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03/09/2024 | FRANCE | N°22/04965

France | France, Tribunal judiciaire de Lille, Chambre 04, 03 septembre 2024, 22/04965


TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
Chambre 04
N° RG 22/04965 - N° Portalis DBZS-W-B7G-WHYI
JUGEMENT DU 03 SEPTEMBRE 2024
DEMANDEURS :

M. [N] [Y]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Me Kathia BEULQUE, avocat au barreau de LILLE

Mme [S] [W] épouse [Y]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Kathia BEULQUE, avocat au barreau de LILLE

La S.A.S. SERGIC, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 7]
[Localité 5]
représentée par Me Kathia BEULQUE, avocat au barreau de LILLE

DEFENDEURS :

M. [P] [U]r>[Adresse 3]
[Localité 6]
représenté par Me Alban POISSONNIER, avocat au barreau de LILLE

Mme [C] [L]
[Adresse 3]
[Localité 6]
repr...

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
Chambre 04
N° RG 22/04965 - N° Portalis DBZS-W-B7G-WHYI
JUGEMENT DU 03 SEPTEMBRE 2024
DEMANDEURS :

M. [N] [Y]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Me Kathia BEULQUE, avocat au barreau de LILLE

Mme [S] [W] épouse [Y]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Kathia BEULQUE, avocat au barreau de LILLE

La S.A.S. SERGIC, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 7]
[Localité 5]
représentée par Me Kathia BEULQUE, avocat au barreau de LILLE

DEFENDEURS :

M. [P] [U]
[Adresse 3]
[Localité 6]
représenté par Me Alban POISSONNIER, avocat au barreau de LILLE

Mme [C] [L]
[Adresse 3]
[Localité 6]
représentée par Me Alban POISSONNIER, avocat au barreau de LILLE

La S.A.S.U. IMMOPRET FRANCE, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 9]
[Localité 8]
représentée par Me Florent MEREAU, avocat postulant au barreau de LILLE, Me Hanane BENCHEIKH avocat plaidant au barreau de PARIS

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président : Ghislaine CAVAILLES, Vice-Présidente
Assesseur : Leslie JODEAU, Vice-présidente
Assesseur : Sophie DUGOUJON, Juge

GREFFIER : Yacine BAHEDDI, Greffier

DEBATS : Vu la clôture différée de l’instruction au 15 Décembre 2023.
A l’audience publique du 16 Mai 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré,les avocats ont été avisés que le jugement serait rendu le 18 Juillet 2024 et prorogé au 03 Septembre 2024.

Sophie DUGOUJON, Juge rapporteur qui a entendu la plaidoirie en a rendu compte au tribunal dans son délibéré

JUGEMENT : réputé contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 03 Septembre 2024 par Ghislaine CAVAILLES, Président, assistée de Yacine BAHEDDI, greffier.
EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte sous seing-privé en date du 18 septembre 2020, Monsieur [P] [U] et Madame [C] [L] se sont portés acquéreurs des lots n°939 et 1308 correspondant à un appartement en duplex et à un box au sein d'un ensemble immobilier dénommé « [Adresse 1] » régi par les règles de la copropriété sis [Adresse 1] à [Localité 10], lesdits lots appartenant à Monsieur [N] [Y] et Madame [S] [W] épouse [Y] (ci-après ''les époux [Y]'' ou ''les vendeurs''), moyennant le prix net vendeur de 341.000 euros.

Les honoraires de l'intermédiaire immobilier, la S.A.S. SERGIC, d'un montant de 21.000 euros T.T.C., étaient prévus à la charge des vendeurs.

L’acte stipulait, en outre, une condition suspensive, prévoyant l’obtention, au plus tard le 07 novembre 2020 à 18 heures, d’un ou plusieurs prêt(s) par les acquéreurs d’un montant de 351.000 euros, remboursable au taux d'intérêt maximum (hors frais de dossiers, d'assurance et d'hypothèque) de 1,50 % par an, sur une durée de 20 ans, pour des charges mensuelles maximales de 1.693,73 euros.

