Tribunal judiciaire de Bobigny
Service du contentieux social
Affaire : N° RG 23/01150 - N° Portalis DB3S-W-B7H-X5EJ
Jugement du 30 MAI 2024
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BOBIGNY
JUGEMENT CONTENTIEUX DU 30 MAI 2024
Serv. contentieux social
Affaire : N° RG 23/01150 - N° Portalis DB3S-W-B7H-X5EJ
N° de MINUTE : 24/01153
DEMANDEUR
S.A. [5]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Maître Bruno LASSERI de la SELEURL LL Avocats, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : D1946
DEFENDEUR
*CPAM DE SEINE-SAINT-DENIS
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Monsieur [W] [U], audiencier
COMPOSITION DU TRIBUNAL
DÉBATS
Audience publique du 20 Mars 2024.
Madame Sandra MITTERRAND, Présidente, assistée de Monsieur Ali AIT TABET et Monsieur Sylvain DELFOSSE, assesseurs, et de Monsieur Denis TCHISSAMBOU, Greffier.
Lors du délibéré :
Présidente : Sandra MITTERRAND, Juge
Assesseur : Ali AIT TABET, Assesseur salarié
Assesseur : Sylvain DELFOSSE, Assesseur employeur
JUGEMENT
Prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort, par Sandra MITTERRAND, Juge, assistée de Denis TCHISSAMBOU, Greffier.
Transmis par RPVA à : Maître Bruno LASSERI de la SELEURL LL Avocats
FAITS ET PROCÉDURE
Monsieur [E] [O], salarié de la société anonyme (SA) [5] en qualité d’agent de traitement avion, a déclaré avoir été victime d’un accident du travail le 17 mai 2019.
La déclaration d’accident du travail établie le 20 mai 2019 par l’employeur et adressée à la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de Seine-Saint-Denis est ainsi rédigée :
“- Activité de la victime lors de l’accident : le salarié effectuait sa tâche de chargement,
- Nature de l’accident : lors du chargement d’un CTNR, en le manipulant pour le faire avancer, le salarié déclare avoir ressenti une douleur au-dessus,
- Objet dont le contact a blessé la victime : -
- Siège des lésions : épaule droite,
- Nature des lésions : douleur”.
Le certificat médical initial établi le 18 mai 2019 par le docteur [C] constate un “traumatisme de l’épaule droite” et lui prescrit un arrêt de travail jusqu’au 30 mai 2019.
Le 11 juin 2019, la CPAM de Seine-Saint-Denis a notifié à la SA [5] sa décision de prise en charge de l’accident au titre de la législation sur les risques professionnels.
153 jours d’arrêts au titre de ce sinistre ont été imputés sur le compte employeur.
Par lettre de son conseil du 19 décembre 2022, la SA [5] a saisi la commission médicale de recours amiable (CMRA) de la caisse afin de contester l’opposabilité et l’imputabilité des arrêts de travail prescrits à son salarié au titre de cet accident.
A défaut de réponse, par requête reçue le 16 juin 2023 au greffe, la SA [5] a saisi le service du contentieux social du tribunal judiciaire de Bobigny aux fins de contester la durée et l’imputabilité des arrêts de travail prescrits à Monsieur [E] [O].
A défaut de conciliation possible, l’affaire a été appelée à l’audience du 29 novembre 2023, laquelle a été renvoyée et retenue à l’audience du 20 mars 2024, date à laquelle les parties, présentes ou représentées, ont été entendues en leurs observations.
Par conclusions responsives et récapitulatives déposées et oralement développées à l’audience, la SA [5], représentée par son conseil, demande au tribunal de :
- à titre principal, lui déclarer inopposables les arrêts et soins prescrits à Monsieur [O] postérieurement au 2 juillet 2019,
- à titre subsidiaire, ordonner avant dire droit une expertise judiciaire afin de déterminer les lésions initiales provoquées par l’accident et fixer la durée des arrêts de travail et des soins en relation directe avec les lésions,
- à titre infiniment subsidiaire, ordonner une consultation sur pièces avec les missions précitées, ordonner à la CPAM de transmettre au docteur [J] la totalité des documents justifiant la prise en charge des arrêts et soins,
- en tout état de cause, renvoyer l’affaire à une audience ultérieure, prononcer l’exécution provisoire et condamner la CPAM à lui verser la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers dépens.
