La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

24/07/2024 | FRANCE | N°23/01330

France | France, Tribunal judiciaire de Bobigny, Chambre 21, 24 juillet 2024, 23/01330


TRIBUNAL JUDICIAIRE
de BOBIGNY



JUGEMENT CONTENTIEUX DU 24 JUILLET 2024



Chambre 21
AFFAIRE: N° RG 23/01330 - N° Portalis DB3S-W-B7H-XGYB
N° de MINUTE : 24/00395



Madame [D] [J] [O] [R]
née le [Date naissance 1] 1996 à [Localité 4]
[Adresse 2]
[Adresse 2]

représentée par Maître Marie LEROUX de la SELARL JVL & ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de ROUEN et par Me Isabelle GUILLOU, avocat postulant au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, vestiaire : 143

DEMANDERESSE

C/

Etablissement public ONIAM
[A

dresse 8]
[Adresse 8]
[Adresse 8]
représentée par Me Sylvie WELSCH de la SCP UGGC AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0261

...

TRIBUNAL JUDICIAIRE
de BOBIGNY

JUGEMENT CONTENTIEUX DU 24 JUILLET 2024

Chambre 21
AFFAIRE: N° RG 23/01330 - N° Portalis DB3S-W-B7H-XGYB
N° de MINUTE : 24/00395

Madame [D] [J] [O] [R]
née le [Date naissance 1] 1996 à [Localité 4]
[Adresse 2]
[Adresse 2]

représentée par Maître Marie LEROUX de la SELARL JVL & ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de ROUEN et par Me Isabelle GUILLOU, avocat postulant au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, vestiaire : 143

DEMANDERESSE

C/

Etablissement public ONIAM
[Adresse 8]
[Adresse 8]
[Adresse 8]
représentée par Me Sylvie WELSCH de la SCP UGGC AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0261

Société MSD VACCINS
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
représentée par Maître Christine GATEAU du PARTNERSHIPS HOGAN LOVELLS (PARIS) LLP, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : J033

DEFENDEURS

_______________

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Karima BRAHIMI, Vice-Présidente, statuant en qualité de juge unique, conformément aux dispositions de l’article 812 du code de procédure civile, assistée aux débats de Monsieur Maxime-Aurélien JOURDE, greffier.

DÉBATS

Audience publique du 22 Mai 2024.

JUGEMENT

Rendu publiquement, par mise au disposition au greffe, par jugement réputé contradictoire et en premier ressort, par Madame Karima BRAHIMI, Vice-Président, assistée de Monsieur Maxime-Aurelien JOURDE, greffier.

****************

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [D] [R] a été vaccinée par le vaccin GARDASIL le 26 janvier 2011, le 23 mars 2011 et le 28 septembre 2011.

Ressentant divers symptômes et douleurs à compter de mai 2011, Madame [R] a consulté de nombreux médecins et réalisé de nombreux examens.

Le 11 février 2016, prenant en compte les résultats d’une biopsie musculaire du deltoïde gauche réalisée le 09 février 2016, le Professeur [M] [C] a posé un diagnostic de myofasciite à macrophages.

Imputant la myofasciite à macrophages à la vaccination par le vaccin GARDASIL qui lui a été administrée, Madame [R] a saisi la commission de conciliation et d’indemnisation (CCI) de la Basse Normandie aux fins d’indemnisation.

Le 17 avril 2018, la CCI a diligenté une expertise et désigné les Professeurs [X] [B] et [T] [U] en qualité d’experts.

Les experts ont déposé leur rapport le 29 janvier 2019.

Par avis du 15 mai 2019, la CCI a rejeté la demande d’indemnisation de Madame [R].

Par actes des 11, 13 et 31 janvier 2023, Madame [R] a assigné l'Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux (ONIAM), la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de [Localité 7] (CPAM) et la société MSD VACCINS devant le tribunal judiciaire de Bobigny.

