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29/08/2024 | FRANCE | N°23/00608

France | France, Tribunal judiciaire de Bobigny, Serv. contentieux social, 29 août 2024, 23/00608


Tribunal judiciaire de Bobigny
Service du contentieux social
Affaire : N° RG 23/00608 - N° Portalis DB3S-W-B7H-XUWY
Jugement du 29 AOUT 2024

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BOBIGNY



JUGEMENT CONTENTIEUX DU 29 AOUT 2024


Serv. contentieux social
Affaire : N° RG 23/00608 - N° Portalis DB3S-W-B7H-XUWY
N° de MINUTE : 24/01666

DEMANDEUR

Monsieur [N] [B] [V]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Me Michel DAYANITHI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire :


DEFENDEUR

URSSAF RHONE-ALPES
[Adresse 13]
[Loca

lité 2]
non comparant


COMPOSITION DU TRIBUNAL

DÉBATS

Audience publique du 05 Juin 2024.

Madame Sandra MITTERRAND, Présidente, assistée de...

Tribunal judiciaire de Bobigny
Service du contentieux social
Affaire : N° RG 23/00608 - N° Portalis DB3S-W-B7H-XUWY
Jugement du 29 AOUT 2024

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BOBIGNY

JUGEMENT CONTENTIEUX DU 29 AOUT 2024

Serv. contentieux social
Affaire : N° RG 23/00608 - N° Portalis DB3S-W-B7H-XUWY
N° de MINUTE : 24/01666

DEMANDEUR

Monsieur [N] [B] [V]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Me Michel DAYANITHI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire :

DEFENDEUR

URSSAF RHONE-ALPES
[Adresse 13]
[Localité 2]
non comparant

COMPOSITION DU TRIBUNAL

DÉBATS

Audience publique du 05 Juin 2024.

Madame Sandra MITTERRAND, Présidente, assistée de Monsieur Denis TCHISSAMBOU, Greffier.

A défaut de conciliation à l’audience du 05juin 2024, l’affaire a été plaidée , le tribunal statuant à juge unique conformément à l’accord des parties présentes ou représentées.

JUGEMENT

Prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement réputé contradictoire et en premier ressort, par Sandra MITTERRAND, Juge, assistée de Denis TCHISSAMBOU, Greffier.

Transmis par RPVA à : Me Michel DAYANITHI

FAITS ET PROCÉDURE

Monsieur [N] [B] [V], travailleur indépendant exerçant une activité de transport de personne par taxis, a fait l’objet d’un contrôle de l’URSSAF Rhône-Alpes dans le cadre de la lutte contre le travail dissimulé sur la période du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2020.

Suite à ce contrôle, une lettre d’observations du 6 mai 2022 lui a été notifiée faisant état d’un redressement pour infraction de travail dissimulé, par dissimulation d’activité, pour un montant total de 24.698 euros de cotisations et contributions de sécurité sociale, et d’une majoration de redressement d’un montant de 6.175 euros.

Suite à un échange avec Monsieur [N] [V] durant la période contradictoire, l’URSSAF a, par courrier en date du 19 juillet 2022, ramené le redressement aux montants de 24.567 euros de cotisations et contributions de sécurité sociale, et 6.142 euros de majoration de redressement.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 1er septembre 2022, l’URSSAF Rhône-Alpes a mis en demeure Monsieur [N] [V] d’avoir à payer la somme de 33.674 euros dont 24.567 euros de cotisations, 6.142 euros de majoration de redressement et 2.965 euros de majorations de retard pour la période du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2020.

Le 7 novembre 2022, Monsieur [N] [V] a saisi la commission de recours amiable aux fins de contester le redressement.

Par décision du 27 janvier 2023, notifiée par courrier du 30 janvier 2023, la commission de recours amiable a rejeté son recours.

Par requête adressée le 4 avril 2023 au greffe du service du contentieux social du tribunal judiciaire de Bobigny, Monsieur [N] [V] a saisi la juridiction aux fins de contester le redressement.

