TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le:
■
1/4 social
N° RG 22/14645 -
N° Portalis 352J-W-B7G-CYRKU
N° MINUTE :
Assignation du :
06 Août 2019
JUGEMENT
rendu le 04 Juin 2024
DEMANDERESSE
Etablissement public POLE EMPLOI AUVERGNE RHONE ALPES
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Arnaud CLERC, avocat plaidant,#T0010, substitué par Me Ophélia YOVE, avocats au barreau de PARIS,
DÉFENDERESSE
Madame [C] [G]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Charles-edouard PONCET, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire #T736
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Paul RIANDEY, Vice-Président, statuant en juge unique.
assisté de Carla RODRIGUES, Greffière
DÉBATS
A l’audience du 28 Mars 2024 tenue en audience publique, après clôture des débats, avis a été donné aux conseils qu’une décision serait rendue le 04 Juin 2024.
JUGEMENT
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [H] épouse [G] s’est inscrite comme demandeur d’emploi auprès de Pôle Emploi et a perçu des allocations de retour à l’emploi au cours de la période du 14 février 2014 au 13 février 2016 pour un montant total de 149 431 euros nets.
A la suite d’un signalement du ministère des affaires étrangères du 28 septembre 2017 relatif à l’existence d’une résidence de Mme [G] en Chine pendant cette période d’indemnisation, Pôle Emploi a procédé à un contrôle approfondi de la situation de l’intéressée puis lui a notifié un trop perçu équivalent aux sommes perçues.
La demande d’effacement de la dette faite par Mme [G] auprès de l’instance paritaire régionale a été rejetée le 13 décembre 2018. La mise en demeure notifiée étant demeurée infructueuse, une contrainte a été émise le 25 juin 2019 par le directeur de Pôle emploi pour un montant de 149 431 euros de prestations indues et 4,71 euros de frais, soit un total de 149 435,71 euros. Cet acte lui a été signifié le 31 juillet 2019.
Par l’intermédiaire de son conseil, Mme [G] a formé opposition à cette mesure par requête motivée reçue au greffe du tribunal des affaires de sécurité sociale de [Localité 6] le 7 août 2019.
Les parties ont été convoquées à une audience du tribunal judiciaire de Paris, statuant en contentieux de sécurité sociale, fixée le 28 janvier 2020. Après plusieurs reports, l’affaire a été réorientée vers la chambre civile n° 1/4 du tribunal judiciaire, puis l’affaire a donné lieu à une radiation prononcée le 1er juin 2021.
Après réinscription de l’affaire en mise en état, la clôture est intervenue le 12 mars 2024.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 15 décembre 2023, Pôle Emploi devenue France Travail demande au tribunal, au visa de l’article R.111-2 du code de la sécurité sociale, les articles L.5411-2, L.5422-5, L.5426-2, R.5411-7, R.5411-8 et R.5426-20 du code du travail, les articles 1302 et 1302-1 du code civil, et le règlement général annexé à la convention du 19 février 2009, de :
- JUGER recevable la procédure de contrainte initiée par POLE EMPLOI ;
- JUGER que Madame [G] a procédé par voie de fraude et de fausse déclaration ;
- JUGER que Madame [G] ne remplissait pas les conditions pour être inscrite sur la liste des demandeurs d’emploi et a donc indument perçu l’allocation d’Aide au Retour à l’Emploi du 14 février 2014 au 13 février 2016 ;
En conséquence,
- REJETER l’opposition formée par Madame [G] ;
- CONFERER force exécutoire à la contrainte n°UN241901588 et, en conséquence, condamner Madame [G] à payer à POLE EMPLOI la somme de 149.435,71 euros avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure ;
À titre subsidiaire, si par extraordinaire, la contrainte litigieuse devait être annulée :
- DECLARER recevable la demande de remboursement de Pôle emploi au titre de la répétition de l’indu ;
- CONSTATER que Madame [G] a perçu les allocations chômage sans réunir les conditions d’inscription sur la liste des demandeurs d’emploi ;