Dans son assignation, Madame [D] [R] demande notamment :
- de l’accueillir en sa demande et la déclarer recevable et bien fondée,

Par conséquent,

A titre principal :
- de dire que le Laboratoire MSD Vaccins a commis une faute de nature à engager sa responsabilité au sens des articles 1240 et 1241 du Code Civil,
- de dire que le lien de causalité entre le dommage présenté, en l’occurrence la myofasciite à macrophages et la faute commise par le Laboratoire MSD Vaccins est établi,
Par conséquent,
- de dire que le Laboratoire MSD Vaccins est responsable de plein droit des dommages soufferts du fait de leurs produits défectueux,
- de condamner le Laboratoire MSD Vaccins à régler :
au titre des dépenses de santé actuelles, ce poste devra être pour l’heure réservé,
au titre de l’assistance de tierce personne temporaire, la somme de 92.232,00 €,
au titre des souffrances endurées, la somme de 8.000,00 €,
au titre du déficit fonctionnel temporaire, la somme de 26.406,00 €,
au titre du préjudice esthétique temporaire, la somme de 5.000,00 €,
au titre des dépenses de santé futures, la somme de 2.771,96 €,
au titre de l’assistance à tierce personne permanente, la somme de 215.616,492 €,
au titre de la perte de gains professionnels futurs, la somme de 1.555.686,72 €,
au titre de l’incidence professionnelle, la somme de 100.000,00 €,
au titre du préjudice scolaire et universitaire, la somme de 20.000,00 €,
au titre du déficit fonctionnel permanent, la somme de 103.350,00 €,
au titre du préjudice esthétique permanent, la somme de 5.000,00 €,
au titre du préjudice d’agrément, la somme de 10.000,00 €,
au titre du préjudice d’établissement, la somme de 100.000,00 €,
au titre du préjudice sexuel, la somme de 5.000,00 €,

- de condamner le Laboratoire MSD Vaccins au règlement de la somme de 3.000,00 € au visa de l’article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu’aux entiers dépens de la présente instance dont distraction au profit de Maître Isabelle GUILLOU, Avocat aux offres de droit conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de Procédure Civile.

A titre subsidiaire :
- de dire que Madame [R] a été victime d’une affection iatrogène au titre des vaccinations reçues en 2011,
- de constater que les critères d’indemnisation de l’affection iatrogène par la solidarité nationale sont remplis en l’espèce,

Par conséquent,
- de dire que l’ONIAM devra indemniser les entiers préjudices de Madame [R],
- de condamner l’ONIAM à régler :
au titre des dépenses de santé actuelles, ce poste devra être pour l’heure réservé,
au titre de l’assistance de tierce personne temporaire, la somme de 92.232,00 €,
au titre des souffrances endurées, la somme de 8.000,00 €,
au titre du déficit fonctionnel temporaire, la somme de 26.406,00 €,
au titre du préjudice esthétique temporaire, la somme de 5.000,00 €,
au titre des dépenses de santé futures, la somme de 2.771,96 €,
au titre de l’assistance à tierce personne permanente, la somme de 215.616,492 €,
au titre de la perte de gains professionnels futurs, la somme de 1.555.686,72 €,
au titre de l’incidence professionnelle, la somme de 100.000,00 €,
au titre du préjudice scolaire et universitaire, la somme de 20.000,00 €,
au titre du déficit fonctionnel permanent, la somme de 103.350,00 €,
au titre du préjudice esthétique permanent, la somme de 5.000,00 €,
au titre du préjudice d’agrément, la somme de 10.000,00 €,
au titre du préjudice d’établissement, la somme de 100.000,00 €,
au titre du préjudice sexuel, la somme de 5.000,00 €,

- de condamner en sus l’ONIAM au règlement de la somme de 3.000,00 € au visa de l’article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu’aux entiers dépens de la présente instance dont distraction au profit de Maître Isabelle GUILLOU, Avocat aux offres de droit conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de Procédure Civile,

- de dire y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir.