La signature de l'acte notarié constatant la réalisation de la vente devait avoir lieu le 10 décembre 2020.

Cette réitération authentique n'étant jamais intervenue, par suite de la non-obtention d'un financement par les acquéreurs, les vendeurs ont, par lettre recommandée avec avis de réception adressée le 30 juillet 2021 par l'intermédiaire de leur conseil, mis en demeure Monsieur [U] et Madame [L] d'avoir à leur régler la somme de 34.100 euros correspondant au montant de la clause pénale figurant au compromis de vente.

Aucune solution amiable n'ayant été trouvée, Monsieur et Madame [Y] (ci-après ''les vendeurs'') et la société SERGIC (ci-après ''l'agence immobilière'') ont, par acte d’huissier du 04 août 2022, assigné Monsieur [U] et Madame [L] (ci-après ''les acquéreurs'') devant le tribunal judiciaire de LILLE aux fins de condamnation au versement de dommages et intérêts aux vendeurs et d’indemnité compensatrice de sa perte de rémunération à l'agence immobilière.

Par suite, Monsieur [U] et Madame [L] ont, par acte d’huissier du 27 décembre 2022, assigné la S.A.S.U. IMMOPRET FRANCE (ci-après ''la société de courtage'') en intervention forcée devant le tribunal judiciaire de LILLE aux fins de se voir garantis de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées à leur encontre dans le cadre de l'instance principale initiée par les époux [Y].

Suivant ordonnance du juge de la mise en état en date du 10 mars 2023, le juge de la mise en état a ordonné la jonction entre les deux affaires sous le numéro de répertoire général le plus ancien.

Suivant ordonnance en date du 18 octobre 2023, la clôture de l’instruction a été différée au 15 décembre 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience de plaidoiries du 16 mai 2024.

* * *

Au terme de leurs conclusions récapitulatives notifiées le 17 octobre 2023 par voie électronique, les époux [Y] et la société SERGIC demandent au tribunal, au visa des articles 1304-3, 1103 et 1231-1 et suivants du Code civil, de :

- condamner Monsieur [P] [U] et Madame [C] [L] à verser aux époux [Y] une somme de 34.100 € à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice ;- condamner Monsieur [P] [U] et Madame [C] [L] à verser à la société SERGIC une somme de 21.000 € à titre d’indemnité compensatrice de sa perte de rémunération, à défaut, au titre de sa perte de chance de percevoir sa commission ;- condamner Monsieur [P] [U] et Madame [C] [L] à leur verser une somme de 5.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner Monsieur [P] [U] et Madame [C] [L] aux entiers frais et dépens d’instance ;

Au terme de leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 14 décembre 2023, Monsieur [U] et Madame [L] demandent au tribunal, au visa des articles 1231-5, 1304-3, 1991 et suivants du Code civil, 696 et 700 du Code de procédure civile et R.519-4 du Code monétaire et financier, de :

- à titre principal, débouter les époux [Y] et la société SERGIC de leurs demandes aux fins de condamnation à leur encontre ;
- à titre subsidiaire :
- condamner IMMOPRET à les garantir de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées à leur encontre ;
- réduire le montant de la clause pénale à 5.000 euros et, à titre subsidiaire, réduire la clause pénale à la plus juste proportion que l’équité le commande ;
- juger que l’indemnité compensatrice réclamée par la société SERGIC est injustifiée ;
- en conséquence de quoi, débouter la société SERGIC de sa demande fondée sur l’indemnité compensatrice ;
- en tout état de cause :
- condamner IMMOPRET à verser aux Consorts [U]-[L] la somme de 3.600 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile
- condamner IMMOPRET aux dépens ;
- débouter les parties adverses de leurs demandes plus amples et contraires.