Par jugement du 7 février 2024, le service du contentieux social du tribunal judiciaire de Bobigny a ordonné la réouverture des débats et la mise en cause par Monsieur [N] [B] [V] des plateformes de taxis, notamment [14] et affiliés ([11], [12], [5]), ainsi que [7], pour le compte desquelles Monsieur [N] [B] [V] a exercé une activité professionnelle transports de voyageurs par taxis au cours des périodes du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2020.

L’affaire a été renvoyée et retenue à l’audience du 5 juin 2024, date à laquelle les parties ont été régulièrement convoquées pour être entendues en leurs observations.

Par observations formulées oralement à cette audience, Monsieur [N] [V], représenté par son conseil, indique qu’il ne souhaite pas mettre en cause les plateformes de taxis pour le compte desquelles il a exercé une activité professionnelle de chauffeur et sollicite du tribunal de trancher le litige en l’état, sur la base de ses conclusions en demande n°2 déposées et soutenues oralement à l’audience du 29 novembre 2023. Il demande au tribunal à titre principal, d’annuler l’ensemble du redressement et à titre subsidiaire, de limiter l’assiette des redressement en droits et pénalités à la somme de 6.904,78 euros et en tout état de cause, de condamner l’URSSAF à lui régler la somme de 1.500 euros au titre l’article 700 du code de procédure civile, outre aux dépens.

A l’appui de ses prétentions, il soutient à titre principal qu’il n’est pas soumis au statut de travailleur indépendant en ce qu’il exerce l’activité de chauffeur VTC par le biais des plateformes [14] et affiliées, cas pour lesquels la Cour de cassation a requalifié cette relation contractuelle en contrat de travail. Il se prévaut à titre subsidiaire de l’irrégularité de la procédure de redressement au motif que la lettre d’observations ne mentionne ni les documents et pièces ayant servis à fonder les redressements, ni la méthode de reconstitution et de calcul du chiffre d’affaires. A titre très subsidiaire, il fait valoir que les montants retenus au titre des chiffres d’affaires réalisés sont matériellement impossibles à atteindre et sont erronés, des crédits bancaires ne correspondant pas à des revenus professionnels.

Régulièrement convoquée à l’audience de renvoi du 5 juin 2024, l’URSSAF Rhône-Alpes n’a pas comparu et ne s’est pas fait représenter. Par conclusions n°2 déposées et soutenues oralement à l’audience du 29 novembre 2023, l’URSSAF Rhône-Alpes, régulièrement représentée, demande au tribunal de confirmer la décision de la commission de recours amiable du 27 janvier 2023, de juger régulière la procédure de redressement et de condamner Monsieur [N] [V] au paiement de la somme de 33.674 euros, ainsi qu’aux dépens.

En réponse, elle expose que l’arrêt de la Cour de cassation dont se prévaut le requérant n’a pas eu pour effet la requalification générale en contrat de travail de toutes les relations entre la société [14] et ses coursiers, qu’une présomption de non-salariat s’applique et qu’aucune remise en cause de son statut de travailleur indépendant n’a été engagée par Monsieur [V]. Elle ajoute qu’elle n’a pas l’obligation de lister les documents consultés dans un encart spécifique et que Monsieur [V] n’a jamais sollicité le détail des comptes bancaires étudiés pour déterminer l’assiette du redressement. S’agissant du chiffrage du redressement, elle indique qu’en l’absence d’élément de comptabilité, elle a procédé au redressement sur la base des encaissements constatés sur les comptes bancaires du cotisant et que les attestations sur l’honneur ou un état de notes de frais ne sont pas des éléments probants.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, le tribunal, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience.

L’affaire a été mise en délibéré au 29 août 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La recevabilité du recours n’a pas été contestée.

Sur la qualification du jugement

Selon l’article 473 du Code de procédure civile, “Lorsque le défendeur ne comparaît pas, le jugement est rendu par défaut si la décision est en dernier ressort et si la citation n'a pas été délivrée à personne.
Le jugement est réputé contradictoire lorsque la décision est susceptible d'appel ou lorsque la citation a été délivrée à la personne du défendeur”.