En conséquence,
- CONDAMNER Madame [G] à payer à POLE EMPLOI la somme de 149 431 euros,
indûment perçus au titre des allocations chômage ;
En tout état de cause,
- DEBOUTER Madame [G] de l’ensemble de ses demandes ;
- CONDAMNER Madame [G] à payer à POLE EMPLOI la somme de 10.000 euros au titre de
son préjudice financier ;
- CONDAMNER Madame [G] à payer à POLE EMPLOI la somme de 2.000 euros au titre de
l’article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 7 février 2024, Mme [G] demande au tribunal, au visa du Règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JOUE n° L 166 du 30 avril 2004) entré en vigueur le 1er mai 2010, du Règlement (CE) n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d’application du règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JOUE n° L 284 du 30 octobre 2009) entré en vigueur le 1er mai 2010, de la Décision n°1/2012 du Comité mixte UE-SUISSE du 31 mars 2012 (JOUE n° L 103 du 13 avril 2012) entrée en vigueur le 1er avril 2012, du Règlement général UNEDIC annexé à la convention du 14 mai 2014, des articles L.5426-8-2, L.5422-5 et R.5426-20 du code du travail, de :
- JUGER l’opposition à la contrainte recevable,
- prononcer la nullité de la contrainte n° UN241901588,
A titre subsidiaire
- JUGER irrecevable les demandes reconventionnelles présentées par France Travail,
- JUGER la contrainte infondée pour cause de prescription,
A titre infiniment subsidiaire,
- JUGER la contrainte infondée,
- JUGER la demande de dommages et intérêt sans fondement,
En tout état de cause,
- CONDAMNER France Travail à payer à Madame [C] [G] 2500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
En application de l’article 455 et 768 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières écritures des parties pour l’exposé complet de leurs moyens, qui seront repris en substance dans les motifs de la présente décision.
MOTIFS DE LA DECISION
I) Sur la nature de la décision
L’ensemble des parties est représenté à l’instance. La décision sera donc contradictoire.
II) Sur la régularité de l’opposition
L'article R. 5426-22 du code du travail dispose : “Le débiteur peut former opposition au secrétariat du tribunal compétent dans le ressort duquel il est domicilié ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée au secrétariat dudit tribunal dans les quinze jours à compter de la notification. L'opposition est motivée. Une copie de la contrainte y est jointe. Cette opposition suspend la mise en oeuvre de la contrainte. La décision du tribunal, statuant sur opposition, est exécutoire de droit à titre provisoire”.
En l'espèce, la contrainte a été signifiée à Mme [G] le 31 juillet 2019.
Son conseil a formé opposition à cette contrainte le 9 août 2019 par courrier motivé déposé au greffe.
Le délai imposé par l'article R. 5426-22 du code du travail est donc respecté et l'opposition de Mme [G] est recevable.
III) Sur la nullité de la mise en demeure et de la contrainte
Mme [G] prétend que la preuve de l’envoi de la lettre de mise en demeure du 2 janvier 2019 n’est pas rapportée ; qu’il est versé une réédition de cette mise en demeure du 20 mai 2019 mais libellée à une ancienne adresse, alors que Pôle Emploi avait connaissance de sa nouvelle résidence ; qu’il n’est pas plus produit de preuve d’envoi ni d’avis de réception ; qu’au surplus, le motif de l’indu n’est pas motivé de manière intelligible et ne mentionne par les dates des versements litigieux.
France Travail répond qu’elle a envoyé une première fois la mise en demeure le 2 janvier 2021, qui est revenue avec la mention « n’habite pas à l’adresse indiquée » ; qu’elle a réexpédié la lettre de mise en demeure le 20 mai 2019 dont il est produit l’accusé de réception ; que la contrainte a ensuite été émise puis signifiée dans les délais prévus par la loi.
