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06/08/2024 | FRANCE | N°23/00234

France | France, Tribunal judiciaire de Bobigny, Expropriations 2, 06 août 2024, 23/00234


Décision du 06 Août 2024
Minute n° 24/00196


TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BOBIGNY

JURIDICTION DE L’EXPROPRIATION
DE LA SEINE-SAINT-DENIS

JUGEMENT FIXANT INDEMNITÉS

du 06 Août 2024

:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:

Rôle N° RG 23/00234 - N° Portalis DB3S-W-B7H-YHT7

Le juge de l’expropriation du département de la SEINE-SAINT-DENIS


DEMANDEUR :


ÉTABLISSEMENT PUBLIC FONCIER D’ÎLE DE FRANCE (EPFIF)
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Maître Frédéric LEVY de la SELAS DS AVOCATS,

avocats au barreau de PARIS
DÉFENDEUR :
Société LOCANOR
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Maître Stanislas DE LA ROYERE, avocat au barreau d...

Décision du 06 Août 2024
Minute n° 24/00196

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BOBIGNY

JURIDICTION DE L’EXPROPRIATION
DE LA SEINE-SAINT-DENIS

JUGEMENT FIXANT INDEMNITÉS

du 06 Août 2024

:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:

Rôle N° RG 23/00234 - N° Portalis DB3S-W-B7H-YHT7

Le juge de l’expropriation du département de la SEINE-SAINT-DENIS

DEMANDEUR :

ÉTABLISSEMENT PUBLIC FONCIER D’ÎLE DE FRANCE (EPFIF)
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Maître Frédéric LEVY de la SELAS DS AVOCATS, avocats au barreau de PARIS
DÉFENDEUR :
Société LOCANOR
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Maître Stanislas DE LA ROYERE, avocat au barreau d’AMIENS
INTERVENANT :
DIRECTION DÉPARTEMENTALE DES FINANCES PUBLIQUES - PÔLE D’ÉVALUATION DOMANIALE
[Adresse 3]
[Adresse 3] représentée par Monsieur [W] [S], commissaire du Gouvernement

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Karima BRAHIMI, Vice-présidente, juge de l’expropriation désignée par ordonnance de Monsieur le Premier Président de la cour d’appel de Paris

Cécile PUECH, Greffière, présente lors de la mise à disposition

PROCÉDURE :

Date de la visite des lieux : 27 Férvier 2024
Date des débats : 23 Avril 2024, 11 juin 2024
Date de la mise à disposition : 06 Août 2024

EXPOSÉ DU LITIGE

La société LOCANOR était locataire d’un fonds exploité situé sur les parcelles cadastrées Section [Cadastre 4] sise [Adresse 11] et Section [Cadastre 7] sise [Adresse 6], selon bail daté du 1er janvier 1997.

Le fonds exploité est situé dans le périmètre du projet d’aménagement du site dit “[Localité 5]”, qui a fait l’objet :
- d’une déclaration d’utilité publique (DUP), selon arrêté préfectoral du préfet de [Localité 12] n°2021-3508 du 14 décembre 2021,
- d’une déclaration de cessibilité, selon arrêté préfectoral du préfet de [Localité 12] n°2023-3432 du 7 novembre 2023,
- d’une ordonnance d’expropriation du juge de l’expropriation du tribunal judiciaire de Bobigny, du 18 janvier 2024, emportant transfert de propriété au profit de l’EPFIF.

L’EPFIF a notifié son mémoire valant offre à la société LOCANOR par lettre recommandée avec accusé de réception daté du 27 mars 2023.

Aucun accord n’étant intervenu, l’EPFIF a saisi la juridiction de l’expropriation du tribunal judiciaire de Bobigny le 11 octobre 2023, procédure enregistrée sous le n° RG 23/00234, aux fins de fixer les indemnités dues à la société LOCANOR à la somme de 206.806,25 euros, décomposée comme suit :
- 187.687,50 euros au titre de l’indemnité principale,
- 17.618,75 euros au titre de l’indemnité de remploi,
- une indemnité au titre des frais de déménagement sur présentation d’au moins deux devis détaillés,
- une indemnité au titre du trouble commercial pour mémoire et dans l’attente de la communication des bilans et liasses fiscales retraçant l’activité exploitée sur le site objet du présent mémoire au cours des trois derniers exercices,
- 1.500 euros au titre de l’indemnité pour frais administratifs divers,
- une indemnité de licenciement sur présentation de justificatifs.