Madame [R] soutient qu’elle souffre d’une myofasciite à macrophages identifiée par biopsie musculaire le 09 février 2016.

Elle allègue qu’il existe un lien de causalité entre sa vaccination par le vaccin GARDASIL et la survenance de la myofasciite à macrophages dont elle souffre.

Elle expose qu’elle ne doit pas démonter un lien scientifique mais un faisceau d’indices suffisants à établir ce lien de causalité.

A l’appui de ses allégations, la requérante soutient que la littérature médicale qu’elle produit alerte depuis une vingtaine d’année sur le lien de causalité entre des vaccinations aluminiques et la myofasciites à macrophages.

En outre, elle ajoute qu’en application de la méthodologie probatoire par faisceau d’indices, la causalité doit être retenue dès lors qu’est démontré : une vaccination, la preuve de la maladie de myofasciite à macrophages, un délai normal entre l'injection et l'apparition des symptômes présentés typiques de cette maladie (asthénie, douleurs musculaires et autres troubles cognitifs) et l'absence d'une autre cause que la vaccination à l'origine des symptômes.

Madame [R] considère démonter l’ensemble de ces éléments.

Selon elle, malgré les alertes sur le lien de causalité entre le vaccin et la maladie de myofasciite à macrophages, la société MSD VACCINS n’a effectué aucune recherche et n’a pas informé les patients de l’existence de ce risque, ce qui constitue une négligence fautive devant engager sa responsabilité.

Madame [R] sollicite par conséquent que la société MSD VACCINS soit condamnée à indemniser les préjudices subis en lien avec sa pathologie, préjudices qu’elle décrit et chiffre.
Subsidiairement, elle sollicite que l’indemnisation de ses préjudices soit assurée par l’ONIAM au titre de la solidarité nationale, dès lors que sa pathologie doit être considérée comme une affection iatrogène résultant de la vaccination avec le vaccin GARDASIL.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 20 novembre 2023, la société MSD VACCINS demande notamment :

A titre principal :
- de rejeter toutes demandes, fins et prétentions formées à l'encontre de MSD Vaccins du fait de l'absence de faute de MSD Vaccins et de l’absence de défaut du vaccin Gardasil,

- de rejeter toutes demandes, fins et prétentions formées à l'encontre de MSD Vaccins du fait de l'absence de lien de causalité entre l’administration du vaccin Gardasil et les dommages allégués par Madame [R],

A titre subsidiaire :
- de rejeter les demandes formées par Madame [R] à l'encontre de MSD Vaccins au titre de l'assistance à une tierce personne, du préjudice esthétique temporaire et permanent, du préjudice scolaire, universitaire ou de formation, du préjudice d'établissement et du préjudice sexuel,
- de réduire le montant des demandes formées par Madame [R] à l'encontre de MSD Vaccins à de plus justes proportions au titre des dépenses de santé futures, des pertes de gains professionnels futurs et de l'incidence professionnelle,
- d’écarter l'exécution provisoire du jugement à intervenir,

En tout état de cause :
- de rejeter toutes demandes, fins et prétentions formées à l'encontre de MSD Vaccins,
- de condamner Madame [R] aux dépens.

La société MSD VACCINS soutient que, contrairement aux allégations de Madame [R], le lien de causalité entre le vaccin GARDASIL et la myofasciite à macrophages n’est nullement établi.

Elle produit une littérature scientifique qui démontre selon elle l’absence de ce lien de causalité scientifique, expose que les instances médicales nationales et internationales se prononcent toutes en faveur de l’absence de ce lien de causalité et conteste la valeur probante des travaux se prononçant pour l’existence d’un tel lien de causalité.

La société MSD VACCINS rappelle que le vaccin GARDASIL présente un excellent profil de sécurité et un rapport bénéfices-risques positif. La société rappelle qu’en outre le vaccin GARDASIL a fait l’objet d’une pharmacovigilance qui n’a donné lieu à aucun signal.