Réponse du tribunal
L’article L.5426-8-2 du code du travail dispose que « pour le remboursement des allocations, aides, ainsi que de toute autre prestation indûment versées par Pôle emploi pour son propre compte, pour le compte de l'organisme chargé de la gestion du régime d'assurance chômage mentionné à l'article L. 5427-1, pour le compte de l'Etat ou des employeurs mentionnés à l'article L. 5424-1, le directeur général de Pôle emploi ou la personne qu'il désigne en son sein peut, dans les délais et selon les conditions fixés par voie réglementaire, et après mise en demeure, délivrer une contrainte qui, à défaut d'opposition du débiteur devant la juridiction compétente, comporte tous les effets d'un jugement et confère le bénéfice de l'hypothèque judiciaire ».
L’article R.5426-20 du même code précise : « la contrainte prévue à l'article L. 5426-8-2 est délivrée après que le débiteur a été mis en demeure de rembourser l'allocation, l'aide ou toute autre prestation indue mentionnée à l'article L. 5426-8-1 ou de s'acquitter de la pénalité administrative mentionnée à l'article L. 5426-6.
Le directeur général de Pôle emploi lui adresse, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, une mise en demeure qui comporte le motif, la nature et le montant des sommes demeurant réclamées, la date du ou des versements indus donnant lieu à recouvrement ou la date de la pénalité administrative ainsi que, le cas échéant, le motif ayant conduit à rejeter totalement ou partiellement le recours formé par le débiteur.
Si la mise en demeure reste sans effet au terme du délai d'un mois à compter de sa notification, le directeur général de Pôle emploi peut décerner la contrainte prévue à l'article L. 5426-8-2 ».
Il résulte de ces dispositions que la notification d’une mise en demeure en lettre recommandée avec avis de réception doit précéder de plus d’un mois la délivrance d’une contrainte, et ce pour permettre à l’allocataire d’être en capacité de régulariser la situation d’indu. Le respect de cette formalité est un préalable nécessaire à la délivrance d’une contrainte, privilège légal conférant au directeur général de Pôle Emploi le pouvoir d’édicter un titre devenant exécutoire à défaut d’opposition motivée dans le délai restreint de quinze jours suivant sa notification. L’existence de son expédition est donc exigée à peine de nullité, peu important le fait que l’allocataire ne l’ait pas réceptionnée de manière effective, dès lors que Pôle Emploi prouve l’avoir expédiée à l’adresse dont il avait connaissance.
En l’espèce, il est produit une première expédition de la lettre de mise en demeure en date du 2 janvier 2019. Il est mentionné sur ce courrier [Adresse 5]. Toutefois, il n’est pas versé la preuve d’une expédition de cette lettre de mise en demeure à cette date. En effet, il est seulement communiqué le verso d’une enveloppe adressée à Mme [G] à l’adresse susmentionnée avec mention d’un retour à l’expéditeur pour « destinataire inconnu à l’adresse ». Toutefois, cette pièce ne permet de connaître ni l’identité de cet expéditeur ni la date de l’envoi.
Il est également communiqué une seconde lettre de mise en demeure du 9 juin 2023 avec comme adresse mentionnée [Adresse 2]. Toutefois, il n’est joint aucune preuve de l’expédition de ce courrier.
France Travail ne justifie donc de l’envoi d’aucune lettre de mise en demeure. Celle-ci est inexistante ou à tout le moins nulle.
A défaut de mise en demeure préalable valide, la contrainte établie le 25 juin 2019 est nulle.
IV) Sur la demande reconventionnelle en répétition de l’indû
Au préalable, France Travail précise qu’à supposer la contrainte nulle, sa créance n’est pas éteinte si bien qu’elle est fondée à solliciter le remboursement de l’indu à titre reconventionnel ; qu’elle soutient en particulier qu’en cas de fraude ou de fausse déclaration, la prescription est décennale, ce qui est le cas en l’espèce
Sur le fond, France Travail souligne que Mme [G] a procédé par fausse déclaration en prétendant lors de sa demande d’ouverture de droit à l’assurance chômage qu’elle résidait en France, alors qu’elle résidait sur le territoire chinois pendant sa durée d’indemnisation, ce qui s’évince des documents transmis par le ministère des affaires étrangères, de l’ambassade de France en Chine, de la direction des Finances publiques ou de la Caisse d’allocations familiales ; que ses explications données se sont avérées incohérentes, les déplacements prétendus entre la France et la Chine n’ayant pas, en tout état de cause, été déclarés ; qu’ainsi, Mme [G] ne prouve pas qu’elle a vécu de manière habituelle pendant la période d’indemnisation en France, ni qu’elle a déclaré ses absences de sa résidence prétendue en France.