L’EPFIF a notifié à la société LOCANOR la saisine de la juridiction de l’expropriation par lettre recommandée avec avis de réception reçue le 11 octobre 2023.

La société LOCANOR a saisi de son côté la juridiction de l’expropriation le 31 octobre 2023, procédure enregistrée sous le n° RG 24/00013, aux fins de fixer les indemnités qui lui sont dues de la manière suivante :
A titre principal :
- 1.827.756,48 euros au titre de l’indemnité principale,
- 183.925,64 euros au titre du remploi,
- une indemnité au titre des frais de déménagement, dans l’attente d’un devis,
- une indemnité au titre du trouble commercial en attente de chiffrage,
- 7.500 euros au titre d’une indemnité forfaitaire pour frais administratifs divers,
- une indemnité de licenciement sur présentation de justificatifs.
A titre subsidiaire : la société LOCANOR sollicite la fixation de l’indemnité principale à la somme de 1.330.924,32 euros et de l’indemnité de remploi à la somme de 134.242,43 euros.

Par une ordonnance rendue le 27 décembre 2023, le juge de l’expropriation a fixé le transport judiciaire sur les lieux et l’audition des parties au 27 février 2024.

L’EPFIF a notifié cette décision à la société LOCANOR par lettre recommandée avec avis de réception reçue le 22 janvier 2024.

Par un mémoire récapitulatif et en réplique, reçu le 12 avril 2024 par le greffe de la juridiction de l’expropriation, l’EPFIF sollicite la fixation des indemnités dues à la société LOCANOR de la manière suivante :
- Une indemnité principale d’une valeur de :
- 221.471 euros à titre principal,
- 190.567 euros à titre subsidiaire,
- Une indemnité de remploi d’une valeur de :
- 20.997,10 euros à titre principal,
- 17.906,70 euros à titre subsidiaire,
- Une indemnité de déménagement sur présentation d’au moins deux devis détaillés, ou à défaut de 3.000 euros,
- Une indemnité pour trouble commercial pour mémoire dans l’attente de la communication des bilans et liasses fiscales retraçant l’activité exploitée sur le site objet du présent mémoire au cours des trois derniers exercices ou à défaut de 0 euros,
- Une indemnité pour frais administratifs divers de 1.500 euros,
- Une indemnité de licenciement : sursis à statuer.

La société LOCANOR n’a pas transmis de nouvelles écritures.

Par des conclusions rectificatives reçues par le greffe le 16 avril 2024 faisant suite à ses conclusions du 08 février 2024, le commissaire du gouvernement propose de fixer l’indemnité totale d’éviction due à la société LOCANOR à la somme de 491.000 euros.

Par ordonnance du 23 avril 2024, la jonction de l’instance inscrite sous le n° 24/00013 avec celle inscrite sous le n° 23/00234 a été prononcée.

L’affaire initialement appelée à l’audience du 23 avril 2024 a été renvoyée à l’audience du 11 juin 2024, au cours de laquelle les parties comparantes ont développé les éléments de leurs mémoires, en application des dispositions du 1er alinéa de l’article R.311-20 du code de l’expropriation.

En vertu de l’article 455 du code de procédure civile, il est fait référence aux écritures transmises pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions.

L'affaire a été mise en délibéré au 06 août 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I/ Sur les principes du droit de l’expropriation

Aux termes de l'article 17 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, la propriété est un droit inviolable et sacré, dont nul ne peut être privé si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité.

L’article L.321-1 du code de l’expropriation dispose que : Les indemnités allouées couvrent l’intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l’expropriation.

L’indemnité de dépossession allouée à l’exproprié doit lui permettre de se retrouver en même et semblable état et de se procurer un bien identique, similaire ou équivalent à celui dont il est dépossédé par l’opération d’expropriation, c’est-à-dire un bien présentant les mêmes caractéristiques (lieu, année de construction, composition, état d’entretien...) sous réserve, de fait, des biens disponibles sur le marché immobilier.

Le principe de la réparation est le même pour un commerçant ou un exploitant évincé, partiellement ou totalement, d’un fonds de commerce ou d’activité. L’indemnité d’éviction doit lui permettre :
- soit de se procurer un autre fonds de commerce/d’activité, disposant d’un équipement et d’une commercialité similaires, et d’être en situation de l’exploiter,
- soit d’obtenir réparation de la perte de l’entier fonds de commerce.

II/ Sur les éléments préalables à la détermination des indemnités

Plusieurs dates de référence sont définies par le législateur. Ainsi, le juge de l’expropriation doit déterminer les dates de référence suivantes et les prendre en considération lors de la détermination des indemnités.