Au terme de ses conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 13 octobre 2023, La société IMMOPRET FRANCE demande au tribunal, au visa des articles 1103 du Code civil, de :

- débouter Monsieur [U] et Madame [L] de l'intégralité de leurs demandes à son encontre,
- condamner solidairement Monsieur [U] et Madame [L] à lui verser la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner solidairement Monsieur [U] et Madame [L] aux entiers dépens de l'instance.

Il est renvoyé aux conclusions récapitulatives des parties susvisées pour l'exposé des moyens, conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il convient de préciser qu’une demande tendant à “juger” ne constitue pas nécessairement une prétention au sens juridique du terme devant être tranchée par le tribunal. Ces demandes n'ont, par conséquent, le cas échéant, pas été retenues en tant que telles mais seront étudiées en leur qualité de moyens des parties.

Par ailleurs, conformément aux dispositions de l'article 768 du Code de procédure civile, le tribunal rappelle n'avoir à statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif et à examiner les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

Sur la demande indemnitaire formulée par les époux [Y]

Selon l’article 1103 du Code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

Conformément à l'article 1353 du Code civil, « celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation. ».

Aux termes de l’article 1231-1 du Code civil « Le débiteur est condamné s’il y a lieu au paiement des dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation soit à raison du retard dans l’exécution s’il ne justifie pas que l’exécution est empêchée par la force majeure ».

L’article 1231-5 du même code prévoit que « lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l’exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages intérêts, il ne peut être alloué à l’autre partie une somme plus forte ni moindre.

Néanmoins, le juge peut, même d’office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire.

Lorsque l’engagement a été exécuté en partie, la pénalité convenue peut être diminuée par le juge, même d’office, à proportion de l’intérêt que l’exécution partielle a provoqué au créancier, sans préjudice de l’application de l’alinéa précédent.

Toute stipulation contraire aux deux alinéas précédents est réputée non écrite.

Sauf inexécution définitive, la pénalité n’est encourue que lorsque le débiteur est mis en demeure ».

Néanmoins, l'article 1304-3 alinéa 1er du même code précise que la condition suspensive est réputée accomplie lorsque c'est celui qui y avait intérêt qui en a empêché l'accomplissement.

Il résulte de ces articles que les parties peuvent insérer à leur contrat une clause pénale prévoyant de manière anticipée le montant forfaitaire des dommages et intérêts dus par une partie en cas d’inexécution contractuelle. Le juge peut, même d'office, en modifier le montant s’il le juge dérisoire ou excessif par rapport au préjudice réellement subi par la partie non défaillante.

Sur l'applicabilité de la clause pénale

En l'espèce, les époux [Y] sollicitent la condamnation des acquéreurs à leur verser la somme de 34.100 euros à titre de dommages et intérêts en application de la clause pénale insérée à l'acte sous seing-privé de vente, faisant valoir que si la réitération par acte authentique n'est jamais intervenue, c’est en raison de la défaillance fautive, du fait des acquéreurs, de la condition suspensive d'obtention d'un prêt.

Sur ce, en termes d'inexécution fautive, il est stipulé à l'acte sous-seing privé de vente signé le 18 septembre 2020, une clause pénale ainsi rédigée (pièce n°1 demandeurs, page 7) :

« En application de la rubrique « RÉALISATION » et après levée de toutes les conditions suspensives, il est convenu, au cas où l’une des parties viendrait à refuser de régulariser par acte authentique la présente vente dans le délai imparti, qu’elle pourra y être contrainte par tous les moyens et voie de droit, en supportant les frais de poursuite et de recours à justice et sans préjudice de tous dommages et intérêts. Toutefois, la partie qui n’est pas en défaut pourra, à son choix, prendre acte du refus de son co-contractant et invoquer la résolution du contrat.
Dans l’un et l’autre cas, il est expressément convenu que la partie qui n’est pas en défaut percevra de l’autre partie, à titre d’indemnisation forfaitaire de son préjudice, la somme de :
Trente-quatre mille cent euros (34 100,00 €) ;[...] ».