L’URSSAF Rhône-Alpes a été régulièrement convoquée par lettre recommandée du 14 février 2024, avec accusé de réception revenu portant une date de distribution au 19 février 2024. Elle n’est toutefois ni présente ni représentée à l’audience.

En conséquence, le jugement rendu en premier ressort sera réputé contradictoire.

Sur la contestation du statut de travailleur indépendant

Selon l’article L8221-6 du code du travail, dans sa version en vigueur du 1er septembre 2017 au 1er janvier 2023, “I.-Sont présumés ne pas être liés avec le donneur d'ordre par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation ou inscription :
1° Les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales pour le recouvrement des cotisations d'allocations familiales ;
2° Les personnes physiques inscrites au registre des entreprises de transport routier de personnes, qui exercent une activité de transport scolaire prévu par l'article L. 214-18 du code de l'éducation ou de transport à la demande conformément à l'article 29 de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs ;
3° Les dirigeants des personnes morales immatriculées au registre du commerce et des sociétés et leurs salariés ;
II.-L'existence d'un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci.
Dans ce cas, la dissimulation d'emploi salarié est établie si le donneur d'ordre s'est soustrait intentionnellement par ce moyen à l'accomplissement des obligations incombant à l'employeur mentionnées à l'article L. 8221-5.
Le donneur d'ordre qui a fait l'objet d'une condamnation pénale pour travail dissimulé en application du présent II est tenu au paiement des cotisations et contributions sociales à la charge des employeurs, calculées sur les sommes versées aux personnes mentionnées au I au titre de la période pour laquelle la dissimulation d'emploi salarié a été établie”.

Aux termes de l’article L.311-2 du code de la sécurité sociale, “sont affiliées obligatoirement aux assurances sociales du régime général, quel que soit leur âge et même si elles sont titulaires d'une pension, toutes les personnes quelle que soit leur nationalité, de l'un ou de l'autre sexe, salariées ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs et quels que soient le montant et la nature de leur rémunération, la forme, la nature ou la validité de leur contrat.”

Le contrat de travail, convention par laquelle une personne s’engage à mettre son activité à la disposition d’une autre, sous la subordination de laquelle elle se place, et moyennant une rémunération, suppose la réunion de trois critères : une prestation de travail, une rémunération et un lien de subordination.

Il est constant que le critère principal du contrat de travail est le lien juridique de subordination, caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné et que peut constituer un indice de subordination le travail au sein d'un service organisé lorsque l'employeur en détermine unilatéralement les conditions d'exécution.

En outre, c’est par un faisceau d’indices, révélant l’exercice de contraintes imposées pour l’exécution du travail, que le lien de subordination juridique sera caractérisé, par exemple, par:
- le pouvoir de donner des directives et d’en contrôler l’exécution ;
- le pouvoir disciplinaire ;
- l’exercice de l’activité dans les locaux de l’entreprise ou dans les lieux et conditions fixés par l’employeur ;
- l’obligation de rendre compte de l’activité ;
- la fourniture du matériel par l’employeur.

Il est également constant que le contrat de travail, qui ne se présume pas, doit être prouvé et son existence ne se déduit ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité prétendument salariée, l’absence d’autonomie du sujet dont le travail est contrôlé et soumis à des directives ou instructions constituant un indice décisif du salariat de droit commun.

Par ailleurs, la charge de la preuve de l’existence du contrat de travail pèse sur la partie qui s’en prévaut.

Enfin, aux termes de l'article 14 du code de procédure civile, “Nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée” et l'inobservation de cette règle d'ordre public doit être relevée d'office.