1/ Sur les dates de référence

Dates de référence pour apprécier la consistance du fonds

La consistance du fonds, en application des dispositions des articles L.322-1 et L.222-2 du code de l’expropriation, est appréciée à la date de l’ordonnance d’expropriation :
- portant transfert de propriété, en ce qui concerne le propriétaire des murs,
- et éteignant tous droits personnels, soit le bail commercial, en ce qui concerne le preneur à bail et exploitant du fonds.

Lorsque l’ordonnance d’expropriation n’est pas intervenue au jour du jugement de première instance, la consistance du fonds de commerce/d’activité s’apprécie à la date du présent jugement en fixation des indemnités.

La consistance d’un bien correspond principalement :
- aux éléments qui le composent,
- et à ses caractéristiques, notamment sa surface et son état d’entretien.

Dates de référence pour déterminer l’usage effectif du fonds 

Selon le principe énoncé à l’article L.322-2 du code de l’expropriation, cette date de référence se situe un an avant l’ouverture de l’enquête publique préalable à la déclaration d’utilité publique (DUP).

Toutefois, selon les dispositions des articles L.213-6 et L.213-4 du code de l’urbanisme, lorsqu’un bien est soumis au droit de préemption urbain et n’est pas situé dans une zone d’aménagement différé (ZAD), cette date de référence se situe à la date à laquelle est devenu opposable aux tiers le plus récent des actes rendant public, approuvant, modifiant ou révisant le plan local d’urbanisme (PLU) et délimitant la zone dans laquelle est situé le bien.

Dates de référence pour apprécier la valeur du fonds

Selon le 1er alinéa de l’article L.322-2 du code de l’expropriation, les biens sont estimés à la date de la décision de première instance, soit à la date du présent jugement en fixation des indemnités.

En l’espèce :

Le fonds d’activité de la société LOCANOR doit être évalué selon :

- sa consistance au 18 janvier 2024, date de l’ordonnance d’expropriation,

- les possibilités offertes par les règles d’urbanisme définies par le plan local d’urbanisme (PLU) approuvé le 10 avril 2017 et modifié les 12 février 2018 et 12 décembre 2022.
L’EPFIF et le commissaire du Gouvernement s’accordent sur les différentes dates de modification tandis que la société LOCANOR vise la date d’approbation du PLU.
Le fait que les évincés visent le PLU initial est toutefois sans incidence dès lors que la dernière modification du PLU n’a pas modifié la zone d’urbanisme applicable au bien.
En conséquence, la date de référence à retenir est celle de la dernière modification du PLU, à savoir le 12 décembre 2022.

- un usage de fonds d’activité de location de voitures qui n’est pas contesté par les parties,

- des parcelles situées en zone UA du PLU, zone urbaine centrale,

- sa valeur d’échange à la date du présent jugement.

2/ Sur la consistance du bien

Il convient de se référer au procès-verbal de transport judiciaire sur les lieux en date du 27 février 2024, annexé à la présente décision.

L’ordonnance d’expropriation rendue le 18 janvier 2024 est antérieure à la visite du bien exproprié, en date du 27 février 2024. Les parties n’ont pas soutenu lors du transport ou lors de l’audience que le bien était à la date de l’ordonnance d’expropriation d’une consistance différente de celle qui a été constatée lors de la visite judiciaire du bien.

La composition et l’équipement du bien évincé

L’ensemble immobilier est composé :
- d’un bâtiment en façade abritant les bureaux de la société,
- d’un hangar dans lequel des véhicules étaient stationnées lors du transport,
- de sept box dans lesquels étaient entreposés des véhicules lors du transport,
- deux espaces clôturés faisant office de garages ouverts dans lesquels étaient stationnés de nombreux véhicules lors du transport.

Il est renvoyé au procès-verbal de transport pour une description plus détaillée.

L’environnement du bien évincé

Le bien évincé est situé sur la commune du [Localité 8], à proximité de l’aéroport du [Localité 8].

Il est implanté dans une zone mixte comprenant des immeubles d’habitation, des commerces et des bureaux.

Il est desservi par les axes routiers suivants :
- route nationale RN2,
- autoroute A1.

L’état d’entretien du bien évincé

En l’espèce, sont retenus :

- un état d’entretien très moyen de manière générale à l’exception du bâtiment abritant les bureaux qui est dans un bon état d’entretien,

- une commercialité très favorable en considération de l’emplacement très avantageux des locaux, de leurs surface et configuration adaptées à l’activité.