Or, il est constant que la signature devant notaire, laquelle devait intervenir le 10 décembre 2020, n'est jamais intervenue.

Les acquéreurs entendent, néanmoins, se prévaloir de l'absence de levée de la condition suspensive d'obtention d'un prêt prévue au compromis de vente, faisant valoir avoir parfaitement respecté leurs obligations à ce titre.

Les parties à l'acte avaient, en effet, entendu soumettre la vente à la condition suspensive particulière d'obtention par les acquéreurs d'un ou plusieurs prêt(s) d'un montant de 351.000 euros, remboursable au taux d'intérêt maximum (hors frais de dossiers, d'assurance et d'hypothèque) de 1,50 % par an, sur une durée de 20 ans, pour des charges mensuelles maximales de 1.693,73 euros (pièce n°1 demandeurs, page 6).

Aux termes du compromis, Monsieur [U] et Madame [L] s'étaient, sur ce point, expressément obligés à effectuer dans les plus brefs délais toutes les démarches nécessaires à l'obtention dudit concours financier et notamment à déposer une ou plusieurs demandes de prêts répondant aux caractéristiques définies au compromis auprès de « tout organisme financier ainsi que le courtier projet d'expert ».

Il était également convenu que, si le prêt n'était pas obtenu au plus tard le 07 novembre 2020 à 18 heures, sans que ce défaut incombe aux acquéreurs et sauf renonciation par ces derniers à la condition suspensive, chacune des parties retrouverait sa pleine et entière liberté sans indemnité de part et d'autre. En revanche, pour le cas où la non-obtention des prêts aurait « pour cause la faute, la négligence, la passivité, la mauvaise foi ou tout abus de droit de l'ACQUEREUR comme en cas de comportements ou de réticences de nature à faire échec à l'instruction des dossiers ou à la conclusion des contrats de prêts, le VENDEUR pourra[it] demander au tribunal de déclarer la condition suspensive de prêt réalisée, en application de l'article 1304-3 du Code civil avec attribution de dommages-intérêts pour le préjudice subi du fait de l'immobilisation abusive des biens à vendre » (pièce n°1, page 7).

Au soutien de la défaillance de la condition suspensive d'obtention d'un prêt, Monsieur [U] et Madame [L] font valoir avoir mandaté, le 18 septembre 2020, la S.A.S. IMMOPRET FRANCE en qualité d'intermédiaire en opérations de banque et services de paiement afin que cette dernière recherche, en leur nom et pour leur compte, un financement bancaire. Ils versent aux débats le mandat d'intermédiation ainsi régularisé, au terme duquel l'objet du mandat était l'obtention d'un financement bancaire d'un montant de 362.395 euros, remboursable sur une durée de 240 mois avec un taux d'intérêts fixe (pièce n°2 acquéreurs). La société de courtage en prêts immobiliers a néanmoins expressément indiqué, par courriers datés du 30 septembre 2020, avoir bien sollicité un prêt d'un montant de 351.000 euros remboursable sur 240 mois auprès de trois organismes bancaires, à savoir LA BANQUE POSTALE, le CREDIT AGRICOLE NORD DE FRANCE et la CAISSE D'EPARGNE HAUTS DE FRANCE (pièce n°6 acquéreurs).

Monsieur [U] et Madame [L] versent, en outre, aux débats, les courriers à eux adressés par le courtier les 15 octobre, 16 octobre et 20 novembre 2020, aux termes desquels ce dernier les a informés du refus de financement opposé par les trois établissements bancaires (même pièce n°6), la réalité de ces refus étant au demeurant confirmée par les courriels adressés au courtier par lesdits organismes bancaires (pièces n°5 à 8 IMMOPRÊT).

