TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE LYON
Chambre 10 cab 10 J
N° RG 22/00874 - N° Portalis DB2H-W-B7G-WP4L
Notifiée le :
Expédition à :
Me Ala ADAS - 1661
Maître Philippe PETIT de la SELARL CABINET PHILIPPE PETIT ET ASSOCIES - 497
ORDONNANCE
Le 26 Août 2024
ENTRE :
DEMANDERESSE
Association Nouvel Horizon,
prise en la personne de son représentant légal en exercice
dont le siège social est sis [Adresse 1]
représentée par Me Ala ADAS, avocat au barreau de LYON
ET :
DEFENDERESSE
COMMUNE DE [Localité 2],
prise en la personne de son représentant légal en exercice
dont le siège social est sis [Adresse 3]
représentée par Maître Philippe PETIT de la SELARL CABINET PHILIPPE PETIT ET ASSOCIES, avocats au barreau de LYON
EXPOSE DU LITIGE
Vu l’acte d'huissier du 30 juillet 2019 par lequel la commune de [Localité 2], bailleresse, a assigné l'association NOUVEL HORIZON, preneuse des locaux commerciaux, devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Lyon aux fins d'ordonner une expertise destinée à vérifier les éléments déterminant le montant de l'indemnité d'éviction pouvant être due à compter du 1er juillet 2019, à la suite du refus de renouvellement qu'elle a signifié le 19 octobre 2018 pour le 30 juin 2019 à la locataire ;
Vu l’ordonnance du 4 novembre 2019 par laquelle le juge des référés du tribunal de grande instance de Lyon a :
ordonné une expertise ; désigné Monsieur [Y] [J] pour y procéder ; dit que pendant les opérations d'expertise le preneur continuera de régler le montant du loyer contractuel en principal, outre charges ; débouté l’association NOUVEL HORIZON de sa demande de complément de mission ;
Vu le rapport d’expertise rendu le 14 septembre 2021 ;
Vu l’acte d’huissier en date du 25 janvier 2022 par lequel l’association NOUVEL HORIZON a assigné la commune de [Localité 2] devant le tribunal judiciaire de Lyon aux fins de :
la déclarer recevable et bien fondée en ses demandes ; fixer à 512 915,55 euros la somme due au titre de l’indemnité d’éviction par la commune de [Localité 2] à l’association NOUVEL HORIZON ; fixer à 11 125,02 euros le trop perçu au titre de l’indemnité d’occupation par la commune de [Localité 2] à rembourser à l’association NOUVEL HORIZON ; ordonner le paiement par la commune de [Localité 2] à l’association NOUVEL HORIZON de ces sommes dans les 30 jours de la signification de la décision à intervenir à la commune de [Localité 2], sous astreinte de 150 euros par jour de retard ; condamner la commune de [Localité 2] à payer à l’association NOUVEL HORIZON la somme de 5000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;condamner la commune de [Localité 2] aux dépens ;
Vu les dernières conclusions d’incident de la commune de [Localité 2] notifiées par RPVA le 10 janvier 2024 dans lesquelles elle demande au juge de la mise en état de :
déclarer la demande de l’association NOUVEL HORIZON irrecevable comme étant prescrite ; débouter l’association NOUVEL HORIZON de sa demande tendant au prononcé d’une amende civile à l’encontre de la commune de [Localité 2] comme non fondée ; débouter l’association NOUVEL HORIZON de sa demande d’indemnité judiciaire comme non fondée ; condamner l’association NOUVEL HORIZON à verser à la commune de [Localité 2] la somme de 2500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ; condamner l’association NOUVEL HORIZON aux dépens, en ce compris les frais d’expertise ;
Vu les dernières conclusions d’incident de l’association NOUVEL HORIZON notifiées par RPVA le 13 septembre 2023 dans lesquelles elle demande au juge de la mise en état de :
juger que l’assignation n’est entachée d’aucune nullité ; juger que l’action est recevable ; débouter la commune de [Localité 2] de l’ensemble de ses demandes présentées au titre de ses conclusions d’incident ; condamner la commune de [Localité 2] à payer à l’association NOUVEL HORIZON la somme de 3500 euros en application de l’article 32-1 du code de procédure civile ; condamner la commune de [Localité 2] à payer à l’association NOUVEL HORIZON la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ; condamner la même aux dépens ;
L’affaire a été fixée à l’audience d’incident du 29 avril 2024. Elle a été mise en délibéré au 22 juillet 2024. Le délibéré a été prorogé au 26 août 2024.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières écritures des parties visées ci-dessus pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la nullité de l’assignation
La commune de [Localité 2] indique expressément dans ses dernières conclusions d’incident ne pas maintenir sa demande de nullité de l’assignation (page 6 desdites conclusions) et ne formule aucune prétention de nullité dans le dispositif de celles-ci.