En l’espèce, Monsieur [N] [V] soutient à titre principal qu’il n’est pas soumis au statut de travailleur indépendant en ce qu’il exerce l’activité de chauffeur VTC par le biais des plateformes [14] et affiliées. Il se prévaut de l’arrêt de la Cour de cassation du 4 mars 2020 qui a admis de qualifier de contrat de travail la relation entre un chauffeur VTC et la société utilisant une plate-forme numérique et une application afin de mettre en relation des clients et des chauffeurs exerçant sous le statut de travailleur indépendant, retenant : 1°) que ce chauffeur a intégré un service de prestation de transport créé et entièrement organisé par cette société, service qui n'existe que grâce à cette plate-forme, à travers l'utilisation duquel il ne constitue aucune clientèle propre, ne fixe pas librement ses tarifs ni les conditions d'exercice de sa prestation de transport, 2°) que le chauffeur se voit imposer un itinéraire particulier dont il n'a pas le libre choix et pour lequel des corrections tarifaires sont appliquées si le chauffeur ne suit pas cet itinéraire, 3°) que la destination finale de la course n'est parfois pas connue du chauffeur, lequel ne peut réellement choisir librement, comme le ferait un chauffeur indépendant, la course qui lui convient ou non, 4°) que la société a la faculté de déconnecter temporairement le chauffeur de son application à partir de trois refus de courses et que le chauffeur peut perdre l'accès à son compte en cas de dépassement d'un taux d'annulation de commandes ou de signalements de "comportements problématiques", et déduisant de l'ensemble de ces éléments l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements et que, dès lors, le statut de travailleur indépendant du chauffeur était fictif.

Il ressort de la lettre d’observations du 6 mai 2022 que Monsieur [V] exerce une activité professionnelle de transports de voyageurs par taxis à but lucratif, en tant que micro-entrepreneur, générant un chiffre d’affaire. N’ayant réalisé aucune déclaration de chiffre d’affaire provenant de cette activité sur les années 2017 et 2019 et n’ayant pas déclaré la totalité de ses chiffres d’affaire sur les périodes du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2020, il a été dressé un procès-verbal relevant l’infraction de travail dissimulé par dissimulation d’activité et un chiffrage des cotisations éludées a été opéré par l’inspecteur du recouvrement.

Si la lettre d’observations précitée fait état de ce que lors de son audition, Monsieur [V] reconnaît l’infraction de travail dissimulé, il ressort du son courrier du 9 juin 2022 de son expert-comptable, commissaire aux comptes, en réponse à la lettre d’observations, que Monsieur [V] conteste l’existence d’un travail dissimulé en tant que travailleur indépendant et considère qu’il relevait pour les périodes considérées de 2017 à 2020 de la position de salariée, du point de vue fiscal comme du point de vue social, du fait de son lien de subordination avec ses employeurs. Le courrier de saisine de la commission de recours amiable du 7 novembre 2022 précise que sur la période considérée, Monsieur [V] était inscrit sur les sites des plateformes de taxis [14] et affiliés ([11], [12], [5]), ainsi que [7] et comporte la même contestation de la qualité de travailleur indépendant.

Dans la réponse du 19 juillet 2022, l’inspecteur du recouvrement a rejeté cette contestation, sur le fondement d’une part, de la présomption de non-salariat résultant de l’article L8221-6 du code du travail précité et d’autre part, de l’utilisation de son propre véhicule et de sa liberté d’action par rapport à la prise en charge ou non de ses clients et de l’absence de pouvoir de sanctions des plateformes. De même, dans sa décision du 27 janvier 2023, la commission de recours amiable a confirmé le redressement, estimant, au regard de l’arrêt de la Cour de cassation du 13 avril 2022 rendu à propos de la plate-forme “[9]”, que le requérant ne démontre pas que la société lui a adressé des directives sur les modalités d’exécution du travail, ni qu’elle dispose du pouvoir d’en contrôler le respect ou encore moins d’en sanctionner l’inobservation. Elle précise qu’il n’a aucune obligation d’utiliser l’application et reste libre de choisir son véhicule, ses jours et heures d’activité, qu’il peut se déconnecter quand il le souhaite, qu’il est libre d’effectuer des courses pour son propre compte ou le compte de tiers et que la plate-forme n’a aucun pouvoir de sanction à son encontre.

