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12/05/2023 | FRANCE | N°18/12513

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Ct0196, 12 mai 2023, 18/12513


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
2ème section

No RG 18/12513
No Portalis 352J-W-B7C-COCOU

No MINUTE :

Assignation du :
09 Juillet 2018

JUGEMENT
rendu le 12 mai 2023
DEMANDERESSE

Société CANADA GOOSE INTERNATIONAL AG
[Adresse 6]
[Localité 7] (SUISSE)

représentée par Maître Olivia BERNARDEAU-PAUPE du PARTNERSHIPS DECHERT (Paris) LLP, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0033

DÉFENDEURS

S.A.S.U ARTEXTYL
[Adresse 3]
[Localité 4]

S.A.S. ROYAL BRAND MAKERS
[Adresse 1]r>[Localité 5]

S.A.S. SUPER BRAND LICENCING
[Adresse 3]
[Localité 4]

Monsieur [G] [W]
[Adresse 2]
[Localité 4]

représentés par Maître Annette SION du cab...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
2ème section

No RG 18/12513
No Portalis 352J-W-B7C-COCOU

No MINUTE :

Assignation du :
09 Juillet 2018

JUGEMENT
rendu le 12 mai 2023
DEMANDERESSE

Société CANADA GOOSE INTERNATIONAL AG
[Adresse 6]
[Localité 7] (SUISSE)

représentée par Maître Olivia BERNARDEAU-PAUPE du PARTNERSHIPS DECHERT (Paris) LLP, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0033

DÉFENDEURS

S.A.S.U ARTEXTYL
[Adresse 3]
[Localité 4]

S.A.S. ROYAL BRAND MAKERS
[Adresse 1]
[Localité 5]

S.A.S. SUPER BRAND LICENCING
[Adresse 3]
[Localité 4]

Monsieur [G] [W]
[Adresse 2]
[Localité 4]

représentés par Maître Annette SION du cabinet HOLLIER-LAROUSSE et ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0362

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Irène BENAC, Vice-Présidente
Madame Elodie GUENNEC, Vice-présidente
Monsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge

assisté de Monsieur Quentin CURABET, Greffier

en présence de Madame Anne BOUTRON, magistrat en formation

DÉBATS

A l'audience du 06 Janvier 2023 tenue en audience publique devant Irène BENAC et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui sans opposition des avocats ont tenu seuls l'audience, et après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile.

Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe, en dernier lieu, le 12 Mai 2023.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

1. La société de droit suisse Canada goose international AG (la société Canada goose) reproche à M. [W] et aux sociétés Artextyl, Super brand licencing et Royal brand maker, que celui-ci dirigeait jusqu'en 2018, d'avoir contrefait ses marques pour avoir commercialisé depuis 2013 des vêtements revêtus d'écussons semi-figuratifs ‘Geographical Norway' (faits reprochés aux deux premiers) et des vêtements revêtus de marques verbales ‘Stone goose' (faits reprochés aux deux dernières et à M. [W]). Elle demande également la nullité des marques Stone goose.

2. Elle invoque les marques de l'Union européenne suivantes, dont elle est titulaire :
- la marque figurative ‘Canada Goose Arctic Program' représentée ci-dessous, numéro 010494979, déposée le 15 décembre 2011 et enregistrée le 17 mai 2012 pour désigner divers produits en classes 18 et 25, dont des vêtements (ci-après ‘la marque figurative Canada goose')

- la marque verbale ‘Canada goose' numéro 003898021, déposée le 25 juin 2004 et enregistrée le 30 aout 2005 (renouvelée depuis) pour désigner notamment des « Vêtements et vêtements d'extérieur » en classe 25 (ci-après ‘la première marque verbale Canada goose').

- la marque verbale ‘Canada goose' numéro 014395602, déposée le 22 juillet 2015 par un tiers, qui l'a finalement transférée à la société Canada goose dans le cadre de la procédure d'opposition formée par celle-ci ; marque enregistrée le 5 mars 2018 pour désigner divers produits en classes 9, 14 et 18 (ci-après ‘la seconde marque verbale Canada goose').

3. La société Super brand licensing, codéfenderesse, est titulaire des marques verbales françaises ‘Stone Goose' numéro 4408740, déposée le 29 novembre 2017, et numéro 4447822, déposée le 20 avril 2018. Elle les a acquises le 10 avril 2019 de M. [W], qui les avait déposées.

4. Un premier litige né en 2015 concernant l'usage de signes semi-figuratifs Geographical norway a donné lieu à une transaction par laquelle M. [W] et la société Artextyl s'engageaient à cesser l'usage de ces signes et de tout signe similaire.

5. Exposant avoir découvert la reprise de cet usage, et l'usage d'autres signes similaires à sa marque figurative, la société Canada goose a assigné la société Artextyl et M. [W], à titre personnel, en contrefaçon de marque, le 9 juillet 2018, après avoir fait pratiquer une saisie-contrefaçon le 7 juin 2018, saisie dont la rétractation a été demandée mais rejetée par ordonnance du 6 juin 2019. Puis la société Canada goose a assigné en intervention forcée les sociétés Super brand licensing et Royal brand maker le 15 février 2021. L'instruction a été close le 15 septembre 2022.

6. Dans ses dernières conclusions (30 juin 2022) la société Canada goose résiste aux demandes reconventionnelles et demande elle-même de :
- prononcer la nullité des marques verbales françaises Stone Goose numéros 4408740 et 4447822,
- condamner in solidum M. [W] et la société Artextyl à lui verser 1 million d'euros de dommages et intérêts provisionnels pour la contrefaçon de la marque figurative Canada goose ;
- condamner in solidum M. [W] et les sociétés Super brand licensing et Royal brand maker à lui verser 1,5 million d'euros de dommages et intérêts provisionnels pour la contrefaçon de la première marque verbale Canada Goose,
- subsidiairement, de condamner M. [W] à lui verser 1 million d'euros de dommages et intérêts provisionnels pour parasitisme,
- des mesures d'interdiction, de rappel et de destruction des produits litigieux et de publication du présent jugement, le tout sous astreintes dont le tribunal doit se réserver la liquidation,
- d'ordonner aux sociétés défenderesses la communication de documents au titre du droit d'information pour évaluer son préjudice, sous astreinte également ;
- outre l'exécution provisoire, 100 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile de la part des défendeurs, in solidum, et les dépens, à recouvrer par son avocat.

7. Dans leurs dernières conclusions (26 août 2022), les sociétés Artextyl, Royal brand makers et Super brand licensing et M. [W] soulèvent l'irrecevabilité des demandes fondées sur les faits ayant fait l'objet de la transaction, résistent à l'ensemble des demandes, et demandent eux-mêmes de prononcer la nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 7 juin 2018, outre 30 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.

MOTIVATION

I . Demande en nullité des marques verbales françaises Stone Goose

Moyens des parties

8. La société Canada goose soutient que les marques Stone goose sont nulles car elles créent un risque de confusion avec ses marques Canada goose ; qu'en effet, les produits sont identiques ; que, s'agissant des signes, le terme goose en est l'élément distinctif et dominant car il est dépourvu de signification aux yeux du public français dès lors qu'il ne fait pas partie du vocabulaire anglais basique, contrairement aux termes Canada et stone ; que l'EUIPO l'a déjà jugé s'agissant du public espagnol (B 3 079 990) ; que ces signes sont fortement similaires tant visuellement, phonétiquement que conceptuellement car ils ont la même structure, sont composés de deux mots de longueur comparable, le premier comprenant la lettre N au milieu, le second étant le même terme goose ; que stone, « pierre », peut renvoyer à la couleur grise des vêtements ; qu'ainsi Stone et Canada ne seront perçus que comme le qualificatif de l'élément distinctif goose, étant précisé que chaque élément sera appréhendé de façon individuelle par le consommateur ; que le Tribunal de l'Union européenne a retenu le risque de confusion entre une marque ‘Smart wings' et une marque antérieure ‘Euro wings' (T-72/08) ; que la société Super brand licencing a d'ailleurs elle-même soutenu en 2019 devant l'EUIPO que stone était fortement évocateur et que goose était fortement distinctif et visuellement fort ; que le risque de confusion est par ailleurs accru du fait de la renommée des marques Canada goose, le consommateur pouvant notamment penser que Stone goose est une déclinaison de Canada goose.