En réponse, Mme [G] conteste en premier lieu la recevabilité de la demande reconventionnelle en répétition de l’indu en ce que d’une part, une demande reconventionnelle n’est ouverte que par le défendeur originel et que d’autre part, seule la voie de la contrainte permet de recouvrer l’indu ; qu’en outre, elle se prévaut de la prescription triennale, en visant un premier acte interruptif de prescription lié à la signification de la contrainte en date du 31 juillet 2019, soit plus de trois ans avant le versement de ses dernières allocations chômage ; que de plus, elle n’a jamais dissimulé ses déplacements en Chine dans le cadre d’une recherche d’emploi, ce dont elle n’a pas fait mystère lors de ses entretiens avec sa conseillère Pôle Emploi et l’absence de déclaration de ces déplacements ne saurait être constitutif d’une fraude.
Sur le fond, Mme [G] réitère le fait qu’elle a toujours résidé en France avant comme pendant sa période d’indemnisation ; tout au plus a-t-elle omis de déclarer son changement d’adresse entre [Localité 8] (74) et [Localité 6] (75) ; que les pièces communiquées par la partie adverse, ambiguës et contestables, ne peuvent dissimuler l’existence d’un délitement du lien entre les deux époux qui étaient séparés de fait ; que de son côté, elle n’a conservé aucune pièce permettant d’établir la durée de ses courts séjours en Chine pour ses recherches d’emploi, ni des justificatifs de présence en France, celle-ci n’étant pas « archiviste ».
Réponse du tribunal :
A titre liminaire, sur la recevabilité
Il est admis que l’annulation de la contrainte n’empêche pas France Travail de solliciter à titre reconventionnel le remboursement de l’indu. En effet, une telle annulation n’emporte pas extinction de la créance à l’égard de Mme [G], sous réserve de sa recevabilité et de son bien-fondé, la contrainte n’étant qu’une modalité permettant au Directeur général de Pôle Emploi d’obtenir un titre exécutoire aux fins de mettre en œuvre le recouvrement des sommes dues. La demande reconventionnelle de France Travail, qui a un lien direct avec l’objet de la contrainte contestée, est donc recevable à ce titre.
Par ailleurs, L.5422-5 du code du travail, l’indu d’allocations résultant d’une fraude ou d’une fausse déclaration se prescrit par dix ans. Aux termes du débat, le litige porte sur le fait pour Mme [G] d’avoir volontairement omis de déclarer sa résidence habituelle en Chine, alors qu’elle bénéficiait de paiement d’allocations de chômage. Une telle omission, à la supposer établie, constituerait une fausse déclaration volontaire.
Il s’en déduit que l’examen de la recevabilité dépend de la question de fond tendant à savoir si Mme [G] a procédé à une fausse déclaration volontaire pour obtenir le paiement des allocations de retour à l’emploi en application des dispositions applicables.
Les articles 2, 4 et 5 de la convention d’assurance chômage du 6 mai 2011 garantit sur le territoire métropolitain, dans les territoires d’outre-mer et dans certaines collectivités d’outre-mer un revenu de remplacement pendant une durée déterminée aux travailleurs involontairement privés d’emploi remplissant les conditions d’exigibilité au dispositif prévu par le règlement général annexé et les accords d’application.