Il ressort de l’ensemble de ce qui précède que l’inspecteur du recouvrement, comme la commission de recours amiable ont rejeté la contestation de Monsieur [V] s’agissant de son statut de travailleur indépendant, sans avoir entendu les plateformes dont il était revendiqué leur qualité d’employeur potentiel.

De même, les plateformes pour le compte desquelles Monsieur [V] a exercé une activité professionnelle de transports de voyageurs par taxis au cours des périodes litigieuses n’ont pas été appelées en la cause dans le cadre du présent litige, contrairement à la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière destinée à éviter tout conflit d'affiliation.

C’est dans ces circonstances, qu’an application de l’article 444 du code de procédure civile, le tribunal a, par jugement du 7 février 2024, ordonné la réouverture des débats afin de permettre à Monsieur [N] [B] [V] de mettre en cause les plateformes de taxis, notamment [14] et affiliés ([11], [12], [5]), ainsi que [7], pour le compte desquelles il a exercé une activité professionnelle de transport de voyageurs par taxis au cours des périodes du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2020.

Toutefois, Monsieur [N] [V] a indiqué qu’il ne souhaite pas mettre en cause les plateformes de taxis pour le compte desquelles il a exercé une activité professionnelle de chauffeur et a sollicité du tribunal de trancher le litige en l’état.

Dans ces conditions, le tribunal n’étant pas en mesure de se prononcer sur la relation de salariat dont il se prévaut, sa contestation de son statut de travailleur indépendant sera rejetée.

Sur la régularité de la procédure

En application des dispositions de l’article L. 133-6-8 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable jusqu’au 1er janvier 2018, ces dispositions ayant été transférées à l’article L. 613-7 du même code par l’ordonnance n° 2018-470 du 12 juin 2018 procédant au regroupement et à la mise en cohérence des dispositions du code de la sécurité sociale applicables aux travailleurs indépendants, les cotisations dont sont redevables les travailleurs indépendants bénéficiant du régime micro-entrepreneur sont calculées mensuellement ou trimestriellement en appliquant au montant de leur chiffre d'affaires ou de leurs revenus non commerciaux effectivement réalisés le mois ou le trimestre précédent un taux fixé par décret pour chaque catégorie d'activité mentionnée aux articles 50-0 et 102 ter du code général des impôts.

L’article L. 8221-1 du code du travail prohibe le travail totalement ou partiellement dissimulé dans les conditions prévues aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 du code du travail.

Aux termes de l’article L. 8221-3 du code du travail, dans ses versions applicables au litige, “est réputé travail dissimulé par dissimulation d'activité, l'exercice à but lucratif d'une activité de production, de transformation, de réparation ou de prestation de services ou l'accomplissement d'actes de commerce par toute personne qui, se soustrayant intentionnellement à ses obligations:
1° Soit n'a pas demandé son immatriculation au répertoire des métiers ou, dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, au registre des entreprises ou au registre du commerce et des sociétés, lorsque celle-ci est obligatoire, ou a poursuivi son activité après refus d'immatriculation, ou postérieurement à une radiation ;
2° Soit n'a pas procédé aux déclarations qui doivent être faites aux organismes de protection sociale ou à l'administration fiscale en vertu des dispositions légales en vigueur. Cette situation peut notamment résulter de la non-déclaration d'une partie de son chiffre d'affaires ou de ses revenus ou de la continuation d'activité après avoir été radié par les organismes de protection sociale en application de l'article L. 133-6-7-1 [devenu L. 613-4] du code de la sécurité sociale.”

En application de l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale, la lettre d'observations doit mentionner l'ensemble des documents consultés par l'inspecteur du recouvrement ayant servi à établir le bien-fondé du redressement.