9. Les défendeurs répondent que les marques en cause étant verbales, aucun des termes ne saurait être considéré comme prédominant, outre qu'il faut analyser l'impression d'ensemble, donc sans scinder les marques artificiellement et sans négliger aucune partie ; que toutefois, c'est au terme d'attaque (le premier terme) dans un ensemble que le public accorde le plus d'attention. Ils considèrent par ailleurs que le terme « goose », qui signifie « oie » en anglais et renvoie aux plumes ou duvet utilisés dans les manteaux d'hiver, est connu du public français, l'anglais étant la première langue enseignée à l'école, comme cela a déjà été jugé pour le public allemand (B 3 087 369), et bien que le contraire ait été retenu pour le public espagnol, qui est différent, et au demeurant par rapport à une marque antérieure différente (‘Stones'). Ils font valoir, dans ce cadre, que les termes Canada et Stone sont visuellement et phonétiquement radicalement différents ; que conceptuellement, les signes Canada goose et Stone goose renvoient à des notions différentes, le second pouvant évoquer un jeu de mot entre les pierres, lourdes, tandis que les oies évoquent l'air et la légèreté ; qu'on ne peut voir dans le second une déclinaison du premier, dès lors que la demanderesse ne justifierait pas de l'existence d'une famille de marques ou de déclinaisons existantes ; enfin que la marque Canada goose est bien connue du public, ce qui exclurait aussi le risque de confusion.

Réponse du tribunal

10. L'article 4 de la directive 2008/95 rapprochant les législations des États membres sur les marques régit la nullité d'une marque à raison d'un risque de confusion avec une marque antérieure dans les termes suivants :

« 1. Une marque est refusée à l'enregistrement ou, si elle est enregistrée, est susceptible d'être déclarée nulle:
(...)
b) lorsqu'en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque antérieure et en raison de l'identité ou de la similitude des produits ou des services que les deux marques désignent, il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d'association avec la marque antérieure.

2. Aux fins du paragraphe 1, on entend par «marques antérieures»:

a) les marques dont la date de dépôt est antérieure à celle de la demande de marque, compte tenu, le cas échéant, du droit de priorité invoqué à l'appui de ces marques, et qui appartiennent aux catégories suivantes:

i) les marques communautaires,
(...) »

11. Ces dispositions ont été transposées en droit interne, en des termes qui ne leur sont pas incompatibles, par les article L. 714-3 et L. 711-4 du code de la propriété intellectuelle, dans leur rédaction antérieure au 15 décembre 2019.

12. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice que, au sens de ce texte (ainsi que des textes antérieurs, en substance identiques) et des textes relatifs au droit conféré par la marque, qui reçoivent une interprétation uniforme, constitue un risque de confusion le risque que le public puisse croire que les produits ou services en cause proviennent de la même entreprise ou, le cas échéant, d'entreprises liées économiquement (CJCE, 29 septembre 1998, Canon, C-39/97, point 29 ; CJCE, 22 juin 1999, Lloyd Schuhfabrik, C-342/97). L'existence d'un risque de confusion dans l'esprit du public doit être appréciée globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce (CJCE, 11 novembre 1997, Sabel, C-251/95, point 22), cette appréciation globale impliquant une certaine interdépendance entre les facteurs pris en compte (arrêt Canon, point 17).

13. L'appréciation globale du risque de confusion doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, auditive ou conceptuelle des marques en cause, être fondée sur l'impression d'ensemble produite par celles-ci, en évaluant l'importance qu'il convient d'attacher à ces différents éléments, en tenant compte en particulier de leurs éléments distinctifs et dominants, et au regard de la catégorie de produits ou services en cause (par exemple, arrêt Lloyd Schuhfabrik, précité). Aux fins de cette appréciation globale, le consommateur moyen de la catégorie de produits concernée est censé être normalement informé et raisonnablement attentif et avisé (CJCE, 16 juillet 1998, Gut Springenheide et Tusky, point 31).

14. Enfin, pour apprécier la similitude entre des produits ou des services, les facteurs pertinents qui caractérisent le rapport entre ces produits ou ces services incluent, en particulier, leur nature, leur destination, leur utilisation ainsi que leur caractère concurrent ou complémentaire (arrêt Canon, C-39/97, précité, point 23).

15. La société Super brand licencing, titulaire des marques dont la nullité est demandée, ne conteste pas que l'ensemble des produits pour lesquels elles sont enregistrées sont identiques ou très similaires à ceux pour lesquels sont enregistrées les marques verbales Canada goose, à savoir :

pour la marque 4408740
- classe 18 : « Cuir et imitations du cuir; peaux d'animaux; malles et valises; parapluies, parasols et cannes; fouets et sellerie; portefeuilles; porte-monnaie; porte-cartes de crédit (portefeuilles); sacs; coffrets destinés à contenir des affaires de toilette; colliers ou habits pour animaux; filets à provisions ; »
- classe 25 : « Vêtements, chaussures, chapellerie; chemises; vêtements en cuir ou en imitation du cuir; ceintures (habillement); fourrures (vêtements); gants (habillement); foulards; cravates; bonneterie; chaussettes; chaussons; chaussures de plage, de ski ou de sport; sous-vêtements »

et pour la marque 4447822, les mêmes produits, auxquels s'ajoutent :
- classe 24 : « Tissus; couvertures de lit; tissus à usage textile; tissus élastiques; velours; linge de lit; linge de maison; linge de table non en papier; linge de bain (à l'exception de l'habillement) ; »

16. Il est constant que le public de ces produits est le grand public.

17. Les marques en litige ont en commun d'être constituées de deux mots, dont le second est goose. Les parties s'opposent sur la compréhension de ce mot par le public français. Aucune n'apporte de preuve à cet égard, mais il peut être observé qu'il ne s'agit pas d'un mot transparent pour un locuteur francophone, ni d'un mot usuel susceptible d'être régulièrement employé dans des communications simples. Il faut alors retenir que seule la partie la plus anglophone du public français connait le sens de ce mot, et que dans l'ensemble le public pertinent ne l'associera pas spontanément à une oie. Ce terme est pour autant aisément prononçable par un français familiarisé à la prononciation anglaise du double o. Il est donc normalement distinctif.

18. Le terme Canada est, comme le soulève la société demanderesse, susceptible de désigner l'origine géographique du produit. Il est donc faiblement distinctif dans l'ensemble composé par la marque. Le mot stone (pierre) peut également désigner par métaphore la couleur de certains vêtements (les jeans) ; il est donc faiblement distinctif à cet égard, quoique sa compréhension première, même pour les produits en cause, reste de façon générale l'évocation de la pierre elle-même.

19. Néanmoins, le premier terme d'une marque verbale est celui auquel le public attache le plus d'attention. Or ici, visuellement, phonétiquement et conceptuellement, le terme d'accroche de chaque marque n'a rien de semblable : l'un est de trois syllabes, l'autre d'une, seule une lettre (n) est commune, et qui n'est pas au milieu du mot contrairement à ce qu'affirme la société Canada goose ; enfin l'un renvoie à un État, l'autre à une matière naturelle.

20. En outre, les termes Canada et stone, bien que plus faiblement distinctifs que le second terme, goose, forment dans chaque cas avec lui un groupe nominal cohérent (le goose du Canada, ou le goose de pierre) qui renforce, dans l'esprit du public, la prise en compte de la marque comme un tout et non comme l'apposition de deux éléments distincts, ce qui relativise corrélativement l'effet de l'identité du deuxième terme dans chaque marque.

21. Ainsi, prises dans leur ensemble, les marques, qui n'ont en commun que le second mot, le plus court à lire et à prononcer, ne sont que faiblement similaires visuellement et phonétiquement. Conceptuellement, elles ne sont pas similaires, dès lors que le public pertinent ne sait pas ce que veut dire goose et que le mot d'attaque procède à une qualification radicalement différente dans chaque cas.

22. Enfin, si la marque Canada goose jouit d'une distinctivité élevée du fait de sa relative renommée auprès du public pertinent, elle en jouit dans son ensemble, et non seulement sur sa deuxième partie.

23. Dans ce cadre, le terme goose n'est pas à ce point distinctif à lui seul, comparé à l'élément d'attaque de la marque, pour que tout autre emploi de ce terme soit perçu comme une déclinaison de la marque. Au contraire, seul un ajout, avant ou après les deux termes composant la marque, ou une substitution du premier terme par un autre visuellement, phonétiquement ou conceptuellement similaire (un autre qualificatif géographique par exemple) pourrait amener le public à y voir une déclinaison de la marque Canada goose ou une association avec elle. La substitution de Canada par Stone entraine un changement bien trop important pour avoir cet effet.

24. Il en résulte que, même enregistrées pour des produits identiques, les marques en cause sont trop peu similaires pour qu'existe un risque de confusion, y compris par une association ou une croyance dans une déclinaison de la marque antérieure. Le moyen de nullité est par conséquent infondé, et la demande en ce sens, rejetée.

II . Demande reconventionnelle en nullité de la saisie-contrefaçon du 7 juin 2018

Moyens des parties

25. Les défendeurs font valoir que l'ordonnance de saisie-contrefaçon du 9 mai 2018 n'autorisait l'huissier qu'à appréhender les « produits litigieux », notion vague que le juge de la rétractation a certes jugé suffisante, mais dont il aurait aussi donné la portée dans son ordonnance du 6 juin 2019, portée que l'huissier a excédée selon eux en réalisant un reportage photographique de tous les vêtements revêtus d'un signe Geographical Norway, même ceux qui n'avaient aucun lien avec la marque figurative Canada goose, ce qui devrait entrainer l'annulation entière du procès-verbal.