Elle en déduit qu’en l’absence de lien établi entre le vaccin GARDASIL et la survenance de myofasciites à macrophages, elle n’était tenue ni de faire des recherches ni d’informer les patients d’un risque non établi.

La société défenderesse expose que, comme le souligne les experts désignés par la CCI, les symptômes présentés par Madame [R] peuvent s’expliquer pas la mononucléose qu’elle a présentée en 2011.

La société MSD VACCINS conclut qu’elle n’a commis aucune faute et que sa responsabilité ne peut être engagée.

Subsidiairement, elle sollicite que les demandes indemnitaires de Madame [R] soient rejtées pour certaines et réduites à de plus justes proportions pour d’autres.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 12 septembre 2023, l’ONIAM demande notamment :

- de juger que la preuve du lien de causalité entre la vaccination intervenue en 2011 et les troubles allégués par Madame [R] n’est pas rapportée,

En conséquence,
- de juger que les conditions d’intervention de la solidarité nationale au sens de l’article L.1142-1 du code de la santé publique ne sont pas réunies,
- de débouter Madame [R] de l’intégralité de ses demandes formulées à titre subsidiaire à l’encontre de l’ONIAM,
- de rejeter toute autre demande dirigée à l’encontre de l’ONIAM,
- de condamner Madame [R] aux entiers dépens.

L’ONIAM soutient qu’en application de l’article L1142-1 II du code de la santé publique, les préjudices subis, pour être indemnisables au titre de la solidarité nationale, doivent être directement imputables à un acte de prévention, diagnostic ou soins et avoir un caractère anormal eu égard à l’état antérieur de la personne ou à l’évolution prévisible de cet état et qu’une simple possibilité ou coïncidence ne peut suffire à constituer l’existence d’un lien direct entre les préjudices et l’acte de soins incriminé.

L’ONIAM relève que les experts soulignent que la littérature médicale et scientifique à l’époque des faits, ne recensait pas la symptomatologie dont se plaint Madame [R] comme une complication imputable à l’administration d’injections de GARDASIL, que les experts indiquent qu’ils ne peuvent pas conclure que la pathologie de Mademoiselle [D] [R], en 2018, est due à l’injection du vaccin GARDASIL et soulignent que l’intéressée a présenté postérieurement à la deuxième injection de vaccination, une mononucléose infectieuse qui peut donner lieu à des symptômes séquellaires du type de ceux qu’elle a présentés.

L’ONIAM considère que Madame [R] ne produit aucun élément médical établissant un consensus scientifique sur la preuve d’un lien de causalité entre la vaccination par GARDASIL et son dommage, que par conséquent les dommages de Madame [R] ne sont pas de manière directe et certaine imputable à un acte de prévention, de diagnostic ou de soins, comme l’exige l’article L.1142-1 II du code de la santé publique, que les conditions d’intervention de la solidarité nationale ne sont pas réunies et qu’aucune condamnation ne peut être prononcée à l’encontre de l’ONIAM.

La CPAM de [Localité 7], régulièrement assignée, n’a pas constitué avocat. Par courrier enregistré au greffe le 02 juin 2023, elle a indiqué qu’elle n’entendait pas intervenir dans cette instance et que Madame [R] avait été prise en charge au titre du risque maladie.

Il convient en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile de se référer aux prétentions et moyens développés dans les écritures des parties.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 22 mai 2024 et l’affaire a été appelée à l’audience du 22 mai 2024.

La demanderesse a transmis des conclusions par voie électronique le 22 mai 2024, soit postérieurement à l’ordonnance de clôture et le jour même de l’audience, conclusions qui ne seront pas prises en compte, étant précisé que le jour de l’audience, la requérante à renoncer à se prévaloir de ses dernières conclusions.