A l’appui de ses prétentions, elle s’appuie sur l’avis médical du docteur [J] qui indique notamment que la consolidation du salarié était acquise dès le 2 juillet 2019, met en évidence un état antérieur et conclut que les arrêts de travail postérieurs à cette date n’ont pas de lien direct et exclusif avec l’accident du 17 mai 2019.
Par conclusions en défense déposées et oralement soutenues à l’audience, la CPAM de Seine-Saint-Denis,régulièrement représentée, demande au tribunal de :
- débouter la société demanderesse de sa demande d’inopposabilité, ainsi que de l’ensemble de ses demandes et lui déclarer opposables les arrêts et soins relatifs à l’accident du travail du 17 mai 2019,
- confirmer la décision implicite de la commission médicale de recours amiable,
- condamner la société demanderesse à lui verser la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
A l’appui de ses prétentions, elle se prévaut de la présomption d’imputabilité, laquelle ne serait pas renversée par l’employeur et bénéficie donc aux arrêts et soins prescrits à Monsieur [O]. Elle précise qu’il est de jurisprudence constante que la présomption d’imputabilité s’applique et s’étend jusqu’à la date de consolidation ou de guérison dès lors qu’un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial est assorti d’un arrêt de travail. Elle estime que la société n’apporte aucun élément de nature à établir l’existence d’une cause totalement étrangère au travail, qu’il n’existe aucune raison d’ordonner une expertise et rappelle que la longueur de la durée de l’incapacité de travail prise en charge ne constitue pas en soi un différend d’ordre médical justifiant de recourir à une expertise.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, le tribunal, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées et soutenues de celles-ci.
L’affaire a été mise en délibéré au 30 mai 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur les demandes d’inopposabilité et d’expertise
En application de l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, la présomption d’imputabilité au travail s’attachant aux lésions survenues au temps et sur le lieu de travail, dès lors qu’un arrêt de travail a été initialement prescrit, s’étend sauf preuve contraire à toute la durée d’incapacité de travail précédent soit la guérison complète, soit la consolidation de l’état de la victime.
En application de cet article et de l’article L. 431-1 du code de la sécurité sociale, la présomption d'imputabilité à l'accident des soins et arrêts subséquents trouve à s'appliquer dans la mesure où la caisse justifie du caractère ininterrompu des arrêts de travail y faisant suite, ou, à défaut, de la continuité de symptômes et de soins.
Il appartient alors à l'employeur qui conteste cette présomption d'apporter la preuve contraire, soit celle de l'existence d'un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte sans lien avec l'accident ou d'une cause postérieure totalement étrangère, auxquels se rattacheraient exclusivement les arrêts de travail postérieurs. Cette présomption peut être combattue par le recours à une mesure d'expertise qui ne peut être ordonnée que si l'employeur qui la sollicite apporte au soutien de sa demande des éléments médicaux de nature à accréditer l'existence d'une cause distincte de l'accident du travail et qui serait à l'origine exclusive des prescriptions litigieuses. La simple absence de continuité des symptômes et soins est insuffisante pour écarter la présomption d’imputabilité à l’accident du travail des soins et arrêts.
Aux termes de l’article 146 du code de procédure civile, “une mesure d'instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l'allègue ne dispose pas d'éléments suffisants pour le prouver. En aucun cas une mesure d'instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l'administration de la preuve”.
En application des article R. 142-16 du code de la sécurité sociale, la juridiction peut ordonner toute mesure d’instruction.
En l’espèce, la CPAM verse aux débats le certificat médical initial établi par le docteur [C] le 18 mai 2019, lequel est assorti d’un arrêt de travail prescrit jusqu’au 30 mai 2019, ainsi que les certificats médicaux de prolongation prescrits au titre de la même lésion, à savoir un “traumatisme de l’épaule droite”, de façon continue jusqu’au 17 octobre 2019. Elle produit également les images décomptes faisant état des indemnités journalières versées à l’assuré jusqu’au 17 octobre 2019.