Toutefois, outre qu'il n'est pas indiqué à quel taux d'intérêts maximum le financement était sollicité, il doit être constaté que les déclarations du courtier, dans ses courriers datés du 30 septembre 2020, ne sont pas conformes aux demandes de prêt effectivement formulées le même jour auprès des organismes bancaires, telles que versées aux débats, lesquelles font en réalité état d'une demande de financement à hauteur de 362.395 euros afin de couvrir les frais de notaire, de garantie, de dossier et même de courtage, soit une demande de financement supérieure de près de 10.000 euros à ce qui était convenu à l'acte sous seing-privé de vente (pièce n°3 acquéreurs et pièces n°2 à 4 IMMOPRET FRANCE).

Ces demandes témoignent, en outre, d'un apport des acquéreurs nettement inférieur à celui qu'ils avaient déclaré aux termes de l'acte sous seing-privé de vente, puisqu'il y était fait état d'un apport personnel à hauteur de 15.000 euros (pièce n°3, page 5), tandis que leur apport réel, tel que présenté aux organismes de prêt, n'était finalement que de 10.000 euros, étant précisé, de surcroît, que le montant des frais de courtage, d'un montant de 1.500 euros, n'était pas même prévu comme financé sur leurs deniers personnels mais inclus à la demande de financement (pièces n°2 à 4 IMMOPRÊT).

Il s'ensuit que, malgré plusieurs mises en demeure adressées par le conseil des vendeurs (pièces n°6,7 et 9), aucun des justificatifs produits ne permet de rapporter la preuve du respect par les acquéreurs de leurs obligations contractuelles, en l'absence de demande de financement conforme aux conditions contractuelles.

Ce comportement, qui caractérise une faute contractuelle, conduit, au sens des stipulations de l'acte sous seing-privé de vente et en application de l'article 1304-3 du Code civil précité, à réputer réalisée la condition suspensive prévue audit acte.

Par suite, la vente n'ayant pas pu être menée à son terme, en l'absence fautive de financement de l'acquisition, la clause pénale a vocation à s'appliquer au profit des vendeurs.

Sur le montant de la clause pénale et la demande reconventionnelle en modération

S'agissant du montant de ladite sanction, Monsieur [U] et Madame [L] l'estiment excessif et sollicitent qu'il soit modéré et réduit à la somme de 5.000 euros ou, à défaut, ramené à de plus justes proportions.

Les époux [Y] rappellent, pour leur part, que les consorts [U]-[L] ont librement accepté le montant de la clause pénale contractuellement prévue. Ils font, en outre, valoir qu'ayant été contraints, par suite du compromis de vente, de retirer l'appartement de la vente, ils ont perdu une chance de contracter avec un autre potentiel acquéreur à des conditions au moins aussi avantageuses et ce, pendant plusieurs mois, ce dont il a découlé non seulement un préjudice moral mais également économique (paiement de la taxe foncière, des charges de copropriété, remboursement de l'emprunt, remboursement d'un prêt relais contracté du fait de la non-réalisation de la vente, perte de loyer, moins-value sur vente).

Sur ce, il doit être rappelé que, si la clause pénale a pour objet de contraindre les parties à l’exécution du contrat, elle a aussi pour objet de réparer les conséquences dommageables de l’absence de réitération devant notaire de l'acte sous seing-privé de vente. En prévoyant cette clause pénale, les parties ont ainsi entendu évaluer forfaitairement et à l’avance, l’indemnité à laquelle donnerait lieu l’inexécution de l’obligation contractée, sans qu’il y ait lieu de démontrer un préjudice spécifique, le dédommagement étant forfaitairement convenu par les parties.

Dans le cas d'espèce, il ressort des éléments versés aux débats que la vente de l'immeuble des époux [Y] a finalement pu intervenir le 23 juin 2021, soit environ six mois après la date initialement prévue pour la signature de l'acte authentique avec les consorts [U]-[L], et ce, au prix de 335.000 euros, soit à un prix inférieur à celui qui avait été convenu à l'acte sous seing-privé du 18 septembre 2020 (pièce n°16 demandeurs).