En l’espèce, Monsieur [V] soutient que la lettre d’observations mentionne de manière superficielle et imprécise les documents et pièces ayant servis à fonder les redressements, notamment en se référant à des “relevés bancaires”, et que les montants globaux retenus au titre des chiffres d’affaires réalisés ne sont pas justifiés, quant à la méthode de reconstitution et de calcul du chiffre d’affaires.

Il ressort de la lettre d’observations du 6 mai 2022 que figure au titre de la liste des documents consultés les “relevés bancaires” et que l’analyse des relevés bancaires a permis de mettre en évidence divers encaissements par chèques, par virements et par dépôts d’espèce dont les montants totaux sont indiqués pour chacune des années concernées de 2017 à 2020.

Quand bien même Monsieur [V] aurait eu plusieurs comptes bancaires, il en résulte qu’en mentionnant avoir consulter les relevés bancaires et additionner les divers encaissements portés en crédit sur chacune des années concernées, le cotisant disposait de tous les éléments pour contester la lettre d'observations.

Dès lors, le mode de calcul des montants retenus au titre des chiffres d’affaires réalisés chaque année étant précisé et la liste des documents consultés figurant dans la lettre d’observations n’ayant pas omis la mention de documents plus précis, de sorte qu’elle n’était ni incomplète, ni imprécise, la demande d’annulation du redressement de ce chef doit être rejetée.

Sur le montant du redressement

Aux termes de l’article R243-59-4 du code de la sécurité sociale, “I.-Dans le cadre d'un contrôle effectué en application de l'article L. 243-7, l'agent chargé du contrôle fixe forfaitairement le montant de l'assiette dans les cas suivants :
1° La comptabilité de la personne contrôlée ne permet pas d'établir le chiffre exact des rémunérations, ou le cas échéant des revenus, servant de base au calcul des cotisations dues ;
2° La personne contrôlée ne met pas à disposition les documents ou justificatifs nécessaires à la réalisation du contrôle ou leur présentation n'en permet pas l'exploitation.
Cette fixation forfaitaire est effectuée par tout moyen d'estimation probant permettant le chiffrage des cotisations et contributions sociales. Lorsque la personne contrôlée est un employeur, cette taxation tient compte, dans les cas mentionnés au 1°, notamment des conventions collectives en vigueur ou, à défaut, des salaires pratiqués dans la profession ou la région considérée. La durée de l'emploi est déterminée d'après les déclarations des intéressés ou par tout autre moyen de preuve.
En cas de travail dissimulé, cette fixation forfaitaire :
a) Peut être effectuée dans les conditions mentionnées à l'article L. 242-1-2 lorsque la personne contrôlée est un employeur ;
b) Peut être fixée, à défaut de preuve contraire, à hauteur pour chaque exercice contrôlé de trois fois la valeur annuelle du plafond mentionné à l'article L. 241-3 en vigueur à la date à laquelle le contrôle a débuté lorsque la personne contrôlée est un travailleur indépendant.
II.-En cas de carence de l'organisme créancier, le forfait est établi par le responsable du service mentionné à l'article R. 155-1.”

En application de l’article L. 243-7-7 du même code, le montant du redressement des cotisations et contributions sociales mis en recouvrement à l'issue d'un contrôle réalisé en application de l'article L. 243-7 est majoré de 25 % en cas de constat de l'infraction définie aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 du code du travail.

En l’espèce, Monsieur [V] fait valoir que les montants retenus au titre des chiffres d’affaires réalisés sont matériellement impossibles à atteindre compte tenu de son emploi à temps plein par le Consistoire et sont erronés, certains crédits bancaires pris en compte ne correspondant pas à des revenus professionnels.

Il verse aux débats ses bulletins de paie de [8] des mois de janvier 2017 à avril 2020, faisant état d’un total d’heures travaillées de 1.814,99 euros en 2017, 1.775,04 heures en 2018, 1.686,54 heures en 2019. Il estime, conformément à un article de La voix du Nord versé aux débats que le chiffre d’affaires horaire médian est de 18,61 euros et que les chiffres d’affaires retenus par l’URSSAF sur les quatre années conduisent à ce qu’il aurait dû travailler 1.504 heures par an.

