ses demandes.

Elle expose que la CPAM a mené une instruction parfaitement contradictoire, qu’elle a respecté les obligations d’informations mises à sa charge, que les dispositions légales ou réglementaires n’imposent pas à la CPAM de recueillir l’avis du médecin conseil ou un certificat médical de décès ou de mettre en oeuvre une autopsie et qu’elle a communiqué à la société [6] l’ensemble des éléments qu’elle a recueilli au cours de l’enquête. Elle ajoute qu’il ressort de l’enquête que le salarié a été victime d’un malaise se manifestant par une douleur à la poitrine sur son lieu de travail à 11h36, dont il est décédé à 12h56, de sorte que la présomption d’imputabilité a vocation à s’appliquer. Elle précise que la seule existence d’un état antérieur n’est pas de nature à faire preuve de la cause étrangère et à exclure tout rôle du travail et que l’employeur n’apporte aucun élément médical susceptible de détruire la présomption d’imputabilité.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, le tribunal, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux écritures et pièces déposées par les parties.

L’affaire a été mise en délibéré au 30 mai 2024 et le jugement rendu par mise à disposition au greffe.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande en inopposabilité

Aux termes de l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale “est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise.”

Selon l’article L.441-3 du code de la sécurité sociale, “ Dès qu'elle a eu connaissance d'un accident du travail par quelque moyen que ce soit, la caisse primaire d'assurance maladie est tenue de faire procéder aux constatations nécessaires.”

Aux termes de l’article R.441-7 du même code, “La caisse dispose d'un délai de trente jours francs à compter de la date à laquelle elle dispose de la déclaration d'accident et du certificat médical initial prévu à l'article L. 441-6 pour soit statuer sur le caractère professionnel de l'accident, soit engager des investigations lorsqu'elle l'estime nécessaire ou lorsqu'elle a reçu des réserves motivées émises par l'employeur.”

L’article R.441-8 précise : “I.-Lorsque la caisse engage des investigations, elle dispose d'un délai de quatre-vingt-dix jours francs à compter de la date à laquelle elle dispose de la déclaration d'accident et du certificat médical initial pour statuer sur le caractère professionnel de l'accident. Dans ce cas, la caisse adresse un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l'accident à l'employeur ainsi qu'à la victime ou ses représentants, dans le délai de trente jours francs mentionné à l'article R. 441-7 et par tout moyen conférant date certaine à sa réception. Ce questionnaire est retourné dans un délai de vingt jours francs à compter de sa date de réception. La caisse peut en outre recourir à une enquête complémentaire. En cas de décès de la victime, la caisse procède obligatoirement à une enquête, sans adresser de questionnaire préalable.”

Aux termes de l’article L. 442-4 du code de la sécurité sociale, “la caisse doit, si les ayants droit de la victime le sollicitent ou avec leur accord si elle l'estime elle-même utile à la manifestation de la vérité, demander au tribunal judiciaire dans le ressort duquel l'accident s'est produit de faire procéder à l'autopsie dans les conditions prévues aux articles 232 et suivants du code de procédure civile. Si les ayants droit de la victime s'opposent à ce qu'il soit procédé à l'autopsie demandée par la caisse, il leur incombe d'apporter la preuve du lien de causalité entre l'accident et le décès.”

Il résulte de l’ensemble de ces dispositions qu’en cas de décès de la victime, il appartient obligatoirement à la Caisse de procéder à une enquête, laquelle tend nécessairement à établir les circonstances et causes précises du décès, le cas échéant en sollicitant l’avis des ayants-droits de la victime aux fins de recourir à une autopsie.

La réalisation d’une enquête sérieuse et loyale constitue une modalité d’application du principe du contradictoire, dont la violation est sanctionnée par l’inopposabilité de la décision de prise en charge de la Caisse.

En l’espèce, la société [6] reproche à la Caisse de ne pas avoir fait réaliser une autopsie.

Toutefois, en application des dispositions précitées, bien que la décision de la Caisse soit intervenue sans qu’il soit procédé à une autopsie, celle-ci n’est pas obligatoire.

Par ailleurs, il résulte des pièces du dossier que pour prendre en charge le décès de Monsieur [D] au titre de la législation sur les risques professionnels, la Caisse s’est fondée sur l’acte de décès de Monsieur [D], dressé le 14 octobre 2022 par l’officier d’état civil de la ville d’[Localité 5] sur la déclaration d’un chef d’agence, et ne précisant pas les causes du décès, et de la déclaration d’accident du travail établie le 7 octobre 2022 mentionnant un “malaise avant de s’écrouler au sol” et “inconnue” s’agissant du siège ainsi que de la nature des lésions.

Elle s’est également fondée sur l’enquête administrative produite par la société dont il ressort que la mission confiée à l’enquêteur était la réponse aux questions suivantes : “Etait-il sous la subordination de son employeur ?” et “Recueillir les coordonnées d’un ayant droit”. L’enquêteur a répondu par l’affirmative à la première question, retenant que la victime était bien sur le site d’[Localité 5], son lieu de travail habituel et que l’accident s’est produit en sortant du local de ventilation, attenant au magasin où il travaille habituellement. A la seconde question, l’enquêteur a indiqué les coordonnées téléphoniques de Madame [I], cousine de la victime.