La décision a été mise en délibéré au 04 septembre 2024 avancée au 24 juillet 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la responsabilité pour faute de la société MSD VACCINS

L’article 1245-17 prévoit que « Les dispositions du présent chapitre ne portent pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité ».

En application de cet article, la victime d'un dommage imputé à un produit défectueux peut agir en responsabilité contre le producteur sur le fondement de l'article 1240 du code civil, si elle établit que son dommage résulte d'une faute commise par le producteur, telle qu'un maintien en circulation du produit dont il connaît le défaut ou encore un manquement à son devoir de vigilance quant aux risques présentés par le produit.

L’article 1240 du code civil dispose « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer », et l’article 1241 du même code prévoit : « Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence ».

En application de ces dispositions, pour que la responsabilité d'un tiers soit engagée, le demandeur doit prouver la faute du tiers, son dommage et un lien de causalité direct et certain entre cette faute et ce dommage.

Madame [R] soutient que la société MSD VACCINS a commis une négligence fautive. Selon elle, malgré les nombreuses alertes sur le lien de causalité entre les vaccinations aluminiques et la myofasciite à macrophages, aucune réaction, aucune information aux patients, aucune recherche n’a été effectuée par le laboratoire MSD VACCINS.

Pour démonter le lien de causalité entre l’administration de vaccins contenant un adjuvant aluminique, comme le vaccin GARDASIL, et la survenance d’une myofasciite à macrophages, Madame [R] produit de la littérature scientifique.

Madame [R] s’appuie également sur les études réalisées par les Professeurs [I] [L] et [M] [C], exerçant à l’hopital [6] à [Localité 5], qui ont réalisé un certain nombre de recherches sur le lien entre vaccin aluminiques et myofasciites à macrophages et qui prennent en charge les patients ayant développé cette maladie.

Le tribunal observe qu’au regard de la littérature scientifique produite par la requérante, il est vrai que depuis 1999 des interrogations ont été émises quant à un possible lien entre vaccins contenant un adjuvant aluminique, comme le vaccin GARDASIL, et la survenance d’une myofasciite à macrophages.

Néanmoins, le tribunal relève, s’agissant de ces interrogations, que le comité consultatif mondial de la sécurité vaccinale leur dénie toute crédibilité puisqu’il indique en 2014 qu’il « continue sa surveillance étroite de l’innocuité des vaccins anti-PVH (papillomavirus humain) » mais marque « sa préoccupation par des revendications de nocivité formulées sur la base d’observations et de rapports anecdotiques en l’absence de justification biologique ou épidémiologiques ».

En outre, force est de constater que la société MSD VACCINS produit elle aussi une littérature scientifique, plus abondante et plus étayée, qui réfute tout lien entre la survenance d’une myofasciite à macrophages et la vaccination avec un vaccin contenant un adjuvant aluminique, comme le vaccin GARDASIL.

Ainsi, au regard des pièces produites par la défenderesse (communications, articles, rapports…), il apparaît que les instances médicales nationales et internationales, dans leurs dernières publications, réfutent la nocivité des vaccins aluminiques. C’est ainsi que, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, le Haut conseil de la santé publique, l’Académie nationale de Pharmacie, l’Académie nationale de Médecine, l’Agence européenne de médecine, le Comité consultatif mondial de la sécurité vaccinale de l'Organisation Mondiale de la Santé, reconnaissent la sécurité des vaccins contenant des adjuvants aluminiques et pour certaines réfutent la toxicité neurologique imputable à l’aluminium des vaccins.

En 2012, l’Académie nationale de médecine indique dans un rapport sur les adjuvants vaccinaux que « aucune preuve de toxicité neurologique imputable à l'aluminium de l'alimentation ou des vaccins n'a pu encore être fournie à ce jour ».