Bien qu'aucune perte de revenus locatifs ne puisse être imputée à Monsieur [U] et Madame [L] alors que les derniers locataires, lesquels étaient à l'origine de la rupture du contrat de bail, avaient quitté le logement plus d'un mois avant la signature de l'acte sous seing-privé de vente (pièces n°14 et 15 demandeurs), il est justifié de ce que ce retard de vente de l'immeuble a engendré, pour les époux [Y], un préjudice économique lié au paiement de la part de taxe foncière correspondant à la première moitié de l'année 2021 et des appels de fonds relatifs à la copropriété, à la poursuite du prêt en cours et à la nécessité de recourir à un prêt relais dans l'attente de la vente définitive de leur bien (pièces n°11, 12 et 17).

Ces éléments conduisent à retenir que le montant de la clause pénale fixé d'un commun accord par les parties au moment de la signature de l'acte sous seing-privé de vente, qui représente 10% du montant du prix d'acquisition, n'est pas manifestement excessif.

Rien ne justifie, dans ces conditions, qu’il soit fait usage de la faculté de modération prévue à l’article 1231-5, alinéa 2 précité et la demande de Monsieur [U] et Madame [L] en ce sens sera rejetée.

En conséquence de quoi, Monsieur [U] et Madame [L] seront condamnés solidairement, conformément à la clause de solidarité prévue à l'acte, à verser aux époux [Y] la somme de 34.100 euros au titre de la clause pénale.

Sur la demande indemnitaire formulée par l'agence immobilière

L’article 1240 du Code civil énonce que : “Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.”

Malgré l’effet relatif des conventions, le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel, dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.

En l'espèce, la société SERGIC sollicite, pour sa part, la condamnation des consorts [U]-[L] à lui verser la somme de 21.000 euros correspondant à l'indemnité compensatrice contractuellement prévue à l'acte sous seing-privé de vente.

Au soutien de sa demande, elle rappelle les termes de la clause pénale insérée audit acte selon laquelle les parties étaient convenues de ce que, en cas de non-régularisation de la vente par acte authentique malgré la levée de toutes les conditions suspensives, « une indemnité compensatrice de sa perte de rémunération restera due au mandataire, dans les conditions de forme prévues ci-après à la rubrique ''NÉGOCIATIONS'', l’opération étant définitivement conclue (article 74, décret 72-678 du 20.07.1972) ». Ces honoraires de négociation étaient effectivement fixés à la somme de 21.000 euros (pièce n°1 demandeurs, pages 7 et 8).

Toutefois, il résulte des dispositions d'ordre public de l'article 6-I de la loi du 02 janvier 1970 qu'aucune commission ni somme d'argent quelconque ne peut être exigée par l'agent immobilier ayant concouru à une opération qui n'a pas été effectivement conclue. La société SERGIC ne peut, dès lors, prétendre, sous couvert de l'application d'une clause pénale, au paiement d'une indemnité compensatrice de sa perte de rémunération.

Si l'agence immobilière soutient que ce texte ne signifie pas que la rémunération n'est due qu'après régularisation de la vente par acte authentique, cet acte ayant simplement pour objet de constater une vente déjà conclue, ce qui était, selon elle, fictivement le cas en l'espèce, puisque la condition suspensive d'obtention d'un financement est réputée accomplie, il n'en demeure pas moins que l'agence immobilière n'était pas elle-même partie à l'acte sous-seing privé de vente du 18 septembre 2020, de sorte qu'elle ne peut fonder sa demande indemnitaire que sur la responsabilité délictuelle.

A titre subsidiaire, fondant cette fois sa demande sur l'article 1240 du Code civil, la société SERGIC fait valoir qu'en ne sollicitant pas un prêt conforme aux stipulations du compromis, les consorts [U]-[L] ont commis une faute ayant conduit à la non-réitération de la vente par acte authentique et au non-versement de ses honoraires fixés, en vertu du mandat de vente, à la somme de 23.000 euros, dus en sa qualité d'intermédiaire immobilier. Elle sollicite, en réparation de sa perte de chance de percevoir sa commission, la condamnation des acquéreurs à lui verser la somme de 21.000 euros.