26. La société Canada goose répond qu'il est consubstantiel aux ordonnances de saisie-contrefaçon de laisser à l'huissier un pouvoir d'appréciation de la situation et que la question de savoir si les produits décrits et saisis par l'huissier sont effectivement contrefaisants relève du débat de fond. En tout état de cause, selon elle, le fait pour l'huissier de commettre une erreur d'appréciation n'entraine pas la nullité du procès-verbal.

Réponse du tribunal

27. Lors de la saisie-contrefaçon du 7 juin 2018 (pièce Canada goose no32), l'huissier a décrit 9 produits différents, dans plusieurs déclinaisons de couleur, a pris 96 photographies de divers produits, puis a saisi des produits (qui ne sont pas précisément identifiés) en en payant le prix.

28. L'ordonnance autorisant la saisie-contrefaçon (pièce Canada goose no31) autorisait l'huissier à « procéder (...) à la saisie par voie de description détaillée (...) des produits litigieux revêtus des signes litigieux et portant atteinte aux droits de la requérante sur la [marque figurative Canada goose] ». Cette formulation renvoyait nécessairement à des signes identifiés dans la requête, n'autorisant ainsi l'huissier qu'à décrire les produits revêtus de ces signes, ou de déclinaisons de ces signes. Il est constant que les signes identifiés dans la requête sont ceux identifiés par les défendeurs au principal dans leurs conclusions, page 6. Une marge d'appréciation est inévitable lors de l'exécution de la saisie, dont le but est au demeurant la recherche de preuves, ce que l'ordonnance n'a pas entendu interdire ou restreindre de façon particulière. Il était ainsi seulement possible de décrire des vêtements revêtus d'un signe circulaire composé d'une bande de texte en périphérie et de l'Australie (ou autre masse continentale semblable) au centre. La description par texte et photographie des produits qui n'en était pas revêtus, non autorisée, est donc nulle.

29. En principe, le vice affectant une partie seulement du procès-verbal n'entraine pas la nullité de l'acte entier si elle est séparable. Ici, bien que la description ne fasse pas référence clairement aux photographies, qui seules permettent de savoir quel est le signe qui était apposé sur les vêtements correspondants, il est tout de même possible de comprendre que le produit visible sur les photographies 1 à 6, qui ne contient aucun signe susceptible d'être pris pour le signe litigieux, est le produit numéro 1 de la description ; en effet, les seuls signes circulaires présents sur ce produit ou son étiquette contiennent soit la représentation du Royaume-Uni, radicalement différent de la forme de l'Australie, soit un disque sans forme identifiable. Toutes les autres photographies, qui concernent des produits sur lesquels sont apposés des signes circulaires composés d'une bande de texte en périphérie, de l'Australie au centre et des mots Geographical Norway par dessus, qui peuvent donc s'assimiler à des « signes litigieux » au sens de l'ordonnance, se rapportent aux 8 autres produits décrits. Il en résulte que le procès-verbal doit seulement être cancellé de la partie concernant le premier produit, c'est-à-dire de la 3e page (les pages ne sont pas numérotées), à partir de « le premier produit saisi », à la 4e page, jusqu'à « je prends 6 clichés photographiques de ce modèle. », ainsi que des photos correspondantes.

30. L'ordonnance autorisait ensuite l'huissier à « procéder (...) à la saisie réelle en un exemplaire, contre offre de paiement de leur prix (...) de chacun des produits revêtus de l'un ou l'autre des signes portant atteinte aux droits de la requérante sur la [marque figurative Canada goose] ». Les produits saisis contre paiement de leur prix sont ceux qui ont été décrits. La saisie réelle du premier produit doit donc être annulée.

31. Et la demande en nullité est rejetée pour le surplus.

III . Demandes fondées sur l'atteinte à la marque verbale Canada goose

1 . Atteinte au droit conféré par la marque

Moyens des parties

32. La société Canada goose reproche aux sociétés Super brand licensing et Royal brand maker la contrefaçon de sa marque verbale Canada goose du fait de l'usage du signe Stone goose. Elle soutient que les produits sont similaires et renvoie à ses développements sur la demande de nullité des marques Stone goose pour la démonstration de la similarité des signes et l'existence du risque de confusion.

33. Subsidiairement, elle soutient que le terme goose pour désigner des parkas au sein d'une combinaison verbale ayant la même structure que la marque Canada goose évoquera immédiatement cette dernière dans l'esprit du public, et que cela non seulement génère un profit indu en permettant d'attirer l'attention du consommateur de profiter de l'image de qualité associée à la marque, mais lui cause aussi un préjudice tenant à l'avilissement et la dilution du caractère distinctif de la marque.

34. Les sociétés Super brand licensing et Royal brand maker contestent toute contrefaçon au motif que les signes en cause présentent des différences qui excluent tout risque de confusion, les consommateurs accordant plus d'importance au terme d'attaque. Elles ajoutent que la connaissance par les consommateurs de la marque Canada goose et le fait que les produits en cause ne soient pas vendus dans les mêmes points de vente excluent d'autant plus l'existence d'un risque de confusion.

35. Contre le moyen tiré de la renommée, les défenderesses contestent l'existence d'un lien au regard de l'absence de similitude entre les signes, ainsi que le profit indu ou le préjudice qui serait causé, faisant valoir notamment que la demanderesse ne justifie pas sa qualité supérieure et est en croissance constante.

Réponse du tribunal

36. Le droit conféré par les marques de l'Union européenne est prévu par le règlement 2017/1001, à son article 9, rédigé en ces termes :

« 1. L'enregistrement d'une marque de l'Union européenne confère à son titulaire un droit exclusif.

2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d'une marque de l'Union européenne, le titulaire de cette marque de l'Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe pour des produits ou services lorsque :

a) ce signe est identique à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée;

b) ce signe est identique ou similaire à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public; le risque de confusion comprend le risque d'association entre le signe et la marque;

c) ce signe est identique ou similaire à la marque de l'Union européenne, indépendamment du fait que les produits ou services pour lesquels il est utilisé soient identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d'une renommée dans l'Union et que l'usage de ce signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque de l'Union européenne ou leur porte préjudice. »

37. L'atteinte au droit conféré par la marque de l'Union européenne est qualifiée de contrefaçon, engageant la responsabilité civile de son auteur, par l'article L. 717-1 du code de la propriété intellectuelle.

38. Il est constant que la société Royal brand maker fait usage, dans la vie des affaires, dans l'Union européenne (territoire sur lequel l'interdiction est demandée), du signe verbal Stone goose, décliné également sous plusieurs formes semi-figuratives, pour désigner des vêtements, dont des parkas.

a. Risque de confusion

39. Il a été démontré (ci-dessus, partie I.) que ce signe, pour des vêtements, ne créait pas de risque de confusion à l'égard de la marque verbale Canada goose, dans l'esprit du public français. Dans le reste de l'Union européenne, dont au moins une langue officielle est l'anglais, le public anglophone verra une ressemblance conceptuelle dans la mesure où la marque et le signe concernent tous deux une « oie ». La ressemblance reste toutefois faible entre une « oie du Canada » et une « oie de pierre », et l'effet de cette ressemblance conceptuelle est compensé par le lien fait entre cet animal et le duvet susceptible de composer certains vêtements, comme les manteaux. Enfin, rien n'est allégué dans l'usage de ce signe qui pourrait modifier cette analyse. Aucun risque de confusion n'est donc établi, de sorte qu'aucune atteinte au droit conféré par la marque n'est caractérisée à l'égard de l'article 9, paragraphe 2, sous b).

b. Atteinte à la renommée

Renommée

40. Il résulte de l'article 16, paragraphe 2, du règlement 2017/1001, et de l'article 18, paragraphe 1, de la directive 2015/2436, qui renvoient à l'article 8 de cette directive, que la date d'appréciation de la renommée de la marque antérieure lorsqu'elle est opposée à une marque enregistrée postérieurement n'est pas la date des faits d'usage litigieux, mais celle de la demande d'enregistrement de la marque postérieure, si à cette date elle était plus faible. Toutefois, au cas présent, les parties n'allèguent pas que la renommée de la marque verbale Canada goose se soit accrue depuis novembre 2017 ou avril 2018.

41. Les défendeurs ne contestent pas que la marque verbale Canada goose est renommée dans l'Union européenne pour les produits pour lesquels elle est enregistrée, c'est-à-dire les « vêtements et vêtements d'extérieur, à savoir manteaux, vestes, pulls, blouses, gilets, chemises, pantalons et anoraks ». Cette renommée résulte de ce que cette marque fait l'objet depuis plus de 10 ans d'une exploitation commerciale relativement importante, d'une couverture médiatique favorable, et d'une publicité qui compense en partie sa faible part de marché, les prix très élevés pratiqués (de 700 à 1 000 euros pour un manteau) la limitant à une frange réduite du public pertinent des produits concernés (c'est-à-dire le grand public). Ces éléments montrent aussi que la renommée de la marque Canada goose reste modérée : l'exploitation commerciale alléguée concerne un nombre de points de vente non négligeable en valeur absolue, notamment en France et en Allemagne (environ 200), mais qu'il faut rapporter à l'ensemble du marché des produits concernés (les vêtements) sur ces territoires qui sont les deux plus peuplés de l'Union ; la couverture médiatique favorable reste ponctuelle, et rien n'indique que la publicité donnée à la marque la place sensiblement au-dessus d'autres marques relativement bien identifiées par le public dans ce secteur très concurrentiel.