En conclusion

Les caractéristiques du fonds d’activité permettent de dégager les facteurs suivants :

- facteurs de moins-value :

. Un état d’entretien général très moyen : la façade extérieure, la toiture du hangar, le sol du garage ouvert et les box sont en état moyen d’entretien ; La pièce en fond de propriété est à l’abandon et en très mauvais état.

- facteurs de plus-value :

. Un très bon emplacement des locaux,
. une surface adaptée à l’activité,
. une configuration conforme à l’activité exercée,
. la présence d’un grand garage ouvert permettant d’entreposer un certain nombre de véhicules,
. une bonne commercialité.

3/ Sur le choix d’une méthode d’évaluation

Aux termes de leurs mémoires respectifs, les parties s’accordent sur l’utilisation de la méthode de la valeur du droit au bail, dite du différentiel de loyers.

Lorsque l’exploitant d’un commerce ou d’une activité peut soit se réinstaller à proximité, soit de manière plus éloignée tout en conservant sa clientèle, l’éviction entraîne pour celui-ci la perte de son droit au bail mais pas de sa clientèle dans sa globalité.

Le préjudice correspond dans cette hypothèse à la perte du droit au bail, à éventuellement une perte partielle de sa clientèle et aux dépenses nécessaires à sa réinstallation. L’indemnisation devra être égale à la valeur du droit au bail, généralement calculée selon la méthode du différentiel de loyer, et à la somme des autres postes de préjudice selon les montants justifiés par le commerçant ou l’exploitant.

Pour déterminer la valeur du droit au bail, il convient de déterminer :

- le montant théorique annuel du loyer pour des locaux d’activité similaires donnés à bail sur le marché immobilier local, soit le loyer de nouveaux locaux dans lesquels la société LOCANOR pourrait exercer son activité,

- le montant annuel et actualisé du loyer acquitté par l’exploitant pour les locaux dont il est évincé,

- le différentiel entre le montant théorique du loyer d’un futur local d’activité et le montant réel du loyer acquitté,

- le coefficient de situation propre au commerce ou à l’activité,

Il convient ensuite de multiplier le différentiel de loyer par le coefficient de situation pour obtenir la valeur du droit au bail.

4/ Sur les surfaces

Les parties exposent les surfaces suivantes :

- 525 m², selon l’EPFIF qui invoque le fait que le bail n’opère aucune distinction entre la valeur locative du bâti et celle du terrain nu attenant et qu’en tout état de cause ces éléments révèlent une valeur locative détermminée à partir des surfaces bâties, laquelle ne peut être appliquée à la surface cadastrale,
- 525m², selon le commissaire du Gouvernement, qui considère que la valeur doit être calculée selon la surface utile des constructions exploitées et non à la surface totale du terrain,
- 1.606 m², selon la société LOCANOR, qui invoque le fait que la totalité de la surface est nécessaire à l’exploitation du fonds.

En l’espèce, le transport sur les lieux a permis de constater que si les surfaces bâties sont exploitées, les surfaces non bâties (hangar, garages ouverts), soit le surplus de terrain, le sont également.
En effet, la société LOCANOR exerce une activité de location de voitures, de sorte que le hangar et les garages ouverts se trouvant sur le terrain sont d’une utilité essentielle à l’exploitation de l’activité de l’évincée.
Lors du transport sur les lieux, il a été constaté que l’intégralité du terrain était utilisé pour le stationnement de très nombreux véhicules, l’installation d’une petite station de lavage sans rouleaux mécaniques, l’installation d’un entrepôt.
Par ailleurs, le contrat de bail de la société LOCANOR n’opère pas de distinction entre la valeur locative du bâti et celle du terrain, l’intégralité de la surface étant donné en location pour l’activité commerciale.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, il y a donc lieu de prendre en considération l’intégralité de la surface (bâti + terrain). En conséquence, dans le cadre de l’évaluation du droit au bail, une surface de 1.606 m² sera retenue.

III/ Sur la détermination des indemnités

L’article R.311-22 du code de l’expropriation dispose que :

Le juge statue dans la limite des prétentions des parties, telles qu’elles résultent de leurs mémoires et des conclusions du commissaire du Gouvernement si celui-ci propose une évaluation inférieure à celle de l’expropriant.

Si le défendeur n’a pas notifié son mémoire en réponse au demandeur dans le délai de six semaines prévu à l’article R.311-11, il est réputé s’en tenir à ses offres, s’il s’agit de l’expropriant, et à sa réponse aux offres, s’il s’agit de l’exproprié.