Or, sur ce point, il a certes été retenu que les acquéreurs n'avaient pas suffisamment justifié, conformément aux exigences contractuelles, de la non-réalisation de la condition suspensive, de sorte qu'ils ne pouvaient valablement s'en prévaloir pour justifier l'absence de régularisation de la vente par acte authentique et s'exonérer du versement de la clause pénale.

Pour autant, la non-réitération de la vente par acte authentique découle de l'absence d'obtention d'un financement et il appartient à l'agence immobilière de démontrer l'existence d'une faute à l'origine de cette absence d'obtention d'un financement, voire à l'origine des refus de prêt qui leur ont été opposés, faute qui ne saurait découler, par nature, de la seule absence de sollicitation d'un prêt conforme aux stipulations du compromis.

Dans ces conditions, la preuve que la mise en échec de la réitération devant notaire de l'acte sous seing-privé de vente daté du 18 septembre 2020 procède de la faute des acquéreurs n'étant pas rapportée, la demande indemnitaire formulée par la société SERGIC sera rejetée.

Sur la responsabilité contractuelle de la société de courtage

Aux termes de l'article 1353 Code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

En l'espèce, Monsieur [U] et Madame [L] sollicitent la condamnation de la société IMMOPRÊT FRANCE à les garantir de toutes les condamnations prononcées à leur encontre.

A l'appui de leur demande, ils soutiennent que la société IMMOPRÊT FRANCE était tenue de déposer des demandes de prêt selon les conditions imposées par le compromis de vente et dans le délai imparti. Ils rajoutent que, malgré de nombreuses relances de leur part, la société IMMOPRÊT n'a pas fait preuve de diligence, n'obtenant pas les accords ou refus de prêt dans le délai qui leur était imparti aux termes du compromis. Enfin, ils font valoir que la société de courtage n'a pas respecté son obligation de conseil, ne leur ayant apporté aucun conseil quant à la nécessité de solliciter des offres conformes aux exigences du compromis de vente et de les produire dans le délai imparti.

La société IMMOPRET conclut au rejet de la demande, rappelant qu'aux termes de l'article 6 du contrat comme de la jurisprudence, elle n'était tenue, en tant que courtier en crédit immobilier, que d'une obligation de moyens et non de résultat, obligation qu'elle a parfaitement exécutée, en déposant des demandes de prêts auprès de trois établissements bancaires différents seulement cinq jours après la signature du mandat, puis deux autres ultérieurement, compte tenu du délai supplémentaire accordé par les vendeurs. Il soutient ainsi qu'aucun défaut de diligence ne peut lui être reproché.

Elle rajoute que le courtier en crédit immobilier n'est pas responsable si le client déclare une situation financière inexacte au compromis de vente, n'étant pas un signataire du compromis et n'ayant pas d'obligation légale de vérification de l’exactitude des déclarations du client dans ce document. Elle rappelle, en outre, que le contrat d'intermédiation conclu entre elle et les consorts [U]-[L] précise expressément, en son article 6, que « le mandataire ne saurait être déclaré responsable de la différence entre le montant inscrit dans le compromis de vente et les conditions du présent mandat ».

Toutefois, cette clause, conclue entre un professionnel et des profanes, avait pour corollaire et ne pouvait, en tout état de cause, décharger le courtier de son obligation préalable de conseil et de mise en garde quant au fait que les demandes de financement contrevenaient aux exigences de la promesse, ce d'autant que la société de courtage n'ignorait pas, au regard des réponses au questionnaire qu'elle avait pris le soin de leur faire remplir (article 9 du contrat), que les consorts [U]-[L] n'avaient jamais souscrit de crédit immobilier, ne bénéficiait quasiment d'aucun apport et étaient de toute évidence primo-accédants, de sorte que son obligation de conseil, qui doit être adaptée aux capacités et à l'expérience de ses clients, était renforcée.