Atteinte à la renommée

42. Le juge qui considère que la condition tirée de la renommée est remplie doit procéder à l'examen de la seconde condition prévue au texte, à savoir l'existence d'une atteinte sans juste motif à la marque antérieure ; à cet égard, il convient d'observer que plus le caractère distinctif et la renommée de celle-ci seront importants, plus l'existence d'une atteinte sera aisément admise (CJCE, 14 septembre 1999, General Motors Corporation, C-375/97, point 30).

43. L'atteinte peut être de trois types : premièrement, le préjudice porté au caractère distinctif de la marque antérieure, deuxièmement, le préjudice porté à la renommée de cette marque et, troisièmement, le profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de ladite marque (CJCE, 27 novembre 2008, Intel corporation, C-252/07, point 27).

44. Une telle atteinte suppose (sans que cela suffise à la caractériser) qu'en raison d'un certain degré de similitude entre les signes, le public concerné effectue un rapprochement entre eux, c'est-à-dire qu'il établisse un lien, même s'il ne les confond pas. L'appréciation de ce lien repose notamment sur le degré de similitude entre les signes, le degré de ressemblance ou de dissemblance entre les produits ou services, le public concerné, l'intensité de la renommée, le degré de caractère distinctif de la marque (CJCE, Intel, précité, points 30 et 31, et point 42).

45. Ces critères font également partie des facteurs pertinents pour apprécier plus généralement l'existence (ou le risque) d'une atteinte (CJCE, Intel, précité, point 68).

46. Au cas présent, les consommateurs de vêtements et vêtements d'extérieur, confrontés au signe Stone goose, sont susceptibles d'effectuer un rapprochement avec la marque verbale Canada goose, qu'ils connaissent déjà pour les mêmes produits, au regard de l'identité du deuxième terme qui les compose.

47. Néanmoins, la renommée de la marque n'est pas telle que la reprise du seul terme goose (sans le terme d'accroche Canada) suffise à attribuer à tout autre usage qui l'inclurait, quel qu'il soit, une aura empruntée à la marque. Et, ici, la faible similitude entre le signe Stone goose et la marque Canada goose (démontrée ci-dessus, points 17 à 23, et point 39) ne permet pas, à cet égard, d'établir une influence sur le choix des consommateurs, que rien n'incite à choisir un produit Stone goose du seul fait qu'ils connaissent déjà l'existence de la marque Canada goose. Il n'y a donc pas de profit indu.

48. Il en résulte également que l'éventuelle qualité inférieure des produits Stone goose (à la supposer établie) n'a pas de répercussion sur la renommée de la marque Canada goose ; et que cette marque ne voit pas son caractère distinctif affaibli du fait de l'usage de ce signe.

49. L'atteinte alléguée à la renommée de la marque verbale Canada goose n'est donc pas caractérisée.

50. Par conséquent, en l'absence d'atteinte au droit conféré par la marque, les demandes en dommages et intérêts, interdiction, rappel, droit d'information et publication du fait de l'usage du signe Stone goose sont rejetées.

IV . Demandes fondées sur l'atteinte à la marque figurative Canada goose

1 . Fin de non-recevoir tirée de la transaction conclue entre les parties

Moyens des parties

51. Les défendeurs soulèvent l'irrecevabilité de la société Canada goose en ses demandes fondées sur « des faits ayant fait l'objet du protocole transactionnel du 29 décembre 2015, en application de l'article 2052 du code civil » (conclusions en défense, dispositif). Les faits invoqués à cet égard sont d'une part le dépôt en 2015 par M. [W] de marques semi-figuratives ‘Geographical Norway' (conclusions en défense p. 47), d'autre part de façon générale le paiement d'une indemnité à la société Canada goose, sans préciser les faits à l'origine du préjudice que cette indemnité devait réparer (p. 51). La transaction de 2015 est évoquée par ailleurs dans la discussion sur la contrefaçon, mais non pour en soulever l'autorité de la chose jugée, simplement en tant qu'indice de ce que la demanderesse aurait par le passé estimé les signes litigieux comme non contrefaisants (ce qui sera donc examiné au fond).

52. La société Canada goose répond que les défendeurs ne peuvent se prévaloir de la transaction dès lors qu'ils ne l'ont pas exécutée eux-mêmes, en ne respectant pas l'obligation de cesser d'utiliser le logo correspondant à la demande de marque Geographical Norway de 2015, ou tout autre signe similaire à celle-ci ou à la marque figurative Canada goose.

Réponse du tribunal

53. En vertu de l'article 2052 du code civil, la transaction fait obstacle à l'introduction ou à la poursuite entre les parties d'une action en justice ayant le même objet. Toutefois, elle ne met fin au litige que sous réserve de son exécution, et ne peut être opposée par l'une des parties que si celle-ci en a respecté les conditions (Cass. 1re Civ., 12 juillet 2012, no09-11.582, cité par la société Canada goose).

54. Aux termes de la transaction (pièce Canada goose no11), M. [W] et la société Artextyl s'engageaient à retirer trois demandes de marques litigieuses, à payer une indemnité de 5 000 euros, et à ne pas faire usage de signes similaires à la marque figurative Canada goose.

55. Or la société Artextyl admet avoir fait usage d'un certain nombre de signes (conclusions en défense, pp. 20-22), dont quelques-uns sont similaires à la marque figurative Canada goose (cf ci-dessous points 68 et 70). Elle a ainsi manqué à ses obligations et ne peut donc se prévaloir de la transaction.

56. S'agissant de M. [W], il n'est pas contesté qu'il a retiré les demandes de marques visées par la transaction et que le paiement de l'indemnité a été fait. Les seuls faits d'usage de signes similaires à la marque, postérieurs à la transaction, allégués contre lui par la société Canada goose, sont des faits commis en tant que dirigeant de la société Artextyl (conclusions de la société Canada goose, p. 58). Il ne peut ainsi être recherché qu'au titre de la responsabilité personnelle du dirigeant (ci-dessous, partie 3.). Dans la mesure où c'est bien sous cet angle qu'est formée la demande en contrefaçon, celle-ci est recevable également à l'égard de M. [W].

57. Par conséquent, la fin de non-recevoir est écartée.

2 . Atteinte au droit conféré par la marque

Moyens des parties

58. La société Canada goose soutient que la société Artextyl et M. [W] ont commis des actes de contrefaçon de sa marque figurative en faisant usage de signes semi-figuratifs Geographical Norway. Elle fait valoir que les produits sont identiques, que les signes sont fortement similaires, les éléments figuratifs étant dans les deux cas dominants. Or, selon elle, le logo litigieux reprend les éléments figuratifs distinctifs et renommés de la marque invoquée. Elle conclut qu'il existe un risque de confusion entre les signes qui est renforcé par la renommée de la marque et le fait que les logos litigieux soient apposés sur la manche des vêtements, comme la marque figurative Canada goose.

59. En réponse aux défendeurs sur la distinctivité de la marque invoquée, la société Canada goose estime inopérant le fait que l'usage d'un écusson sur des vêtements soit courant, l'originalité n'étant pas un critère en matière de droit des marques, et l'existence d'un logo tiers similaire à une marque enregistrée n'ayant aucune incidence sur la distinctivité de celle-ci. S'agissant de l'utilisation à titre de marque, elle répond que les consommateurs sont habitués à identifier l'origine commerciale d'un vêtement par les logos qui y sont apposés ; que M. [W] avait procédé au dépôt du logo en cause comme marque avant de retirer sa demande ; et que le logo litigieux est reproduit non seulement sur les vêtements mais aussi sur leurs étiquettes, confirmant leur vocation d'indication d'origine commerciale. Ainsi, selon elle, les défendeurs ne peuvent soutenir que ce logo n'est pas utilisé à titre de marque.

60. La société Artextyl et M. [W] répliquent tout d'abord que les éléments figuratifs de la marque invoquée ne présentent pas de caractère distinctif pour désigner les produits visés au dépôt dès lors qu'il existe de nombreux logos de forme circulaire présentant au centre une forme géographique en blanc sur fond bleu et des inscriptions autour, et qu'en particulier, la marque figurative Canada goose est la reprise de l'intégralité des caractéristiques de l'écusson des expéditions polaires américaines. Ainsi, selon eux, le caractère distinctif résulte seulement de la dénomination « Canada Goose Arctic Program » d'un côté et « Geographical Norway » de l'autre.