Il n’y a donc pas lieu de statuer sur ce point.
Sur la prescription
L'article 122 du code de procédure civile dispose que « constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut du droit d'agir, tel que le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ». La liste de fins de non-recevoir donnée par cet article est non exhaustive.
L’article L.145-9, alinéa 5, du code de commerce prévoit :
« Le congé doit être donné par acte extrajudiciaire. Il doit, à peine de nullité, préciser les motifs pour lesquels il est donné et indiquer que le locataire qui entend, soit contester le congé, soit demander le paiement d'une indemnité d'éviction, doit saisir le tribunal avant l'expiration d'un délai de deux ans à compter de la date pour laquelle le congé a été donné. »
L’article 2240 du code civil dispose que « la reconnaissance par le débiteur du droit contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription ».
Il est constant que cette reconnaissance doit être non équivoque, qu’elle doit émaner du débiteur ou de son mandataire, et qu’une reconnaissance même partielle par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait suffit à entraîner pour la totalité de la créance un effet interruptif qui ne peut se fractionner.
L'article 2241, alinéa 1er, du même code énonce que « la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion », l'article 2242 du même code prévoyant que « l'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance » et l’article 2243 que « l’interruption est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande ou laisse périmer l’instance, ou si sa demande est définitivement rejetée ».
Il est toutefois à souligner qu'il résulte des dispositions de l'article 2241 précitées que, pour interrompre le délai de prescription ou de forclusion, la demande en justice doit émaner de celui dont le droit est menacé de prescription et être adressée à la personne en faveur de laquelle court la prescription, étant signalé que c’est bien la demande formulée dans l’assignation ou les conclusions qui est interruptive de prescription, et non l’assignation ou les conclusions elles-mêmes, celles-ci n’étant pas en soi interruptives de prescription.
L’article 2239 du code civil prévoit que :
« La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès.
Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée. »
En application de cet article, la suspension de la prescription, lorsque le juge accueille une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès, qui fait, le cas échéant, suite à l'interruption de cette prescription au profit de la partie ayant sollicité cette mesure en référé et tend à préserver les droits de la partie ayant sollicité celle-ci durant le délai de son exécution, ne joue qu'à son profit.
En l’espèce, le congé de refus de renouvellement avec offre d’indemnité d’éviction a été délivré par acte d’huissier en date du 19 octobre 2018.
La commune de [Localité 2] a formé une demande d’expertise judiciaire en référé par assignation du 30 juillet 2019 à laquelle il a été fait droit par ordonnance de référé du 4 novembre 2019. Dans le cadre de cette instance en référé, l’association NOUVEL HORIZON, défenderesse dans ladite procédure, a, de son côté, formulé une demande de complément d’expertise qui a été rejetée par le juge des référés.
Ainsi, puisque c’est la bailleresse qui a formé la demande d’expertise, c’est-à-dire la personne en faveur de laquelle court la prescription de la demande en paiement d’une indemnité d’éviction et non celle dont le droit est menacé par cette prescription, cette demande d’expertise n’a pas interrompu le délai de prescription de l’action en paiement d’une indemnité d’éviction.
Concernant la suspension, comme elle ne joue qu’au profit de la partie qui a sollicité la mesure d’expertise en référé, l’association NOUVEL HORIZON ne peut s’en prévaloir.
S’agissant de la demande de complément d’expertise formée par l’association NOUVEL HORIZON, celle-ci ayant été rejetée, elle n’a pas eu d’effet interruptif.
Sur la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation en matière de point de départ du délai de prescription des recours en garantie entre constructeurs, elle porte spécifiquement sur les demandes de garantie des constructeurs, qui ne peuvent être en mesure d’agir utilement en garantie contre d’autres que dès lors que la partie ayant subi des désordres forme une demande en reconnaissance d’un droit, ne serait-ce que par provision, à leur encontre. En effet, l’appel en garantie n’a d’intérêt pour le constructeur que si la partie victime des désordres lui réclame un droit.