En 2013, le Haut conseil de la santé publique indique dans un rapport sur l’aluminium et les vaccins que « La revue de la littérature ne permet pas de conclure que la myofasciite à macrophages (lésions histologiques liées au dépôt dans le muscle de l’aluminium des vaccins) est associée à une ou plusieurs manifestations systémiques ». 

En 2014, le Comité consultatif mondial de la sécurité vaccinale de l'Organisation Mondiale de la Santé indique dans une déclaration réaffirmant l’innocuité de la vaccination contre le papillomavirus humain : « à ce jour, il n'y a pas de preuve scientifique que les vaccins contenant de l'aluminium puissent avoir une action nocive, que la présence d’aluminium au niveau du site d’injection soit associé à un quelconque syndrome auto-immun et que des fragments d’ADN du PVH soient responsables d’une inflammation, d’une vascularite du système nerveux central ou d’autres phénomènes à médiation immunitaire ».

En 2016, l'Académie nationale de pharmacie indique dans un rapport sur les adjuvants aluminiques « L’Académie nationale de pharmacie (…) constate que même si certaines manifestations cliniques sévères ont pu être associées à des injections vaccinales, aucun lien de causalité n'a pu être établi, à ce jour, avec les adjuvants aluminiques, d'autant que ces manifestations paraissent limitées dans le temps (non identifiées avant 1990 et semblant en extinction depuis 2012) et dans l'espace (la France a cumulé la quasi-totalité des cas décrits dans le monde ».

Par ailleurs, s’agissant des travaux des Professeurs [L] et [C], d’une part le tribunal observe que ces travaux sont contestés par une partie du corps médical et notamment par l’Académie nationale de Médecine, le Haut conseil de la santé publique, l’Académie nationale de Pharmacie, le Comité consultatif mondial de la sécurité vaccinale de l'Organisation Mondiale de la Santé, comme le démontre la société défenderesse (cf. documentation produite). Surtout, le tribunal qui ne peut porter aucune appréciation sur la valeur scientifique de ces travaux, observe néanmoins que la thèse soutenue par les Professeurs [L] et [C], est, à ce jour, largement minoritaire.

Dans le cadre de l’expertise diligentée par la CCI, les experts, les Professeurs [U] et [B] sont très critiques face au lien de causalité entre allégué et indiquent : « (…) Néanmoins les explications concernant la diffusion des symptômes ainsi que les troubles cognitifs et de vigilance éventuellement associés qui font partis de ce qui a été décrit comme le « syndrome de myofasciite à macrophages » restent une entité très controversée dans le monde médical et scientifique ; Il n’y a pas de publication, en 2018, qui fasse la relation entre les myofasciites à macrophages et une quelconque maladie ou syndrome spécifique bien identifié et bien répertorié ; Des myofasciites à macrophages ont été répertoriées dans la littérature médicale depuis l’année 2005 ; C’est surtout l’équipe du Professeur [I] [F] [L] (Histologie) et du Professeur [M] [C] qui ont publié sur les myofasciites à macrophages ; A ce jour, en 2018, soit 13 ans après les premières publications, il n’est toujours pas établi d’association entre la présence de cette lésion musculaire histologique et un syndrome clinique « spécifique » ; La plupart des travaux publiés sur les myofasciites à macrophages sont issus des « équipes françaises ».

Le tribunal relève également que le vaccin GRADASIL a fait l’objet d’un suivi de pharmacovigilance, que les différents bilans de la surveillance des risques et rapports de l’Agence nationale de sécurité du médicament (2008, 2009, 2011, 2018) n’ont pas fait état de cas de myofasciites à macrophages en lien avec le vaccin GARDASIL.