Selon l’enquête, les investigations de l’inspecteur se sont limitées à des échanges de mails et un entretien téléphonique avec une juriste de l’employeur de Monsieur [D], dont le procès-verbal mentionne que le salarié était affecté dans un local adjoint à [Localité 5] qui est son lieu de travail, qu’il n’avait rien à faire dans le local de ventilation qui n’est pas s zone de travail, qu’il avait fait ses besoins dans le carton et dans le local de ventilation et qu’une lettre de réserves a été faite car Monsieur [D] est une personne avec un fort passif, plusieurs accidents.
Deux procès-verbaux de constatations ont également été dressés : le premier relatif au voisinage de la vidéo surveillance indique que Monsieur [D] entre par la porte du local de ventilation avec un carton à la main et en sort, une minute plus tard, “en se tenant la poitrine, puis (...) se tient à la poignée de porte, tentant de se rattraper. (...) Je vois Monsieur [D], qui est replié sur lui-même et ensuite s’écroule sur le sol”. Le second est relatif à la lettre de réserves de l’employeur, dont il est précisé qu’elle portait sur l’existence d’un état pathologique préexistant et sur le fait que la victime s’était rendu dans un local de ventilation à proximité du magasin, qui n’était pas sa zone de travail.

Les éléments de l’enquête administrative ne permettent pas de déterminer la cause du décès, celui-ci serait dû à un malaise et une douleur dans la poitrine survenus alors que le salarié ressortait d’un local de ventilation où il aurait fait ses besoins dans un carton.

Ainsi, pour prendre en charge le décès de Monsieur [D] au titre de la législation sur les risques professionnels, la Caisse s’est fondée sur cette seule enquête administrative, qui ainsi que le relève la société demanderesse n’a nullement eu pour objet de déterminer les causes du décès de Monsieur [D].

En effet, s’il est mentionné un “courrier AD” suite aux coordonnées de la cousine de la victime dans le cadre du rapport d’enquête, aucun courrier n’est joint au rapport et il n’est pas établi que cet ayant droit ait été contacté, ni a fortiori que des questions relatives quant aux antécédents médicaux de Monsieur [D], aux éventuelles causes du décès ou de son avis concernant son éventuel lien avec le travail de la salariée aux ne lui aient été posées.

Il en résulte que les éléments de l’enquête administrative ne permettent pas de déterminer la cause exacte du décès, qui serait dû à malaise, sans autre précision.

Si le décès survenu sur le lieu du travail pour une cause inconnue bénéfice de la présomption d’imputabilité, et s’il appartient alors à l'employeur qui conteste le caractère professionnel d'un accident survenu aux temps et lieu du travail de détruire la présomption d'imputabilité en démontrant que le décès a une cause totalement étrangère au travail, ce dernier ne peut se fonder que sur les éléments d’enquête produits par la Caisse, ne pouvant rechercher lui-même des éléments médicaux relatifs à son salarié. Or, lorsque la caisse a connaissance du décès du salarié, une enquête spécifique sur les causes du décès et son imputabilité à l’accident du travail doit être diligentée préalablement à la décision de la caisse.

Tribunal judiciaire de Bobigny
Service du contentieux social
Affaire : N° RG 23/01132 - N° Portalis DB3S-W-B7H-X5AV
Jugement du 30 MAI 2024

En l’espèce, en ne réalisant pas d’autopsie et en ne procédant à aucune investigation pour déterminer les causes du décès alors même que les circonstances de celui-ci n’étaient pas établies, la Caisse, en ne réalisant pas une enquête suffisante, met l’employeur dans l’impossibilité de rapporter la preuve de l’existence d’une cause étrangère au travail de Monsieur [D].

Il résulte de ce qui précède une atteinte au principe du contradictoire, de sorte que la décision de prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels du décès de Monsieur [D] doit être déclarée inopposable à la société [6].

Sur les mesures accessoires

L'article 696 du code de procédure civile dispose que la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

Il convient en conséquence de condamner la Caisse, partie perdante, aux entiers dépens de l’instance.

En application des dispositions de l’article 700 du même code, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations.

Ni l’équité, ni la situation respective des parties ne justifient l’application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile, les demandes formées de ce chef seront donc rejetées.

L’exécution provisoire sera ordonnée en application des dispositions de l’article R. 142-10-6 du code de la sécurité sociale.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire, rendu en premier ressort et par mise à disposition au greffe ;

Déclare inopposable à la SAS [6] la décision du 19 janvier 2023 de la Caisse primaire d’assurance maladie de la Seine-Saint-Denis prenant en charge au titre de la législation sur les risques professionnels le décès de Monsieur [G] [D] survenu le 9 février 2022 ;

Rejette la demande de la Caisse primaire d’assurance maladie de la Seine-Saint-Denis formée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la Caisse primaire d’assurance maladie de la Seine-Saint-Denis aux dépens ;

Ordonne l’exécution provisoire du présent jugement;

Rappelle que tout appel du présent jugement doit, à peine de forclusion, être interjeté dans le délai d’un mois à compter de sa notification.

Fait et mis à disposition au greffe du service du contentieux social du tribunal judiciaire de BOBIGNY.

La Minute étant signée par :

Le greffier La présidente

Denis TCHISSAMBOUSandra MITTERRAND


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bobigny
Formation : Serv. contentieux social
Numéro d'arrêt : 23/01132
Date de la décision : 30/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à l'ensemble des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-30;23.01132 ?
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