Selon l’article 4 du règlement général annexé à la convention du 6 mai 2011, pour bénéficier d’une indemnisation, les salariés privés d’emploi justifiant de la durée d’affiliation requise doivent notamment être à la recherche effective et permanente d’un emploi et résider sur le territoire relevant du champ d’application du régime d’assurance chômage. L’article 25 §2 ajoute que l’allocation de retour à l’emploi n’est pas due lorsque l’allocataire cesse notamment de résider sur le territoire relevant du champ d’application du régime d’assurance chômage visé à l’article 4, alinéa 1er de la convention.
De plus, les articles R.5411-7 et R.5411-8 du code du travail précisent que le demandeur d’emploi informe, dans un délai de 72 heures, les services de Pôle Emploi de toute absence de sa résidence habituelle d’une durée supérieure à sept jours et de tout changement de domicile ou plus largement, de tout changement de sa situation.
En l’espèce, Pôle Emploi a reçu un signalement du 28 septembre 2017 de l’ambassade de France en Chine selon lequel Mme [G] était inscrite au registre des français établis hors de France et résidait en Chine depuis le mois de juillet 2011. La fiche de l’ambassade permettait de déterminer que l’intéressée demeurait à une adresse précise du district de Chaoyang dans l’agglomération de [Localité 7]. Une demande de renseignement faite auprès de la Direction générale des finances publiques permettait de déterminer qu’à l’adresse déclarée en France par Mme [G] à Pôle Emploi au [Adresse 5]) s’étaient succédés plusieurs habitants, dont M. [X]. [Y] et Mme [L] [B] respectivement pour la période du 27 mai 2014 au 22 avril 2016 puis à compter du 28 avril 2016.
Si dans une correspondance à Pôle Emploi du 30 août 2018, Mme [G] a déclaré avoir vécu de 2014 à 2018 chez sa mère, « à [Localité 4] », elle n’a pas déclaré cette adresse à Pôle Emploi lors de son inscription en 2014 et n’en a apporté aucune justification a posteriori. Elle admet l’existence d’une déclaration inexacte sur ce point dans ses écritures.
La résidence de la famille [G] à [Localité 7] au cours de cette période est corroborée par un formulaire de demande de bourses scolaires au profit du fils de Mme [G] pour l’année scolaire 2016/2017, établie par son époux. Il y était annexé une attestation de la CAF de Haute-Savoie du 14 octobre 2016 selon laquelle aucun des deux parents n’avait d’activité en France. La demande de bourse était également accompagnée d’un courrier du 2 septembre 2016 de M. [G] déclarant qu’il vivait avec son épouse et leur fils « entassés » dans une petite pièce et endettés auprès de leur propriétaire. Il ajoutait : « nous avons pensé un moment rentrer en France mais toutes nos relations professionnelles se trouvent en Chine car cela fait depuis 6 années que nous vivons ici ».
Dans ses correspondances avec Pôle Emploi, Mme [G] prétend qu’elle a travaillé jusqu’en 2013 pour le compte d’une société suisse en Chine où elle s’était établie depuis 2010 avec son mari et son fils, ce qui est cohérent avec le début du séjour en Chine déclaré par son époux à la CAF. Ayant perdu son emploi fin août 2013, elle soutient cependant être retournée vivre seule en France et n’avoir effectué que de courts séjours en Chine pour se rendre à des entretiens d’embauche ou pouvoir un peu son enfant. Elle argue également d’une dissension des liens conjugaux, ce qui ne constitue qu’une simple affirmation de sa part.
Invitée à communiquer des justificatifs de ses déplacement ainsi que la copie intégrale de son passeport, Mme [G] a répondu le 30 août 2018 qu’elle ne conservait pas ses cartes d’embarquement si ses mails anciens, et « qu’à moins de vivre dans un état totalitaire où on surveille vos moindre faits et gestes, je ne vois pas pourquoi accumuler tout ça alors qu’on accumule trop de paperasse ».