Toutefois, il ressort de la lettre d’observations du 6 mai 2022 que lors de son audition dans les locaux de l’URSSAF, Monsieur [V] a reconnu ne pas tenir de comptabilité, ni aucun livre de dépenses et recettes, a demandé à vérifier les sommes portées aux crédits de ses comptes et que par courriel du 29 septembre 2021, il a envoyé des justificatifs s’agissant des sommes de 5.000 euros correspondant à la cession d’une table et de chaises et de 10.387 euros de quittances de loyer.

Dès lors, le cotisant n’étant pas en mesure de justifier d’une comptabilité permettant d'établir le chiffre exact de ses revenus et ne produisant pas de justificatifs permettant d’exclure d’autres sommes des encaissements pris en compte par l’URSSAF, c’est à bon droit que l’URSSAF a procédé, an application des dispositions précitées, à une taxation forfaitaire su les chiffres d’affaires reconstitués à partir des encaissements divers figurant sur son compte et non justifiés.

Il verse aux débats, au stade du présent contentieux, un certain nombre de justificatifs qui attesteraient du caractère non professionnel de certains crédits.

S’agissant de la somme de 98,69 euros (pièce n°11-1), il convient de constater qu’il ne s’agit pas d’un crédit porté sur son compte personnel mais sur le compte [6] du couple, Monsieur et Madame [V].
S’agissant des dons ou cadeaux familiaux (pièces n°11-2 à 11-4, 11-8), il convient de constater que seules sont produites des attestations, sans que les crédits portés sur son compte correspondants ne soient versés aux débats.
S’agissant des virements de compte à compte (pièce n°11-5), il convient de constater que seul le débit sur son compte [4] est versé aux débats.
S’agissant des remboursements de cantine (pièce n°11-6), il convient de constater qu’ils ont été déjà été considérés comme revenus non professionnels au stade de la lettres d’observations et de la réponse de l’URSSAF du 10 juillet 2022.
Il en est de même de l’ensemble table et chaises (pièce n°11-20).
S’agissant des mouvements de fond entre ses comptes bancaires et le compte [10], Monsieur [V] ne verse pas aux débats d’éléments suffisants pour exclure le caractère professionnel des sommes versées sur son compte bancaire dont la provenance n’est pas établie (pièces n°11-12 à 11-17 bis, 11-19, 11-23).
S’agissant des deux chèques de caution de 1.000 euros pour la location d’un appartement (pièce n°21) et des quittances de loyer (pièces 11-24 à 11-31, 11-33 à 11-38, 11-57), il convient de constater que le dépôt de garantie n’est que de 1.000 euros et qu’il n’est pas établi qu’ils n’ont pas déjà été déjà été considérés comme revenus non professionnels au stade de la lettre d’observations, au titre des quittances de loyer.
S’agissant de la vente du véhicule, les pièces produites sont insuffisantes à en établir la réalité, les noms figurant sur le contrat de cession et l’attestation produite étant différents (pièces n°11-21 et 11-22).

D’autres pièces s’avèrent trop peu lisibles pour les prendre en considération (pièce n°11-11), souffrent d’un défaut d’explications étayées ou compréhensibles (pièces n°11-32, 46, 51, 66), de pièces justificatives (pièces n°11-53, 59, 60, 61, 65) ou ne sont pas accompagnées du crédit figurant sur son compte bancaire à ce titre (pièces n°11-39 à 43, 47, 50, 52, 54, 55, 58, 62, 63, 64) .