61. Ils ajoutent que le signe litigieux n'est pas utilisé à titre de marque et ne porte donc pas atteinte à la fonction de la marque, car la société Artextyl utilisant un grand nombre d'écussons différents, les produits sont identifiés uniquement par le signe verbal « Geographical Norway ». De même, selon eux, comme les éléments figuratifs des signes en présence sont dépourvus de caractère distinctif, il ne peut leur être reproché l'utilisation, à titre décoratif, d'un écusson faisant référence à ceux des expéditions polaires.

62. En tout état de cause, ils contestent toute ressemblance entre les signes, tant visuellement (les formes géographiques et les mentions verbales étant différentes, et le signe litigieux présentant parfois un drapeau norvégien au centre), que phonétiquement ou conceptuellement. Ils ajoutent que le fait que la marque invoquée soit bien connue du public exclut d'autant plus le risque de confusion.

63. Enfin, ils font valoir que la société Canada Goose a implicitement reconnu l'absence de contrefaçon de sa marque, dès lors que l'ensemble des logos litigieux n'ont pas été inclus dans le protocole d'accord transactionnel alors que la demanderesse en avait connaissance selon eux.

Réponse du tribunal

64. Le droit conféré par les marques de l'Union européenne est prévu par le règlement 2017/1001, à son article 9, précité ci-dessus au point 36, et l'atteinte à ce droit est qualifiée de contrefaçon, engageant la responsabilité civile de son auteur, par l'article L. 717-1 du code de la propriété intellectuelle.

a. Faits en cause

Faits allégués

65. L'article 768 du code de procédure civile (applicable aux instances en cours et reprenant en toute hypothèse les dispositions identiques de l'ancien article 753) dispose que les conclusions doivent formuler expressément les prétentions des parties ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée ; que les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu'un dispositif récapitulant les prétentions ; et que le tribunal n'examine les moyens au soutien des prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

66. Cette obligation repose sur le principe de la contradiction qui impose que la partie adverse soit en mesure de comprendre et de contredire ce qui lui est opposé, sans risque d'omettre un moyen qui n'aurait pas été soulevé clairement. Elle contribue corrélativement à la bonne administration de la justice et limite le risque d'erreur par le tribunal dans l'exercice de son office.

67. Au soutien de ses prétentions fondées sur la contrefaçon, la société Canada goose reproche à M. [W] et à la société Artextyl l'usage de signes qu'elle regroupe sous l'appellation « Logos Geographical Norway » (ses conclusions, p. 27). Cette appellation est introduite dans l'exposé des faits, ce qui peut tout de même permettre d'en tenir compte si la discussion y fait référence de façon explicite et que la définition en est claire ; mais, d'une part, la discussion n'y renvoie pas explicitement (seul le recours à des majuscules indique que cette expression est probablement définie quelque part, sans que rien n'indique où a lieu cette définition), d'autre part l'expression n'est pas même clairement définie dans l'exposé des faits : elle est seulement introduite (p. 14) comme désignant « ces logos et leurs variantes », ce qui renvoie à une énumération antérieure non exhaustive (« démontre notamment l'usage des logos suivants », « produits revêtus de logos similaires », « à titre d'exemple »), ce qu'ont au demeurant expressément critiqué les défendeurs (leurs conclusions, p. 50). Cette expression « Logos Geographical Norway » ne renvoie donc pas en elle-même à un ou des moyens de faits susceptibles de fonder la réponse à une ou plusieurs prétentions.

68. Il faut alors limiter l'analyse aux seuls faits expressément soulevés dans la discussion relative à la contrefaçon (pp. 27 et suivantes), c'est-à-dire en premier lieu la vente de vêtements revêtus des trois écussons suivants (ci-après, respectivement, les signes 1, 2 et 3) :
69. L'analyse doit porter en second lieu sur les signes suivants, qui sont soulevés également mais seulement au soutien de la démonstration relative à l'atteinte à la renommée de la marque, désignés comme les « Nouveaux Logos Geographical Norway » (conclusions en demande, p. 44) (ci-après, respectivement, les signes 4, 5, 6, en première ligne, 7 et 8 en deuxième ligne) :

preuve de l'usage par la société Artextyl

70. La société Artextyl admet, et même revendique, l'usage sur des vêtements des signes 1 à 7, parmi un ensemble de signes divers cités pour prouver le caractère décoratif de leur usage (conclusions en défense pp. 20-22). L'usage du signe 8 n'est pas expressément admis, et contrairement à ce qu'affirme la société Canada goose, il ne ressort pas de la saisie-contrefaçon du 7 juin 2018, dont les photographies ne montrent aucun vêtement qui en serait revêtu ; mais il ressort de la saisie-contrefaçon du 21 décembre 2015.

71. S'agissant de M. [W], la demanderesse recherche sa responsabilité, au titre de la contrefaçon, en tant que dirigeant de la société Artextyl, ce qui dépend, notamment, de la gravité des faits imputables à celle-ci, et sera donc examiné en deuxième lieu.

b. Risque de confusion

72. La Cour de justice de l'Union européenne a précisé que le droit exclusif du titulaire de la marque, qui n'est pas absolu, ne l'autorise à s'opposer à l'usage d'un signe par un tiers en vertu de l'article 9, dans les conditions énumérées au paragraphe 2, sous a) et b), que si cet usage porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque, et notamment à sa fonction essentielle, qui est de garantir aux consommateurs la provenance du produit ou du service (CJCE, 12 novembre 2002, Arsenal football club, C-206/01, point 51 ; plus récemment, CJUE, 25 juillet 2018, Mitsubishi, C-129/17, point 34).

73. Dans le cas où l'article 9, paragraphe 2, sous a) est applicable (double identité de signes et de produits ou services), il peut s'agir d'une atteinte à l'une quelconque des fonctions de la marque : non seulement la fonction essentielle (garantie de provenance), mais aussi celle qui consiste « à garantir la qualité de ce produit ou de ce service, ou celles de communication, d'investissement ou de publicité » (CJCE, 18 juin 2009, L'Oréal, C-487/07, point 58).

74. Dans le cas prévu au paragraphe 2, sous b) (similitude de signes et de produits ou services), la condition spécifique de la protection est « le risque de confusion et donc une possibilité d'atteinte à la fonction essentielle de la marque » (L'Oréal précité, point 59). Autrement dit, en ce cas, le signe doit porter atteinte à la fonction d'indication d'origine « en raison d'un risque de confusion dans l'esprit du public » (CJCE, 12 juin 2008, O2 holdings, C-533/06, point 57 ; voir aussi CJUE, 3 mars 2016, Daimler, C-179/15, point 27).

75. Au cas présent, il résulte du procès-verbal de saisie-contrefaçon que les signes litigieux sont utilisés, dans la vie des affaires, sur des manteaux, des vestes polaires, des pantalons et des shorts, qui sont des produits identiques aux « Vêtements » pour lesquels la marque est enregistrée.

76. Les défendeurs contestent en faire un usage « à titre de marque » (car ils en feraient seulement un usage décoratif), c'est-à-dire, en termes de droit des marques, qu'ils contestent en faire un usage « pour des produits ou services » et contestent que cet usage porte atteinte à la fonction essentielle de la marque. Il faut rappeler en premier lieu que l'intention de celui qui utilise le signe est indifférente sur ce point, car seul compte l'effet de l'usage, qui s'apprécie par rapport à la perception qu'en a le public pertinent. En deuxième lieu, un signe peut avoir à la fois un rôle décoratif et celui d'indiquer l'origine commerciale du produit, outre qu'il peut aussi s'être vu assigner seulement une fonction décorative par son auteur mais avoir également pour effet de porter atteinte à une fonction de la marque.

77. Dans ce cadre, l'apposition sur des vêtements des signes litigieux qui, certes dotés d'un potentiel esthétique, restent en eux-mêmes aptes à distinguer une origine commerciale, est de façon évidente un usage « pour des produits ». Il est susceptible de porter atteinte à la fonction essentielle de la marque, ce qui doit alors être analysé de façon générale au regard des autres facteurs (selon les principes rappelés ci-dessus points 12 à 14).

Signe 2

78. Le signe 2 a en commun avec la marque (reproduite ci-dessous pour mémoire) d'être constitué d'un disque bleu, dans lequel se trouve une masse blanche, entouré d'un anneau blanc bordé de rouge dans lequel un texte est écrit en rouge.

79. En eux-mêmes, la forme circulaire, le motif central, le texte en périphérie, et le choix de couleurs contrastées sont des caractéristiques attendues des écussons apposés sur les vêtements, eux-mêmes usuels. Le public pertinent n'attachera donc pas beaucoup d'importance à ces éléments dans l'identification de l'origine commerciale du produit ; ils sont dès lors les plus faiblement distinctifs de l'ensemble, et ce sont les éléments décoratifs particuliers qui sont les plus déterminants dans la marque prise dans son ensemble.