Par conséquent, la présomption d’imputabilité au travail des lésions apparues à la suite de l’accident du travail a vocation à s’appliquer jusqu’à la date de consolidation.
Au soutien de sa demande, la SA [5] verse aux débats l’avis médical établi par le docteur [J] le 16 mars 2024, lequel a eu accès aux différents certificats médicaux de prolongation et indique au titre de la discussion médico-légale que “Monsieur [O] a présenté une douleur de l’épaule droite lors de la manipulation d’une charge. Les constatations médicales font état que d’un traumatisme de l’épaule droite, sans description d’une impotence fonctionnelle. Les arrêts travail ont été prolongés de façon itérative par le médecin traitant au titre des seules lésions initiales, sans notion d’évolution. Des radiographies et un examen IRM ont été réalisés, à une date non précisée, ne mettant en évidence aucune lésion d’origine traumatique. Dès lors, le 3 juillet 2019, suite à ces examens radiologiques, il est préconisé de réaliser une infiltration qui correspond au traitement de lésions dégénératives et non au traitement de lésion d’origine accidentelle. Il apparaît manifeste que la douleur au niveau de l’épaule droite est survenue sur un état dégénératif antérieur, aucune lésion d’origine accidentelle n’étant identifiée, le traitement correspondant au traitement d’un syndrome sous-acromial qui ne peut être rapporté à l’accident. Dans ces conditions, compte tenu des éléments communiqués, en l’absence de communication des examens radiologiques, on peut considérer que les soins et arrêts de travail étaient justifiés jusqu’au 2 juillet 2019 et que au-delà de cette date ils étaient en rapport avec l’évolution d’une pathologie préexistante à l’accident déclaré, évoluant pour son propre compte.” Le médecin conclut “de retenir les éléments de discussion qui précèdent et de ramener la durée d’arrêt de travail justifiée du 18 mai 2019 au 2 juillet 2019".
En réponse, la CPAM s’oppose aux demandes de la société et soutient qu’elle n’apporte aucun élément de nature à établir l’existence d’une cause totalement étrangère au travail.
Il résulte de ces éléments que l’avis du docteur [J], lequel se contente de conclure à un état antérieur dégénératif, sans préciser lequel et au seul motif d’un traitement d’un syndrome sous-acromial qui ne peut être rapporté à l’accident, lequel consiste en une infiltration, n’établit pas l’existence d’un état antérieur, ni même ne parvient un soulever un doute quant à l’existence d’un tel état antérieur.
Dès lors, la SA [5] n’apportant aucun élément précis susceptible de renverser la présomption d’imputabilité et n’étant pas parvenue à soulever un différend d’ordre médical permettant d’ordonner une expertise, elle sera déboutée tant de sa demande d’inopposabilité des arrêts et soins prescrits à Monsieur [O] postérieurement au 2 juillet 2019 que de sa demande d’expertise.
Sur les mesures accessoires
La SA [5], partie perdante, sera condamnée aux dépens en application des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.
L’article 700 du code de procédure civile dispose que “le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer : à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens”.
En l’espèce, la SA [5], partie succombante, sera déboutée de sa demande formulée au titre de l’article précité. Elle sera condamnée à verser à la CPAM la somme de 1.000 euros sur le même fondement.
L’exécution provisoire sera ordonnée en application de l’article R. 142-10-6 du code de la sécurité sociale.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire, rendu en premier ressort, par mise à disposition au greffe ;
Déboute la SA [5] de sa demande d’inopposabilité des arrêts et soins prescrits à Monsieur [E] [O] à compter du 2 juillet 2019 au titre de son accident du travail du 17 mai 2019 ;
Déboute la SA [5] de sa demande tendant à ordonner une expertise judiciaire sur pièces ;
Déboute la SA [5] de sa demande formulée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SA [5] à verser à la caisse primaire d’assurance maladie de la Seine-Saint-Denis la somme de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SA [5] aux dépens ;
Ordonne l’exécution provisoire ;
Rappelle que tout appel à l'encontre de la présente décision doit, à peine de forclusion, être interjeté dans le délai d'un mois à compter de sa notification,
Fait et mis à disposition au greffe, la minute étant signée par :
LE GREFFIERLA PRÉSIDENTE
Denis TCHISSAMBOUSandra MITTERRAND