Or, l'agence de courtage, qui s'était fait communiquer le compromis de vente (annexe 3 du contrat d'intermédiation), ne pouvait méconnaître l'existence d'une discordance entre les conditions posées à la condition suspensive d'obtention de prêt insérée à l'acte sous seing-privé de vente, d'une part, et le montant du financement bancaire qu'il lui était demandé de rechercher par les consorts [U]-[L], d'autre part, puisque ce montant était supérieur de plus de 10.000 euros au montant maximal fixé au compromis.

La société IMMOPRET ne rapporte toutefois nullement la preuve de s'être libérée envers ses clients de son obligation de mise en garde à ce titre, non plus que de leur acceptation, en toute conscience des risques auxquels ils s'exposaient, de la clause de non-responsabilité type insérée au contrat d'intermédiation qu'ils s'apprêtaient à signer.

Cette clause de non-responsabilité ne leur est, dans ces conditions, pas opposable et il doit être retenu que la société IMMOPRET a commis à leur égard une faute en lien de causalité directe avec leur condamnation à verser aux vendeurs une indemnité à titre de clause pénale, puisque cette faute ne leur a pas permis de faire valoir l'absence de levée de la condition suspensive d'obtention d'un prêt insérée au compromis et ce, malgré plusieurs refus de prêts opposés par différents organismes bancaires.

Cette faute ne pouvant, toutefois, décharger totalement les acquéreurs de leur propre responsabilité au regard des termes de l'acte sous seing-privé de vente auxquels ils s'étaient engagés, la société IMMOPRET FRANCE sera condamnée à relever indemne Monsieur [U] et Madame [L] de moitié des condamnations prononcées à leur encontre au profit des époux [Y].

Sur les demandes accessoires

L’article 696 du Code de procédure civile dispose : « la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie ».

Il résulte des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile que,  dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation.

En l'espèce, Monsieur [U] et Madame [L], qui succombent à l’instance, seront condamnés in solidum aux entiers dépens de l'instance. Ils seront, en conséquence, déboutés de leur demande formulée au titre des frais irrépétibles.

L’équité commande, en outre, qu’il soit fait application des dispositions de l’article 700 précité au profit non seulement des époux [Y] mais également de la société IMMOPRÊT FRANCE qui ont été contraints d’exposer des frais irrépétibles non-compris dans les dépens de l'instance pour faire valoir respectivement leurs droits et leur défense en Justice. Il leur sera accordé, à ce titre, les sommes respectives de 3.000 euros et 2.500 euros.

L'équité commande, en revanche, de ne pas faire application de ces dispositions au profit de la société SERGIC.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant en audience publique, par jugement contradictoire, en premier ressort, par mise à disposition au greffe,

Condamne Monsieur [P] [U] et Madame [C] [L] à payer à Madame Monsieur [N] [Y] et Madame [S] [W] épouse [Y] une indemnité d'un montant de 34.100 euros au titre de la clause pénale prévue à l'acte sous seing-privé des 18 septembre 2020 ;

Déboute la S.A.S. SERGIC de l'intégralité de ses demandes ;

Condamne la S.A.S.U. IMMOPRÊT FRANCE à garantir et à relever indemnes Monsieur [P] [U] et Madame [C] [L] à hauteur de moitié des condamnations prononcées à leur encontre en principal, intérêts, frais et dépens au profit de Monsieur [N] [Y] et Madame [S] [W] épouse [Y] ;

Condamne in solidum Monsieur [P] [U] et Madame [C] [L] à verser à Monsieur [N] [Y] et Madame [S] [W] épouse [Y] la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Condamne in solidum Monsieur [P] [U] et Madame [C] [L] à verser à la S.A.S.U. IMMOPRÊT FRANCE la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Condamne in solidum Monsieur [P] [U] et Madame [C] [L] aux entiers dépens de la présente instance ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

Le greffier, La présidente.


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Lille
Formation : Chambre 04
Numéro d'arrêt : 22/04965
Date de la décision : 03/09/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 10/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-09-03;22.04965 ?
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