Toutefois, il justifie de :
- en 2017, des virements de compte à compte de 700 euros (pièce n°11-10) et de 10.000 euros (pièce n°11-18), des sommes de 4.914 euros et 4.500 euros au titre d’une aide familiale, versées sur son compte bancaire par remise de chèques, en partie rejetée puis reversée par virement, et d’un remboursement (pièce n°11-48), des sommes de 2x1.500 euros au titre de la cession d’un véhicule Renault Espace (pièce n°11-49), soit un total de 23.114 euros,
- en 2018, des crédits de 3.000 euros et 2.118,37 euros au titre de la vente d’un véhicule Renault Mégane (pièce n°11-7), soit un total de 5.118,37 euros,
- en 2019, la somme de 190 euros au titre du virement d’une cagnotte en ligne (pièce n°11-56),
- en 2020, des sommes de 4.000 euros et 3.455 euros au titre d’une aide familiale versée sur son compte bancaire, avec l’intitulé “motif : aide familiale” (pièce n°11-9), de la somme de 564,97 euros résultant d’un virement d’une étude notariale (pièce n°11-45), soit un total de 8.019,97 euros.

Il en résulte que l’URSSAF aurait dû effectuer un redressement sur les chiffres d’affaires occultés suivants :
- en 2017: 24.811,67 - 23.114 = 1.697,67 euros ,
- en 2018 : 27.983,42 - 5.118,37 = 22.865,05 euros,
- en 2019 :15.957 - 190 = 15.767 euros,
- en 2020 : 38.778,20 - 8.019,97 = 30.758,23 euros

Il sera en conséquence renvoyé à l’URSSAF pour le calcul des cotisations, majorations de redressement et majorations de retard correspondant à ces nouveaux chiffres d’affaires.

Sur la demande reconventionnelle de l’URSSAF

Le redressement n’étant pas confirmé dans son ensemble, il y a lieu de rejeter la demande reconventionnelle en paiement de l’URSSAF.

Sur les dépens

L'article 696 du Code de procédure civile prescrit que la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

Il y a lieu en conséquence de condamner l’URSSAF aux entiers dépens de l’instance.

Sur l’article 700 du Code de procédure civile

En application des dispositions de l’article 700 du même code, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations.

En l’espèce, il serait inéquitable de laisser à la charge de Monsieur [V] les frais irrépétibles de justice qu’il a exposé pour assurer sa représentation en justice.

L’URSSAF sera condamnée à lui verser à ce titre la somme de 1.000 euros.

Sur l’exécution provisoire

L’exécution provisoire sera ordonnée en application de l’article R. 142-10-6 du code de la sécurité sociale.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant par jugement réputé contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe:

Rejette la contestation de Monsieur [N] [B] [V] portant sur son statut de travailleur indépendant ;

Rejette la demande d’annulation du redressement formulée par Monsieur [N] [B] [V] au titre de l’irrégularité de la procédure ;

Dit que le redressement pour dissimulation d’activité à l’encontre de Monsieur [N] [B] [V] doit être calculé sur les chiffres d’affaires non déclarés de 1.697,67 euros en 2017, 22.865,05 euros en 2018, 15.767 euros en 2019 et 30.758,23 euros en 2020 ;

Renvoie à l’URSSAF Rhône-Alpes pour le calcul des cotisations et contributions, des majorations de redressement et des majorations de retard correspondant ;

Déboute l’URSSAF Rhône-Alpes de sa demande reconventionnelle de condamnation en paiement ;

Déboute les parties de toute demande plus ample ou contraire;

Condamne l’URSSAF Rhône-Alpes à payer à Monsieur [N] [B] [V] une somme d’un montant de 1.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Condamne l’URSSAF Rhône-Alpes aux dépens de l’instance ;

Ordonne l’exécution provisoire ;

Rappelle que tout appel du présent jugement doit, à peine de forclusion, être interjeté dans le délai d’un mois à compter de sa notification.

Fait et mis à disposition au greffe du service du contentieux social du tribunal judiciaire de Bobigny.

La Minute étant signée par :

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

Denis TCHISSAMBOU Sandra MITTERRAND


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bobigny
Formation : Serv. contentieux social
Numéro d'arrêt : 23/00608
Date de la décision : 29/08/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 04/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-08-29;23.00608 ?
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