80. À cet égard, dans le signe litigieux, il est évident que la masse blanche est une forme continentale, et plus précisément l'Australie, donc que le disque bleu est une carte ; tandis que dans la marque, on le suppose après un examen un peu plus attentif, que confirme également la partie verbale ‘Arctic program' qui indique le lien avec une expédition vers un lieu géographique ; la masse est, elle-même, non identifiable, mais avec l'aide, là encore, de la partie verbale, on suppose qu'il s'agit de la figuration stylisée d'un pôle, ce qu'encourage encore à penser la présence au centre de la masse blanche d'un petit symbole de cible ou de viseur dont partent, invisibles sous la masse blanche mais visibles sur le disque bleu, 12 rayons rouges écartés de façon régulière.

81. Au-delà de ces similitudes, le signe diffère de la marque de façon nettement visible en ce que sur la masse blanche du premier se trouve en grand le drapeau de la Norvège, et que le texte est beaucoup plus long et dense que dans la marque. À cet égard, si la société Canada goose soulève de façon pertinente que le texte n'est pas ici ce que le grand public verra en premier, il ne l'ignorera pas pour autant, et ce d'autant moins que, dans la marque, il est bien lisible, et contient la marque verbale Canada goose qui sert de confirmation à l'identification de l'origine commerciale exprimée par le signe dans son ensemble. En outre, le signe 2 ne contient ni le symbole du pôle, ni les rayons rouges, ni les petites feuilles d'érables rouges qui, dans la marque, remplacent de façon presque humoristique les étoiles rouges de l'écusson du « United States Antarctic Program » des États -Unis auquel la marque fait implicitement référence (reproduit ci-dessous, dont au demeurant l'antériorité est prouvée par la photographie de 1969 produite par les défendeurs dans leur pièce no16 et dont la marque en cause s'inspire de façon si flagrante qu'il est difficile de comprendre les dénégations de la société Canada goose sur ce point). Enfin, de façon moins immédiatement visible, la masse blanche du signe litigieux occupe une partie bien plus grande du disque bleu que dans la marque.
82. Ainsi, le signe 2 et la marque sont visuellement et conceptuellement similaires dans leur structure générale, mais diffèrent visuellement et conceptuellement sur plusieurs éléments nettement visibles qui compensent largement cette similitude. Ces différences pourraient être mineures si le public n'y consacrait qu'une attention faible, et c'est ce qui sous-tend, en définitive, l'argumentation de la société Canada goose ; mais le grand public achetant des vêtements y consacre une attention moyenne, et non une attention faible. Or avec une attention moyenne, le public remarquera immédiatement que le signe, avec son drapeau norvégien, et son texte très dense, ne correspond pas au souvenir, même imparfait, qu'il a gardé de la marque figurative Canada goose ; il constatera au contraire qu'alors que la marque contient, de façon très claire, et donc mémorisable, l'élément verbal Canada goose, le signe 2 ne le contient pas. Cet examen d'ensemble du signe et de la marque par le consommateur permet d'écarter toute confusion directe (le public ne prendra le signe 2 pour la marque figurative Canada goose).

83. Le caractère relativement générique des éléments communs, et l'importance des éléments divergents, permettent également d'écarter le risque d'une association (le public ne croira pas que le signe 2 est une déclinaison de la marque, ou indique un partenariat ou un aval du titulaire de celle-ci). En effet, les éléments les plus distinctifs de la marque, sur lesquels pourrait s'appuyer l'indication d'une déclinaison ou d'un partenariat, ne sont pas repris d'une façon qui pourrait passer pour identique à l'observateur d'attention moyenne : la masse continentale est ressemblante mais pas au point d'être prise pour la même, le texte ne reprend aucun mot commun, et notamment pas les termes Canada goose qui sont l'élément le plus distinctif de la partie verbale de la marque, et le drapeau, qui évoque un autre territoire que la marque, n'est pas rattaché à celle-ci par d'autres éléments qui pourraient laisser penser qu'il s'agirait d'une déclinaison géographique de la même marque.

84. En définitive, la ressemblance du signe 2 et de la marque repose sur des éléments partiels, dont certains sont relativement génériques, et qui ne suffisent pas pour que le public d'attention moyenne puisse croire que les produits en cause proviennent de la même entreprise ou d'entreprises liées économiquement, même s'agissant de produits identiques. Il peut être utilement rappelé enfin qu'aucune modalité de l'usage n'est alléguée qui pourrait encourager un risque de confusion. En particulier, les vêtements vendus par la société Artextyl sous les signes 1 à 8 ne sont pas les mêmes que les vêtements vendus par la société Royal brand maker sous le signe verbal Stone goose : il n'est pas allégué que les uns et l'autre soient exploités ensemble. Quant à la position du signe sur la manche, alléguée par la société Canada goose, elle n'est pas un facteur pertinent dès lors que la marque n'est pas enregistrée pour être apposée dans une position particulière, et que l'atteinte à une marque s'apprécie par rapport à l'enregistrement et non par rapport à la façon dont celle-ci est exploitée.

Signe 3

85. Le signe 3 est identique au signe 2 à ceci près que l'Australie est en brun ou rouge sombre au lieu d'être en blanc, et que le drapeau de la Norvège n'y figure pas. L'absence du drapeau le rapproche de la marque, mais la couleur très nettement différente de la masse continentale l'en éloigne au moins autant. Ainsi, les mêmes considérations que celles retenues pour le signe 2 conduisent également à écarter le risque de confusion entre le signe 3 et la marque pour des vêtements.

Signe 1

86. A fortiori, le signe 1 qui est identique au signe 2 à ceci près que son fond n'est pas bleu, mais noir (ou très sombre), et que l'Australie est bordée d'un trait rouge, deux éléments qui l'éloignent significativement de la marque, ne suscite pas de risque de confusion.

87. Par conséquent, aucune atteinte à la marque figurative Canada goose n'est caractérisée du fait de l'usage des signes litigieux au regard de l'article 9, paragraphe 1, sous b) (risque de confusion).

c. Atteinte à la renommée

88. Le cadre juridique de l'atteinte à la renommée est rappelé ci-dessus points 36 et 42 à 45.

89.
La renommée de la marque figurative Canada goose repose sur les mêmes éléments que ceux examinés pour la marque verbale ; comme celle-ci, les défendeurs ne la contestent pas ; et par suite, comme celle-ci, elle peut être retenue, à un niveau intermédiaire, pour les mêmes motifs (cf ci-dessus, point 41).

90. Ainsi qu'il a été constaté en partie b. ci-dessus, les signes 2 et 3 ont en commun avec la marque des éléments qui constituent leur structure et déterminent l'impression visuelle qu'ils dégagent au premier regard. Si ces ressemblances ne suffisent pas à caractériser un risque de confusion, elles suffisent en revanche à ce qu'un rapprochement soit fait entre la marque et ces signes par le public.

91. Ce rapprochement repose, en particulier, sur le cumul d'une identité de structure et de couleurs (bleu et rouge), avec une similarité de forme de la masse continentale centrale, qui s'approche de celle d'un haricot (la partie basse en est concave, et la partie haute convexe dans l'ensemble, ou autrement formulé, sa surface forme un creux en bas et une bosse en haut). Cette analogie de forme découle du choix, dans les signes litigieux, de représenter l'Australie ; or ce choix, dont les défendeurs ne s'expliquent pas, n'a aucune cohérence avec ce qu'évoque la marque par ailleurs : l'élément verbal ‘Geographical Norway expedition' et le drapeau renvoient à la Norvège, à l'autre bout du monde ; le reste de l'élément verbal, ‘1953 Polar corp. Below zero' renvoie de même à un pôle, et à des températures négatives ; ce qui est sans rapport avec l'Australie, territoire de l'hémisphère sud au climat chaud. Il en résulte certes, comme le font valoir les défendeurs, que les signes en cause sont fantaisistes ; mais également, de façon plus significative, que ces signes fantaisistes sont conçus sans autre motif que celui de rechercher le rapprochement avec la marque Canada goose.

92. Les signes 2 et 3 signifient ainsi en eux-mêmes qu'ils sont une imitation de la marque figurative Canada goose ; le consommateur de vêtements, voyant l'un de ces signes arboré sur la manche d'un manteau, comprendra qu'il s'agit d'un « faux » Canada goose, fantaisiste certes, mais néanmoins assumé, ce qui a une incidence sur l'acte d'achat.

93. Dès lors, ces signes 2 et 3 tirent indûment profit de la renommée de la marque, et leur usage, qui porte de ce fait atteinte au droit conféré par celle-ci, est une contrefaçon engageant la responsabilité civile de la société Artextyl, qui en est l'autrice.

94. En revanche, les signes 1 et 4 à 8, qui ne reprennent pas la combinaison de couleurs caractéristiques de la marque, sont insuffisamment similaires à celle-ci pour qu'un lien soit fait entre eux et la marque par le consommateur. Par conséquent, les demandes en contrefaçon sont rejetées en ce qui concerne les signes 1, et 4 à 8.