Enfin, il ressort des pièces du dossier que plusieurs études internationales ont démontré l'efficacité de la vaccination pour réduire significativement l'incidence de ces cancers, que la Haute autorité de santé a recommandé en 2019 l'élargissement de la vaccination contre les papillomavirus humains et que les vaccins contre les infections à papillomavirus humains présentent un bon profil de sécurité.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, le dernier état des connaissances scientifiques majoritaires ne permet pas d’établir un lien de causalité, même simplement probable, entre adjuvants aluminiques et maladies auto-immunes et par conséquent entre le vaccin GARDASIL et la myofasciite à macrophages. Les positions médicales qui mettent en avant l’existence de ce lien de causalité apparaissent minoritaires et contestées par la communauté scientifique, et ne suffisent pas à établir ce lien ni le risque allégué.

Dès lors, il ne peut être reproché à la société MSD VACCINS de ne pas avoir fait de recherches sur ce prétendu lien de causalité, en l’absence de signal sérieux établissant un tel lien, ou de ne pas avoir informé les patients vaccinés par le vaccin GARDASIL de ce prétendu risque, dès lors que, contrairement à ce que soutient la requérante, l’étendue des connaissances scientifiques n’a pas accrédité la réalité « d’une très forte probabilité » d'un lien causal entre la vaccination par le vaccin GARDASIL et l’apparition d'une myofasciite à macrophages.

Par conséquent, la demande de Madame [R] tendant à juger que la société MSD VACCINS a commis une négligence fautive sera rejetée.

Sur le droit à indemnisation par l’ONIAM au titre de la solidarité nationale

Aux termes de l’article L1142-1 du code de la santé publique :

« I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.

Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère.

II. - Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire.

Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret ».

En application de ces dispositions, il appartient à la demanderesse de démontrer d’une part l'imputation directe des préjudices subis à l’administration du vaccin GARDASIL, et, d'autre part, la gravité desdits préjudices.

S’agissant de l’imputabilité, il sera renvoyé aux développements précédents sur le lien entre le vaccin GARDASIL et la myofasciite à macrophages.

Il sera ajouté que, comme indiqué précédemment, suite à sa demande d’indemnisation, la CCI a diligenté une expertise médicale de Madame [R], expertise confiée aux Professeurs [U] et [B].

Les experts qui ont auditionné et examiné Madame [R], mais également procédé à une analyse minutieuse de son entier dossier médical, concluent :

« Les experts ne peuvent pas conclure que la pathologie de Mademoiselle [D] [R], en 2018, est due à l’injection du vaccin GARDASIL,

- Ceci est d’autant pus vrai que 7 ans après l’injection du vaccin GARDASIL aucun diagnostic tangible et vérifié à 100 % n’a pu être mis en évidence malgré de très nombreux traitement et investigations suivies,

- En ce qui concerne le cas précis de Mademoiselle [D] [R], on mettra en évidence que l’intéressée a présenté postérieurement à la deuxième injection de vaccination, une mononucléose infectieuse qui peut donner lieu à des symptômes séquellaire du type de ceux qu’elle a présenté ».

Ainsi, cette expertise confirme l’absence de lien de causalité certain entre le vaccin GARDASIL et la pathologie dont souffre Madame [R].

La CCI, dans son avis du 15 mai 2019, écarte également tout lien entre la vaccination par le vaccin GARDASIL et la pathologie dont souffre Madame [R] et indique que :

« (…) En tout état de cause, le rapport d’expertise ne permet de retrouver aucun argument permettant de dire que la vaccination par GARDASIL® peut être à l’origine d’un Syndrome de Fatigue Chronique (...)

(…) En tout état de cause, l’imputabilité des symptômes de Madame [R] à la vaccination par GARDASIL® est considérée par les experts comme une imputabilité douteuse. Ils ajoutent qu’en l’absence de vaccination, il ne peut être certain que Madame [R] n’aurait pas développé les mêmes symptômes. En effet, ils rappellent qu’elle a présenté postérieurement à la deuxième infection de GARDASIL® une mononucléose infectieuse qui peut donner lieu à des symptômes séquellaires du type de ceux qu’elle a présentés (...)