Si l’exproprié s’est abstenu de répondre aux offres de l’administration et de produire un mémoire en réponse, le juge fixe l’indemnité d’après les éléments dont il dispose.

En l’espèce, le juge fixe l’indemnité principale d’éviction en considération des termes de comparaison produits par les parties et fixe le total des indemnités à un montant compris entre:
- 221.471 euros, montant offert par l’EPFIF, ou 190.567 euros à titre subsidiaire, correspondant à des indemnités principales,
et
- 1.827.756,48 euros, montant demandé par la société LOCANOR, ou 1.330.924,32 euros, correspondant à des indemnités principales,

étant précisé que le commissaire du Gouvernement propose un montant de 440.560 euros, correspondant à l’indemnité principale.

1/ Sur l’indemnité principale selon la valeur du droit au bail

1.1/ La détermination du loyer théorique

Il s’agit de déterminer la valeur de loyer la plus probable d’un local commercial ou d’activité de remplacement, dans une situation où la société LOCANOR n’est pas d’ores et déjà réinstallée.

La méthode consistant à comparer le présent local d’activité aux offres de location de locaux professionnels équivalents, effectives sur le marché local de la location, est utilisée.

En l’espèce, l’intégralité des termes produits par les parties à titre principal mais également à titre subsidiaire seront étudiés par le tribunal.

1° - L’EPFIF produit les annonces suivantes relatives à des locations de locaux d’activité à titre de termes de comparaison :

Termes
Surface (m²)
Prix
(en €)
Prix unitaire
(€/m²/an)
Localisation
DEM
n° 1
1.100
100.800
92
[Localité 8]
DEM
n° 2
1.200
144.000
120
[Localité 8]
DEM
n° 3
1.493
132.324
89
[Localité 8]
DEM
n° 4
1.749
174.830
100
[Localité 8]
DEM
n°5
8.750
non précisé
33
non précisée

L’EPFIF obtient une valeur moyenne des 4 premiers termes de comparaison de 100 €/m²/an.

L’EPFIF offre une valeur unitaire supérieure, égale à 110 €/m²/an, en ajoutant à la moyenne obtenue les termes de référence proposés par le commissaire du Gouvernement.

L’EPFIF obtient une valeur théorique de loyer pour la location de locaux d’activité équivalents de 57.750 €/an, soit 525 m² x 110 €/m²/an.

La société LOCANOR critique ces termes et fait valoir qu’il s’agit d’annonces et non de baux signés et qu’ils ne permettent pas de localiser les biens ou d’apprécier de la réalité de ces annonces.

Le commissaire du Gouvernement observe que :
- les dates des offres et les adresses approximatives des biens sont inconnues,
- la valeur retenue de 100 €/m² ne tient pas compte de l’état et de l’implantation du site exploité.

En l’espèce, l’EPFIF verse aux débats des termes de référence dont les adresses sont inconnues et qui ne sont pas accompagnées des références de publication ne permettant pas au juge de l’expropriation de vérifier les caractéristiques des biens loués. Par conséquent, les termes produits par l’EPFIF ne peuvent être retenus en l’état.

Dans le cas où la surface retenue serait de 1.606 m², l’EPFIF verse aux débats une annonce de location d’un terrain de 8.750 m² correspondant au terme DEM n°5, pour un loyer de 23.997 €/an et 33 €/m², dont il déduit une valeur théorique de loyer de 52.998 €/an, soit 1.606 m² x 33 €/m²/an.
Cette annonce n’a pas été retrouvée via le lien internet produit, ce qui ne permet pas de vérifier les caractéristiques du bien loué et donc de s’appuyer sur cette référence. Il s’agirait en outre d’un entrepôt, ce qui rendrait sa consistance très peu semblable à celle du local loué.

En conséquence, l’ensemble des termes produits par l’EPFIF seront rejetés.

2° - Le commissaire du Gouvernement présente les annonces annonces suivantes relatives à des locations de locaux d’activité à titre de termes de comparaison :

Termes
Références
Surface (m²)
Prix unitaire
(€/m²/an)
Localisation
CG
n° 1
Advenis-res
N26172
475
115
[Localité 8]
CG
n° 2
Advenis-res
N26167
575
150
[Localité 8]
CG
n° 3
Advenis-res
N26176
650
120
[Localité 8]
CG
n° 4
Advenis-res
N15081
713
115
[Localité 10]
CG
n°5
Advenis-res
N45717
350
130
[Localité 9]
CG
n°6
Advenis-res
N15082
612
110
[Localité 10]
CG
n°7
Advenis-res
N42056
260
130
[Localité 10]

La valeur moyenne de ces 7 termes de comparaison est de 124 €/m²/an.