Cette jurisprudence n’est donc pas applicable en l’occurrence dans le cadre d’une instance opposant un bailleur et un locataire relativement à une indemnité d’éviction.
Pour l’interruption par reconnaissance, il est à indiquer que la commune de [Localité 2] admet une reconnaissance du principe du droit de la locataire à une indemnité d’éviction dans le congé délivré, autrement dit à la date du point de départ du délai de prescription biennale de l’action en paiement de cette indemnité, et dans l’assignation en référé expertise, soit à la date du 30 juillet 2019, ce qui implique donc que la prescription biennale a été interrompue à cette date.
Cependant, le nouveau délai qui a découlé de cet acte interruptif devait normalement expirer le 30 juillet 2021, soit avant que l’association NOUVEL HORIZON ne forme sa demande en paiement d’une indemnité d’éviction par son assignation au fond du 25 janvier 2022.
Toutefois, dans ses dires à l’expert en date respectivement des 22 mars 2021 et 19 avril 2021, la commune de [Localité 2] écrit qu’« au fond, [elle] entend faire valoir que l’association NOUVEL HORIZON ne peut prétendre qu’à une indemnité liée au transfert de son activité », qu’ « il vous est donc demandé de fixer le montant des frais d’aménagement à la somme maximale de 43 243,54 euros », que « [elle] fait donc siennes vos pré-conclusions aux termes desquelles les frais de déménagement peuvent être estimés à 2000 euros », qu’« il vous est donc demander de fixer à la somme de 119 euros l’indemnité pour frais divers », et qu’« en conclusion, [elle] vous demande fixer l’indemnité due à l’association NOUVEL HORIZON à la somme totale maximale de 45 362,54 euros ».
Il en ressort qu’il y a dans ces dires une reconnaissance partielle par la commune de [Localité 2] du droit de l’association NOUVEL HORIZON à une indemnité d’éviction.
En conséquence, il s’agit d’actes interruptifs de prescription.
Or, ainsi qu’il a été vu, l’association NOUVEL HORIZON a introduit sa demande en paiement d’une telle indemnité par assignation du 25 janvier 2022, soit dans le nouveau délai de prescription biennale qui a commencé à courir à compter du 19 avril 2021.
En conséquence, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens des parties, il y a lieu de considérer que cette demande n’est pas prescrite.
Dès lors, la fin de non-recevoir tirée de la prescription sera rejetée et la demande en paiement d’une indemnité d’éviction formée par l’association NOUVEL HORIZON sera déclarée recevable.
Sur la demande au titre de l’amende civile
L'article 32-1 du code de procédure civile dispose que « celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros sans préjudice de dommages et intérêts qui seraient réclamés ».
Il résulte de cet article que l'amende civile profite à l'État et non à la partie adverse qui n'est pas fondée à faire une demande à ce titre.
L’association NOUVEL HORIZON sera donc déboutée de sa demande de condamnation au paiement d'une amende civile.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
Les dépens seront réservés.
Il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile dans le cadre du présent incident.
PAR CES MOTIFS,
Nous, Juge de la mise en état, statuant publiquement par ordonnance contradictoire et en premier ressort, par mise à disposition au greffe,
REJETONS la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par la commune de [Localité 2] ;
DECLARONS recevable la demande en paiement d’une indemnité d’éviction formée par l’association NOUVEL HORIZON ;
DEBOUTONS l’association NOUVEL HORIZON de sa demande de condamnation au paiement d’une amende civile ;
RESERVONS les dépens ;
DISONS n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile dans le cadre du présent incident ;
RENVOYONS l'affaire à l'audience de mise en état du 20 Janvier 2025 pour conclusions au fond de Maître Philippe PETIT, étant rappelé que les messages et conclusions notifiées par RPVA devront l'être au plus tard le 15 Janvier 2024 à minuit, et ce à peine de rejet.
En foi de quoi le Juge de la mise en état et la Greffière ont signé la présente décision.
LA GREFFIERE LE JUGE DE LA MISE EN ETAT
Patricia BRUNON François LE CLEC’H