3. Faute personnelle de M. [W] (au titre de la contrefaçon)

Moyens des parties

95. Invoquant le régime de la responsabilité personnelle des dirigeants de personnes morales, elle estime que M. [W], à titre personnel, est également responsable de la contrefaçon, en ce qu'il y aurait personnellement participé, en déposant en son nom les demandes de marques ayant fait l'objet de la transaction et en concédant des licences sur ces marques (avant la transaction), en étant le dirigeant de la société Artextyl qui a continué à exploiter les logos litigieux en connaissance de cause, en déposant les marques Stone goose dont il aurait confié l'exploitation à une autre société pour entretenir le flou sur leurs liens ; qu'il est ainsi personnellement à l'initiative des actes de contrefaçon commis par ces sociétés et qu'il s'agit d'une faute intentionnelle d'une particulière gravité, détachable des fonctions de dirigeant.

96. M. [W] fait valoir qu'il n'a exploité aucune marque à titre personnel, et que les fautes invoquées ne sont pas détachables de ses fonctions.

Réponse du tribunal

97. Le dirigeant d'une personne morale n'engage sa responsabilité personnelle dans l'exercice de ses fonctions que s'il commet intentionnellement une faute d'une particulière gravité, incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales (Cass. Com., 31 mars 2015, no13-19.432).

98. La société Artextyl a exploité divers signes dont deux (seulement) sont contrefaisants. Cet usage fait certes suites au dépôt d'autres marques ayant donné lieu à un différend, et à une transaction par laquelle elle s'était engagée à cesser tout usage de signes similaires à la marque figurative Canada goose. Il ne s'agit toutefois pas de décisions d'une telle gravité qu'elles seraient incompatibles avec l'exercice normal des fonctions sociales.

99. Les demandes dirigées contre M. [W] et fondées sur la contrefaçon sont donc rejetées.

4 . Réparation et autres mesures

Moyens des parties

100. Outre des mesures d'interdiction, de rappel, de confiscation et de destruction des produits litigieux, et de publication du présent jugement, la société Canada goose formule une demande au titre du droit d'information.

101. La demanderesse estime que la contrefaçon de sa marque figurative l'a privée des bénéfices qu'elle aurait pu percevoir sur la vente de parkas authentiques ; que les derniers comptes publiés par la société Artextyl (2017) montrent un chiffre d'affaires de 34 millions d'euros ; que les produits revêtus des logos litigieux représentent une part très significative du total ; qu'il est donc raisonnable d'estimer la masse contrefaisante à au moins 10% du chiffre d'affaires total, soit 3 millions d'euros par an, pendant 6 ans depuis 2015, pour un total de 18 millions d'euros ; que si une autorisation avait été demandée, une redevance d'au moins 10% aurait été fixée, qui doit être augmentée à 15% « pour tenir compte du contexte de contrefaçon » ; qu'elle aurait donc perçu un total de redevances de 2,7 millions d'euros ; qu'elle est ainsi fondée à obtenir au moins une provision d'un million d'euros.

102. Les défendeurs contestent la demande de droit d'information, considérant que certaines des informations sollicitées relèvent du secret des affaires, mais également que la demanderesse n'identifie pas précisément les écussons qu'elle considère litigieux.

103. Ils contestent également les demandes indemnitaires au motif qu'elles ne reposent, selon eux, sur aucun élément. Ils ajoutent que la société Canada goose a déjà bénéficié d'une indemnité dans le cadre du protocole d'accord transactionnel.

Réponse du tribunal

104. En vertu de l'article L. 716-4-10 du code de propriété intellectuelle, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en compte distinctement les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée, le préjudice moral causé à cette dernière, et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.

105. Le second alinéa de cet article prévoit, à titre alternatif et à la demande de la partie lésée, la possibilité d'allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire, supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte ; et qui n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.

106. Ces dispositions doivent être interprétées, d'une part, à la lumière du principe de réparation intégrale, en vertu duquel la partie lésée doit se trouver dans la situation qui aurait été la sienne en l'absence des faits litigieux, sans perte ni profit pour elle ; d'autre part, à la lumière de la directive 2004/48 sur le respect des droits de propriété intellectuelle, qui prévoit à son article 13 que les dommages et intérêts doivent être adaptés au préjudice que le titulaire du droit « a réellement subi du fait de l'atteinte ».

107. Par ailleurs, l'article L. 716-4-11 du même code prévoit notamment le rappel des produits contrefaisants des circuits commerciaux, ou leur destruction, et toute mesure appropriée de publicité, aux frais du contrefacteur.

108. Et l'article L. 716-4-9, appliquant l'article 8 de la directive 2004/48 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, prévoit au bénéfice du demandeur à l'action en contrefaçon un droit d'information en vertu duquel la juridiction peut ordonner, s'il n'existe pas d'empêchement légitime, au besoin sous astreinte, afin de déterminer l'origine et les réseaux de distribution des produits ou procédés argüés de contrefaçon qui portent atteinte aux droits du demandeur, la production de tous documents ou informations détenus par le défendeur ou par toute personne qui a été trouvée en possession de produits argüés de contrefaçon ou mettant en oeuvre des procédés argüés de contrefaçon ou qui fournit des services utilisés dans de prétendues activités de contrefaçon ou a été signalée comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution de ces produits, la mise en oeuvre de ces procédés ou la fourniture de ces services.

Interdiction et rappel

109. L'usage dans la vie des affaires des signes 2 et 3, qui portent atteinte au droit conféré par la marque figurative Canada goose, est interdit, et une astreinte est nécessaire. Le rappel et la destruction des produits concernés doivent également être ordonnés en tant que de besoin, sous astreinte également. Il est rappelé que la preuve de l'exécution d'une obligation de faire incombe à son débiteur ; la société Artextyl est donc invitée à se ménager par tout moyen la preuve du rappel et de la destruction qui lui sont ordonnés.

Indemnité provisionnelle

110. La saisie-contrefaçon du 7 juin 2018 révèle que sur 8 modèles présents sur les lieux (l'huissier en a constaté 9 mais les défendeurs ont obtenu la nullité s'agissant du 1er, qui ne peut donc pas être pris en compte dans ce jugement, bien que cela eût été dans leur intérêt), seul 1 est revêtu (sur son étiquette) de signes contrefaisants. Ce modèle, référencé ‘Trophy Lady', est toutefois celui qui était présent dans le plus grand nombre de couleurs différentes, ce qui indique qu'il est l'un des plus vendus.

111. Le constat sur l'internet du 27 février 2018 (pièce Canada goose no14) est critiqué à juste titre par les défendeurs pour la mauvaise qualité de ses images, et celles qui permettent de constater un signe circulaire ne contiennent aucun des signes expressément argüés de contrefaçon par la demanderesse (cf ci-dessus points 65 à 69). Il en va de même du constat du 29 octobre 2015, et de la saisie-contrefaçon du 21 décembre 2015.

112. La société Artextyl n'a pas communiqué ses comptes, et ne conteste pas que ceux de 2017, invoqués par la demanderesse, sont les derniers publiés. Elle n'apporte aucune information sur la part relative de ses différents modèles dans son chiffre d'affaires, et il ne peut notamment être exclu que d'autres modèles aient été revêtus des mêmes étiquettes que le Trophy lady. Un droit d'information est alors nécessaire.

113. Pour fixer la provision, la demanderesse peut être suivie dans sa méthode extrapolant le chiffre d'affaires de 2017 pour les autres années depuis 2015 (étant rappelé que la transaction n'ayant pas été respectée, elle n'est pas opposable), sur 6 années. En adaptant cette méthode à la part a priori très minoritaire de modèles contrefaisants sur l'ensemble des modèles vendus, la provision peut être fixée à 150 000 euros.

Droit d'information

114. Le droit d'information doit être adapté à la réalité de la contrefaçon. Il ne peut porter que sur des produits revêtus (y compris sur l'étiquette) de l'un ou l'autre des deux signes contrefaisants. Ainsi, et dans la limite de la demande formée par la société Canada goose, il faut ordonner à la société Artextyl de communiquer le nombre total de vêtements vendus revêtus du signe 2 ou du signe 3, depuis 2010 (cette date n'est pas contestée en défense), le chiffre d'affaires et la marge correspondants, attestés par son expert comptable.

115. En revanche, la société Canada goose n'expose pas en quoi la recherche des fournisseurs de la société Artextyl permettrait la découverte d'autres personnes responsables de la contrefaçon ou de mieux déterminer le préjudice, alors qu'il est constant que la société Artextyl est la personne à l'origine de cette contrefaçon et du réseau de distribution des produits contrefaisants. La recherche demandée serait alors disproportionnée.

116. Une astreinte est nécessaire pour le droit d'information. Toutes les astreintes prononcées pourront être liquidées, le cas échéant, par le juge de l'exécution, qui a la compétence de principe à cet égard et devant lequel la procédure est plus adaptée.