Le commissaire du Gouvernement propose une valeur unitaire supérieure, égale à 150 €/m²/an, compte tenu de la très bonne situation géographique et des commodités indispensables pour ce type d’activité.

Il obtient une valeur théorique de loyer pour la location de locaux d’activité équivalents de 78.750 €/an, soit 525 m² x 150 €/m²/an.

En l’espèce,

- les termes CG n°4 à 7 ne sont pas retenus en ce qu’ils ne sont pas situés sur la commune du [Localité 8],

- les termes CG n°1 à 3 sont retenus selon une valeur moyenne de 128 €/m²/an car les locaux d’activité proposés à la location sont équivalents et sont situés dans la même commune et dans la même zone commerciale.

3° - La société LOCANOR verse les annonces suivantes relatives à des locations de locaux d’activité à titre de termes de comparaison :

Termes
Références
Surface (m²)
Prix
(en €)
Prix unitaire
(€/m²/an)
DEF
n° 1
LLEB1303ES-3300
NEXIM
1.303
19.002
175
DEF
n° 2
LLEB1802ES-2798
NEXIM
1.802
26.279
175
DEF
n° 3
48468
CBRE
1.043
12.168
140
DEF
n° 4
12792
CBRE
1.980
19.583
119
DEF
n°5
93350-1776
BUREAUX LOCAUX
1.776
24.420
165
DEF
n°6
OLACT2105313
BNPPARIBAS
1.501
20.639
165
DEF
n°7
A-9172200025
SELOGER
2.579
34.386
160
DEF
n°8

230
26.450
115
DEF
n°9

240
28.800
120
DEF
n°10

320
38.400
120

La société LOCANOR obtient une moyenne des 7 premiers termes de comparaison de 157€/m²/an et demande une valeur équivalente, égale à 157 €/m²/an.

Elle obtient une valeur théorique de loyer pour la location de locaux d’activité équivalents de 252.142 €/an, soit 1.606 m² x 157 €/m²/an.

La société évincée propose une moyenne alternative des trois derniers termes fournis de 118€/m²/an.

En l’espèce, les termes DEF n°8, 9 et 10 ne sont accompagnés d’aucune référence de publication ne permettant pas au juge de l’expropriation de vérifier les caractéristiques des biens loués. Ces termes ne peuvent qu’être écartés.

Malgré les recherches effectuées par le tribunal, les termes DEF n°1, 2 et 7 n’ont pu être retrouvés, ni via les liens internet fournis, ni via les références de publication. Ces termes seront donc écartés.

Les termes DEF n°3, 4 et 6 ne correspondent pas aux annonces retrouvées via les références de publication. Les surfaces et prix sont différents de ceux retenus par la société LOCANOR. Ces termes ne peuvent être retenus en l’état et seront écartés.

Seul le terme DEF n°5 est conforme aux caractéristiques de l’annonce. Néanmoins, il s’agit d’une surface bâtie de 1.776 m², soit une surface bâtie bien supérieure à celle du local loué qui est de 525 m². Il s’agit en outre d’une surface qui ne comporte pas de terrain nu. La consistance est donc très peu semblable à celle du local loué et ne peut qu’être écartée.

Les termes produits par la société évincée seront donc écartés.

4° - En l’espèce, sont retenus :

- les termes CG n° 1, 2 et 3, parmi ceux présentés par le commissaire du Gouvernement, selon une valeur moyenne de 128 €/m².

Les termes retenus ne concernent cependant que des surfaces bâties, aucun terme ne correspond exactement au local loué qui est composé d’une surface bâtie ainsi que d’un terrain nu. En l’asbence de termes de comparaison pertinents relatifs au terrain, la méthode par comparaison dite “construction + terrain” ne peut qu’être écartée. Le juge de l’expropriation adoptera dès lors la méthode de comparaison globale dite du terrain intégré.

Il sera rappelé que le juge de l’expropriation dispose du pouvoir souverain d’adopter la méthode qui lui paraît la mieux appropriée à la situation du bien évincé.

En l’espèce, en raison de l’importante assiette du terrain et de l’utilisation totale de la superficie, il convient d’appliquer la valeur au m² retenue de 128 €/m² à l’intégralité de la surface bâtie ainsi que du terrain afin d’intégrer la surface du terrain dans la valeur locative.