(…) Au vu de ce qui précède, après en avoir délibéré, la Commission retient que la cause de l’état de Madame [R] était incertaine, il n’est pas établi qu’il ait été provoqué par un accident médical. Il ne résulte pas davantage d’une affection iatrogène ou d’une infection nosocomiale ».

Madame [R] sollicite l’application du recours au faisceau d’indices pour établir le lien de causalité juridique entre l’administration du vaccin et la survenance de la maladie et soutient que la jurisprudence, de la cour de justice de l’union européenne, des juridictions administratives et des juridictions civiles, n’exige pas la preuve d’un lien scientifique. Selon la requérante, pour établir ce lien de causalité, elle doit démontrer cinq éléments : qu’elle a fait l’objet d’une vaccination contenant un adjuvant aluminique, qu’elle dispose d’une biopsie montrant de manière indiscutable une myofasciite à macrophages, qu’elle a présenté dans un délai normal pour cette pathologie des symptômes postérieurement à la vaccination, que les symptômes présentés s’inscrivent dans le triptyque aujourd’hui admis qui touche à l’asthénie, aux douleurs musculaires et aux troubles cognitifs, qu’il ne ressort pas que les symptômes pourraient résulter d’une autre cause.

Toutefois, même en application d’une méthodologie probatoire par faisceau d’indices, comme le sollicite Madame [R], le tribunal ne saurait retenir un lien de causalité dès lors que l’expertise relève que la pathologie de Madame [R] peut s’expliquer comme une séquelle de la mononucléose infectieuse qu’elle a présentée et que par conséquent la condition tenant à l'absence d'autres causes que la vaccination à l'origine des symptômes n’est pas remplie.

Si Madame [R] conteste que la mononucléose dont elle a souffert puisse être à l’origine de sa pathologie actuelle, elle procède par allégation et ne transmet aucun élément médical remettant en cause les conclusions expertales retenant que la mononucléose infectieuse dont elle a souffert peut donner lieu aux symptômes séquellaire du type de ceux que la requérante a présenté.

Compte tenu de ces éléments, il n’est pas démontré que le dommage (maladie de myofasciite à macrophages) de Madame [R] soit imputable à la vaccination par le vaccin GARDASIL.

Par conséquent, aucun accident médical, aucune une affection iatrogène ou infection nosocomiale directement imputable à un acte de prévention, de diagnostic ou de soins n’étant établi, il n’y a pas lieu de décider que les préjudices de Madame [R] ouvrent droit à indemnisation au titre de la solidarité nationale en application de l’article L1142-1 du code de la santé publique.

La demande de Madame [R] tendant à condamner l’ONIAM à l’indemniser de ses préjudices sera rejetée.

Sur les mesures accessoires

L'article 696 du code de procédure civile dispose que « La partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. Les conditions dans lesquelles il peut être mis à la charge d'une partie qui bénéficie de l'aide juridictionnelle tout ou partie des dépens de l'instance sont fixées par les dispositions de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ».

En l’espèce, les dépens seront mis à la charge de Madame [R] qui succombe à l’instance.

Il convient de rappeler que la décision est de droit exécutoire à titre provisoire en application de l’article 514 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Karima BRAHIMI, Vice-présidente, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement réputé contradictoire et en premier ressort, susceptible d'appel :

DÉBOUTE Madame [D] [R] de l’intégralité de ses demandes,

REJETTE toute autre demande,

RAPPELLE l’exécution provisoire de plein droit de la présente décision,

CONDAMNE Madame [D] [R] aux dépens.

Fait à Bobigny le 24 juillet 2024.

La minute a été signée par Madame Karima BRAHIMI, Vice-Présidente et par Monsieur Maxime-Aurélien JOURDE, greffier

LE GREFFIER LA VICE-PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bobigny
Formation : Chambre 21
Numéro d'arrêt : 23/01330
Date de la décision : 24/07/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs en accordant des délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 30/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-07-24;23.01330 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award