Publication

117. La contrefaçon commise par la société Artextyl repose sur la volonté d'attirer le public par le rapprochement avec la marque de la demanderesse ; la réparation de ces faits requiert une information de ce public, ce qui est proportionné à l'ampleur relativement importante de la contrefaçon. Cette information peut se limiter néanmoins au site internet de la société Artextyl et à 2 journaux. La communication par la société Artextyl sur son site internet, au regard de son enjeu, doit être faite sous une astreinte particulièrement élevée. Il est rappelé que la preuve de l'exécution d'une obligation de faire incombe à son débiteur ; la société Artextyl est donc invitée à se ménager par tout moyen la preuve du début et de la durée de la publication qui lui est ordonnée.

V . Demandes subsidiaires en parasitisme dirigées contre M. [W]

118. La fin de non recevoir tirée de la transaction est également opposée à la demande en parasitisme. Le même raisonnement que pour la demande en contrefaçon s'applique (ci-dessus, point 56) : M. [W] n'ayant, à titre personnel, fait usage d'aucun signe, il a respecté la transaction ; seule la violation de la transaction par la société Artextyl peut être invoquée, ce dont il résulte à l'égard de M. [W] que sa responsabilité personnelle à raison de l'objet de la transaction ne peut être recherchée qu'en tant que dirigeant de cette société. Et c'est bien à ce titre que la société Canada goose forme sa demande, laquelle est donc recevable.

Moyens des parties

119. La société Canada goose reproche à M. [W] de s'être « inscrit au centre d'un ensemble de comportements parasitaires » à son égard, par le dépôt, en 2004 et 2005, de marques ‘Norwegian goose' et ‘Canadian moose', qu'il n'a abandonnées qu'en 2021 ; par le dépôt des marques Stone goose ; par le dépôt d'une marque Canadian brothers ; par l'exploitation de ces signes par l'intermédiaire de plusieurs sociétés dont il est en réalité le bénéficiaire effectif.

120. M. [W] réplique que dès lors qu'il n'exploite pas les marques litigieuses ni ne commercialise de vêtements revêtus des signes en cause, il ne saurait être condamné pour parasitisme. Il conteste par ailleurs les arguments développés par la demanderesse, qu'il considère comme dénués de pertinence. Il conteste enfin les demandes indemnitaires, considérant qu'elles ne sont pas justifiées.

Réponse du tribunal

121. Est fautif, au sens de l'article 1240 du code civil, le fait, pour un agent économique, de se placer dans le sillage d'une entreprise en profitant indûment des investissements consentis ou de sa notoriété, ou encore de ses efforts et de son savoir-faire ; qualifié de parasitisme, il résulte d'un ensemble d'éléments appréhendés dans leur globalité (Cass. Com., 4 février 2014, no13-11.044 ; Cass. Com., 26 janvier 1999, no 96-22.457), et qu'il faut interpréter au regard du principe de liberté du commerce et de l'industrie.

122. Les marques ‘Norwegian goose' et ‘Canadian moose' manifestent, de façon presque caricaturale, la recherche d'un rapprochement avec la marque verbale Canada goose ; toutefois, comme les autres dépôts en cause, ils n'ont en eux-même, en tant que dépôts de marque, aucune conséquence concrète ; ils ne sauraient dès lors caractériser un parasitisme et ne peuvent, comme l'explique au demeurant la société Canada goose elle-même, servir qu'à démontrer l'intention de leur auteur derrière les faits qu'il a commis.

123. Mais ces faits eux-mêmes ne consistent qu'en l'exploitation faite par des sociétés dont M. [W] était le dirigeant. Or l'exploitation du signe Stone goose n'est pas fautive, et aucune exploitation des marques Norwegian goose, Canadian moose, Canadian brothers (à supposer celle-ci fautive) n'est démontrée.

124. Aucune faute n'est donc imputable à M. [W] et les demandes dirigées contre lui sont par conséquent rejetées.

VI. Dispositions finales

125. Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. L'article 700 du même code permet au juge de condamner en outre la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre, pour les frais exposés mais non compris dans les dépens, une somme qu'il détermine, en tenant compte de l'équité et de la situation économique de cette partie.
126. La société Artextyl perd le procès dans son principe dès lors qu'elle n'admettait pas le caractère contrefaisant des deux signes interdits. Elle est donc tenue aux dépens.

127. Elle gagne néanmoins le procès à l'égard des autres signes litigieux dont l'usage lui était reproché. L'indemnité due à la demanderesse pour ses autres frais, pour en tenir compte, et tenir compte plus généralement du travail perceptible consacré à la recherche, à la preuve et à la tenue du procès, est alors fixée à 20 000 euros.

128. La société Canada goose perd le procès à l'égard des autres défendeurs. Elle doit donc les indemniser de leurs frais, qui peuvent être estimés, en tenant compte de la même manière de l'ampleur perceptible du travail consacré, à 15 000 euros.

129. L'exécution provisoire est nécessaire en raison de la mauvaise foi de la société Artextyl. Elle est compatible avec la nature de l'affaire, y compris avec la publication. Contrairement à ce que soutient la défenderesse qui s'oppose à l'exécution provisoire pour la publication, la longueur des « délais de la justice, très éloignés des délais de la vie des affaires » n'est pas un motif justifiant d'écarter l'exécution provisoire, mais précisément un motif rendant celle-ci nécessaire. Enfin une telle publication n'est pas irréversible, le public informé d'une condamnation en premier ressort aujourd'hui pouvant naturellement être informé plus tard d'une éventuelle infirmation par la cour d'appel.

PAR CES MOTIFSLe tribunal :

Rejette la demande en nullité des marques françaises Stone goose 4408740 et 4447822 ;

Annule partiellement le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 7 juin 2018, à savoir uniquement de sa 3e page, à partir de « le premier produit saisi », à la 4e page, jusqu'à « je prends 6 clichés photographiques de ce modèle. », ses photographies 1 à 6, et en ce qu'il a été procédé à la saisie réelle du premier produit décrit ;

Rejette toutes les demandes formées au titre de l'usage des signes Stone goose ;

Interdit à la société Artextyl de (faire) fabriquer ou commercialiser dans l'Union européenne tout vêtement revêtu (ou dont l'étiquette est revêtue) de l'un ou l'autre des deux signes suivants (en couleur, tels qu'ils sont décrits dans les motifs, points 78 à 85, mais indépendamment de la couleur du fond sur lequel ils sont apposés), et ce sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée qui commencera à courir 5 jours après la signification du jugement et courra pendant 90 jours ;

Ordonne à la société Artextyl de rappeler des circuits commerciaux et détruire les produits revêtus (ou dont l'étiquette est revêtue) de l'un ou l'autre de ces signes, et ce dans un délai de 30 jours suivant la signification puis sous astreinte de 500 euros par jour de retard qui courra pendant 90 jours ;

Ordonne à la société Artextyl de communiquer à la société Canada goose une attestation de son expert comptable relative à l'ensemble du chiffre d'affaires et de la marge réalisés sur tout vêtement revêtu (ou dont l'étiquette est revêtue) de l'un ou l'autre de ces deux signes, et ce dans un délai de 45 jours à compter de la signification du jugement, puis sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard qui courra au maximum pendant 90 jours ;

Condamne la société Artextyl à payer à la société Canada goose une provision de 150 000 euros de dommages et intérêts pour la contrefaçon de la marque figurative Canada goose ;

Rejette les demandes en contrefaçon à raison de l'usage des autres signes litigieux (identifiés aux points 68 et 69 du jugement) ;

Rejette les demandes dirigées contre M. [W] ;

Ordonne à la société Artextyl de publier sur la page d'accueil du site artextyl.com, de façon très visible et attirant immédiatement le regard, le communiqué qui suit, et ce pendant 90 jours, à commencer au plus tard dans un délai de 10 jours suivant la signification du jugement puis sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard, qui courra au maximum pendant 90 jours :

« La société Artextyl, qui commercialise des vêtements sous la marque Geographical Norway, a été condamnée en premier ressort par le tribunal judiciaire de Paris le 12 mai 2023 pour contrefaçon de la marque figurative Canada goose du fait de l'usage de ces signes : . » ;

Étant précisé que les signes figuratif dans les communiqués publiés devront être en couleur et dans une résolution suffisante pour lire leur texte périphérique, même si tel n'est pas parfaitement le cas sur la minute du jugement ;

Autorise la société Canada goose à faire publier ce même communiqué dans 2 journaux ou magazines de son choix aux frais de la société Artextyl, qui les lui remboursera sur présentation d'une facture dans la limite de 5 000 euros par publication ;

Condamne la société Artextyl aux dépens, l'avocat de la société Canada goose pouvant recouvrer ceux dont il aurait fait l'avance sans en recevoir provision ;

Condamne la société Artextyl à payer 20 000 euros à la société Canada goose au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Canada goose à payer 15 000 euros (au total) au même titre à M. [W] et aux sociétés Royal brand maker et Super brand licencing ;

Ordonne l'exécution provisoire.

Fait et jugé à Paris le 12 mai 2023

Le Greffier La Présidente
Quentin CURABET Irène BENAC


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 18/12513
Date de la décision : 12/05/2023

Analyses

x


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire.paris;arret;2023-05-12;18.12513 ?
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