Dès lors, il convient de fixer le loyer théorique pour la location d’un local d’activité équivalent à celui duquel la société LOCANOR est évincée à 205.568 €/an, soit 1.606 m² x 128 €/m²/an.

1.2/ La valeur du loyer annuel et actualisé du local d’activité dont la société LOCANOR est évincée, hors taxe et charges

Il résulte des éléments versés au dossier que le loyer annuel, hors taxes et hors charges, actualisé, est de 23.680 euros. Ce loyer, non contesté par les parties, est retenu pour la détermination de la valeur du droit au bail.

1.3/ Le différentiel de loyer

Il est égal à la différence entre le loyer théorique et le loyer réel, soit en l’espèce 181.888 €/an, correspondant à 205.568 €/an loyer théorique - 23.680 €/an loyer actualisé.

1.4/ La détermination du coefficient de situation

1° - L’EPFIF considère que la bonne commercialité de l’emplacement du local doit être pondérée par l’état d’usage des locaux et cite plusieurs jugements à l’appui de ses prétentions.

L’EPFIF offre de retenir un coefficient de situation de 6,5.

La société LOCANOR critique le coefficient retenu faisant valoir que compte tenu de la très bonne situation de commerce, le coefficient de situation de 8 semble plus adapté.

Le commissaire du Gouvernement estime que le coefficient de 6,5 ne tient pas compte de la très bonne situation géographique du fonds.

2° - Le commissaire du Gouvernement observe qu’il faut tenir compte de la très bonne implantation du fonds commercial et souligne le fait qu’il a été clairement indiqué par la société évincée lors du transport sur les lieux que la probabilité de retrouver un site équivalent est très faible.

Le commissaire du Gouvernement propose de retenir un coefficient de situation de 8, en se fondant sur des éléments de doctrine.

L’EPFIF critique ce coefficient en faisant valoir que le commissaire du Gouvernement ne propose aucun terme de comparaison et cite simplement des coefficients proposés par la doctrine.

3° - La société LOCANOR sollicite de retenir un coefficient de situation de 8, arguant que la situation de commerce est très bonne pour son activité de location de véhicules et que son enseigne dispose d’une renommée internationale. Elle argue également que la configuration de l’ensemble est parfaitement adaptée aux besoins de l’activité puisque l’emplacement est au croisement de deux axes routiers majeurs, dans un secteur dynamique de la métropole, secteur dans lequel d’importants projets ont vocation à être réalisés, notamment l’aménagement des lignes 16 et 17 du Grand Paris Express.

L’EPFIF critique ces éléments faisant valoir qu’il s’agit seulement de coefficients proposés par la doctrine et non de termes de comparaison.

4° - En l’espèce, il y a lieu de retenir un coefficient de 6,5.

En effet, s’il convient de prendre en considération les éléments de plus-value tels que la très bonne situation de commerce relative à une très bonne localisation et à une surface adaptée à l’activité exploitée, l’état d’entretien du bien qui peut être qualifié de très moyen est un facteur qui doit être pris en compte comme élément de moins-value. La très bonne commercialité du local qui justifierait un coefficient de situation de 8 est compensée par l’état d’entretien très moyen qui justifie de retenir un coefficient de situation de 6,5.

1.5/ La valeur du droit au bail

Elle est égale au différentiel de loyer multiplié par le coefficient de situation, soit en l’espèce 1.182.272 euros, correspondant à 181.888 €/an différentiel de loyer x 6,5 coefficient de situation retenu.

2/ Sur les indemnités accessoires

2.1/ L’indemnité de remploi

L'article R 322-5 du code de l'expropriation dispose que l'indemnité de remploi est calculée compte tenu des frais de tous ordres normalement exposés pour l'acquisition de biens de même nature moyennant un prix égal au montant de l'indemnité principale. Sont également pris en compte dans le calcul du montant de l'indemnité les avantages fiscaux dont les expropriés sont appelés à bénéficier lors de l'acquisition de bien de remplacement.

Le principe de l’indemnité de remploi n’est pas contesté par les parties.

Elle a pour base le montant de l’indemnité principale d’éviction, en l’espèce 1.182.272 euros et est une indemnité forfaitaire calculée en pourcentage habituellement de 5 % jusqu'à 23.000 euros et de 10 % sur le surplus.

En l’espèce, elle est égale à :
. 5 % jusqu’à 23 000 € = 1.150,00 euros,
. 10 % sur le surplus, soit 1.159.272 euros = 115.927, 20 euros,
soit un total de 117.077,20 euros.