Pourtant, d’une part elle n’a apporté aucune indication relative à la conservation de son passeport correspondant aux déplacements effectués pendant la période d’indemnisation chômage, soit la période ayant expiré deux années seulement avant l’établissement de ce courrier. Compte tenu du montant considérable qu’il lui était réclamé, elle aurait pu facilement justifier d’une résidence habituelle en France, pour laquelle, si une telle résidence avait existé, elle était susceptible de disposer d’éléments en sa seule possession se rapportant à des transactions, des mouvements bancaires, des activités personnelles ou de loisirs ou de suivi médical. Son absence de toute collaboration à la manifestation de la vérité et ce même dans le cadre de la présente instance, où elle se borne à contester les éléments produits par France Travail, laisse supposer qu’elle ne dispose d’aucun élément.
De plus, Mme [G] a certes admis lors d’un entretien avec son conseiller Pôle Emploi être allée en Chine pour un entretien d’embauche, la reconnaissance d’un tel déplacement exceptionnel est sans rapport avec une résidence habituelle à [Localité 7]. Elle ne peut en outre sérieusement prétendre dans le cadre de la présente instance s’être absentée de France pendant une durée de seulement 72 heures pour se rendre à des entretiens d’embauche en Chine et y voir « un peu » son fils mineur.
Il résulte de ce faisceau d’indices et de l’absence de toute pièce contraire communiquée par Mme [G] dont celle-ci aurait pu facilement disposer qu’elle a non seulement déclaré un domicile fallacieux en France, mais également omis de déclarer ses déplacements entre la France et la Chine pour des séjours qui ont dépassé très largement 72 heures, et qui s’analyse au contraire en une résidence habituelle en Chine avec sa famille.
Sa déclaration d’un domicile erroné en France constitue dès lors une fausse déclaration volontaire qui conduit à écarter la prescription triennale. L’action a bien été introduite par France Travail dans le délai décennal.
La fin de non-recevoir sera en conséquence écartée.
Sur la demande de répétition de l’indu
En application de l’article 1376 du code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et de l’article 26 du règlement annexé à la convention d’assurance chômage du 6 mai 2011, la personne qui a indument perçu des allocations ou des aides, par erreur ou sciemment, doit les restituer à celui qui les a versées.
Il résulte de ce qui précède que Mme [G] ne résidait pas sur le territoire français pendant la période de service de l’allocation de retour à l’emploi, soit du 14 février 2014 au 13 février 2024, alors qu’il s’agit d’une condition du droit à indemnisation en application de l’article 4 et de l’article 25 §2 du règlement général annexé à la convention du 6 mai 2011.
Les allocations versées pendant cette période, soit la somme de 149 431 euros, sont donc indues et doivent être restituées à France Travail.
V) Sur la demande de dommages et intérêts pour retard de paiement
En application de l’article 1231-6 du code civil,
« Les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure.
Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte.
Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l'intérêt moratoire ».
En l’espèce, France Travail ne produit aucune pièce permettant de constater un préjudice financier directement imputable au retard de remboursement et qui ne serait déjà compensé par les intérêts moratoires.
Cette demande ne peu en conséquence prospérer.
VI) Sur les demandes accessoires
Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.
Mme [G] qui succombe devra supporter les dépens de la présente procédure.
Aux termes de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a lieu à condamnation.
L'équité commande de condamner Mme [G] à verser à France Travail la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il est rappelé que s’agissant d’une instance née avant le 1er janvier 2020, la présente décision n’est pas exécutoire de droit.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire rendu en premier ressort, par mise à disposition au greffe,
REÇOIT Mme [C] [G] en son opposition,
DÉCLARE nulle la contrainte n° UN241901588 du 25 juin 2019 d’un montant de 149 435,71 euros d’allocations de retour à l’emploi indues et de frais,
REJETTE les fins de non-recevoir relatives à la demande reconventionnelle en paiement de l’indu,
CONDAMNE Mme [C] [G] à verser à France Travail la somme de 149 431 euros au titre des allocations chômages indûment perçues,
DÉBOUTE France Travail de sa demande de dommages et intérêts,
CONDAMNE Mme [C] [G] aux entiers dépens,
CONDAMNE Mme [C] [G] à verser à France Travail une somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Fait et jugé à Paris le 04 Juin 2024
Le Greffier Le Président