2.2/ L’indemnité pour frais de déménagement

La société LOCANOR sollicite une indemnité pour frais de déménagement sans chiffrer cette demande et sans produire de pièces, devis notamment.

L’EPFIF offre une indemnité forfaitaire de 3.000 euros.

En l’espèce, en l’absence de chiffrage de la part de la société évincée, la somme forfaitaire de 3.000 euros proposée par l’EPFIF sera retenue.

Il est fait droit à la demande à hauteur de 3.000 euros.

2.3/ L’indemnité pour trouble commercial

Le trouble commercial correspondant au préjudice subi par le preneur du fait de la gestion de l'éviction. La méthode habituelle consiste à retenir soit 3 mois de bénéfice et non de CA, soit 1 mois et demi de salaires et charges, soit 15 jours de recettes journalière.
La société LOCANOR sollicite une indemnité pour trouble commercial sans chiffrer cette demande et sans produire aucune pièce, notamment comptable.

L’EPFIF conteste l’allocation d’une indemnité à ce titre et fait valoir qu’il n’a pas eu communication des bilans et liasses fiscales retraçant l’activité exploitée sur le site et qu’à défaut de cette communication aucune indemnité ne saurait être allouée.

En l’espèce, en l’absence de chiffrage de la demande de la société LOCANOR et de production de toute pièce comptable, il ne peut être fait droit à cette demande.

Cette demande sera rejetée.

2.4/ L’indemnité pour frais de licenciement

La société LOCANOR sollicite une indemnité pour frais de licenciement sans chiffrer cette demande et sans produire de pièce à l’appui.

L’EPFIF conteste l’allocation d’une indemnité à ce titre et fait valoir que les frais générés par les éventuels licenciements ne peuvent être pris en compte que sur présentation de justificatifs.

En l’espèce, en l’absence de chiffrage de la demande de la société LOCANOR et de proposition de l’EPFIF, il ne peut être fait droit à cette demande.

Cette demande sera rejetée.

2.5/ L’indemnité pour frais administratifs divers

La société LOCANOR sollicite une indemnité pour frais administratifs divers d’un montant forfaitaire de 7.500 euros.

L’EPFIF offre de son côté une indemnité forfaitaire de 1.500 euros.

Faute pour la société LOCANOR de produire tout justificatif à l’appui de sa demande, la proposition de L’EPFIF sera retenue.

En conséquence, il sera fait droit à une indemnité forfaitaire de 1.500 euros.

3/ Sur l’indemnité totale d’éviction

Elle est égale à 1.303.849,20 euros, décomposée comme suit :

- 1.182.272 euros, à titre d’indemnité principale ;
- 117.077,20 euros, à titre d’indemnité de remploi ;
- 3.000 euros, à titre d’indemnité de frais de déménagement ;
- 1.500 euros, à titre d’indemnité pour frais administratifs divers.

IV/ Sur les dépens

Conformément aux dispositions de l’article L.312-1 du code de l’expropriation, l’EPFIF, partie expropriante, supportera les dépens.

PAR CES MOTIFS

Karima BRAHIMI, Vice-présidente, juge de l’expropriation, statuant publiquement par jugement contradictoire mis à disposition au greffe, rendu en premier ressort et susceptible d’appel :

ANNEXE à la présente décision le procès-verbal du transport judiciaire sur les lieux du 27 février 2024,

FIXE à 1.303.849, 20 euros (un million trois cent trois mille huit cent quarante-neuf euros et vingt centimes), l’indemnité totale d’éviction due par l’EPFIF à la société LOCANOR dans le cadre de l’opération d’expropriation des locaux d’activité situés sur les parcelles cadastrées Section [Cadastre 4] sise [Adresse 11] et Section [Cadastre 7] sise [Adresse 6],

PRÉCISE que la somme est ainsi composée :

- 1.182.272 euros, à titre d’indemnité principale,
- 117.077,20 euros, à titre d’indemnité de remploi,
- 3.000 euros, à titre d’indemnité de frais de déménagement,
- 1.500 euros, à titre d’indemnité pour frais administratifs divers,

DÉBOUTE la société LOCANOR de ses demandes au titre du trouble commercial et des frais de licenciement,

CONDAMNE l’EPFIF au paiement des dépens de la présente procédure.

Fait à Bobigny, le 06 Août 2024

Cécile PUECH Karima BRAHIMI

Greffier Vice-Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bobigny
Formation : Expropriations 2
Numéro d'arrêt : 23/00234
Date de la décision : 06/08/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 12/08/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-08-06;23.00234 ?
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